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Cymbeline

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Cymbeline
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SCÈNE II

Même lieu
LUCIUS et IACHIMO, d'un côté, s'avancent à la tête de l'armée romaine; l'armée anglaise se présente de l'autre pour leur disputer le passage. POSTHUMUS paraît le dernier, à la suite des Bretons, vêtu comme un pauvre soldat
(Fanfares guerrières. Les deux armées défilent et s'éloignent. Une escarmouche s'engage. Iachimo et Posthumus reparaissent: celui-ci est vainqueur; il désarme Iachimo et le laisse.)

IACHIMO. – Le poids du crime qui pèse sur ma conscience m'ôte le courage. J'ai calomnié une dame, la princesse de ce pays; l'air que j'y respire la venge en m'ôtant les forces: autrement ce vil serf, le rebut de la nature, m'aurait-il vaincu dans mon propre métier? Les honneurs et la chevalerie, quand on les porte comme moi, ne sont plus que des titres d'infamie. Bretagne, si tes nobles l'emportent autant sur ce vilain que lui remporte sur nos grands seigneurs, voici quelle est la différence: à peine sommes-nous des hommes, et vous êtes des dieux.

(Il s'éloigne. La bataille continue, les Bretons fuient, Cymbeline est pris; alors Bélarius, Guidérius, Arviragus accourent pour le délivrer.)

BÉLARIUS, à haute voix. – Halte! halte! Nous avons l'avantage du terrain… Le défilé est gardé: qui nous force à fuir, lâche peur?

GUIDÉRIUS, ARVIRAGUS, ensemble. – Halte! halte! et combattons.

(Posthumus reparaît et seconde les Anglais; ils délivrent Cymbeline et l'emmènent.)
(Rentre Lucius; Imogène et Iachimo le suivent.)

LUCIUS, à Imogène. – Fuis, jeune homme, quitte le champ de bataille, et sauve-toi. Les amis tuent les amis: et le désordre est tel, que la guerre semble avoir un bandeau sur les yeux.

IACHIMO. – C'est un renfort de troupes fraîches.

LUCIUS. – Cette journée a étrangement changé de face: hâtons-nous d'amener du secours, ou cédons.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Un autre côté du champ de bataille
POSTHUMUS entre avec UN SEIGNEUR anglais

LE SEIGNEUR. – Venez-vous de l'endroit où l'on a tenu ferme?

POSTHUMUS. – Oui, j'en viens; mais, vous, à ce qu'il me semble, vous étiez au nombre des fuyards.

LE SEIGNEUR. – Il est vrai.

POSTHUMUS. – On ne peut vous blâmer, seigneur; car tout était perdu si le ciel n'eût combattu pour nous. Le roi lui-même abandonné de ses deux ailes, l'armée rompue, et ne montrant plus de toutes parts que le dos des Bretons, tous fuyant par un étroit défilé; l'ennemi fier de sa victoire, tirant la langue tant il était las de carnage, avait plus d'ouvrage à faire que de bras pour l'accomplir; il frappait les uns à mort, blessait légèrement les autres; le reste tombait uniquement de peur, en sorte que ce passage étroit a été bientôt comblé de morts, tous frappés par derrière; ou de lâches qui cherchaient encore à prolonger leur honte avec la vie.

LE SEIGNEUR. – Où était ce défilé?

