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VI
SEANCE DES ASSOCIATIONS
APRES LE MANDAT ACCOMPLI
Mai 1849.
Je vous rapporte un double mandat, le mandat de president de l'association que vous voulutes bien, il y a un an, me confier a l'unanimite, le mandat de representant que vos votes, egalement unanimes, m'ont confere a la meme epoque. Je rappelle cette unanimite qui est pour moi un cher et glorieux souvenir.
Messieurs, nous venons de traverser une annee laborieuse. Grace a la toute-puissante volonte de la nation, nettement signifiee aux partis par le suffrage universel, un gouvernement serieux, regulier, normal, fonctionnant selon la liberte et la loi, peut desormais tout faire refleurir parmi nous, le travail, la paix, le commerce, l'industrie, l'art; c'est-a-dire remettre la France en pleine possession de tous les elements de la civilisation.
C'est la, messieurs, un grand pas en avant; mais ce pas ne s'est point accompli sans peine et sans labeur. Il n'est pas un bon citoyen qui n'ait pousse a la roue dans ce retour a la vie sociale; tous l'ont fait, avec des forces inegales sans doute, mais avec une egale bonne volonte. Quant a moi, l'humble part que j'ai prise dans les grands evenements survenus depuis un an, je ne vous la dirai pas; vous la savez, votre bienveillance meme se l'exagere. Ce sera ma gloire, un jour, de n'avoir pas ete etranger a ces grands faits, a ces grands actes. Toute ma conduite politique depuis une annee peut se resumer en un seul mot; j'ai defendu energiquement, resolument, de ma poitrine comme de ma parole, dans les douloureuses batailles de la rue comme dans les luttes ameres de la tribune, j'ai defendu l'ordre contre l'anarchie, et la liberte contre l'arbitraire. (Oui! oui! c'est vrai!)
Cette double loi, qui, pour moi, est une loi unique, cette double loi de ma conduite, dont je n'ai pas devie un seul instant, je l'ai puisee dans ma conscience, et il me semble aussi, messieurs, que je l'ai puisee dans la votre! (Unanime adhesion.) Permettez-moi de dire cela, car l'unanimite de vos suffrages il y a un an, et l'unanimite de vos adhesions en ce moment, nous fait en quelque sorte, a vous, les mandants, et a moi, le mandataire, une ame commune. (Oui! oui!) Je vous rapporte mon mandat rempli loyalement. J'ai fait de mon mieux, j'ai fait, non tout ce que j'ai voulu, mais tout ce que j'ai pu, et je reviens au milieu de vous avec la grave et austere serenite du devoir accompli. (Applaudissements.)
ASSEMBLEE CONSTITUANTE
1848
I
ATELIERS NATIONAUX
[Note: Ce discours fut prononce quatre jours avant la fatale insurrection du 24 juin. Il ouvrit la discussion sur le decret suivant, qui fut adopte par l'assemblee.
ART. 1. L'allocation de 3 millions demandee par M. le ministre des travaux publics pour les ateliers nationaux lui est accordee d'urgence.
ART. 2. Chaque allocation nouvelle affectee au meme emploi ne pourra exceder le chiffre de 1 million.
ART. 3. Les pouvoirs de la commission chargee de l'examen du present decret sont continues jusqu'a ce qu'il en soit autrement ordonne par l'assemblee.]
20 juin 1848.
Messieurs,
Je ne monte pas a cette tribune pour ajouter de la passion aux debats qui vous agitent, ni de l'amertume aux contestations qui vous divisent. Dans un moment ou tout est difficulte, ou tout peut etre danger, je rougirais d'apporter volontairement des embarras au gouvernement de mon pays. Nous assistons a une solennelle et decisive experience; j'aurais honte de moi s'il pouvait entrer dans ma pensee de troubler par des chicanes, dans l'heure si difficile de son etablissement, cette majestueuse forme sociale, la republique, que nos peres ont vue grande et terrible dans le passe, et que nous voulons tous voir grande et bienfaisante dans l'avenir. Je tacherai donc, dans le peu que j'ai a dire a propos des ateliers nationaux, de ne point perdre de vue cette verite, qu'a l'epoque delicate et grave ou nous sommes, s'il faut de la fermete dans les actes, il faut de la conciliation dans les paroles.
