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Choix de contes et nouvelles traduits du chinois

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«Eh bien! reprit alors le dieu des mers14, ce petit poisson d'or que tu as remis dans l'eau, c'est moi. Si l'homme auquel je dois la vie se trouve à son tour dans le même danger, pourrais-je ne pas le sauver?» A ces mots, il releva le cadavre de Kwang-Jouy, plaça dans sa bouche un certain nombre de pierres précieuses pour empêcher la dissolution du corps; puis, quelques jours après que son ame fut réintégrée, il lui dit: «Maintenant que tu as recouvré la vie, les circonstances t'obligent à vivre dans l'empire des eaux: restes-y avec un grade à ma cour.»

Cette offre fut acceptée avec empressement par Kwang-Jouy, qui en exprima sa gratitude au roi des dragons.

Mais revenons à la veuve du docteur. – Dans son aversion pour l'assassin de son époux, elle ne voulait se nourrir que de légumes et dormait sur la dure. Cependant elle était enceinte et ignorait de quel sexe serait l'enfant qu'elle devait mettre au jour15; dans cette perplexité, elle avait dû obéir à la force des événements et suivre Lieou.

Bientôt ils arrivèrent dans le Kiang-Tcheou; les greffiers et les employés inférieurs de la cour allèrent au-devant de celui qu'ils prenaient pour le magistrat. Les fonctionnaires subalternes vinrent eux-mêmes à l'hôtel complimenter, d'après l'ordre de leur rang, le nouveau préfet. «En acceptant cet emploi, leur dit Lieou-Hong, je compte sur le concours de vos lumières pour aider mes faibles talents. – Seigneur, répondirent les magistrats, votre rare génie, votre haute capacité suffiront; vous regarderez le peuple comme votre fils, l'équité présidera à vos jugements et les punitions seront appliquées avec impartialité: tel est l'espoir de vos subordonnés. De grâce, daignez être moins humble!» Après cette visite, ils se retirèrent.

Les instants fuient avec rapidité. – Un jour que Lieou-Hong était sorti pour des affaires publiques, la jeune dame restée à l'hôtel était occupée du souvenir de son époux et de sa belle-mère, et elle se désolait dans la galerie si bien décorée de sa nouvelle demeure. Tout-à-coup elle se sentit malade, de violentes douleurs l'assaillirent: elle s'évanouit. Bientôt elle donna naissance à un fils, et une voix se fit entendre, qui disait: «Jeune dame, prêtez l'oreille à mes paroles. Je suis le génie du pôle sud, la déesse Kwan-Yn m'envoie vous offrir ce fils: un jour sa réputation sera immense et sans rivale; Lieou-Hong cherchera à le faire périr, veillez de tout votre cœur à sa conservation. Votre époux a été sauvé par le roi des dragons; dans quelque temps vous et lui resserrerez les liens d'affection qui vous unissaient, et une éclatante vengeance confondra votre ennemi: un jour viendra où vous vous souviendrez de tout ceci. Rassurez-vous donc et reprenez vos sens.» Puis la voix se tut.

Revenue à elle, la jeune mère grava dans son esprit les paroles qu'elle venait d'entendre et serra son enfant dans ses bras, ne sachant trop que devenir. Au même instant Lieou-Hong entra, et dès qu'il aperçut l'enfant il voulut le faire précipiter dans le fleuve afin de s'en débarrasser. «Il fait déjà nuit, objecta la jeune dame, attendez à demain que le jour paraisse; alors il sera jeté dans les eaux et vous serez satisfait.»

Le lendemain une affaire importante appela de nouveau Lieou-Hong au tribunal. Quand il fut parti, la pauvre mère, pleine de sollicitude pour son enfant, pensa que si elle attendait encore une fois le retour du bandit, c'en était fait de son fils. Il valait donc mieux dès aussitôt le déposer sur le fleuve et l'abandonner à son sort. «Peut-être, songea-t-elle, le ciel laissera tomber sur lui un regard de pitié; il se trouvera quelqu'un qui sauvera mon fils, en prendra soin; et un jour le hasard nous réunira. Cependant il sera difficile de le reconnaître…»

Eclairée par cette pensée, elle se mordit à la main, et écrivit avec son sang sur du papier les noms de ses père et mère, ainsi que tout le détail de leur triste aventure; puis elle fit avec les dents une marque au petit doigt du pied gauche de l'enfant. Déchirant ensuite ses vêtements, elle en prit un lambeau dans lequel elle l'enveloppa. La porte de l'hôtel se trouvant ouverte, c'était une occasion favorable; par bonheur aussi il n'y avait pas loin de là au fleuve.

