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Mémoires d'un Éléphant blanc

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Chapitre XVIII
LA PUNITION

Le soleil se coucha; elle revint lentement vers la berge et s'apprêtait à remonter, quand elle poussa un cri perçant et mit ses deux mains devant sa bouche en tremblant de tous ses membres: je suivis la direction de ses yeux; un grand frisson me traversa à mon tour quand j'aperçus, roulé dans les grandes herbes, un serpent de l'espèce la plus dangereuse, qui guettait Parvati pour s'élancer sur elle dès qu elle aurait mis le pied sur la rive.

Oh! comme je fus puni alors de ma coupable pensée! L'inquiétude qui me brûlait le cœur en voyant Parvati en danger, me fit comprendre combien devaient souffrir Saphir-du-Ciel et Alemguir, en ne voyant pas revenir leur fille bien-aimée, à l'heure accoutumée. J'étais donc redevenu une brute égoïste? un être sans réflexion? un simple éléphant enfin, pour avoir eu l'idée impardonnable de dérober la princesse à sa famille et à sa cour? Maintenant, elle était perdue peut-être, et moi avec elle, car j'étais bien décidé ne pas lui survivre, si l'affreux reptile la touchait de son venin mortel.

Ces pensées déchirantes se succédèrent dans ma tête avec une rapidité terrible, et manquèrent me faire perdre mon sang-froid. Il me revint assez vite heureusement. Je poussai un cri brusque et strident en même temps que je fis un bond vers le serpent qui, surpris et effrayé, replia vivement une partie de ses spirales, renfonçant ainsi sa tête dans les feuilles.

Il me faisait face maintenant, sifflant et crachant, et c'était ce que j'avais voulu.

Parvati remonta sur la rive; elle était sauvée! Mais, joignant les mains, elle me criait de prendre garde à la morsure de l'affreuse bête, de nous enfuir plutôt que de combattre.

Je ne pouvais lui répondre que mon cuir épais ne craignait rien du serpent, excepté autour des yeux et sur la lèvre; que j'étais trop irrité, de la peur que j'avais eue, pour renoncer à la vengeance.

L'ennemi ne bougeait plus, il fixait sur moi le regard luisant de ses yeux sans paupières, dardait sa langue fourchue, pareille à une flamme noire, et, replié sur lui-même en plusieurs festons, allait s'élancer.

Le haut de son corps était à demi caché sous les feuilles, le milieu serrait le tronc d'un arbre et l'animal était si long que plusieurs replis traînaient encore sur le sol. Je posai mon large pied sur ces replis en pesant de tout mon poids.

Alors le serpent se détendit, cingla les branches et les feuillages avec des sifflements de fureur. Cependant il cherchait à se dégager pour fuir. Ne pouvant y parvenir, il revint sur moi d'un élan si rapide que je ne pus l'éviter. Il s'enroula à mes jambes, à mon cou, mordant ma peau rude à pleine gueule, mais se cassant les dents sur elle.

Le danger était autre pour moi: avec une force extraordinaire, il resserrait peu à peu son étreinte autour de mes jambes entravant mes mouvements, et, ce qui était plus grave, pressant mon cou de telle façon que le souffle me manquait.

Impossible de l'atteindre avec mes défenses, il me tenait de trop près et j'étais vraiment dans une situation pénible.

Qu'allait devenir Parvati, hélas! seule dans la fôret? si j'étais étouffé par ce monstre?

Et toujours, peu à peu, la vivante corde se serrait autour de moi. Je ne pouvais plus bouger malgré mes efforts et le sang sifflait à mes oreilles, sous l'étranglement progressif.

Alors je me jetai par terre, me roulant frénétiquement, écrasant mon ennemi sous moi, le déchirant aux épines.

La lutte fut longue. Mais enfin, je sentis le froid et gluant étau mollir, se relâcher, puis se détendre tout à fait.

Je me relevai, soufflant de tous mes poumons. Le serpent flasque, inerte, s'allongeait à terre, ondulant encore mollement, pareil à un ruisseau de sang et d'encre.

Je me mis à le piétiner, à le déchirer avec mes défenses, à en faire une bouillie.

Quand j'eus bien usé ma colère, fier et content, je cherchai Parvati.