La question des ateliers nationaux a deja ete traitee a diverses reprises devant vous avec une remarquable elevation d'apercus et d'idees. Je ne reviendrai pas sur ce qui a ete dit. Je m'abstiendrai des chiffres que vous connaissez tous. Dans mon opinion, je le declare franchement, la creation des ateliers nationaux a pu etre, a ete une necessite; mais le propre des hommes d'etat veritables, c'est de tirer bon parti des necessites, et de convertir quelquefois les fatalites memes d'une situation en moyens de gouvernement. Je suis oblige de convenir qu'on n'a pas tire bon parti de cette necessite-ci.
Ce qui me frappe au premier abord, ce qui frappe tout homme de bon sens dans cette institution des ateliers nationaux, telle qu'on l'a faite, c'est une enorme force depensee en pure perte. Je sais que M. le ministre des travaux publics annonce des mesures; mais, jusqu'a ce que la realisation de ces mesures ait serieusement commence, nous sommes bien obliges de parler de ce qui est, de ce qui menace d'etre peut-etre longtemps encore; et, dans tous les cas, notre controle a le droit de remonter aux fautes faites, afin d'empecher, s'il se peut, les fautes a faire.
Je dis donc que ce qu'il y a de plus clair jusqu'a ce jour dans les ateliers nationaux, c'est une enorme force depensee en pure perte; et a quel moment? Au moment ou la nation epuisee avait besoin de toutes ses ressources, de la ressource des bras autant que de la ressource des capitaux. En quatre mois, qu'ont produit les ateliers nationaux? Rien.
Je ne veux pas entrer dans la nomenclature des travaux qu'il etait urgent d'entreprendre, que le pays reclamait, qui sont presents a tous vos esprits; mais examinez ceci. D'un cote une quantite immense de travaux possibles, de l'autre cote une quantite immense de travailleurs disponibles. Et le resultat? neant! (Mouvement.)
Neant, je me trompe; le resultat n'a pas ete nul, il a ete facheux; facheux doublement, facheux au point de vue des finances, facheux au point de vue de la politique.
Toutefois, ma severite admet des temperaments; je ne vais pas jusqu'au point ou vont ceux qui disent avec une rigueur trop voisine peut-etre de la colere pour etre tout a fait la justice: – Les ateliers nationaux sont un expedient fatal. Vous avez abatardi les vigoureux enfants du travail, vous avez ote a une partie du peuple le gout du labeur, gout salutaire qui contient la dignite, la fierte, le respect de soi-meme et la sante de la conscience. A ceux qui n'avaient connu jusqu'alors que la force genereuse du bras qui travaille, vous avez appris la honteuse puissance de la main tendue; vous avez deshabitue les epaules de porter le poids glorieux du travail honnete, et vous avez accoutume les consciences a porter le fardeau humiliant de l'aumone. Nous connaissions deja le desoeuvre de l'opulence, vous avez cree le desoeuvre de la misere, cent fois plus dangereux pour lui-meme et pour autrui. La monarchie avait les oisifs, la republique aura les faineants. – (Assentiment marque.)
Ce langage rude et chagrin, je ne le tiens pas precisement, je ne vais pas jusque-la. Non, le glorieux peuple de juillet et de fevrier ne s'abatardira pas. Cette faineantise fatale a la civilisation est possible en Turquie; en Turquie et non pas en France. Paris ne copiera pas Naples; jamais, jamais Paris ne copiera Constantinople. Jamais, le voulut-on, jamais on ne parviendra a faire de nos dignes et intelligents ouvriers qui lisent et qui pensent, qui parlent et qui ecoutent, des lazzaroni en temps de paix et des janissaires pour le combat. Jamais! (Sensation.)
Ce mot le voulut-on, je viens de le prononcer; il m'est echappe. Je ne voudrais pas que vous y vissiez une arriere-pensee, que vous y vissiez une accusation par insinuation. Le jour ou je croirai devoir accuser, j'accuserai, je n'insinuerai pas. Non, je ne crois pas, je ne puis croire, et je le dis en toute sincerite, que cette pensee monstrueuse ait pu germer dans la tete de qui que ce soit, encore moins d'un ou de plusieurs de nos gouvernants, de convertir l'ouvrier parisien en un condottiere, et de creer dans la ville la plus civilisee du monde, avec les elements admirables dont se compose la population ouvriere, des pretoriens de l'emeute au service de la dictature. (Mouvement prolonge.)