En arrivant sur le rivage, la jeune mère versa un torrent de larmes; et comme elle cherchait quelque objet qui pût flotter, elle remarqua une branche que la violence du vent avait arrachée. Après avoir rendu grâce au ciel de cette heureuse circonstance, elle place l'enfant sur la branche, attache sur sa poitrine le billet mystérieux, et le confie ainsi à son sort, au milieu du courant; puis, essuyant ses pleurs, elle rentre à l'hôtel.

Entraîné par les flots, le frêle radeau alla aborder au pied du couvent de Kin-Chan. Le supérieur de cette communauté, le bonze Fa-Ming, était un vieillard très avancé dans la pratique des vertus, éclairé sur tous les points de la doctrine et parfaitement instruit des préceptes de Fo.

Assis dans la posture d'une méditation profonde, il était livré tout entier à la pensée du dieu, quand tout-à-coup les cris d'un petit enfant arrivent à lui. Son cœur est ému; il court au bord du fleuve: que voit-il?.. Une branche flotte au gré des eaux, sur laquelle est attaché un enfant nouveau-né. Comme il s'empresse de le déposer à terre, il aperçoit un billet écrit avec du sang, qui lui fait connaître les noms et l'histoire de Kwang-Jouy et de son épouse. Le vieux bonze recueille le nouveau-né, lui donne le nom de Kiang-Lieou (Flottant sur le fleuve Kiang) et le confie aux soins d'une personne qui l'élève; mais il garde et cache avec soin le papier mystérieux.

Les instants passent comme la flèche, les jours et les mois sont rapides comme la navette du tisserand. – L'enfant grandit; et quand il eut atteint l'âge de dix-huit ans, le bonze désira qu'il coupât ses cheveux16 et se livrât à l'étude de la vertu. Alors il lui imposa le nom de Kay-Tsang. Le jeune novice s'appliqua de tous ses efforts à suivre les commandements de la loi et à affermir son cœur dans la pratique de la vertu.

Un jour que l'air vivifiant du printemps réjouissait la nature, tous les bonzes rassemblés à l'ombre des pins développaient les textes sacrés et parlaient sur la méditation. Ce qu'ils disaient en faveur de l'abstinence du vin et de la viande17 était profond, difficile à saisir, et, malgré l'accord de tous les religieux sur ces points, le novice avait de la peine à en pénétrer le vrai sens. Les bonzes irrités lui adressèrent des injures: «Stupide ignorant, lui dirent-ils, on ne connaît ni ton père ni ta mère, tu n'es qu'un absurde démon venu on ne sait d'où!»

Ainsi outragé par leurs paroles, le novice courut aussitôt se jeter aux pieds du vieux bonze et, fondant en larmes, il lui dit: «L'homme qui naît entre le ciel et la terre a pour base de son existence18 et pour appui les deux principes qui président à la formation de tous les êtres; il a sa cause et son origine dans les cinq éléments: ce sont là et le père qui lui donne l'être et la mère qui le nourrit. Comment donc y aurait-il dans le monde un homme qui n'eût ni père ni mère? Deux et trois fois je vous supplie avec instance de me dire quels sont les auteurs de mes jours. – Eh bien! répondit le chef des bonzes, si tu veux arriver à connaître leurs noms, suis-moi dans ma cellule.»

Kay-Tsang l'y accompagna avec empressement. Là, le vieux bonze tira de derrière la poutre principale une petite botte; il l'ouvrit, et y prit le papier ensanglanté avec le lambeau de vêtement qu'il remit au novice. Celui-ci déploya l'écrit fatal et apprit avec les noms de ses parents la vengeance que sa mère attendait de lui.

