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Mémoires d'un Éléphant blanc

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Chapitre X
GANÉÇA

Le soleil resplendissait maintenant, nous séchant de ses rayons. Nous étions sauvés, et cette joie-là emportait toutes les souffrances que nous avions endurées.

Le prince était descendu; debout devant moi, il me regardait avec reconnaissance.

– Sans toi me dit-il à l'heure qu'il est, ma tête roulerait dans le sang. Pendant notre fuite notre salut dépendait des minutes qui s'écoulaient, et, pour n'en pas distraire une seule, je ne t'ai remercié que dans mon cœur. Mais maintenant, solennellement, devant le soleil qui flamboie, je veux t'exprimer les sentiments que m'inspirent ton dévouement et ton héroïsme. O Iravata! sans toi, Saphir-du-Ciel, dans ses voiles de deuil, pleurerait ma mort; sans toi, je ne verrais pas l'enfant qui doit naître; mon nom serait obscurci par ma fin honteuse, mon royaume envahi et saccagé; tandis que moi vivant tout peut être réparé. Et c'est grâce à un être que les hommes croient inférieur à eux! Ah! la princesse de Siam a raison, c'est bien une âme royale et héroïque qui se cache sous ta rude enveloppe.

J'étais confus de tant d'éloges et je ne pouvais faire comprendre que, si j'avais une âme, c'était tout simplement une bonne âme d'éléphant, toute pleine d'affection pour celui qui m'avait le premier traité en ami.

Il me flattait doucement de la main, me regardait en souriant, d'un air attendri. Moi, par tous les moyens qui sont à notre portée: mouvements d'oreilles, trépignements sur place, longs reniflements, j'exprimai ma satisfaction.

– Je te jure, dit encore le prince, que tu seras toujours traité comme mon égal et considéré comme mon meilleur ami. Mais éloignons-nous encore; nos adversaires pourraient revenir en nombre, maintenant que mon évasion doit être connue de tous.

Nous descendîmes une côte assez raide, parallèle à la cataracte. Alors ce fut une belle plaine fertile dans laquelle la rivière, apaisée, peu profonde, coulait sur un lit de cailloux et de rochers. Je pus la passer à gué, à peu de distance de la cascade qui s'éparpillait en neige, et que le soleil emplissait d'étincelles et d'irisations.

C'était donc là le saut que nous avions manqué de faire! Il y avait de quoi frémir à le regarder, malgré toute la beauté dont la nature le paraît. Je cherchai des yeux le cavalier qui avait été broyé à cette place; mais il n'en restait plus trace.

Quand nous fûmes de l'autre côté, dans une prairie, couverte d'herbes fraîches et touffues, mon maître m'ordonna de manger.

– Voilà un bon repas pour toi, dit-il, dont il faut te hâter de profiter. Je regrette bien de ne pas pouvoir, comme toi, déjeuner de quelques touffes de verdure, car voilà longtemps que je n'ai rien pris.

Comment aurais-je pu manger quand lui souffrait de la faim! Je continuai d'avancer comme si je n'avais pas compris.

– Je t'entends bien, Iravata, dit le prince; tu veux te priver parce que je suis à jeun; mais il ne le faut pas; je sais quelles sont les exigences de ton vaste estomac; celui de l'homme est plus patient.

J'étais torturé surtout par la soif d'ailleurs, et je bus tout mon soûl dans la rivière.

– Mange; que ton estomac soit vide, cela ne remplira pas le mien.

J'arrachai par-ci par-là quelques brassées d'herbes, mais sans consentir à m'arrêter. Je cherchai des yeux si je n'apercevais pas quelques groupes de maisons, un village.

– Cela ne servirait à rien, dit Alemguir, qui me devina; on m'a dépouillé de tout, on ne m'a pas laissé un diamant, pas une roupie, et je ne suis pas encore assez dompté par le malheur pour consentir à mendier. Je n'ai réussi à sauver que mon sceau royal, l'idée m'étant venue, au moment où l'on me fit prisonnier, de retirer de mon doigt la bague qui le supporte, et de la mettre dans ma bouche. Je ne peux pas troquer ce cachet, qui servira à me faire reconnaître, contre de la nourriture; il faut donc patienter jusqu'à ce que nous rencontrions des êtres capables de comprendre la puissance de ma bague et qui me fournissent les moyens de regagner mes États.

Mon maître avait raison; il ne pouvait pas vendre sa bague.