POSTHUMUS. – Tout près du champ de bataille, creusé et bordé de murailles de gazon; avantages dont a profité un vieux soldat, un brave homme, j'en réponds, et qui, en rendant ce service à son pays, a bien mérité les longues années qu'annonce sa barbe blanche. Suivi de deux jeunes gens, plus faits en apparence pour des danses rustiques que pour un pareil carnage, avec des visages qu'on eût dit conservés sous le masque, bien plus frais que ceux que la pudeur ou la crainte du hâle tient couverts, il protège le passage en criant aux fuyards: «Les cerfs de notre Bretagne meurent en fuyant, et non pas nos hommes; tombez dans les ténèbres, lâches qui reculez… Arrêtez… ou nous serons pour vous des Romains qui vous donneront le trépas des bêtes fauves, que vous fuyez comme elles: vous êtes sauvés si vous voulez seulement vous retourner et regarder en face l'ennemi. Arrêtez, arrêtez.» Ces trois hommes, aussi fermes que trois mille; – (ils les valaient en action, car trois combattants de front valent une armée, dans un défilé qui empêche les autres d'agir), avec ce seul mot: Arrêtez, arrêtez; secondés par l'avantage du lieu, plus encore par le charme de leur noble courage, qui était capable de changer les fuseaux en lances, ils ont ramené la couleur sur tous ces pâles visages. Les uns ranimés par la honte, les autres par le courage, et ceux que l'exemple seul avait changés en lâches (oh! c'est à la guerre le crime irrémissible chez les premiers qui commencent), tous se mettent à mesurer des yeux l'espace qu'ils ont parcouru, et à rugir comme des lions sous les piques des chasseurs. De ce moment le vainqueur cesse de poursuivre, et se retire; bientôt après il est en déroute, et soudain une épaisse confusion. Alors les Romains fuient comme des poulets, par le même chemin où ils fondaient d'abord comme des aigles sur leur proie. Ils repassent en esclaves sur les pas qu'ils avaient faits en vainqueurs. En ce moment nos lâches nous servent, comme servent au voyageur les restes de ses provisions à la fin d'un long voyage. Trouvant ouverte la porte de derrière des coeurs sans défense, ô ciel! comme ils blessent encore des hommes déjà morts, ou achèvent les mourants! Quelques-uns même tuent leurs amis entraînés dans le premier flot des fugitifs; de dix hommes qu'auparavant un seul Romain faisait fuir, chacun maintenant immole vingt Romains; et ceux qu'on aurait vus le moment d'auparavant mourir sans résistance sont devenus tout à coup la terreur du champ de bataille.

LE SEIGNEUR. – C'est un étrange hasard. Un étroit défilé! Un vieillard et deux enfants!

POSTHUMUS. – Ne vous en étonnez pas, vous… vous êtes fait pour vous étonner des actions que vous apprenez, bien plus que pour en faire; voulez-vous rimer là-dessus et en faire une plaisanterie, voilà des rimes:

/* Deux enfants, un vieillard quasiment en enfance, Dans un chemin étroit sauvèrent les Anglais. De l'insolent Romain, abattant la puissance… */

LE SEIGNEUR. – Oh! ne vous fâchez pas, l'ami.

POSTHUMUS. – Que voulez-vous dire?

 
Vous n'osez pas braver votre ennemi,
Et vous voulez de moi faire un ami?
 

Allons, je sais bien que si vous suivez votre penchant, vous fuirez bientôt aussi mon amitié. Vous m'avez mis en train de rimer.

LE SEIGNEUR. – Vous êtes en colère, adieu.

(Il sort.)

POSTHUMUS. – Et le voilà encore en course! – Est-ce là un noble? Oh! noble lâcheté! Être sur le champ de bataille et me demander, à moi des nouvelles! Combien de ces grands auraient aujourd'hui donné leurs titres pour sauver leurs carcasses! Combien ont confié leur salut à leurs talons, qui pourtant sont morts! Et moi, préservé par mes maux comme par un charme20, je n'ai pu trouver la mort où je l'entendais gémir, ni la sentir là ou elle frappait. Il est bien étrange que ce monstre horrible se cache dans les coupes fraîches, dans les lits de duvet, dans les douces paroles, et qu'il y trouve plus de ministres que parmi nous qui tenons ses poignards à la guerre! Eh bien! je saurai la rencontrer; maintenant, je ne suis plus Anglais, je redeviens un ami des Romains et me range du parti que j'avais suivi d'abord. Je ne veux plus combattre, je me livre au premier lâche qui osera me toucher l'épaule. – Le carnage qu'ont fait ici les Romains a été grand: la vengeance des Bretons doit l'être aussi. Pour moi, ma vie est ma rançon; je suis venu l'offrir à l'un et l'autre parti. Je ne peux plus ni la garder ni la porter plus longtemps: je veux la finir par quelque moyen que ce soit, et mourir pour Imogène.

(Deux officiers bretons paraissent avec des soldats.)

PREMIER OFFICIER. – Le grand Jupiter soit loué! Lucius est pris. On croit que ce vieillard et ses deux enfants étaient des anges.

SECOND OFFICIER. – Il y en avait un quatrième qui, sous un habit grossier, a regardé avec eux l'ennemi en face.

PREMIER OFFICIER. – C'est ce qu'on dit, et l'on ne peut découvrir aucun d'eux. – Arrêtez: qui va là?

POSTHUMUS. – Un Romain… qu'on ne verrait point languissant ici, si d'autres l'avaient secondé.