 

A cette lecture Kay-Tsang éclata en sanglots, tomba la face contre terre et s'écria: «Quoi! l'injustice dont mon père et ma mère ont été victimes n'est point encore vengée, et j'ai pu arriver jusqu'à l'âge de dix-huit ans sans connaître ceux à qui je dois la vie! Maintenant il m'est révélé que ma mère existe; et moi, si vous, mon père, ne m'aviez sauvé des eaux, élevé, soigné de vos mains, comment aurais-je pu voir ce jour décisif? Oh! permettez donc à votre disciple d'aller à la recherche de sa mère! Dans la suite, portant un vase du plus précieux parfum, il fondera un monastère dans lequel vous serez traité avec les plus grands égards, et il vous témoignera ainsi sa profonde reconnaissance.

– «Si tu désires, répondit Fa-Ming, entreprendre cet acte pieux, munis-toi de ces divers objets; puis, sous les dehors d'un bonze mendiant, va frapper à la porte de l'hôtel du préfet de Kiang-Tcheou: là, tu pourras avoir une entrevue avec ta mère.»

Kay-Tsang suivit en tout point les instructions du chef du couvent. A l'instant où il arriva à la demeure de Lieou-Hong, le bandit était sorti pour affaire: le ciel avait dit que le fils aurait un entretien avec sa mère. Le novice demanda donc l'aumône aux portes du palais.

Or, cette même nuit, la veuve de Kwang-Jouy avait eu un songe; la lune, échancrée la veille, avait arrondi son disque; elle se dit donc: «Je n'ai pas entendu parler de ma belle-mère, mon mari est mort assassiné par le bandit, mon fils a été exposé sur le fleuve. Si quelqu'un l'a retiré des eaux pour l'élever, il doit avoir maintenant dix-huit ans; peut-être le ciel a-t-il décrété que nous serions réunis aujourd'hui, qui sait?..»

Elle fut interrompue dans ces réflexions par une servante qui lui annonçait qu'il y avait à la porte un religieux récitant des prières et demandant l'aumône.

Aussitôt la dame se leva frappée de cette coïncidence, «Et d'où vient-il? demanda-t-elle. – Le pauvre religieux vient du couvent de Kin-Chan, répondit le novice; il est disciple du bonze Fa-Ming. – Puisqu'il en est ainsi, entrez.»

On servit au religieux le repas maigre exigé par les commandements, et tandis qu'il mangeait, la veuve de Kwang-Jouy portant toute son attention sur ses manières et son langage se disait: «C'est l'image vivante de mon mari!» Ensuite, congédiant la servante, elle lui demanda si depuis son enfance il avait été voué à la vie du couvent, ou s'il l'avait embrassée plus tard, comment il s'appelait, si son père et sa mère vivaient encore.

Kay-Tsang s'empressa de répondre. «Je ne suis point un religieux voué dès l'enfance à la vie des couvents, et ne suis point entré dans cette carrière à l'âge où l'on choisit une profession; mais écoutez. J'ai reçu du ciel pour héritage une inimitié terrible, une haine profonde comme les mers. Mon père a été assassiné par un scélérat qui s'est emparé de ma mère, et c'est elle que je viens chercher ici d'après les instructions de mon guide spirituel Fa-Ming. – Et quel est le nom de votre mère? – Son nom de famille est Yn et son petit nom Ouen-Kiao, ceux de mon père, Tchin-Kwang-Jouy; je m'appelle moi-même Kiang-Lieou, mon nom de religion est Kay-Tsang. – En effet, Ouen-Kiao est mon nom, répartit la veuve, mais où sont les preuves de ce que vous dites?»

A ces mots qui lui faisaient connaître sa mère, le novice s'était précipité à genoux et, avec des larmes mêlées de sanglots, il s'écria: «Si vous ne me croyez pas, ô ma mère, voyez, voyez ces témoignages!» Ouen-Kiao regarde: … il n'y avait plus de doute, c'était bien son fils. Elle le pressa dans ses bras en versant des pleurs et lui dit: «Pars, mon fils, pars au plus vite. – Quoi! je suis resté dix-huit années sans connaître les auteurs de mes jours, et au moment que je retrouve ma mère, c'est elle qui m'ordonne une si cruelle séparation! – Ton amour te trahirait; fuis par prudence, mon fils: si Lieou-Hong revenait il voudrait te faire périr. Demain je feindrai d'être malade et je dirai que depuis long-temps j'ai promis d'offrir à des bonzes cent paires de souliers: c'est ton couvent que je choisirai pour y accomplir mon vœu; là du moins nous pourrons nous entretenir.»