Ah! combien je me repentis du crime d'avoir voulu l'enlever! Ma princesse était étendue sur le sol, toute blanche, immobile comme morte!

Chapitre XIX
L'ANACHORÈTE

La nuit était venue très vite et très noire sous l'épaisseur des branches qui faisaient l'ombre même en plein jour.

Que pouvais-je tenter? Comment porter secours à ma princesse, toujours immobile et que j'apercevais à peine?

Doucement, avec ma trompe, je lui avais soulevé le haut du corps, la maintenant dans cette position en la balançant doucement, en l'éventant avec mes oreilles.

Mais elle ne bougeait pas, et l'idée qu'elle était peut-être morte m'emplissait d'une telle angoisse que, à mon insu et sans reprendre haleine, je poussais des gémissements et des cris si déchirants qu'ils furent pris pour des cris humains, et c'est ce qui nous tira de peine.

Je vis tout à coup trembler au loin sous les feuillages une petite lueur rousse qui semblait s'approcher. C'était une lanterne, certainement!.. il y avait donc un homme dans cette solitude?..

Je fis mes cris plus plaintifs encore et la lueur s'approcha plus vite. Elle était dirigée de notre côté et je ne pouvais pas voir celui qui tenait la lanterne. A quelque distance, il s'arrêta, et une voix faible et un peu tremblante se fit entendre.

– Qui donc se plaint ainsi? demandait-elle; qui donc trouble le repos de la forêt?.. Se peut-il que ce soit cet éléphant? Quelle raison a-t-il alors de gémir ainsi qu'un homme?

Je couchai la princesse sur mes défenses, je la mis sous la lueur de la lanterne…

– Ah! la pauvre enfant!.. s'écria aussitôt la voix.

Et un vieillard s'approcha tout à fait, posa sa main osseuse et brune sur le cœur de Parvati.

– Elle est évanouie seulement, dit-il, venez, suivez moi. Ne perdons pas de temps. N'entendez-vous pas qu'un orage se prépare? Ne restons pas un instant de plus sous les arbres.

Il se mit à marcher rapidement en éclairant la route et je le suivis, portant avec précaution ma chère Parvati évanouie.

Il atteignit bientôt une grande clairière au milieu de laquelle, adossée à un rocher, s'élevait une petite cabane en planches.

– Nous voici chez moi, dit l'homme, je ne suis qu'un pauvre anachorète dégoûté du monde et retiré dans la solitude pour méditer, je suis dénué de tout. La forêt m'a fourni des plantes, cependant, qui auront la vertu, j'espère, de rappeler à la vie cette mignonne jeune fille.

Ma tête seule pouvait passer la porte de la cabane. Je posai Parvati sur un lit de feuilles, tandis que l'anachorète accrochait la lanterne.

Il écrasa ensuite entre ses mains une herbe au parfum violent, la fit respirer à la princesse, lui en frotta les tempes et les poignets.

A ma grande joie, Parvati revint à elle, se passa les mains sur les yeux, et sourit en me regardant.

– Ah! l'affreux serpent ne t'a pas étouffé, mon cher Iravata? s'écria-t-elle, j'ai eu si peur, que j'ai cru mourir?

Alors, elle raconte à l'anachorète tout ce qui nous était arrivé, et quel ami j'étais pour elle. Il lui dit à son tour comment il avait entendu mes plaintes et nous avait secourus.

Il put lui offrir quelques fruits délicats qu'elle accepta avec plaisir, car elle n'avait rien mangé durant toute cette longue journée.

– O saint homme! dit-elle ensuite, se peut-il que vous viviez tout seul au milieu de la forêt? combien vous devez être triste et malheureux!

– Non, enfant, répondit-il, ceux qui vivent avec leurs pensées ne sont pas seuls. Au lieu de regarder, comme vous, la vie qui passe ou est passée, je regarde en avant, vers le mystère d'après la mort, et il y a là de quoi occuper toutes les minutes du jour et de la nuit.

– O saint homme! dit-elle, pourquoi mépriser la vie? elle est douce et charmante et le cœur se serre à penser qu'elle ne doit pas toujours durer…

Un immense éclair éblouit la princesse qui se cacha les yeux dans ses mains en poussant un cri.