SECOND OFFICIER. – Saisissez-le; c'est un chien! Il ne retournera pas une seule de leurs jambes à Rome pour dire quels corbeaux les ont becquetées. – Il se vante de son service, comme s'il était un personnage de marque; qu'on le mène devant le roi.

(Cymbeline s'avance, suivi de Bélarius, Guidérius, Arviragus, Pisanio. Des soldats conduisent des prisonniers romains. Les deux officiers présentent Posthumus à Cymbeline qui, d'un signe, donne ordre de le remettre à des geôliers, et sort ainsi que tous les autres21.)

SCÈNE IV

L'intérieur d'une prison
POSTHUMUS entre deux GEOLIERS qui le conduisent

PREMIER GEOLIER. – On ne vous volera pas maintenant, car vous avez sur vous des cadenas; ainsi, paissez, selon que vous trouverez ici pâture.

 

SECOND GEOLIER. – Oui, ou de l'appétit.

(Ils sortent.)

POSTHUMUS. – Captivité, tu es la bienvenue! car tu es, je l'espère, le chemin de la liberté… Je suis même plus heureux que celui qui a la goutte, puisqu'il aimerait mieux gémir éternellement que d'être guéri par la mort, le médecin infaillible! c'est elle qui est la clef qui doit m'ouvrir ces serrures… Oh! ma conscience! tu portes des fers plus pesants que ceux de mes jambes et de mes bras. Vous, dieux pleins de bonté, accordez-moi le repentir, instrument qui pourrait ouvrir ces verrous, et alors je suis libre à jamais. – Mais suffit-il d'être repentant? C'est ainsi que les enfants apaisent leurs pères terrestres, et les dieux ont plus de clémence que les hommes. Pour me repentir, je ne puis être mieux qu'ici dans ces fers que j'ai désirés plutôt que subis par force. – Pour acquitter ma dette, je me dépouille de ma liberté; c'est mon plus grand bien; n'exigez pas de moi au delà de ce que je possède. Je sais que vous êtes plus pitoyables que les misérables hommes, qui souvent ne prennent à leurs débiteurs obérés qu'un tiers de leur bien, un sixième ou un dixième, et les laissent prospérer de nouveau avec la part dont ils leur font remise: ce n'est pas là mon désir. Pour la vie de ma chère Imogène, prenez la mienne. Elle n'est pas aussi précieuse, mais c'est toujours une vie qui porte votre sceau. Les hommes entre eux ne pèsent pas chaque pièce de monnaie. Si les miennes sont légères de poids, acceptez-les pour l'empreinte, vous surtout à qui elles appartiennent. Ainsi, puissances célestes, si vous l'agréez, prenez ma vie; annulez ma dette. O Imogène! je veux te parler dans le silence.

(Il s'endort.)
(Une musique se fait entendre. Songe visible de Posthumus22. Sicilius Léonatus, père de Posthumus, apparaît sous la forme d'un vieillard, vêtu en guerrier. Il tient par la main une matrone âgée, son épouse, mère de Posthumus. La musique reprend; alors paraissent les deux Léonati, frères de Posthumus, portant les blessures dont ils périrent à la guerre; ils font cercle autour de Posthumus endormi.)

SICILIUS. – Cesse, maître du tonnerre, de faire éclater ton courroux sur les insectes mortels.

Querelle Mars ou réprimande Junon, qui compte tes adultères et s'en venge.

Mon malheureux fils n'a-t-il pas toujours fait le bien, lui dont je n'ai jamais vu le visage?

Je quittai la vie lorsqu'il reposait dans le sein de sa mère, attendant le terme de la nature.

Jupiter, si tu es, comme le disent les hommes, le père des orphelins, tu aurais bien dû être le sien, et le défendre contre les maux qui affligent ta terre.

LA MÈRE. – Lucine ne m'a point prêté son secours: elle m'a enlevée au milieu de mes douleurs, et Posthumus, arraché de mes entrailles, est venu en pleurant au milieu de ses ennemis. Objet digne de pitié!

SICILIUS. – La puissante nature l'a si bien formé sur le beau modèle de ses ancêtres que, digne héritier du fameux Sicilius, il a mérité les louanges de l'univers.

UN FRÈRE. – Quand il eut atteint sa maturité, quel autre, dans la Bretagne, eût pu soutenir le parallèle avec lui, et quel autre eût pu se montrer son rival aux yeux d'Imogène, qui savait, mieux que personne, apprécier son mérite?

LA MÈRE. – Pourquoi le sort s'est-il joué de lui, en le mariant, pour l'exiler, le précipiter du siège des Léonatis, et l'arracher des bras de sa chère épouse, de la douce Imogène?