Je pressai le pas pour sortir de cette insupportable prairie qui semblait être sans fin; mais j'avais beau avancer, les mêmes gazons frais et fleuris se déroulaient, avec, de loin en loin, quelques grands arbres, dont pas un ne portait de fruit, sans qu'aucun lieu habité n'apparût.

Le prince avait cueilli plusieurs larges feuilles, dont il s'était couvert la tête pour s'abriter des rayons brûlants de midi; il en avait posé aussi sur mon front sachant combien la chaleur nous est pénible.

Des cultures se montrèrent cependant, puis un bosquet de bambous géants, entre lesquels paraissait un édifice de pierre qui avait la forme d'une ruche.

– C'est une chapelle, dit Alemguir, ne manquons pas de rendre hommage au dieu qu'elle abrite et que nous trouvons sur notre route avant toute autre rencontre. Notre prière faite, il sera bon de se reposer à l'ombre du bosquet.

Quelle surprise, lorsque je fus devant l'ouverture de l'édicule sacré! le dieu de pierre, qui apparaissait au fond sous un dais de velours, était un homme avec une tête d'éléphant.

– Ganéça, le dieu de la Sagesse! s'écria le prince, le hasard seul ne m'a pas conduit là, devant celui à qui, plutôt qu'à tous, je dois rendre des actions de grâce!

Il s'était agenouillé au pied de l'autel et, à demi-voix, priait.

Pendant ce temps, ne pouvant pas entrer dans la chapelle étroite et peu profonde, j'examinai ce dieu singulier qui, sur un corps d'homme, portait une tête pareille à la mienne et appuyait le bout de sa trompe sur sa main droite. Je voyais le dessus de l'autel que mon maître prosterné ne pouvait apercevoir. Des offrandes toutes fraîches étaient déposées là, dans des plats et dans des corbeilles. O joie! il y avait des gâteaux, du beurre liquéfié, des fruits varies, plus que la nourriture d'un homme pendant trois jours.

Ma trompe atteignait l'autel. Dès que le prince eut achevé sa prière, je posai successivement plats et corbeilles devant lui.

– Les offrandes! s'écria-t-il; certes je n'aurais pas osé les prendre, malgré mon extrême besoin, mais, offertes par toi, je ne peux pas les refuser; il me semble que le dieu lui-même me les donne… Et peut-être es-tu Ganéça.

Je n'étais pas Ganéça, mais un éléphant très satisfait: mon maître mangeait, et dans ce joli bois où nous étions, toutes sortes de racines et de plantes à mon goût allaient pouvoir me rassasier. Nous ferions une petite sieste, pendant les heures chaudes, puis nous gagnerions un lieu habité, sans nul doute très proche, à en juger par ces offrandes toutes récentes et par les émanations que mon odorat très subtil percevait dans l'air.

C'était délicieux après ce que nous avions enduré, et si Ganéça nous avait aidés, vraiment, à sortir de tous ces mauvais pas, comme le prince paraissait le croire, je me sentais tout disposé à le remercier très dévotement et même à le prier tous les jours, car, s'il est possible qu'il y ait pour nous un dieu, Ganéça est bien certainement le dieu des éléphants.

Chapitre XI
ON NOUS PREND POUR DES VOLEURS

Nous étions à Beejapour depuis plusieurs mois, le prince Alemguir et moi, et beaucoup d'aventures nous étaient arrivées dans cette ville, la première rencontrée sur notre route à peu de distance de la chapelle de Ganéça.

Les maîtres actuels de l'Hindoustan, les Anglais, étaient en nombre à Beejapour où un gouverneur résidait. Nous étions donc la hors des atteintes du maharajah de Mysore, lui-même soumis aux conquérants anglais, et ne régnant qu'en leur payant un tribut; mais d'autres dangers nous menaçaient: mon maître, tout d'abord, fut pris pour un voleur!

En le voyant presque nu, hâve, dépouille de tout, les chevilles et les poignets gardant la meurtrissure de chaînes, on ne crut rien de ce qu'il affirmait. On le soupçonnait de s'être échappé d'une prison, et ce qu'on l'accusait d'avoir volé, c'était moi-même.

Alors on voulut me confisquer, me séparer de lui; mais quand on essaya de mettre la main sur moi, le cri de colère que je poussai fit fuir les agents de police et les badauds amassés, comme une volée de moincaux.