Enfonçant ma tête plus avant dans la cabane, je bouchai toute la porte avec mon corps pour lui masquer les éclairs.

– Pauvre petite! dit l'anachorète, et moi qui parle du néant final à cette fleur ravissante, qui fleurit et embaume tout autour d'elle.

Il lui écarta doucement les mains qu'elle crispait toujours sur ses yeux.

– Ne crains rien, dit-il, nous sommes ici à l'abri de l'orage. Et, pour la distraire, il ajouta.

– Si tu veux, je vais te conter une histoire, qui te fera comprendre pourquoi je n'aime pas un monde où le hasard peut servir un voleur et un menteur et le combler de bienfaits.

– Oh! je vous en prie, dit Parvati oubliant l'orage, contez-moi cette histoire.

– Voici, dit l'anachorète:

Autrefois, vivait un pauvre brahmane ignorant, qui possédait une nombreuse famille. Après avoir mendié longtemps, ils entrèrent, lui et les siens, au service d'un homme fort riche nommé Sthûladatta; les enfants de Hariçarman, c'est ainsi que s'appelait le brahmane, gardaient les vaches, les moutons et les bêtes de la basse-cour; sa femme vaquait aux besoins du ménage, lui-même fut attaché à la personne du maître.

Un jour Sthûladatta célébra les noces de sa fille, mais il omit d'inviter Hariçarman à cette fête.

– Bien sur, dit celui-ci à sa femme, on me méprise à cause de ma pauvreté et de mon ignorance; mais je vais me faire passer pour un savant, afin que Sthûladatta m'estime. A l'occasion, tu pourras dire que je suis un devin très fort.

Alors, il fit sortir le cheval du gendre de Sthûladatta de l'écurie et le cacha dans un endroit écarté de la forêt. Le fiancé, la fête terminée, voulut rentrer chez lui avec sa jeune femme, mais il ne put retrouver son cheval. On battit la forêt, on fouilla les clairières, les invités se dispersèrent pour retrouver les traces de l'animal, mais ils revinrent bientôt sans avoir pu rejoindre le fugitif.

 

Alors la femme de Hariçarman s'avança et dit:

– Mon mari aurait bien vite retrouvé le cheval perdu; il est devin et connaît le langage des astres; pourquoi ne le questionnez-vous pas?

Sthûladatta fit appeler Hariçarman, et lui dit:

– Peux-tu m'indiquer l'endroit où se trouve le cheval perdu?

Hariçarman répondit:

– Maître! tu as convié une foule d'invités pour assister aux fêtes des fiançailles de ta fille; mais tu n'as pas daigné m'inviter, parce que je ne suis qu'un pauvre brahmane. Vois, pourtant, parmi tous ceux qui sont venus te rendre visite, nul ne saurait te faire retrouver le cheval de ton gendre et tu es forcé d'avoir recours à moi, que tu méprises. N'importe, je ne suis pas rancunier, et je saurai t'indiquer, grâce à la science que je possède, l'endroit où est maintenant celui que tu cherches.

Alors il tira des lignes cabalistiques, fit des cercles magiques et finit par désigner l'endroit où il avait caché le cheval.

A partir de ce moment, on le tint en haute estime dans la maison de Sthûladatta.

Peu de temps après, un vol fut commis dans le palais du roi; on y avait dérobé des joyaux, des pierres précieuses et de l'or.

Le roi, ayant entendu parler de Hariçarman, le fit venir au palais et lui dit:

– On m'a vanté tes vertus de devin. Saurais-tu m'indiquer les misérables qui ont osé s'introduire dans mon palais pour voler mes trésors?

Hariçarman, fort embarrassé, s'inclina devant le roi, et parla ainsi:

– Grand roi, maître puissant! tu me prends à l'improviste. Grâce à ma profonde science, en effet, nul secret ne reste voilé à mes yeux perspicaces; je découvre ce qui est couvert, je mets au grand jour ce que les autres voudraient cacher à jamais. Donnez-moi jusqu'à demain, pour que je puisse me mettre en contact avec les astres.

Le roi le fit conduire dans une chambre du palais où Hariçarman seul devait passer la nuit.