SICILIUS. – Pourquoi as-tu souffert qu'un Iachimo, un misérable d'Italie infectât sa tête et son noble coeur d'une jalousie sans fondement, et que mon fils devînt le jouet des mépris de ce scélérat?

SECOND FRÈRE. – C'est pour cela que nous avons quitté nos paisibles demeures, nos parents et nous, qui, en combattant pour notre patrie, avons péri en braves pour soutenir avec honneur notre fidélité et les droits de Ténantius.

PREMIER FRÈRE. – Posthumus a montré la même bravoure pour Cymbeline. Jupiter, roi des dieux, pourquoi donc as-tu voulu que les récompenses qui étaient dues à ses services se changeassent toutes en douleurs?

SICILIUS. – Ouvre tes fenêtres de cristal, jette un regard sur nous, cesse d'exercer ton injuste pouvoir sur une vaillante race.

LA MÈRE. – Jupiter, puisque notre fils est vertueux, mets un terme à ses infortunes.

SICILIUS. – Du haut de ton palais de marbre, regarde, aide-nous, ou nous, pauvres ombres, nous en appellerons au conseil éclatant des autres dieux contre ta divinité.

SECOND FRÈRE. – Secours-nous, Jupiter, ou nous appellerons de tes décrets, et nous nous soustrairons à ta justice.

(Tout à coup, au milieu du tonnerre et des éclairs, Jupiter descend assis sur son aigle et lançant la foudre. Les ombres tombent à genoux.)

JUPITER. – Faibles esprits des régions souterraines, cessez d'offenser nos oreilles de vos plaintes: silence! Quoi, fantômes, vous osez accuser le dieu du tonnerre, dont la foudre lancée des cieux soumet, vous le savez, la terre révoltée? Pauvres ombres de l'Élysée, quittez ces lieux et retournez goûter le repos sur vos lits de fleurs qui ne se flétrissent jamais, ne vous affligez point des maux qui arrivent aux mortels: ce soin ne vous regarde pas, il nous appartient, vous le savez. J'afflige l'homme que je chéris le plus, je diffère mes bienfaits pour les rendre plus précieux à ses yeux. Soyez tranquilles, notre divine puissance relèvera votre fils abattu, ses joies vont grandir, ses épreuves sont finies.

Notre étoile souveraine a présidé à sa naissance, et c'est dans notre temple qu'il s'est marié; levez-vous et évanouissez-vous. Il sera l'époux de la princesse Imogène; et ses infortunes augmenteront son bonheur. (Il fait un signe de tête et laisse tomber une tablette d'or.) Placez sur son sein ces tablettes où sont renfermés nos décrets et ses destins.

Disparaissez. Cessez les clameurs de votre impatience, si vous ne voulez irriter la mienne. – Aigle, remonte dans mon palais de cristal.

(Jupiter remonte dans les cieux.)

SICILIUS. – Il est descendu avec son tonnerre: son haleine céleste exhalait une odeur sulfureuse. L'aigle sacré s'abaissait, comme s'il voulait se poser sur nous. L'ascension du dieu remplissait l'air d'un parfum plus doux que celui de nos plaines bienheureuses. Son royal oiseau agitait son aile immortelle et fermait son bec, signe que son dieu était satisfait.

TOUS ENSEMBLE. – Nous te rendons grâce, ô Jupiter.

SICILIUS. – Le palais de marbre se ferme: il est entré sous ses voûtes radieuses; retirons-nous, et, pour être heureux, exécutons avec soin ses ordres augustes.

(Posthumus s'éveille. – La vision s'évanouit.)

POSTHUMUS. – Sommeil, tu as été un grand-père pour moi, tu m'as engendré un père, tu m'as créé une mère et deux frères. Mais, ô vains prestiges, ils sont partis! Ils sont évanouis aussitôt après leur naissance, et voilà que je me réveille. – Les pauvres infortunés qui s'appuient sur la faveur des grands rêvent comme j'ai fait: ils s'éveillent et ne trouvent rien. – Mais, hélas! je m'égare: il en est qui, sans rêver à la fortune et sans la mériter, se voient pourtant accablés de ses faveurs: c'est ce qui m'arrive, à moi; je me vois favorisé de ce songe doré sans savoir pourquoi. Quels génies hantent ces lieux? – Un livre, et d'un prix rare! (Il s'en saisit.) Ah! ne sois pas, comme dans notre monde capricieux, un vêtement plus riche que ce qu'il couvre. Ne ressemble pas à nos courtisans et tiens tes promesses. (Il l'ouvre et lit.) «Quand un lionceau, à lui-même inconnu, trouvera, sans la chercher, une créature légère comme l'air et sera reçu dans ses bras; lorsque les rameaux d'un cèdre auguste, coupés et morts pendant plusieurs années, renaîtront pour se réunir au vieux tronc, et pousseront avec vigueur, alors Posthumus trouvera la fin de sa misère, et la Bretagne heureuse fleurira dans la paix et l'abondance.»