Docile aux volontés de sa mère, Kay-Tsang se sépara d'elle.

Cependant à la suite de cette double émotion de joie et de douleur, excitée par la vue de son fils, la veuve de Kwang-Jouy tomba malade. Elle ne put rien prendre et ne se leva pas. Lorsque Lieou-Hong la questionna sur la cause de son indisposition, elle parla du vœu fait dans sa jeunesse de donner cent paires de souliers à des bonzes. «Il y a cinq jours, ajouta-t-elle, j'ai vu en songe un religieux qui tenait en main un couteau, en réclamant impérieusement le don promis: cette vision m'a rendue malade. – C'est peu de chose, en vérité, répliqua le brigand; pourquoi ne pas m'en avoir averti plus tôt? En allant au tribunal, je vais charger mes deux huissiers d'en faire confectionner une paire à chacune des cent familles, et cela dans le délai de cinq jours.»

En effet, à l'époque fixée, les cent familles apportèrent l'ouvrage exigé. La veuve de Kwang-Jouy demanda à Lieou-Hong où était le couvent auquel il convenait de faire cette offrande. «Dans la province de Kiang-Tcheou il y en a deux, répondit-il: celui de Kin-Chan et celui de Tsiao-Chan; vous pouvez aller dans le premier. – D'ailleurs, reprit la dame, j'ai depuis long-temps entendu dire beaucoup de bien de ce couvent de Kin-Chan, c'est lui que je choisis.» Lieou-Hong envoya ses deux huissiers préparer un bateau, et la mère de Kay-Tsang, accompagnée de domestiques affidés, s'embarqua. Le bateau fut détaché du rivage et bientôt on aborda au pied du couvent.

Au retour de son excursion, Kay-Tsang était allé trouver Fa-Ming et lui avait raconté tout ce qui venait de se passer: le vieux bonze parut très satisfait du succès de l'entreprise. Le lendemain on vit venir une servante qui annonçait l'arrivée de sa maîtresse. Tous les religieux sortirent au-devant de la jeune dame et l'introduisirent dans le couvent. Là, elle salua les images des Pou-Ssa19, revêtit des habits de deuil et dit à sa suivante de tirer de leur enveloppe les cent paires de chaussures et de les déposer sur un plateau. Entrée dans la salle du temple, elle pria de nouveau, offrit des parfums et salua l'assemblée, puis elle engagea le supérieur du couvent à distribuer les souliers à ses religieux.

Lorsque Kay-Tsang vit tous les bonzes partis et la salle déserte, il se jeta aux genoux de sa mère, qui lui dit qu'à l'instant où il se chaussait, elle avait aperçu en effet une marque au petit doigt de son pied gauche. A ces mots, ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre en pleurant, et tous deux ils témoignèrent leur reconnaissance au vieux bonze des soins qu'il avait pris de l'enfant abandonné sur les eaux. Mais celui-ci leur dit: «Maintenant que la mère et le fils sont réunis, il est à craindre que le brigand Lieou-Hong n'en soit averti. Il faut donc vous séparer sans bruit, afin d'éviter les malheurs qui vous menaceraient.»

Alors la veuve donna à son fils un bracelet parfumé, en lui disant: «Tu iras au nord-ouest du Kiang-Tcheou, à la distance de 1500 lys, à l'hôtellerie de Ouan-Hoa; c'est là que nous avons laissé ton aïeule, celle qui est la mère de ton père. Je vais écrire une lettre que tu porteras dans la capitale du grand Empereur des Tang. A droite du palais des clochettes d'or, est celui de Yn-Oey-Tching, premier ministre de sa Majesté: ce ministre et son épouse sont les parents auxquels ta mère doit elle-même le jour. Tu présenteras cette lettre à ton aïeul, en le priant de demander à l'Empereur de vouloir bien envoyer des hommes et des chevaux, afin de s'emparer du bandit et de venger ton père. Ensuite tu délivreras ton aïeule de la misère dans laquelle elle doit être plongée et tu l'amèneras. Je n'ose pour l'instant demeurer davantage ici: je craindrais que ce scélérat de Lieou-Hong ne s'étonnât de ma trop longue absence.» Après ces paroles elle quitta le couvent et regagna le bateau.