Cette pensee, personne ne l'a eue, cette pensee serait un crime de lese-majeste populaire! (C'est vrai!) Et malheur a ceux qui la concevraient jamais! malheur a ceux qui seraient tentes de la mettre a execution! car le peuple, n'en doutez pas, le peuple, qui a de l'esprit, s'en apercevrait bien vite, et ce jour-la il se leverait comme un seul homme contre ces tyrans masques en flatteurs, contre ces despotes deguises en courtisans, et il ne serait pas seulement severe, il serait terrible. (Tres bien! tres bien!)
Je rejette cet ordre d'idees, et je me borne a dire qu'independamment de la funeste perturbation que les ateliers nationaux font peser sur nos finances, les ateliers nationaux tels qu'ils sont, tels qu'ils menacent de se perpetuer, pourraient, a la longue, – danger qu'on vous a deja signale, et sur lequel j'insiste, – alterer gravement le caractere de l'ouvrier parisien.
Eh bien, je suis de ceux qui ne veulent pas qu'on altere le caractere de l'ouvrier parisien; je suis de ceux qui veulent que cette noble race d'hommes conserve sa purete; je suis de ceux qui veulent qu'elle conserve sa dignite virile, son gout du travail, son courage a la fois plebeien et chevaleresque; je suis de ceux qui veulent que cette noble race, admiree du monde entier, reste admirable.
Et pourquoi est-ce que je le veux? Je ne le veux pas seulement pour l'ouvrier parisien, je le veux pour nous; je le veux a cause du role que Paris remplit dans l'oeuvre de la civilisation universelle.
Paris est la capitale actuelle du monde civilise…
UNE VOIX. – C'est connu! (On rit.)
M. VICTOR HUGO. – Sans doute, c'est connu! J'admire l'interruption! il serait rare et curieux que Paris fut la capitale du monde et que le monde n'en sut rien. (Tres bien! – On rit.) Je poursuis. Ce que Rome etait autrefois, Paris l'est aujourd'hui. Ce que Paris conseille, l'Europe le medite; ce que Paris commence, l'Europe le continue. Paris a une fonction dominante parmi les nations. Paris a le privilege d'etablir a certaines epoques, souverainement, brusquement quelquefois, de grandes choses: la liberte de 89, la republique de 92, juillet 1830, fevrier 1848; et ces grandes choses, qui est-ce qui les fait? Les penseurs de Paris qui les preparent, et les ouvriers de Paris qui les executent. (Interruptions diverses.)
Voila pourquoi je veux que l'ouvrier de Paris reste ce qu'il est, un noble et courageux travailleur, soldat de l'idee au besoin, de l'idee et non de l'emeute (sensation), l'improvisateur quelquefois temeraire des revolutions, mais l'initiateur genereux, sense, intelligent et desinteresse des peuples. C'est la le grand role de l'ouvrier parisien. J'ecarte donc de lui avec indignation tout ce qui peut le corrompre.
De la mon opposition aux ateliers nationaux.
Il est necessaire que les ateliers nationaux se transforment promptement d'une institution nuisible en une institution utile.
QUELQUES VOIX. – Les moyens?
M. VICTOR HUGO. – Tout a l'heure, en commencant, ces moyens, je vous les ai indiques; le gouvernement les enumerait hier, je vous demande la permission de ne pas vous les repeter.
PLUSIEURS MEMBRES. – Continuez! continuez!
M. VICTOR HUGO. – Trop de temps deja a ete perdu; il importe que les mesures annoncees soient le plus tot possible des mesures accomplies. Voila ce qui importe. J'appelle sur ce point l'attention de l'assemblee et de ses delegues au pouvoir executif.
Je voterai le credit sous le benefice de ces observations.
Que demain il nous soit annonce que les mesures dont a parle M. le ministre des travaux publics sont en pleine execution, que cette voie soit largement suivie, et mes critiques disparaissent. Est-ce que vous croyez qu'il n'est pas de la plus haute importance de stimuler le gouvernement lorsque le temps se perd, lorsque les forces de la France s'epuisent?
En terminant, messieurs, permettez-moi d'adresser du haut de cette tribune, a propos des ateliers nationaux… – ceci est dans le sujet, grand Dieu! et les ateliers nationaux ne sont qu'un triste detail d'un triste ensemble… – permettez-moi d'adresser du haut de cette tribune quelques paroles a cette classe de penseurs severes et convaincus qu'on appelle les socialistes (Oh! oh! – Ecoutez! ecoutez!) et de jeter avec eux un coup d'oeil rapide sur la question generale qui trouble, a cette heure, tous les esprits et qui envenime tous les evenements, c'est-a-dire sur le fond reel de la situation actuelle.