C'est encore un rêve ou de ces paroles vaines que prononce la langue de la folie, sans que le cerveau y ait part: c'est l'un ou l'autre, ou ce n'est rien. Des mots vides de sens, et que la raison ne peut deviner. – C'est à quoi ressemble le mouvement de ma vie; conservons ce livre, ne fût-ce que par sympathie.

(Le geôlier entre.)

LE GEOLIER. – Allons, prisonnier, êtes-vous prêt à mourir?

POSTHUMUS. – Trop cuit, plutôt. Il y a longtemps que je suis prêt.

LE GEOLIER. – Un gibet est le mot, mon cher: si vous êtes prêt pour cela, vous êtes cuit à point.

POSTHUMUS. – Si je puis être un bon repas pour les spectateurs, le plat aura payé le coup.

LE GEOLIER. – C'est là un compte qui vous coûte cher, l'ami; mais il y a une consolation, c'est que vous n'aurez plus de dettes à payer, plus d'écots de taverne, et ces lieux, s'ils servent d'abord à vous mettre en joie, vous attristent souvent au départ; vous y entrez faible de besoin, vous en sortez chancelant d'avoir trop bu; vous êtes fâché d'avoir trop payé, et fâché d'avoir trop reçu; la bourse et le cerveau sont tous deux vides; le cerveau trop pesant à force d'être léger, et la bourse trop légère parce qu'on l'a soulagée de son poids. Oh! vous allez être délivré de toutes ces contradictions. La charité d'une corde de deux sous vous acquitte mille dettes en un tour de main. Vous n'aurez plus d'autre livre de compte: c'est une décharge du passé, du présent et de l'avenir, votre tête servira de plume, de registre et de jetons, et votre quittance est au bout.

POSTHUMUS. – Je suis plus joyeux de mourir que tu ne l'es de vivre.

LE GEOLIER. – En effet, seigneur, celui qui dort ne sent pas le mal de dents; mais un homme qui doit dormir de votre sommeil changerait volontiers de place, j'imagine, avec le bourreau chargé de le mettre au lit; il changerait même de place avec son valet. Car, voyez-vous, mon cher, vous ne savez pas le chemin que vous allez prendre.

POSTHUMUS. – Je le sais, oui, je le sais, l'ami.

LE GEOLIER. – Votre mort a donc des yeux dans la tête? je n'en ai jamais vu dans son portrait. Ou quelqu'un qui prétend savoir le chemin doit se charger de vous conduire, ou vous vous vantez de connaître une route que, j'en suis sûr, vous ignorez; ou bien, vous vous hasardez à l'aventure, à vos risques et périls; et ce que vous aurez mis de temps à arriver au terme de votre voyage, je pense bien que vous ne reviendrez pas le dire.

POSTHUMUS. – Je te dis, mon garçon, que pour se guider dans la route que je vais faire, personne ne manque d'yeux que ceux qui les ferment et refusent de s'en servir.

LE GEOLIER. – Quelle plaisanterie! qu'un homme ait l'usage de ses yeux pour voir un chemin qui les aveugle! car je suis sûr que le gibet mène droit à les fermer.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER, au geôlier. – Ote-lui ces fers: conduis ton prisonnier devant le roi.

POSTHUMUS. – Tu m'apportes d'heureuses nouvelles: tu m'appelles à la liberté.

LE GEOLIER. – Je serai donc pendu, moi?

POSTHUMUS. – Tu seras plus libre alors que ne l'est un geôlier: il n'est point de fers pour les morts.

(Posthumus et le messager sortent.)

LE GEOLIER. – A moins de trouver un homme qui veuille épouser une potence et engendrer des petits gibets, je n'ai jamais vu un prisonnier avoir plus de penchant pour elle. Cependant, sur mon honneur, j'en ai vu de plus scélérats qui tenaient fort à la vie, tout Romain qu'il est; mais il y en a bien aussi quelques-uns d'eux qui meurent malgré eux; j'en ferais bien de même, si j'étais Romain. Je voudrais que nous n'eussions tous qu'une même idée, et une bonne idée. Oh! ce serait la désolation des geôliers et des gibets: je parle là contre mon intérêt présent; mais mon souhait comporte aussi mon avantage.

