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La vie de Rossini, tome II

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CHAPITRE XXI
VELLUTI

Jai à faire une communication pénible à la partie la plus bienveillante du public que la présente biographie peut espérer. Il m'en coûte infiniment; je sens tout ce que je hasarde: plusieurs opinions singulières à Paris, qu'on voulait bien me passer jusqu'ici comme des écarts sans conséquence, vont se changer tout à coup en paradoxes intolérables, peut-être odieux, et surtout amenés sans à-propos. Mais enfin, l'auteur ayant fait le vœu singulier de dire, sur tout, ce qui lui semble la vérité, au risque de déplaire, et au seul public qui puisse le lire, et au grand artiste dont il écrit la vie, il faut bien continuer ainsi qu'on a commencé. Un homme du monde qui est allé deux cents fois en sa vie aux Bouffes, qui commence à ne plus aimer l'Académie royale de musique que pour les ballets, et qui néglige Feydeau, est assurément le lecteur le plus éclairé et le plus bienveillant que je puisse espérer. Cet homme du monde se souvient peut-être d'avoir vu jadis, quand la censure était indulgente, la brillante comédie du Mariage de Figaro. Figaro se vante de savoir le fond de la langue anglaise: il sait goddam. Eh bien! puisqu'il faut risquer de me perdre par un seul mot, voilà justement le point où en est un amateur de Paris, à l'égard d'une des parties principales du chant, les fioriture ou agréments. Il faudrait que cet amateur eût entendu pendant six mois Velluti ou Davide, pour avoir quelque idée de cette région de la musique, entièrement neuve pour des oreilles parisiennes. En arrivant dans un pays nouveau, après le premier coup d'œil, qui n'est pas sans agréments, on est bien vite choqué du grand nombre de choses étranges et insolites qui vous assiègent de toutes parts. Le voyageur le plus bienveillant et le moins sujet à l'humeur, a grande peine à se défendre de certains mouvements d'impatience. Tel serait l'effet que la délicieuse méthode de Velluti produirait d'abord sur l'amateur de Paris. Je propose à cet amateur d'entendre, le plus tôt qu'il pourra, la romance de l'Isolina chantée par Velluti15.

Une femme jolie, et surtout remarquable par une taille superbe, qui se promène à la terrasse des Feuillants, enveloppée dans sa fourrure, par un beau soleil du mois de décembre, est un objet fort agréable aux yeux; mais si un instant après cette femme entre dans un joli salon garni de fleurs, et où des bouches de chaleur artistement ménagées font régner une température douce et égale, elle quitte sa fourrure et paraît dans toute la fraîcheur brillante d'une toilette de printemps. Faites venir d'Italie la romance de l'Isolina, entendez-la chanter par une jolie voix de ténor, vous verrez apparaître la jeune femme de la terrasse des Feuillants, mais vous ne pourrez guère juger que de l'élégance des mouvements et des formes; la fraîcheur et le fini des contours seront invisibles pour vous. Que ce soit au contraire la délicieuse voix de Velluti qui chante sa romance favorite, vos yeux seront déssillés, et bientôt ravis à la vue des contours délicats dont le charme voluptueux viendra les séduire.

Le ténor a chanté trois mesures; ce sont des prières adressées par un amant à sa maîtresse irritée. Ce petit morceau finit par un éclat de voix: l'amant, maltraité par ce qu'il aime, implore son pardon au nom du souvenir charmant des premiers temps de leur bonheur. Velluti remplit les deux premières mesures de fioriture, exprimant d'abord l'extrême timidité, et bientôt le profond découragement; il prodigue les gammes descendantes par demi-tons, les scale trillate, et part tout à coup à la troisième mesure par un éclat de voix simple, fort, soutenu, et, les jours où il jouit de tous ses moyens, abandonné. Il est impossible qu'une femme qui aime résiste à ce cri du cœur.