Les constables revinrent les premiers. Ils convinrent qu'il était possible que l'inconnu fût bien le propriétaire de l'éléphant, mais qu'il fallait venir s'expliquer devant le commissaire, qui jugerait.

Je couchai mon maître sur mes défenses comme j'avais fait une fois déjà pour le préserver des balles, et, le portant ainsi, au grand ébahissement de la foule, je suivis les agents.

Le commissaire, malgré l'évidence, nous fit subir plusieurs épreuves, pour s'assurer que le fugitif était bien mon possesseur; mais il conclut que cela ne l'empêchait pas d'être un personnage dangereux, un espion, un émissaire secret de quelques traîtres et qu'il fallait le garder en prison.

Alemguir ne cessait pas de demander à être conduit devant le gouverneur de Beejapour, avec lequel il s'expliquerait, mais le gouverneur était à la chasse, et les jours passaient sans amener son retour.

Le prince eût subi tous ces ennuis avec patience, si l'idée que Saphir-du-Ciel, ignorant tout de lui, devait mourir d'inquiétude, n'eût torturé son cœur. La retraite de l'armée avait dû lui apprendre la défaite et la captivité de son époux. Mais depuis, elle ne savait plus rien, elle pouvait le croire mort, ne pas vouloir lui survivre.

Il revint enfin, ce gouverneur, et tout de suite le prince comprit qu'il s'entendrait avec lui.

Sir Percy Murray était un homme maigre et long, à barbe blanche, avec des yeux bleus, gais et vifs, des manières affables et un air de bonté et de franchise.

Après qu'Alemguir lui eut dit qui il était, lui eut montré son sceau royal et conté ses revers et ses aventures, le gouverneur exprima tous ses regrets des ennuis que ses subalternes, par excès de zèle, lui avaient causé en son absence, et il invita le prince à venir habiter chez lui, à Jasmin-Cottage, aux environs de la ville.

 

Mon maître le suppliait de lui fournir les moyens de retourner à Golconde, où son absence pouvait causer de grands malheurs; mais sir Percy Murray, malgré toute sa courtoisie, ne pouvait, à ce qu'il affirmait, laisser un inconnu s'éloigner sans être assuré de son identité; il serait blâmé en haut lieu et risquerait d'être destitué, disait-il. Mais il pria le prince d'écrire à sa femme et de lui dire d'envoyer à Beejapour plusieurs notables personnages de Golconde et un témoin anglais, si cela était possible, pour venir reconnaître le prince, et, qu'aussitôt la preuve faite qu'il était bien celui qu'il disait être, on lui rendrait la liberté.

Pendant le voyage des envoyés, le gouvernement de Beejapour fit tous ses efforts pour rendre au prince la vie agréable. Son hospitalité était des plus cordiales, sa nombreuse famille, pleine de gaieté et d'entrain; on donna des fêtes champêtres, des soirées, des bals, et mon maître fut sinon distrait, du moins très intéressé par les mœurs, nouvelles pour lui, de la société anglaise.

Enfin, les messagers revinrent avec une lettre de Saphir-du-Ciel, et accompagnés de l'oncle du prince et de plusieurs amis, qui pleurèrent de joie en revoyant mon maître, sur lequel ils avaient pleuré de chagrin.

Alemguir, me traitant toujours en ami, vint me lire la lettre de la princesse et m'annoncer que nous partions le lendemain.

– S'il était possible de te faire voyager en chemin de fer, ajouta-t-il? nous arriverions le soir même; mais cela serait difficile et te déplairait peut-être.

Pourvu que ce ne fût pas sur mer, j'étais dispose à voyager de n'importe quelle façon. Je fis comprendre à mon maître que j'irais volontiers en chemin de fer, et cela fut décidé.

On m'installa dans un grand wagon découvert que l'on abrita sous une tente et que l'on tapissa d'une épaisse litière. Puis, à l'aide d'un plancher en pente douce, on m'y fit monter.

Il paraît que l'on n'avait jamais vu un éléphant prendre le chemin de fer, car il y eut beaucoup de badauds sur le quai de la gare, venus pour assister à mon embarquement.

Le prince me recommanda de me coucher, afin d'être moins secoué, et, après avoir fait ses adieux au gouverneur, qui l'avait accompagné avec plusieurs officiers anglais, il monta dans son compartiment et l'on ferma les portières.