SCÈNE V

La tente de Cymbeline
CYMBELINE, BÉLARIUS, GUIDÉRIUS, ARVIRAGUS,
PISANIO, SEIGNEURS anglais, OFFICIERS et SERVITEURS

CYMBELINE. – Restez à mes côtés, vous que les dieux ont fait les sauveurs de mon trône. Mon coeur est affligé que ce soldat obscur, qui a si noblement combattu, ne se trouve point, lui dont les haillons faisaient honte aux armures dorées, et dont la poitrine nue s'avançait au delà des boucliers impénétrables; il sera heureux celui qui pourra le découvrir, si son bonheur dépend de nos bienfaits.

 

BÉLARIUS. – Jamais je n'ai vu si noble audace dans un homme si pauvre, tant d'illustres exploits accomplis par quelqu'un dont on n'aurait attendu, à le voir, que l'air misérable et la mendicité.

CYMBELINE. – Et l'on n'a de lui aucunes nouvelles?

PISANIO. – On l'a cherché parmi les morts et parmi les vivants, sans trouver de lui aucune trace.

CYMBELINE. – A mon grand chagrin, je reste donc l'héritier de sa récompense. (A Bélarius, Arviragus et Guidérius.) Je veux l'ajouter à la vôtre, vous l'âme, le coeur, la tête de la Bretagne; vous, par qui, je l'avoue, elle vit encore. Voici maintenant le moment de vous demander qui vous êtes; déclarez-le.

BÉLARIUS. – Seigneur, nous sommes nés dans la Cambrie, et nous sommes gentilshommes. Nous vanter d'autre chose, ce serait n'être ni vrai ni modeste, à moins que je n'ajoute encore que nous sommes gens d'honneur.

CYMBELINE. – Fléchissez le genou. Relevez-vous, mes chevaliers de la bataille; je vous nomme les compagnons de notre personne, et je vous revêtirai des dignités qui conviennent à votre rang. (Entrent Cornélius et les dames de la reine.) Ces visages nous annoncent quelque chose. – Pourquoi saluez-vous notre victoire d'un air si triste? A vous voir, on vous prendrait pour des Romains, et non pour être de la cour de Bretagne.

CORNÉLIUS. – Salut, grand roi! je suis forcé d'empoisonner votre bonheur: il faut vous apprendre que la reine est morte.

CYMBELINE. – A qui ce message conviendrait-il moins qu'à un médecin? Mais je réfléchis que si la médecine peut prolonger la vie, la mort saisira pourtant un jour le médecin. Comment a-t-elle fini?

CORNÉLIUS. – Dans les horreurs; elle est morte dans la rage comme elle a vécu. Cruelle au monde, elle a fini par être cruelle à elle-même. Les aveux qu'elle a faits, je vous les rapporterai si vous le voulez; voilà ses femmes, elles peuvent me démentir si je m'écarte de la vérité: les joues humides, elles ont assisté à ses derniers moments.

CYMBELINE. – Je vous prie, parlez.

CORNÉLIUS. – D'abord elle a déclaré qu'elle ne vous aima jamais, qu'elle tenait à la grandeur qui venait de vous, et non à vous, qu'elle n'a épousé que votre royauté, qu'elle était la femme de votre sceptre, mais qu'elle abhorrait votre personne.

CYMBELINE. – Ce secret ne fut connu que d'elle; et si elle ne l'avait pas dit en mourant, je n'en pourrais croire l'aveu de ses lèvres. Poursuivez.

CORNÉLIUS. – Votre fille qu'elle professait d'aimer si sincèrement, elle a déclaré que c'était un scorpion à ses yeux, et qu'elle aurait tranché ses jours par le poison si sa fuite ne l'en avait empêchée.

CYMBELINE. – Oh! démon raffiné! qui peut lire dans le coeur d'une femme? A-t-elle fait encore d'autres aveux?