Kay-Tsang rentra en gémissant dans l'intérieur du monastère. Il rapporta au vieux Fa-Ming tout ce que sa mère exigeait de lui; puis, prenant congé du religieux, il se mit en route.

Arrivé à l'hôtellerie de Ouan-Hoa, il s'informa auprès de Lieou-Siao-Eul si jadis un magistrat étranger, nommé Tchin, n'était pas descendu dans cette maison avec une vieille mère, et si on savait ce qu'était devenue cette dame. «En effet, répondit l'hôtelier, elle est restée chez moi; mais au bout de trois ou quatre ans elle devint aveugle, et comme elle n'avait plus de quoi payer son logement, elle s'en alla demeurer dans un vieux four ruiné, ici près, à la porte du sud, et tous les jours elle va demander son pain. Quant au magistrat, depuis lors, et il y a bien long-temps, nous n'en avons plus entendu parler, et personne ne sait ce qu'il est devenu.»

Sur cette réponse Kay-Tsang demanda où était ce four ruiné et courut chercher la vieille dame. Au son de sa voix, l'aveugle s'écria: «Oh! c'est l'accent de mon fils Kwang-Jouy. – Ce n'est pas lui, répondit le novice, mais c'est son fils, le fils du docteur Kwang et de son épouse Ouen-Kiao. – Eh! pourquoi ne sont-ils venus ni l'un ni l'autre? – Hélas! mon père a été assassiné par un scélérat qui a forcé ma mère à demeurer près de lui. – Mais comment as-tu pu apprendre que j'étais ici et m'y venir chercher? – C'est ma mère qui m'a envoyé avec une lettre pour la capitale et ce bracelet parfumé.»

La vieille tâta les deux objets et s'écria les larmes aux yeux: «Hélas! je me disais: mon fils a tant de talent! il a obtenu tant de gloire qu'il a perdu tout sentiment de justice et oublié les devoirs de la reconnaissance! J'étais loin de penser qu'il eût péri victime d'un assassinat; mais je me réjouis à l'idée que le ciel compatissant ne l'a pas privé de postérité, et a permis qu'il y eût un petit-fils pour venir me trouver. – Et comment mon aïeule a-t-elle perdu la vue? demanda Kay-Tsang. – Long-temps j'attendis ton père avec anxiété, répondit la vieille dame; enfin comme il ne venait pas, j'ai tant pleuré que mes yeux se sont fermés à la lumière.»

En entendant ces tristes paroles, le jeune bonze tomba à genoux et fit cette prière. «Moi, Kay-Tsang, j'ai dix-huit ans, mon père et ma mère ont un ennemi dont ils ne sont pas encore vengés; enfin j'ai retrouvé celle à qui je dois le jour, il m'a été donné aussi de revoir mon aïeule; mais si le ciel bienfaisant n'est pas sourd aux vœux que je lui adresse du fond de mon cœur, je l'en supplie, que les deux yeux de mon aïeule s'ouvrent de nouveau à la clarté du jour!» Cela dit, il passa l'extrémité de sa langue sur les paupières de la pauvre aveugle, et au même instant elle recouvra la vue.

Dès qu'elle put voir le novice, Tchang-Chy s'écria: «Ce sont là tous les traits de mon fils Kwang-Jouy.» Sa joie était au comble et elle se sentait vivement émue. Kay-Tsang pria son aïeule de sortir de ce four et la conduisit de nouveau dans l'hôtellerie, il paya ce qui était dû pour le logement; puis, après avoir pris quelque repos, il donna à la vieille dame l'argent dont elle avait besoin jusqu'à son retour, en lui disant: «Il y a plus d'un mois que je suis en voyage, il faut que je vous quitte pour aller à la capitale.»

Arrivé à la résidence de l'Empereur, il se rendit aux portes de l'hôtel de Oey-Tching et dit aux gardes qu'il avait besoin de voir le ministre, et que d'ailleurs il était son parent. Quand on lui fit part de cette demande, le ministre répondit qu'il n'avait pas de bonze dans sa famille; mais son épouse lui dit: «La nuit dernière, j'ai vu en songe ma fille Ouen-Kiao; ce doit être une lettre de notre gendre qu'on nous apporte.» Le ministre donna ordre de faire entrer le jeune bonze dans la salle du palais.