Le vol avait été commis par une servante du palais nommée Dschihva (la langue) et par son frère. Pleine d'angoisses et craignant que le prétendu devin ne les dénonçât au roi, Dschihva alla à pas de loup vers la porte de la chambre qu'occupait Hariçarman, dans l'espoir de surprendre quelques-unes de ses paroles. Le faux devin n'avait pas moins peur que la servante infidèle et poussait des imprécations contre sa langue (dschihva) qui lui avait suscité tant d'ennuis.

Il s'écria:

– O dschihva (langue), qu'as-tu commis dans ta convoitise stupide! Dschihva s'imagina que ces paroles s'adressaient à elle; elle entra dans la chambre et se précipita aux pieds de Hariçarman, lui indiqua l'endroit où elle avait caché les joyaux dérobés, le supplia de ne pas la trahir et lui promit, s'il voulait se taire, de lui remettre tout l'or provenant du vol.

Le lendemain, Hariçarman conduisait le roi vers l'endroit où se trouvaient les pierreries, mais l'or il le garda, et dit au roi:

– Seigneur, les voleurs en s'enfuyant, ont emporté l'or.

Le roi, fort satisfait de rentrer en possession de ses joyaux, voulut récompenser Hariçarman, mais un conseiller du roi l'en empêcha et dit:

– Tout cela n'est pas naturel, ô roi! Comment veux-tu qu'une pareille science fût possédée par quelqu'un qui n'a pas étudié les textes saints? Très certainement, cette histoire a été arrangée d'avance entre ce Hariçarman et les voleurs. Pour que je sois convaincu de la science de ce prétendu devin, il faudra le mettre encore une fois à l'épreuve.

Le roi s'entretint durant quelques instants à voix basse avec son conseiller. Celui-ci sortit et revint bientôt, portant entre ses mains un pot tout neuf, fermé d'un couvercle, dans lequel on avait introduit un crapaud.

Le roi s'adressant a Hariçarman lui dit:

– Si tu devines ce que renferme ce pot, tu jouiras de tous les honneurs, sinon tu seras mis à mort pour avoir osé me tromper.

Hariçarman se crut perdu. Des souvenirs, vifs comme les éclairs, traversaient son esprit. Il pensa à sa joyeuse jeunesse, il se rappela que son père l'avait désigné autrefois par un sobriquet, et «le crapaud», et, machinalement, il dit en se parlant à assez distinctement pour être entendu:

– Ce pot est ta prison, mon petit crapaud, grâce à lui tu es bien inquiet, tandis qu'autrefois tu étais au moins libre!

Tous ceux qui l'entouraient pensèrent naturellement que ces paroles s'adressaient au crapaud enfermé dans le pot. L'épreuve parut concluante. A partir de ce jour, le roi fêta Hariçarman, le combla de biens, et, depuis, il occupa le rang d'un prince.

– Voici, conclut l'anachorète, une histoire qui démontre qu'il n'y a pas de justice en ce monde et qu'il faut désirer d'en sortir, pour trouver un monde meilleur, ou même lui préférer le néant.

– O saint homme! dit Parvati, l'histoire de Hariçarman n'est pas finie et qui sait ce qui lui arrivera par la suite? une punition d'autant plus terrible, peut-être, qu'elle aura été retardée, le frappera; ou bien il souffrira de ne pas être ce qu'il paraît, de se savoir voleur et menteur, quand on le salue honnête homme et savant. Il me semble que dans la vie on est toujours puni de ses fautes. Vois plutôt ce qui nous est arrivé aujourd'hui: Iravata, le plus sage des éléphants, pour la première fois n'a pas eu sa prudence accoutumée; il s'est enfoncé trop avant dans la forêt, et moi, au lieu de le retenir, amusée par notre escapade, je l'ai poussé à aller plus loin encore. Nous avons manqué périr tous les deux; puis l'orage a grondé sur nos têtes, et nous voici en pleine nuit au milieu de la forêt, à une distance effrayante du palais de Golconde, où mes parents bien-aimés, pleins d'angoisse, pleurent sans doute leur fille coupable.

En disant cela, Parvati avait des larmes dans ses beaux yeux et, en l'entendant, je baissai la tête et pleurai aussi.