CORNÉLIUS. – Oui, seigneur, et de plus affreux. Elle a avoué qu'elle vous réservait un poison mortel qui, dès que vous l'auriez pris, aurait à toute minute rongé votre vie, et vous aurait consumé lentement et par degrés. Pendant ce temps elle se proposait, par ses assiduités, par ses pleurs, par ses soins, par ses baisers, de vous subjuguer; et dans un moment favorable, après qu'elle vous aurait disposé par ses ruses, de vous faire adopter son fils pour l'héritier de la couronne: mais voyant son projet anéanti par l'étrange absence de son fils, elle a dans son désespoir oublié toute honte, et révélé, en dépit du ciel et des hommes, tous ses projets, regrettant que les maux qu'elle avait conçus ne se soient pas effectués. Dans cet accès de désespoir, elle est morte.

CYMBELINE. – Vous avez entendu tout ceci, vous, ses femmes?

UNE FEMME. – Oui, seigneur; sauf le bon plaisir de Votre Majesté.

CYMBELINE. – Mes yeux ne furent pas en faute, car elle était belle; ni mes oreilles, qui entendaient ses flatteries; ni mon coeur, qui la croyait ce qu'elle semblait être. C'eût été un vice de se défier d'elle. Et toi cependant, ô ma fille, tu peux bien dire que ce fut une folie à moi, et tu en ressens les effets. Veuille le ciel tout réparer! (Lucius, Iachimo, le devin et autres prisonniers romains avec les gardes. Posthumus suit avec Imogène.) Tu ne viens plus aujourd'hui, Lucius, nous demander de tribut; il vient d'être aboli par les Bretons, à qui il en a coûté, il est vrai, bien des braves. Leurs familles m'ont demandé que les mânes de ces dignes guerriers soient apaisés par le sacrifice de votre vie; vous êtes leurs captifs, et nous avons souscrit à leur demande; ainsi, songez à votre sort.

LUCIUS. – Réfléchissez, seigneur, aux hasards de la guerre. C'est par accident que l'avantage de cette journée vous est resté; si elle eût été à nous, nous n'eussions pas, de sang-froid, menacé du glaive nos prisonniers. Mais, puisque les dieux veulent qu'il n'y ait pour nous d'autre rançon que notre vie, que la mort vienne. Il suffît à un Romain de savoir mourir en Romain. Auguste vit; il verra ce qu'il doit faire. C'est tout ce que j'avais à dire pour ce qui me regarde. Il ne me reste plus qu'une chose à demander, c'est que vous acceptiez une rançon pour mon page qui est né Breton. Jamais il n'y eut de page si prévenant, si soumis, si diligent, si tendre à l'occasion, si fidèle, si adroit, si soigneux. Que ses bonnes qualités servent d'appui à ma demande, que j'espère que Votre Majesté ne pourra refuser. Il n'a fait aucun mal aux Bretons, quoiqu'il fût au service d'un Romain; épargne son sang, seigneur, et verse tout le reste.

(Imogène en ce moment baisse son chaperon.)

CYMBELINE. – Sûrement je l'ai déjà vu; ses traits me sont familiers. – Jeune homme, ta physionomie seule t'a acquis mes bonnes grâces, et tu es à moi; je ne sais ni pourquoi ni comment je suis porté à te dire: vis, mon enfant, et n'en remercie pas ton maître; demande à Cymbeline telle faveur que tu voudras qui puisse dépendre de lui et qui t'intéresse, et tu l'obtiendras; oui, dusses-tu demander la vie du plus illustre des prisonniers.

IMOGÈNE. – Je remercie humblement Votre Majesté.

LUCIUS. – Bon jeune homme, je ne te prie point de demander la vie pour moi, et cependant je sais que tu vas le faire.

IMOGÈNE. – Non, non, hélas! d'autres soins m'occupent; j'aperçois ici un objet dont la vue est aussi cruelle pour moi que la mort; pour votre vie, bon maître, songez vous-même à la sauver.

LUCIUS, surpris. – Cet enfant me dédaigne, il m'abandonne et me rebute! Courte est la joie de ceux qui la fondent sur l'attachement des jeunes filles et des enfants!.. Mais d'où vient cette perplexité où je le vois?

CYMBELINE. – Que désires-tu, jeune homme? Tu me plais de plus en plus; réfléchis de plus en plus à ce qu'il te vaut mieux demander. – Connais-tu cet homme sur qui s'attachent tes regards? parle, veux-tu qu'il vive? est-il ton parent, ton ami?

IMOGÈNE. – C'est un Romain; il n'est pas plus mon parent que je ne le suis de Votre Majesté; encore moi, qui suis né votre vassal, je vous tiens de plus près.

CYMBELINE. – Pourquoi donc le regardes-tu ainsi?