La question, a mon avis, la grande question fondamentale qui saisit la France en ce moment et qui emplira l'avenir, cette question n'est pas dans un mot, elle est dans un fait. On aurait tort de la poser dans le mot republique, elle est dans le fait democratie; fait considerable, qui doit engendrer l'etat definitif des societes modernes et dont l'avenement pacifique est, je le declare, le but de tout esprit serieux.
C'est parce que la question est dans le fait democratie et non dans le mot republique, qu'on a eu raison de dire que ce qui se dresse aujourd'hui devant nous avec des menaces selon les uns, avec des promesses selon les autres, ce n'est pas une question politique, c'est une question sociale.
Representants du peuple, la question est dans le peuple. Je le disais il y a un an a peine dans une autre enceinte, j'ai bien le droit de le redire aujourd'hui ici; la question, depuis longues annees deja, est dans les detresses du peuple, dans les detresses des campagnes qui n'ont point assez de bras, et des villes qui en ont trop, dans l'ouvrier qui n'a qu'une chambre ou il manque d'air, et une industrie ou il manque de travail, dans l'enfant qui va pieds nus, dans la malheureuse jeune fille que la misere ronge et que la prostitution devore, dans le vieillard sans asile, a qui l'absence de la providence sociale fait nier la providence divine; la question est dans ceux qui souffrent, dans ceux qui ont froid et qui ont faim. La question est la. (Oui! oui!)
Eh bien, – socialiste moi-meme, c'est aux socialistes impatients que je m'adresse, – est-ce que vous croyez que ces souffrances ne nous prennent pas le coeur? est-ce que vous croyez qu'elles nous laissent insensibles? est-ce que vous croyez qu'elles n'eveillent pas en nous le plus tendre respect, le plus profond amour, la plus ardente et la plus poignante sympathie? Oh! comme vous vous tromperiez! (Sensation.) Seulement, en ce moment, au moment ou nous sommes, voici ce que nous vous disons.
Depuis le grand evenement de fevrier, par suite de ces ebranlements profonds qui ont amene des ecroulements necessaires, il n'y a plus seulement la detresse de cette portion de la population qu'on appelle plus specialement le peuple, il y a la detresse generale de tout le reste de la nation. Plus de confiance, plus de credit, plus d'industrie, plus de commerce; la demande a cesse, les debouches se ferment, les faillites se multiplient, les loyers et les fermages ne se payent plus, tout a flechi a la fois; les familles riches sont genees, les familles aisees sont pauvres, les familles pauvres sont affamees.
A mon sens, le pouvoir revolutionnaire s'est mepris. J'accuse les fausses mesures, j'accuse aussi et surtout la fatalite des circonstances.
Le probleme social etait pose. Quant a moi, j'en comprenais ainsi la solution: n'effrayer personne, rassurer tout le monde, appeler les classes jusqu'ici desheritees, comme on les nomme, aux jouissances sociales, a l'education, au bien-etre, a la consommation abondante, a la vie a bon marche, a la propriete rendue facile…
PLUSIEURS MEMBRES. – Tres bien!
DE TOUTES PARTS. – Nous sommes d'accord, mais par quels moyens?
M. VICTOR HUGO. – En un mot, faire descendre la richesse. On a fait le contraire; on a fait monter la misere.
Qu'est-il resulte de la? Une situation sombre ou tout ce qui n'est pas en perdition est en peril, ou tout ce qui n'est pas en peril est en question; une detresse generale, je le repete, dans laquelle la detresse populaire n'est plus qu'une circonstance aggravante, qu'un episode dechirant du grand naufrage.
Et ce qui ajoute encore a mon inexprimable douleur, c'est que d'autres jouissent et profitent de nos calamites. Pendant que Paris se debat dans ce paroxysme, que nos ennemis, ils se trompent! prennent pour l'agonie, Londres est dans la joie, Londres est dans les fetes, le commerce y a triple, le luxe, l'industrie, la richesse s'y sont refugies. Oh! ceux qui agitent la rue, ceux qui jettent le peuple sur la place publique, ceux qui poussent au desordre et a l'insurrection, ceux qui font fuir les capitaux et fermer les boutiques, je puis bien croire que ce sont de mauvais logiciens, mais je ne puis me resigner a penser que ce sont decidement de mauvais francais, et je leur dis, et je leur crie: En agitant Paris, en remuant les masses, en provoquant le trouble et l'emeute, savez-vous ce que vous faites? Vous construisez la force, la grandeur, la richesse, la puissance, la prosperite et la preponderance de l'Angleterre. (Mouvement prolonge.)