Ce style peut sembler trop efféminé, et ne pas plaire d'abord; mais tout amateur français de bonne foi conviendra que cette manière de chanter est pour lui une région inconnue, une terre étrangère, dont les chants de Paris ne lui avaient donné aucune idée. Nous avons bien ici des gens qui font des ornements et qui les exécutent avec justesse, mais les sons de cette voix ne sont pas agréables en eux-mêmes et indépendamment de la place qu'ils occupent. Ensuite cette voix est antimusicale, elle met sans cesse ensemble des choses qui ne vont pas à côté l'une de l'autre et qui se nuisent par leur voisinage. Sans se rendre compte du pourquoi, un homme né pour les arts, et qui a fait l'éducation de son oreille par deux cents représentations des Bouffes, sent confusément que les agréments qu'on lui étale manquent de charme; sa raison approuve tristement, mais son cœur reste froid. C'est la sensation contraire, accompagnée d'un plaisir croissant tous les jours, qu'il trouvera en entendant Velluti dans les soirées où cet excellent chanteur jouit de la plénitude de ses moyens. Un castrat, attaché à la chapelle de Sa Majesté le roi de Saxe, le célèbre Sassarini, donnait le même plaisir dans des chants d'église. Davide approche de ces sensations délicieuses autant que peut le faire une simple voix de ténor. Je ne nommerai pas ici quelques autres belles voix, qui rappelleraient les sensations angéliques que l'on doit à Velluti, si le hasard avait placé un cœur sensible dans le voisinage de ces gosiers flexibles. Ces belles voix, que le vulgaire admire et auxquelles rien ne manque à ses yeux, exécutent au hasard et souvent fort bien une foule d'agréments de significations, de couleurs, de natures opposées. Supposez Talma agité par un cauchemar pénible, et récitant de suite et pêle-mêle, mais toujours avec son rare talent, deux ou trois vers de ses plus beaux rôles. A quatre vers de fureur d'amour, appartenant à l'Oreste d'Andromaque, succèdent deux vers de raisonnements élevés et sublimes, pris dans le rôle de Sévère, de Polyeucte; ils sont immédiatement suivis de deux vers peignant un tyran qui contient à peine sa soif pour le sang, et l'on reconnaît Néron. Le vulgaire, qui n'a point d'âme et qui ne comprend rien à tout cela, trouve tous ces vers fort bien déclamés et applaudit. Voilà ce que font la plupart des grands chanteurs, M. Martin par exemple.

Velluti au contraire déclame bien une suite de vers qui appartiennent tous au même rôle.

CHAPITRE XXII
LA GAZZA LADRA

Ce vrai drame noir et plat a été arrangé pour Rossini par M. Gherardini de Milan, d'après le mélodrame du boulevard, qui a pour auteurs MM. Daubigny et Caigniez. Pour comble de disgrâce, il paraît que cette vilaine histoire est fondée sur la réalité: une pauvre servante fut dans le fait pendue jadis à Palaiseau, en mémoire de quoi l'on fonda une messe appelée la messe de la pie.

Les Allemands, pour qui ce monde est un problème non résolu, et qui aiment à employer les trente ou quarante ans pour lesquels le hasard les a placés dans cette triste cage, à en compter les barreaux; les Allemands, qui préfèrent le drame de Calas, provenant également de notre boulevard, au don Carlos ou au Guillaume Tell de Schiller, qui leur semblent trop classiques; les Allemands, qui, en 1823, croient aux revenants et aux miracles du prince de Hohenlohe, seraient ravis du degré de noirceur que la réalité ajoute au triste drame de la Pie voleuse.

Le Français, homme de goût, se dit: Ce monde est si vilain, que c'est porter de l'eau à la mer et se donner le plus triste des rôles, que d'examiner les s***** de celui qui l'a fait; fuyons la triste réalité. Et il demande aux arts du beau idéal qui lui fasse oublier bien vite, et pour le plus longtemps possible, ce monde de bassesses, où

Le grand Ajax est mort, et Thersite respire.

(La Harpe.)

L'Italien, dès qu'il peut être délivré du prêtre qui a tourmenté sa jeunesse, ne s'embarrasse pas de si longs raisonnements; il ne s'en tirerait jamais, et la police de son pays l'empêche, depuis des siècles, d'apprendre la logique; il a des passions, il s'y livre en aveugle. Rossini lui fait de belle musique sur un sujet abominable; il jouit de cette musique sans trop s'arrêter au sujet, et fuirait bien vite comme un seccatore le triste critique qui viendrait lui faire voir les défauts de son plaisir. L'Italien n'admet tout au plus qu'une sorte de discussion, celle qui tend à doubler ses plaisirs tout de suite et argent comptant.

La Gazza ladra est un des chefs-d'œuvre de Rossini. Il l'écrivit à Milan en 1817, pour la saison nommée primavera (le printemps)16.