– Ne vous désolez pas, dit l'anachorète qui me regardait attentivement, les dangers que vous avez courus vous ont peut-être sauvés d'un danger plus grand. Cet éléphant, qui s'est élevé moralement à la hauteur humaine, le connaît sans doute, ce danger, et il est le seul coupable…

Je tremblais de tous mes membres sous ce regard qui me devinait, en entendant ces paroles qui m'accusaient, et je baissais la tête de plus en plus.

Qu'il prenne garde cet éléphant, dit-il encore; en se rapprochant de l'homme par la raison et la pensée, il gagnera aussi les défauts et les passions de l'homme. Je vois dans la suite de sa vie, je vois qu'il sera malheureux, et l'artisan de son malheur, à cause d'un sentiment trop humain.

Un grand silence régna après ces paroles prophétiques. Parvati était tout émue et moi je n'osais pas relever la tête. Je me reculai même, découvrant la porte que j'obstruais de mon corps.

Alors une clarté douce et vive, couleur de turquoise et d'émeraude, entra dans la cabane. L'orage était fini et la pleine lune, dans un ciel où fuyaient encore quelques nuages, venait de se lever. Les fleurs et les feuillages, ravivés par la pluie, embaumaient.

– Partez, mes amis, dit alors l'anachorète d'une voix très douce à l'orage vous a servis. Ceux qui vous attendent ne sont pas aussi inquiets qu'ils auraient pu l'être; se fiant à la sagesse de l'éléphant, en qui ils ont toute confiance, ils croient qu'il s'est abrité de l'orage, et que c'est cela seulement qui cause votre retard. Allez, la lune éclaire comme en plein jour. Que le roi et la reine de Golconde ne sachent jamais la vérité.

Chapitre XX
DÉSESPOIR

Grâce aux Anglais qui s'étaient interposés, et avaient fait cesser la guerre, un traité de paix avait été signé entre le maharajah de Mysore et le rajah de Golconde, mon maître. Mais, sous des apparences d'amitié, la rancune couvait toujours, et cette paix, dont la rupture eût causé la ruine de mon maître, moins puissant que son ennemi, on cherchait le moyen de la consolider.

Celui que l'on trouva fut terrible: terrible pour moi, et amena le malheur que l'anachorète m'avait annoncé, et, comme il l'avait prédit, je fus le propre ouvrier de mon infortune…

Parvati devint tout à coup singulière. Une préoccupation qu'elle ne me disait pas, l'absorbait continuellement, et je ne pouvais deviner si elle était triste ou joyeuse. Des heures entières elle restait immobile, étendue dans son fauteuil de rotin, les regards fixés devant elle, ses petites mains comme crispées sur les bras de son siège.

Je crus comprendre qu'elle était surtout inquiète, impatiente; elle semblait attendre quelque chose. Mais elle, qui d'ordinaire me disait toutes ses pensées, restait mystérieuse cette fois-ci.

Un jour je la vis dans la grande avenue de tamariniers, regardant avec une attention extrême un objet qu'elle tenait dans la paume de sa main; elle l'élevait à la hauteur de ses yeux, l'approchait tout près, puis l'éloignait et clignait les paupières. Elle finit par laisser retomber son bras en courbant la tête.

Je m'approchai d'elle, et je vis qu'elle avait des larmes dans les yeux. Alors, poussant des cris plaintifs, je m'agenouillai devant elle, tâchant de lui faire comprendre combien je souffrais d'ignorer la cause de son chagrin.

Elle avait compris et me fit relever en me flattant doucement de la main.

– Je vais tout te dire aujourd'hui, Iravata, s'écria-t-elle. Si je me taisais, c'est que je redoutais d'énoncer des choses que j'aurais voulu laisser dans le néant; les évoquer dans des mots, cela me semblait devoir leur donner une sorte d'existence, un commencement de réalité. J'attendais, j'espérais que tout cela s'évaporerait comme les nuages au ciel présageant un orage et qui se dissipent sans qu'il éclate. Maintenant, tout est certain.

Je tremblais d'angoisse en l'entendant parler ainsi et d'une voix si grave. Elle s'était assise sur un banc sculpté, en bois laqué rouge et or, et regardait encore cet objet caché dans sa main.