Oui, l'Angleterre, a l'heure ou nous sommes, s'assied en riant au bord de l'abime ou la France tombe. (Sensation.) Oh! certes, les miseres du peuple nous touchent; nous sommes de ceux qu'elles emeuvent le plus douloureusement. Oui, les miseres du peuple nous touchent, mais les miseres de la France nous touchent aussi! Nous avons une pitie profonde pour l'ouvrier avarement et durement exploite, pour l'enfant sans pain, pour la femme sans travail et sans appui, pour les familles proletaires depuis si longtemps lamentables et accablees; mais nous n'avons pas une pitie moins grande pour la patrie qui saigne sur la croix des revolutions, pour la France, pour notre France sacree qui, si cela durait, perdrait sa puissance, sa grandeur et sa lumiere, aux yeux de l'univers. (Tres bien!) Il ne faut pas que cette agonie se prolonge; il ne faut pas que la ruine et le desastre saisissent tour a tour et renversent toutes les existences dans ce pays.
UNE VOIX. – Le moyen?
M. VICTOR HUGO. – Le moyen, je viens de le dire, le calme dans la rue, l'union dans la cite, la force dans le gouvernement, la bonne volonte dans le travail, la bonne foi dans tout. (Oui! c'est vrai!)
Il ne faut pas, dis-je, que cette agonie se prolonge; il ne faut pas que toutes les existences soient tour a tour renversees. Et a qui cela profiterait-il chez nous? Depuis quand la misere du riche est-elle la richesse du pauvre? Dans un tel resultat je pourrais bien voir la vengeance des classes longtemps souffrantes, je n'y verrais pas leur bonheur. (Tres bien!)
Dans cette extremite, je m'adresse du plus profond et du plus sincere de mon coeur aux philosophes initiateurs, aux penseurs democrates, aux socialistes, et je leur dis: Vous comptez parmi vous des coeurs genereux, des esprits puissants et bienveillants, vous voulez comme nous le bien de la France et de l'humanite. Eh bien, aidez-nous! aidez-nous! Il n'y a plus seulement la detresse des travailleurs, il y a la detresse de tous. N'irritez pas la ou il faut concilier, n'armez pas une misere contre une misere, n'ameutez pas un desespoir contre un desespoir. (Tres bien!)
Prenez garde! deux fleaux sont a votre porte, deux monstres attendent et rugissent la, dans les tenebres, derriere nous et derriere vous, la guerre civile et la guerre servile (agitation), c'est-a-dire le lion et le tigre; ne les dechainez pas! Au nom du ciel, aidez-nous!
Toutes les fois que vous ne mettez pas en question la famille et la propriete, ces bases saintes sur lesquelles repose toute civilisation, nous admettons avec vous les instincts nouveaux de l'humanite; admettez avec nous les necessites momentanees des societes. (Mouvement.)
M. FLOCON, ministre de l'agriculture et du commerce. – Dites les necessites permanentes.
UNE VOIX. – Les necessites eternelles.
M. VICTOR HUGO. – J'entends dire les necessites eternelles. Mon opinion, ce me semble, etait assez claire pour etre comprise. (Oui! oui!) Il va sans dire que l'homme qui vous parle n'est pas un homme qui nie et met en doute les necessites eternelles des societes. J'invoque la necessite momentanee d'un peril immense et imminent, et j'appelle autour de ce grand peril tous les bons citoyens, quelle que soit leur nuance, quelle que soit leur couleur, tous ceux qui veulent le bonheur de la France et la grandeur du pays, et je dis a ces penseurs auxquels je m'adressais tout a l'heure: Puisque le peuple croit en vous, puisque vous avez ce doux et cher bonheur d'etre aimes et ecoutes de lui, oh! je vous en conjure, dites-lui de ne point se hater vers la rupture et la colere, dites-lui de ne rien precipiter, dites-lui de revenir a l'ordre, aux idees de travail et de paix, car l'avenir est pour tous, car l'avenir est pour le peuple! Il ne faut qu'un peu de patience et de fraternite; et il serait horrible que, par une revolte d'equipage, la France, ce premier navire des nations, sombrat en vue de ce port magnifique que nous apercevons tous dans la lumiere et qui attend le genre humain. (Tres bien! tres bien!)
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