Quatorze ans du despotisme d'un homme de génie avaient fait de Milan, grande ville renommée autrefois pour sa gourmandise, la capitale intellectuelle de l'Italie; ce public comptait encore dans son sein, en 1817, quatre ou cinq cents hommes d'esprit supérieurs à leur siècle, reste de ceux que Napoléon avait recrutés de Bologne à Novare, et de la Ponteffa à Ancône, pour remplir les emplois de son royaume d'Italie. Ces anciens employés, que la crainte des persécutions et l'amour des capitales retenaient à Milan, n'étaient nullement disposés à reconnaître une supériorité quelconque dans le public de Naples. On arriva donc à la Scala, le soir de la première représentation de la Gazza ladra, avec la bonne intention de siffler l'auteur du Barbier, d'Elisabeth et d'Otello, pour peu que sa musique déplût. Rossini n'ignorait pas cette disposition défavorable, et il avait grand'peur.

 

Le succès fut tellement fou, la pièce fit une telle fureur, car j'ai besoin ici de toute l'énergie de la langue italienne, qu'à chaque instant le public, en masse, se levait debout pour couvrir Rossini d'acclamations. Cet homme aimable racontait le soir, au café de l'Académie, qu'indépendamment de la joie du succès, il était abîmé de fatigue pour les centaines de révérences qu'il avait été obligé de faire au public, qui, à tous moments, interrompait le spectacle par des bravo maestro! e viva Rossini!

Le succès fut donc immense, et l'on peut dire que jamais maestro n'a mieux rempli son objet. Les applaudissements étaient d'autant plus flatteurs que, comme je l'ai déjà dit, ce public, en 1817, était encore composé de l'élite des gens d'esprit de toute la Lombardie. Aussi est-ce à cette époque que Milan a été illustré par les chefs-d'œuvre de Viganò. Ce beau moment s'est terminé vers 1820, par les arrestations et le carbonarisme.

J'étais à la première représentation de la Gazza ladra. C'est un des succès les plus unanimes et les plus brillants que j'aie jamais vus, et il se soutint pendant près de trois mois au même degré d'enthousiasme. Rossini fut heureux en acteurs; Galli avait alors la plus belle voix de basse d'Italie, la voix la plus forte et la plus accentuée; il joua le rôle du soldat d'une manière digne de Kean ou de De'Marini. Madame Belloc chanta celui de la pauvre Ninetta avec sa voix magnifique et pure qui semble rajeunir tous les ans; elle jouait ce rôle facile avec infiniment d'esprit. Je me souviens qu'elle l'ennoblissait beaucoup; ce n'était pas tant une servante vulgaire que la fille d'un brave soldat que les malheurs de son père ont forcée à chercher de l'emploi. Monelli, ténor agréable, faisait le jeune soldat Giannetto qui revient à la maison paternelle; et Boticelli, le vieux paysan Fabrizio Vingradito, rôle si bien joué à Paris par Barilli. Ambrosi, avec sa voix superbe et son jeu tout d'une pièce, représentait fort bien le méchant Podestà; enfin, les grâces de mademoiselle Galianis, dans le rôle de Pippo, étaient inimitables et donnaient un effet charmant au duetto du second acte entre Pippo et Ninetta. Tous les acteurs cherchaient comme de concert à ennoblir la pièce. Madame Fodor, au contraire, l'a rendue bien vulgaire.

Que dire de l'ouverture de la Gazza ladra? A qui cette symphonie si pittoresque n'est-elle pas présente?

L'introduction du tambour comme partie principale lui donné une réalité, si j'ose m'exprimer ainsi, dont je n'ai trouvé la sensation dans aucune autre musique17, il est comme impossible de ne pas faire attention à celle-ci. Il me le serait également de rendre les transports et la folie du parterre de Milan à l'apparition de ce chef-d'œuvre. Après avoir applaudi à outrance, crié et fait tout le tapage imaginable pendant cinq minutes, quand la force nécessaire pour crier n'exista plus, je remarquai que chacun parlait à son voisin, chose fort contraire à la méfiance italienne. Les gens les plus froids et les plus âgés s'écriaient dans les loges: O bello! o bello! et ce mot était répété vingt fois de suite: on ne l'adressait à personne, une telle répétition eût été ridicule; on avait perdu toute idée d'avoir des voisins, chacun se parlait à soi-même. Ces transports avaient toute la vivacité, tout le charme d'un raccommodement. La vanité du public se rappelait le Turco in Italia. Je ne sais si le lecteur se rappelle aussi que cet opéra avait été sifflé comme manquant de nouveauté. Rossini désira réparer cet échec, et ses amis furent flattés qu'il eût bien voulu faire quelque chose de si nouveau pour eux. Cette situation morale du maestro rend fort bien compte du tambour et du tapage un peu allemand de l'ouverture; Rossini avait besoin de frapper fort dès le début. On n'eut pas entendu vingt mesures de cette belle symphonie, que la réconciliation fut faite; on n'était pas à la fin du premier presto, que le public sembla fou de plaisir, tout le monde accompagnait l'orchestre. Dès lors l'opéra et le succès ne furent plus qu'une scène d'enthousiasme. A chaque morceau il fallait que Rossini se levât plusieurs fois de sa place au piano pour saluer le public; et il parut plus tôt las de saluer que le public d'applaudir.