– Je suis princesse, reprit-elle. J'ai cru longtemps que cela signifiait que j'étais plus puissante, plus riche, plus libre que les autres mortelles. J'ai appris que ce n'est pas cela seulement. Nous nous devons, paraît-il, au bonheur du peuple, dont nous sommes les chefs, et notre devoir est, quelquefois, de leur sacrifier notre propre bonheur.

Le bonheur du peuple! la sacrifier, elle! Qu'allais-je donc apprendre?

Tout à coup, elle ouvrit sa main, me montra un petit portrait encadré d'or et de diamants.

– Vois-tu, c'est un prince, dit-elle, examine-le bien… Cette face large, ce teint presque noir, sous le turban couleur de neige, cette bouche épaisse, surmontée d'une moustache ébouriffée, ces longs yeux à demi fermés, et qui ont un air si narquois. Tout cela constitue une figure qui ressemble peu à celle que je m'imaginais devoir être celle d'un jeune prince, et encore, ajouta-t-elle, il doit être flatté.

Elle élevait le portrait à la hauteur de mon œil droit, et je fermais l'autre pour mieux regarder.

Autant qu'un éléphant peut distinguer une peinture, et surtout d'après la description qu'en donnait la princesse, je reconnus que celle qu'on me montrait représentait un être très redoutable, un ennemi; et, à peine avais-je aperçu cette image, que je pris en haine celui qu'elle reproduisait, sans savoir encore combien j'avais raison de le haïr.

– Ce prince s'appelle Baladji-Rao, dit Parvati, c'est le fils du maharajah de Mysore, celui qui, au temps de ma naissance, fit une guerre injuste au roi mon père, qui ne fut sauvé d'une mort honteuse que grâce à toi, mon cher Iravata. Eh bien! vois combien est singulière la destinée des princes! ce Baladji, fils de celui qui voulut me faire orpheline, on va me marier avec lui, pour rendre durable la paix entre les deux royaumes.

– La marier!

– Ce prince ne m'a jamais vue, continua-t-elle, je ne le connais pas, comment pourrait-il y avoir de l'amitié entre nous? aussi ne s'agit-il pas d'amitié, mais de politique: je me dois au bien de l'État. Me plaindre serait indigne de ma noble origine, et de me voir triste, cela attristerait mes chers parents, qui semblent se réjouir de cette alliance.

J'étais atterré. Je restai immobile et muet pendant quelques instants; mais je ne pus me contenir, je me mis bientôt à trépigner en poussant des cris de détresse.

– Non, non, Iravata! s'écria-t-elle, ne te désole pas ainsi, tes plaintes semblent exprimer mon propre chagrin et je ne veux pas qu'il soit exprimé, je l'étouffe en moi-même, je refoule mes larmes; je veux être une fille vraiment royale, digne de la longue et double file d'aïeux, qui forme dans l'histoire une chaîne lumineuse, dont je suis le dernier anneau. D'ailleurs, on ne te séparera pas de moi, cela je ne l'accepterai jamais.

Ne pas me séparer d'elle quand déjà, libre encore, elle était si peu avec moi! Ah! pourquoi n'était-elle pas restée l'enfant sur laquelle je devais veiller?.. Être ensemble était alors un plaisir pour elle comme pour moi, tandis qu'à présent, je la sentais occupée de tant de choses qui ne me concernaient pas, distraite par tant de plaisirs où je n'étais pour rien! Quand elle serait mariée, elle aurait une cour à elle, tout un palais à organiser et à diriger, qu'est-ce que je deviendrais, moi? J'avais honte de gémir ainsi sur moi-même, et de ne pas penser à sa peine à elle; mais un sentiment nouveau, dont je n'étais pas maître, s'éveillait et grondait en moi, une fureur, une haine farouche contre cet homme inconnu qui allait me prendre ma petite princesse.

 

Elle me défendait d'exprimer mon désespoir et il m'étouffait; je n'avais pas une âme royale, moi; je ne devais rien à mes aïeux, je n'étais qu'une bête des forêts, amenée par la fréquentation des hommes à penser et à souffrir, mais je ne savais pas encore, comme eux, dissimuler mes sentiments; je souffrais, il me fallait crier, et puisque ma princesse ne le permettait pas, je m'enfuis tout à coup de sa présence, et j'allais, comme une bête blessée, me lamenter, sur la litière de mon étable.

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