A peine Kay-Tsang eut-il aperçu Oey-Tching et son épouse, qu'il éclata en sanglots; puis, s'inclinant jusqu'à terre, il tira de sous sa robe la lettre dont il était chargé et la leur présenta. Le ministre l'ouvre, la lit et fond en larmes en jetant des cris de douleur. «Qu'y a-t-il donc? lui demanda son épouse.» Et le ministre lui raconta tout ce qui était contenu dans la lettre. A ce récit la belle-mère de Kwang-Jouy s'abandonna aussi au plus violent chagrin et versa un torrent de pleurs. «Rassurez-vous, lui dit alors son époux, j'irai déclarer cet événement à sa Majesté et lui demander des troupes pour venger notre gendre.»

 

Le lendemain Oey-Tching se rendit à la cour et informa l'Empereur de l'assassinat dont Kwang-Jouy avait été victime, de l'oppression exercée envers sa veuve, enfin de l'usurpation des titres du défunt. L'Empereur, saisi d'une violente colère, fit assembler les 60,000 hommes de sa garde et donna ordre au ministre de partir en avant, à la tête des troupes. Dès qu'il fut sorti, Oey-Tching réunit les soldats et les dirigea sur le Kiang-Tcheou. Ils marchaient le jour, le soir ils se reposaient, faisant diligence et rapides dans leur course comme l'étoile filante. Bientôt on arriva au Kiang-Tcheou, et les troupes se retranchèrent sur la rive septentrionale du fleuve.

Pendant la nuit, à la lueur des étoiles, on distribua au peuple la proclamation impériale, et les deux magistrats, les premiers en grade après le préfet, apprirent ce qui allait se passer de la bouche du ministre, qui les pria de concourir avec leurs troupes au succès de l'entreprise. Tout le monde passa le fleuve en même temps, et il ne faisait pas jour encore, que le palais de Lieou-Hong était déjà cerné. Or, à cet instant Lieou-Hong dormait; il entendit le bruit des armes et le roulement des tambours résonnant tous à la fois. Les soldats se précipitèrent dans le palais, les armes à la main, et le bandit ne put leur échapper, il fut pris. Le ministre fit annoncer à l'armée que le brigand Lieou-Hong, lié et garrotté, allait subir le châtiment de son crime, et prescrivit aux soldats de se tenir prêts, hors de la ville, sur la place des exécutions.

Oey-Tching entra dans la salle principale du palais et fit prier sa fille de se présenter devant lui; mais elle hésitait et voulait laver sa honte avant de paraître devant son père: elle avait même formé la résolution de se pendre. Dès que Kay-Tsang en fut averti, il courut bien vite pour l'arracher à ce trépas volontaire, et se jetant à ses genoux: «Puisque, sur ma prière, lui dit-il, mon aïeul est venu avec des troupes, votre époux est vengé: le monstre va expier son forfait. Pourquoi donc, ô ma mère, persister à vouloir vous donner la mort? Si vous mourez aussi, votre fils pourra-t-il vous survivre?»

Le ministre arriva, qui joignit ses propres instances pour exhorter sa fille à se calmer; mais la pauvre veuve s'écriait: «J'ai entendu dire qu'une femme doit rester inconsolable de la perte de son époux: le mien a été assassiné par un bandit, et moi j'ai pu me déshonorer au point de suivre ce misérable! Il est vrai que ce fut à cause de l'enfant que je portais dans mon sein, que ce fut à cause de lui que je consentis à vivre en dépît de toutes les lois humaines!.. Aujourd'hui ce fils est grand, mon père est venu châtier le brigand; quant à moi, qu'ai-je besoin de me présenter devant lui?.. Il ne me reste plus qu'à mourir pour acquitter ma dette envers mon époux.

– »Ni moi, ni mon fils, répliqua le ministre, ne voulons fouler aux pieds une si grande douleur et approuver une conduite qui serait contraire à la chasteté d'une veuve: mais ce qui s'est passé, il était au-dessus de nos forces de l'empêcher. Ainsi, de quoi donc rougirais-tu?»