Cette ouverture, qui commence par le retour du jeune soldat couvert de gloire dans sa famille champêtre, prend bientôt le caractère triste des événements qui vont suivre; mais c'est une tristesse pleine de vivacité et de feu, une tristesse de jeunes gens; les héros de la pièce sont jeunes en effet. L'introduction est brillante de verve et de feu; elle me rappelle les belles symphonies de Haydn et l'excès de force qui distingue ce compositeur. L'attention est appelée sur la Pie avec tout l'esprit possible:

 
Brutta gazza maladetta
Che ti colga la saetta!
 

Je trouve ici, dès la première mesure, une certaine énergie rustique, une teinte champêtre, et surtout une absence totale de la finesse des villes, qui, par exemple, donne à cette introduction une couleur tout à fait différente de celle du Barbier. Je me figure que la musique à Washington ou à Cincinnati, si elle était nationale et non copiée, offrirait cette absence complète de recherche et d'élégance18.

Cette nuance d'énergie rustique s'étend sur tout le premier acte. L'humeur revêche de la fermière Lucie, ou plutôt les tristes effets que va produire ce défaut de caractère, sont annoncés par un morceau extrêmement imposant:

Marmotte, che fate?

On sent à l'instant la présence d'un grand talent. Il y a absence de détails, et développement parfait d'une grande idée. On voit que l'auteur a eu le courage de braver la peur d'ennuyer, et de négliger les petites phrases amusantes; de là le grandiose19.

La réponse à Lucie qui demande où est son mari,

Tuo marito?

le petit air du bonhomme Fabrice qui arrive de la cave la bouteille à la main, tout cela est éminemment gai, rustique, plein de force, et rappelle de plus en plus le style de Haydn. C'est encore la pie qui est chargée d'annoncer au spectateur l'amour du jeune soldat; sa mère dit:

Egli dee sposar…

la pie l'interrompt par le cri

Ninetta! Ninetta!

Il y a un feu étonnant dans le tutti: Noi l'udremo narrar con diletto. J'observerai toutefois que la joie vive et le brio (l'entraînement) sont d'autant moins difficiles à produire, que l'on ne cherche pas à conserver l'air distingué et noble. Il y a ici deux jolis vers bien militaires:

 
Or d'orgoglio brillar lo vedremo,
Or di bella pietà sospirar.
 

La cavatine de Ninette

Di piacer mi balza il cor,

est, comme l'ouverture, une des plus belles inspirations de Rossini: qui ne la connaît pas? C'est bien la joie vive et franche d'une jeune paysanne. Jamais peut-être Rossini n'a été plus brillant et en même temps plus dramatique, plus vrai, plus fidèle aux paroles. Cet air est de la force de Cimarosa, et a une vivacité de début assez rare chez Cimarosa.

Peut-être pourrait-on blâmer la cantilène, comme un peu vulgaire et rustique. Remarquez que dès que Rossini veut être expressif, il est obligé d'en revenir au chant périodique. La phrase di piacere a huit mesures, chose rare chez ce maître20. Il y a une nuance touchante introduite avec un art infini; c'est dans

Dio d'amor, confido in te,

avant la reprise. On oublie la gaucherie des paroles Dieu d'amour dans la bouche d'une jeune paysanne. Apparemment que l'auteur est un classique. Madame Fodor a chanté cette cavatine à Paris, avec une voix au-dessus de tous les éloges, mais la sensibilité et l'accent répondaient peu à la beauté de la voix. A la manière de tous les artistes qui ne brillent pas par la sensibilité et le foyer intérieur, comme disent les peintres, madame Fodor ne pouvant pas faire cette cavatine belle, elle la faisait riche. Elle accablait de roulades et d'ornements supérieurement exécutés, les inspirations du maestro, et parvenait à les faire oublier. Voilà un joli triomphe! Rossini, s'il l'avait entendue, lui aurait répété ce qu'il dit au célèbre Velluti, lors de la première représentation de l'Aureliano in Palmira (Milan 1814): Non conosco più le mie arie. Je ne reconnais plus ma musique.