IMOGÈNE. – Je vous le dirai, seigneur, en particulier, si vous daignez m'entendre.

CYMBELINE. – Oui, de tout mon coeur; et je te promets toute mon attention. Quel est ton nom?

IMOGÈNE. – Fidèle, seigneur.

CYMBELINE. – Tu es mon enfant, mon page; je veux être ton maître. Viens avec moi, et parle librement.

(Cymbeline et Imogène s'éloignent et s'entretiennent ensemble.)

BÉLARIUS. – Ce jeune homme n'est-il pas revenu du trépas à la vie?

ARVIRAGUS. – Deux grains de sable ne se ressemblent pas davantage. Oui, c'est cet aimable enfant aux joues de rose, qui est mort, et qui s'appelait Fidèle; qu'en pensez-vous?

GUIDÉRIUS. – C'est celui qui était mort, et qui est en vie.

BÉLARIUS. – Chut! chut! considérons encore. Il ne nous remarque pas, attendez: deux créatures peuvent se ressembler; si c'était lui, je suis sûr qu'il nous aurait parlé.

GUIDÉRIUS. – Mais nous l'avons vu mort.

BÉLARIUS. – Silence; observons ce qui va suivre.

PISANIO, à part. – C'est ma maîtresse. Puisqu'elle vit, que le temps roule et m'amène à son gré ou les biens ou les maux.

(Cymbeline et Imogène se rapprochent.)

CYMBELINE. – Viens, place-toi à côté de moi. Fais ta demande à haute voix. – Et vous, avancez. (A Iachimo.) Répondez à ce jeune homme et parlez sans détour: ou, j'en jure par notre grandeur et par notre honneur qui en fait l'éclat, les plus cruelles tortures démêleront la vérité du mensonge. – Interroge-le.

IMOGÈNE. – La grâce que je demande est que ce cavalier puisse m'apprendre de qui il tient cet anneau.

POSTHUMUS, à part. – Que lui importe?

CYMBELINE. – Eh bien! ce diamant qui est à votre doigt, répondez, comment vous est-il venu?

IACHIMO. – Tu veux me torturer, pour me faire dire ce qui une fois dit te mettra à la torture.

CYMBELINE. – Comment, moi?

IACHIMO. – Je suis bien aise qu'on me contraigne de déclarer un secret qui tourmentait mon âme. C'est par une perfidie que je me suis procuré cet anneau. C'est celui de Posthumus, que tu as banni; et ce qui va te faire éprouver peut-être les mêmes remords qui me déchirent, jamais plus noble mortel ne respira entre le ciel et la terre. Seigneur, veux-tu en apprendre davantage?

CYMBELINE. – Oui, tout ce qui a rapport à ceci.

IACHIMO. – Ta fille, ce chef-d'oeuvre accompli, dont le souvenir fait saigner mon coeur et frémir mon âme perfide… Pardonnez, je me sens défaillir!

CYMBELINE. – Ma fille, que dis-tu d'elle? Ranime tes forces: ah! j'aime mieux que tu vives tant qu'il plaira à la nature, que de te voir mourir avant que j'en sache davantage. Fais un effort; allons, parle.

IACHIMO. – Certain jour (malédiction sur l'horloge qui sonna cette heure!), c'était à Rome (malédiction sur la demeure où nous étions réunis!), dans un festin (oh! que nos mets eussent été empoisonnés, du moins ceux que je portai à mes lèvres!), le vertueux Posthumus… que dirai-je? (il était trop vertueux pour se trouver au milieu des méchants, et il était le meilleur parmi les hommes d'une vertu rare) assis avec nous et l'air triste, prêtait l'oreille aux éloges que nous faisions de nos maîtresses d'Italie; nous louions leur beauté de manière à ne plus laisser de louanges pour se vanter, à celui qui pouvait le mieux parler. Nous dépouillions, pour les peindre, les statues de Vénus, de Minerve à la taille fière, formes supérieures aux ébauches de la nature23; nous ajoutions toute une boutique des qualités qui font que l'homme aime la femme, et ce hameçon du mariage, la beauté, qui attache les yeux.

20Allusions aux charmes qui rendaient invulnérables dans les combats.]
21C'est le seul exemple de scène muette qu'on trouve dans Shakspeare; peut-être n'est-ce ici qu'une tradition d'acteurs.
22La vision et la prophétie sont regardées universellement comme une addition étrangère.
23Brief nature. La nature trop expéditive dans la création de ses oeuvres.
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