L'aïeul et le petit-fils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre en sanglotant; Kay-Tsang ne pouvait arrêter le cours de sa douleur. Cependant le ministre essuya ses larmes et dit: «Mes enfants, modérez votre chagrin; j'ai déjà tiré vengeance du scélérat Lieou-Hong, et son supplice est une chose arrêtée.»

Oey-Tching se rendit au lieu des exécutions. Les deux magistrats principaux du Kiang-Tcheou avaient en toute hâte expédié des soldats à la recherche du complice Ly-Pieou, et on l'amenait pour le traduire en justice. Satisfait de cette nouvelle, le ministre fit attacher les deux brigands, et chaque bourreau leur donna cent coups de bâton. Par ce moyen on parvint à en obtenir des aveux, qui firent connaître que jadis, contre toutes les lois divines et humaines, ils avaient comploté et accompli le meurtre du docteur Kwang-Jouy.

On procéda au supplice de ces deux scélérats, en commençant par Ly-Pieou. Cloué sur un chevalet, on le traîna au milieu de la place du marché; là, son corps fut coupé en morceaux et sa tête montrée au peuple. Quant à Lieou-Hong, on le conduisit à l'embouchure du fleuve, à l'endroit même où il avait commis le crime.

Accompagné de sa fille et de son fils, le ministre arriva sur le bord du fleuve Kiang, afin d'y accomplir un sacrifice sanglant: il offrit à la victime le cœur du meurtrier et y joignit un papier qu'il brûla. Puis tous les trois ils se penchèrent sur les eaux et versèrent des larmes. Leurs soupirs furent entendus dans l'empire des ondes: le génie qui préside à l'inspection des mers alla présenter ce papier au roi des Dragons, qui dépêcha aussitôt le chef suprême des grandes tortues vers le défunt Kwang-Jouy, pour le prier de venir le trouver.

«Docteur, s'écria le roi des eaux, en le voyant, réjouissez-vous! Votre épouse, votre fils et le ministre votre beau-père sont venus faire sur le bord du fleuve un sacrifice expiatoire: je vais vous rendre la vie et animer de nouveau votre corps. En outre, voici une perle de l'espèce Yu-Y et une autre de l'espèce Tseou-Pan20, dix pièces d'étoffes de soie, et enfin une ceinture de jade et de diamants: je vous les offre avec respect. Aujourd'hui même vous allez revoir votre épouse et votre vieille mère.»

Le docteur salua le roi des Dragons et lui fit ses remerciements. Alors le petit génie, prenant le cadavre du défunt qui était resté à l'embouchure du fleuve, y réintégra l'ame absente et, cet acte accompli, il s'éloigna.

Après avoir longuement pleuré et honoré les mânes de son époux, la veuve de Kwang-Jouy voulut chercher la mort dans les eaux du fleuve; mais son fils l'arrêta, au péril de ses jours. Au moment de leur plus vive angoisse, ils aperçurent tout-à-coup à la surface de l'eau un cadavre qui flottait en s'avançant vers le rivage. Ouen-Kiao s'élance pour le reconnaître… C'était bien lui, c'était le corps de son époux!

A cette vue sa joie se trahit par un torrent de larmes. Tous ceux qui étaient présents s'approchèrent aussi et distinguèrent le cadavre, qui se leva lentement sur ses pieds; peu à peu le corps s'anima, il grimpa sur le rivage et vint s'y asseoir, à la stupéfaction de l'assemblée. Kwang-Jouy ayant ouvert les yeux, regarda sa femme qui était là près de lui, pleurant ainsi que le ministre Oey-Tching et le jeune bonze.

«Que faites – vous ici? leur demanda le docteur ressuscité. – Vous avez été assassiné, lui répondit son épouse; notre fils, recueilli dans le couvent de Kin-Chan, a été l'instrument de votre résurrection.» Puis, après avoir raconté toute cette histoire: «Je ne sais en vérité, ajouta-t-elle, si j'ai devant les yeux mon époux vivant, ou l'ombre de mon époux? – Ce petit poisson d'or que j'ai remis à l'eau, répliqua le docteur, c'était le roi des Dragons, et c'est lui qui, à son tour, m'a sauvé; il a rendu à mon corps l'ame qui en était séparée, et il m'a fait présent en outre de plusieurs objets précieux que je porte sur moi. Puis donc que notre fils a pu obtenir de son aïeul le ministre que je fusse vengé de mon ennemi, notre douleur se change en une joie sans égale.»