L'expression dramatique vive et franche, et pourtant parfaitement belle, est assez rare chez Rossini pour qu'on la respecte. La première phrase de

Di piacer mi balza il cor,

doit être donnée absolument sans ornements et sans roulades; il faut les réserver pour la fin de l'air, où Ninette semble réfléchir sur l'excès de son bonheur. Les fioriture gaies et brillantes sont fort bien placées sur

Ah! gia dimentico

I miei tormenti

paroles que la jolie petite Cinti dit d'une manière séduisante.

A Milan, cette nuance, comme toutes les autres, fut fort bien saisie par madame Belloc. Je craindrais de fatiguer le lecteur si je lui parlais encore des transports du public, à l'apparition de cet air si simple, si naturel, si facile à comprendre. C'est le sublime du génie champêtre. Il est fâcheux que la scène ne soit pas en Suisse; cet air conviendrait à Lisbeth21. Les spectateurs du parterre étaient montés sur les banquettes; ils firent répéter l'air de madame Belloc et l'écoutèrent debout; leurs cris redemandaient cette cavatine une troisième fois, lorsque Rossini dit de sa place au piano, aux spectateurs des premières files du parterre: «Le rôle de Ninette est fort chargé de musique; madame Belloc sera hors d'état d'arriver à la fin, si vous la traitez ainsi.» Cette raison, qui fut répétée et discutée au parterre, produisit enfin son effet après une interruption d'un quart d'heure. Tous mes voisins discutaient entre eux avec feu et franchise, comme d'anciennes connaissances. Je n'ai jamais revu une telle imprudence en Italie. Un espion peut prendre prétexte d'une telle conversation pour paraître lié avec vous et vous dénoncer ensuite avec succès.

 

Après cette cavatine, qui respire la joie et la fraîcheur des forêts nous sommes ramenés à ce que la civilisation a de plus ignoble, par l'air du juif; il me rappelle toujours les juifs de Pologne, la plus abominable race de l'univers22: cet air est pourtant fort bien. A force d'esprit, Rossini a fait supporter ce qu'il a de ressemblant à la réalité. Je trouve une richesse musicale incroyable, une abondance infinie, une luxuriancy de génie, comme diraient les Anglais, dans le chœur qui annonce le retour de Giannetto:

Bravo! bravo! ben tornato!

L'air de ce jeune soldat qui, après s'être couvert de gloire à l'armée, arrive dans son village, où le journal a donné de ses nouvelles, est faible et plat, et de plus déplacé. Le jeune soldat aborde sans façon sa maîtresse, et laisse seuls, dans le fond de la scène, son père, sa mère, et tout le village, qui le regardent parler d'amour: cette charmante passion a tout perdu si on lui ôte la pudeur.

Anco al nemico in faccia,

est assez bien, quoique fat. Il y a une joie douce et tendre, le contraire du feu et de la passion folle et française qui était nécessaire ici, dans

Ma quel piacer che adesso,

et surtout dans la ritournelle qui annonce ce vers. Ici Rossini aurait grand besoin de trouver, dans son chanteur, le feu, la passion et l'accent du cœur, qui manquent à sa partition. Il faudrait que madame Pasta pût se charger de ce rôle, et de tous les rôles passionnés de ce maître; elle leur rendrait le même service qu'à Tancrède.

Avec les paroles,

No, non m'inganno,

que Galli prononce en descendant la colline, la tragédie paraît, et la gaieté s'évanouit pour toujours.

Lorsque Rossini fit la Gazza ladra, il était brouillé avec Galli, son rival heureux auprès de la M***. Or, il faut savoir que Galli, au milieu d'une très-belle voix, a deux ou trois notes qu'il ne prend justes que lorsqu'il ne fait que passer, mais qu'il donne à faux lorsqu'il est obligé de s'y arrêter. Rossini ne manqua pas de lui faire un récitatif (celui dans lequel il raconte à sa fille sa dispute avec son capitaine) dans lequel il est forcé de s'arrêter précisément sur ces notes, qu'il ne peut donner justes. Il y a bien paru à Paris, lorsque Galli disait:

 
Sciagurato
Ei grida; e colla spada
Già, già, m'è sopra23.
 

Galli, sûr partout ailleurs de sa magnifique voix, se piqua, et ne voulut pas changer ces notes à la représentation; rien n'était cependant plus simple. Cette obstination lui a fait manquer cette entrée à Rome, à Naples, à Paris; et le goût sévère et un peu froid de cette capitale s'accommodant mieux de l'absence de toute faute24 que de la présence de beautés sublimes obscurcies par quelques imperfections, le succès de Galli n'a jamais été d'enthousiasme comme il aurait dû l'être.