Les magistrats joignirent leurs félicitations à ces paroles, et le ministre fit préparer un banquet pour remercier ses subordonnés de la part qu'ils avaient prise à l'événement. L'armée entière, cavaliers et fantassins, s'étant mise en marche pour retourner à la capitale, arriva à l'hôtellerie de Ouan-Hoa, où le ministre ordonna de camper.

Le docteur était parti avec son fils pour y aller retrouver leur mère. Or, cette nuit-là, la vieille dame avait rêvé qu'elle voyait refleurir subitement un arbre desséché, et que des oiseaux de bon augure gazouillaient gaiement derrière la maison. Elle s'était dit alors: «Assurément c'est que mon fils arrive!» A peine avait-elle exprimé cette pensée, que Kwang-Jouy parut et, la montrant du doigt, il s'écria: «Voilà ma mère!» Aussitôt il se précipita dans ses bras, et tous les deux pleurèrent de tendresse.

Après avoir raconté ce qui s'était passé, il paya l'hôtelier; puis tous trois prirent le chemin de la capitale, où ils se présentèrent chez le ministre.

Les époux, réunis après une si longue absence, étaient au comble de l'ivresse. Ils ordonnèrent un grand festin en réjouissance d'un si heureux dénouement. Le ministre voulut que cette fête fût appelée Touan-Youen-Hoey: Réunion des tendres époux.

Ce jour fut consacré par toute la famille au plaisir et à l'allégresse. Le lendemain l'Empereur étant assis au milieu des magistrats, le ministre lui raconta ce qui s'était passé, et parla avec éloge de son gendre, comme d'un homme dont on pouvait tirer grand parti. Sa Majesté, agréant sa proposition, nomma le docteur ministre-d'état et le retint à la cour, pour veiller aux affaires.

Son fils Kay-Tsang était décidé à embrasser la vie religieuse: il alla en conséquence se perfectionner dans la vertu au couvent de Hong-Fo.

Dans la suite l'épouse de Kwang-Jouy, après de mûres réflexions, accomplit le fatal dessein qu'elle nourrissait depuis long-temps, et se donna la mort.

Kay-Tsang fit un voyage au couvent de Kin-Chan tout exprès pour remercier le vieux bonze Fa-Ming des soins qu'il avait pris de son enfance.

14Toute cette histoire roule sur la croyance que la carpe couleur d'or (Kin-Ly-Yu) se change en dragon à certaine époque de l'année.
15L'idée de cette phrase, traduite trop mot à mot, est celle-ci: Elle ignorait si elle ne mettrait pas au monde un fils qui dût un jour venger son père.
16Couper les cheveux est le premier acte d'initiation pour le novice bouddhiste. Ensuite on lui impose un nom de religion.
17Les préceptes de la loi bouddhique défendent aux bonzes l'usage du vin, de la viande et de certains légumes.
18La cosmogonie développée dans le 1er chapitre du roman d'où cette nouvelle est extraite, explique ainsi la naissance de l'homme et des êtres vivants. «A l'heure tcheou (de 1 à 3 heures du matin) du grand jour de la création (youen), qui embrasse 129,600 ans, le principe subtil du ciel descendit, le principe terrestre plus grossier s'éleva: le ciel et la terre entrèrent en jonction, et dans la seconde partie de cette division du jour naquirent le premier homme et les animaux qui se meuvent sur la terre et dans l'eau.»
19Les Pou-Ssa sont de saints personnages qui, arrivés par leurs grandes vertus à l'état de Bouddha, ne doivent plus, comme les autres mortels, continuer de vivre dans des migrations successives. Les anglais rendent très bien par le mot de Boddhood l'état de ces êtres privilégiés, parvenus à la béatitude finale et exempts de ces interminables épreuves.
20Yu-Y signifie selon le désir, c'est-à-dire, une pierre précieuse avec laquelle on pourrait acheter tout ce qui est désirable. Tseou-Pan signifie qui s'agite sur le plateau; ce diamant est ainsi appelé parce qu'il semble dans un perpétuel mouvement, à cause de l'oscillation de la lumière qu'il reflète.
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