Galli s'est raidi contre les chut du public, il n'a pas voulu changer dix notes; et la timidité faisant effet sur son organe, en dépit de ses efforts, ce début d'un si beau rôle a toujours été gâté par trois ou quatre sons hasardés. A Naples, ce récitatif était le triomphe de Nozzari, qui le détaillait d'une manière inimitable.

Galli est à la hauteur de la plus belle tragédie dès la fin de ce morceau:

Amico mio,

Ei disse, e dir non più poteva: Addio!

Il est absurde que Galli, qui fuit son régiment où il a été condamné à mort, paraisse avec son habit de soldat à peine caché sous un grand manteau; c'est un moyen certain de se faire arrêter comme déserteur par le premier maire de village. Ceci est une question de mise en scène, art qui tient à la peinture. Si Galli paraissait couvert de haillons, comme dit le libretto,

Il prode Ernesto

Di questi cenci mi coperse,

peut-être le rôle prendrait-il une teinte ignoble; il faut parler aux yeux à l'Opéra. Dans la nature, Galli, condamné à mort et retrouvant sa fille, lui eût adressé deux ou trois mille paroles; la musique en choisit une centaine, et leur fait exprimer le sentiment qui paraîtrait dans les trois mille. On sent bien qu'elle doit écarter d'abord toutes les paroles qui expriment des détails; donc il faut parler aux yeux.

Le duetto qui suit le récitatif chanté par Galli,

Come frenar il pianto?

est un chef-d'œuvre dans le style magnifique25. Le petit morceau d'orchestre qui vient après:

 
È certo il mio periglio;
Solo un eterno esiglio,
O Dio! mi può salvar26.
 

produit un tremblement physique. Il y a un petit trait bien touchant après

Più barbaro dolor.

Vers la fin de la reprise du duetto,

Tremendo destino

est terrible. Il y a un peu de beau idéal, faisant repos par distraction du malheur, dans la ritournelle de la fin.

La cavatine du podestat,

Il mio piano è preparato,

est un morceau brillant pour une belle voix de basse. Ambrosi le chanta à Milan avec une énergie et une force qui avaient le défaut de tenir les yeux du spectateur fixés désagréablement sur le caractère atroce du podestat. Pellegrini, à Paris, sert beaucoup mieux les intérêts de la pièce, en déployant dans cette cavatine une grâce infinie et toute la légèreté de sa charmante voix. Ce morceau est d'ailleurs beaucoup trop long.

La lecture du signalement du déserteur, confiée à Ninetta par le podestat, qui a perdu ses lunettes, est une scène qui a tout l'intérêt pressant et cruel du drame; c'est du malheur nullement adouci par le beau idéal: voilà ce qu'on aime en Allemagne. Ce moment est vif, mais il tue la gaieté pour toujours.

Le terzetto qui suit:

Respiro – partite,

est sublime; c'est dès le début que se trouve l'admirable prière:

Oh! nume benefico!

Winter venait de donner à Milan, un Mahomet (c'est la tragédie de Voltaire) où se trouvait une prière magnifique formée par les voix réunies de Zopire, au fond du temple, qui prie, et de ses deux enfants, sur le devant de la scène, qui viennent lui donner la mort. Rossini ne manqua pas de demander une prière à l'auteur du libretto, et l'écrivit con impegno.

Le podestat ayant vu partir le soldat et se croyant seul, dit à Ninette:

 
Siamo soli. Amor seconda
Le mie fiamme, i voti mici.
Ah! se barbara non sei
Fammi a parte nel tuo cor27.
 

Voilà du superbe style tragique, en musique s'entend. Ce terzetto est au-dessus de tous les éloges: il établit à jamais la supériorité de Rossini sur tous les compositeurs ses contemporains.

La rentrée de Fernand a tout le feu possible:

 
Freme il nembo…
Uom maturo e magistrato,
Vi dovreste vergognar.
 

Il y a toujours beaucoup plus de force et d'énergie que d'élégance et de sensibilité noble, et l'orchestre est bien bruyant:

 
No so quel che farei,
Smanio, deliro e fremo,
 

est un volcan. Ici, la rapidité naturelle du style de Rossini semble encore augmenter son feu incroyable: ce terzetto est une des plus belles choses que ce maestro ait jamais écrites dans sa seconde manière (le style fort). Les groupes en sont disposés avec un art infini; il y a une qualité bien rare dans les plus beaux morceaux connus, c'est une progression étonnante. On se sent, en quelque sorte, plus avancé à la fin du terzetto qu'au commencement.

C'est après cette scène qu'on voit la pie voler à travers le théâtre; elle enlève la cuiller fatale. Le moment est bien choisi; le spectateur est trop ému pour prendre ce vol du côté plaisant, et, comme on ne s'y attend pas, personne n'a le temps d'examiner comment il s'opère. Après le grand morceau tragique, dont nous venons de donner une analyse si imparfaite, la musique reprend toute la légèreté, toute la gaieté possible, et même une élégance qu'elle n'a pas eue jusqu'ici; et tout cela pour le procès-verbal de l'interrogatoire de la pauvre Ninetta:

In casa di messere…

Ce morceau est délicieux; il me semble qu'aucun maestro vivant ne pourrait en faire un semblable. La cantilène la plus charmante que l'art puisse produire est justement appliquée à la parole la plus infâme de l'interrogatoire. Quand le jeune militaire fait observer, avec beaucoup de raison, que l'objet qu'on cherche a été

Rapito! no, smarrito

(Volé! non, égaré),

le podestat répond avec une grâce parfaite:

Vuol dir lo stesso.

(Qu'importe? ces mots n'ont-ils pas le même sens?)

Il est vrai que cette admirable légèreté, que ce badinage aimable et tout à fait monarchique, s'est rencontré plusieurs fois, en ces derniers temps, chez des juges, gens du monde, qui envoyaient à la mort les ennemis du pouvoir en se jouant, ou plutôt sans interrompre les jeux d'une vie aimable et insouciante. La musique de Rossini serait parfaitement à sa place dans une comédie intitulée Charles II28 ou Henri III, et où le poëte aurait emprunté, pour représenter les moments prospères du règne de ces princes, le génie qui inspira Pinto à M. Lemercier. J'ai eu besoin de m'arrêter un instant pour faire sentir à un lecteur né dans des pays où la justice est digne de tous nos respects, comme chacun sait, que Rossini, né en Romagne et accoutumé aux juges nommés par des prêtres, a été peintre fidèle dans tout le rôle du podestat de la Gazza ladra. En plaçant tant de gaieté, d'insouciance et de légèreté dans l'interrogatoire de Ninetta, il a eu égard au caractère principal, qui est le juge, vieux scélérat goguenard et libertin, et au dénoûment de son opéra, qu'il savait bien devoir être di lieto fine comme ceux de Métastase. J'ai entendu Rossini repousser très gaiement les critiques qu'on faisait de son podestat, à Milan, lieu où Napoléon avait fait apparaître quelque décence dans la justice (1797 à 1814). «Le jeune militaire, quoique Français, est un nigaud, disait Rossini; à sa place, moi qui n'ai pas fait de campagnes ni enlevé de drapeau, je me serais écrié, voyant ma maîtresse accusée: C'est moi qui ai pris la fatale cuiller! Dans le libretto qu'on m'a donné, Ninetta, confondue par des apparences accablantes, ne sait que répondre; Giannetto est un sot: le personnage principal de mon finale est donc le juge, lequel est un coquin nullement triste, et qui, d'ailleurs, n'a aucune idée de perdre Ninetta; il ne songe, pendant tout le temps de l'interrogatoire, qu'à lui vendre sa grâce, et au prix qu'il en obtiendra29.» Rossini n'ajoutait pas, car il est fort prudent et se souvient de la mort de Cimarosa: Allez voir dans mon pays, à Ferrare, à Rimini, les jugements que l'on y rend tous les jours. Avisez-vous d'avoir un procès et d'être accusé d'avoir mangé un poulet le vendredi, un an ou deux auparavant. Les Prêtres envoient dans les jardins des palazzi voir si l'on jette des os de poulet le vendredi. La femme de chambre de la maison n'a pas l'absolution à Pâques si elle ne dénonce les os des poulets mangés en cachette: or, une femme de chambre, à Imola ou à Pesaro, qui ne fait pas ses pâques est une fille perdue. Qu'on se figure, dans une ville de vingt mille âmes comme Ferrare, un préfet, sept à huit sous-préfets, une douzaine de commissaires de police, n'ayant autre chose à faire au monde que de savoir si monsieur un tel mange un poulet le vendredi! Le légat, ses secrétaires et ses agents secrets, dont j'ai ci-dessus traduit les titres en dénominations françaises, sont prêtres. Ils ont l'administration; mais ils sont contre carrés en tout et haïs à la mort par l'autorité ecclésiastique, l'archevêque, ses grands-vicaires, les chanoines, etc., ennemis jurés des autorités administratives, et les dénonçant sans cesse à Rome comme inclinant au relâchement. Ces dénonciations peuvent empêcher le légat de devenir cardinal à la première promotion. Or, tous ces grands intérêts, toutes ces rivalités, tous les conseils de la prudence, peuvent être satisfaits en dénonçant le pauvre diable de bourgeois de Ferrare qui a cédé à la tentation de manger un poulet le vendredi. Je pourrais ajouter vingt pages de détails, mon seul embarras serait d'affaiblir les couleurs, de diminuer la vérité; je ne veux pas tomber dans l'odieux, ce serait la pire des chutes pour un livre frivole30. Le résultat de toutes les anecdotes que je pourrais raconter sur la Romagne serait toujours que Rossini, en donnant tant de gaieté et de légèreté à son podestà libertin, n'a nullement songé à faire une épigramme abominable et à la Juvénal. En général, c'est très peu la coutume en Italie que de s'indigner par écrit des friponneries; cela rend triste, cela est de mauvais ton; d'ailleurs c'est un lieu commun.

15En septembre 1823, Velluti chante à Livourne l'opéra de Morlacchi, intitulé Tebaldo e Isolina, où se trouve la célèbre romance.
16Cette stagione commence le 10 avril; la stagione du carnaval, le 26 décembre, seconde fête de Noël; et celle de l'automne, le 15 août.
17Voir les dissertations imprimées à Berlin sur cette ouverture en 1819.
18Ce commencement du premier acte a le caractère des Poésies de Crabbe, quelquefois l'énergie des Ballades de Burns.
19C'est le même principe que pour les tableaux du Corrège et les marbres antiques. Il y a une description du beau qui convient à tous les arts, depuis un duetto bouffe jusqu'à l'architecture de l'intérieur d'une prison. Des pilastres grecs dans une prison consolent.
20Si l'on supprime une mesure de la première phrase que chante Ninette, on sent qu'il manque quelque chose; ce qui n'a guère lieu chez Rossini que dans les mouvements de valse, du moins dans les opéras de sa seconde manière.
21Opéra célèbre en France il y a vingt ans; c'est le sujet si beau d'une fille-mère, abandonnée par son amant. Comparez l'air de Rossini avec la Famille suisse de Weigell, chef-d'œuvre de simplicité allemande qui parut trop simple au public de Milan en 1819.
22Je vois les juifs de Pologne comme les voleurs d'un autre genre de Fondi, au royaume de Naples; la faute, l'unique faute est aux gouvernements dont l'imprévoyance crée de tels êtres. Les juifs français, depuis Napoléon, sont comme les autres citoyens, seulement un peu plus avares.
23Malheureux! s'écrie le capitaine, et il se jette sur moi l'épée à la main.
24Magis sine vitiis quam cum virtutibus. Un talent calculé pour les Parisiens de 1810, c'était celui de madame Barilli. Le public de Louvois a fait depuis des progrès immenses, ce qui ne veut point dire que l'excellente Barilli n'eût encore aujourd'hui un fort beau succès. Quatre ou cinq cents personnes de Paris ont fait l'éducation de leur oreille, et sont d'aussi bons juges que les dix mille spectateurs qui fréquentent les théâtres de San-Carlo ou de la Scala.
25Plus pompeux que touchant. Le style de Paul Véronèse ou de Buffon. Ce style est le sublime des cœurs froids. Il fait beaucoup d'effet en province. L'harmonie du commencement de ce duetto rappelle l'introduction du Barbier. On adresse le même reproche à quelques parties du finale du premier acte. Il y a des ressemblances entre l'air Mi manca la voce de Mosè et le quintetto Un Padre, una figlia. On dit que le morceau qui suit la condamnation de Ninetto rappelle un chœur de la Vestale: Détachez ces bandeaux.
26Il ne fallait pas faire un soldat français si tremblant en paroles. L'auteur du Libretto n'a pas songé à la vanité du pays où il place la scène de son ouvrage; il a peint un malheureux avec vérité. Voilà la grossièreté que les connaisseurs français reprochent aux personnages du Guerchin.
27«Nous voici seuls: amour seconde ma flamme et mes vœux. Belle Ninette, si vous n'êtes pas barbare, daignez m'accorder une place dans votre cœur.»
28Voir les admirables Mémoires de mistress Hutchinson, et les procès de Sidney et de tant d'autres. Voir certains détails de procès criminels dans Voltaire. Voir…
29Il Podestà – Ora è mia, son contento, Ah! sei giunto, felice momento, Lo spavento piegar la farà.
30Si l'on attaque les bases de mon raisonnement, je pourrai publier quelques anecdotes dont je me borne maintenant à donner la morale; et tout cela se passait sous le ministère modéré de M. le cardinal Consalvi. Voir Laorens: Tableau de Rome; Simond, Gorani.
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