Des coups de sifflet vibrèrent, et le train se mit en marche. N'ayant pas l'habitude d'aller en voiture, le mouvement me causa un peu de vertige; mais cela n'était rien à côte des abominables souvenirs de la traversée de Siam à Ceylan, et l'idée d'arriver avant la nuit me remplissait de joie. Aussi je pris mon mal en patience quand, augmentant de vitesse, le train nous emporta à toute vapeur vers Golconde.

Chapitre XII
PARVATI

Pendant notre absence, une petite princesse était née au palais de Golconde. Alemguir, tout joyeux, vint me la montrer dans les dentelles de ses langes.

Qu'elle était mignonne, jolie, fragile et toute pareille à une fleur! Sa petite main secouait un hochet d'or et elle avait autour du cou un rang de grosses perles qui semblaient des gouttes de lait figées.

On l'avait appelée Parvati, le nom d'une déesse.

Comme j'étais ému en la regardant! comme mon cœur battait! mais je ne savais exprimer ce que j'éprouvais qu'en me balançant gauchement d'un pied sur l'autre.

Saphir-du-Ciel avait failli mourir, aussi lui avait-on caché les revers de l'armée et la captivité du prince. Elle avait appris en même temps les dangers courus et la délivrance; l'espoir de revoir bientôt son époux avait hâté sa guérison.

Dès qu'elle sut la part que j'avais prise à l'évasion, elle vint solennellement me remercier. A ma grande confusion, elle s'agenouilla devant moi, me rendit hommage, comme on faisait à Siam. Puis elle déclara que, puisque mon pauvre mahout était mort à la bataille, je n'aurais plus que des serviteurs, m'étant montré d'intelligence trop supérieure pour avoir besoin d'être dirigé, et qu'elle entendait que je fusse laissé absolument libre dans le parc, les domaines et même dans la ville et la campagne, s'il me plaisait d'aller me promener seul.

Alors commença pour moi une vie charmante. Il me sembla qu'on m'avait élevé à la dignité d'être humain, et le sentiment de responsabilité que ce nouvel état m'inspira fit que je m'appliquai à ne jamais causer de désordre et à rester digne de la confiance que l'on me témoignait. Mais quel plaisir j'avais à gagner la campagne, puis la forêt, à courir librement sous les frondaisons, en écrasant les broussailles, en arrachant de jeunes arbres, comme autrefois, sans contraindre mes mouvements, ainsi que je devais le faire dans un milieu qui, le plus souvent, n'était pas à ma taille. J'usais là un peu de ma force perdue et cela m'apaisait et me délassait de la façon la plus agréable.

Mais, après quelques heures, je sentais combien la solitude d'autrefois me serait impossible à supporter, comme j'étais supérieur à moi-même et loin de la vie sauvage. Une inquiétude me prenait de mes maîtres, de mes amis plutôt; une peur d'être perdu, abandonné, de ne plus retrouver la route, je me hâtais alors vers la ville, calmé dès que j'apercevais les murs de Golconde, ses dômes couleur de neige, ses fins minarets dépassant les bouquets de palmiers.

Une fois les murs franchis, je flânais dans les rues, traversant les bazars où je savais que chacun s'empressait de m'offrir quelque friandise; puis je rentrais au palais et mon premier soin était de chercher la petite Parvati: je la trouvais au milieu de ses nourrices et de ses servantes, dans les bosquets de jasmins et de roses; alors je la contemplais de loin avec une admiration et un bonheur extraordinaires.

Je la vis ainsi lentement s'épanouir de jour en jour et de mois en mois; bientôt elle se roula sur la mousse fleurie, marcha comme un jeune animal, puis se mit debout, essaya ses premiers pas entre des bras tendus.

Chapitre XIII
MA PRINCESSE

Un jour – ce jour-là est un des points qui flamboient dans mes souvenirs – la petite princesse avait déjà plus d'un an, elle marchait et sautait on ne peut mieux. C'était à peu de distance d'un joli lac, bordé de lotus de toutes les couleurs; sur des tapis, à l'ombre des arbres, les gouvernantes jouaient aux échecs, tandis que Parvati, de fleur en fleur, poursuivait un magnifique papillon.

Je la suivais des yeux m'intéressant à sa chasse.

Les ailes brillantes lui échappaient toujours, fuyaient, se posaient plus loin; elle, se dépitait, s'acharnait à la poursuite, refaisait les mille zigzags que traçait le beau papillon rose et bleu, qui semblait une fleur envolée.

A mon idée, la petite princesse s'écartait trop, se rapprochait imprudemment des bords du lac. Comment ne la rappelait-on pas? Je jetai un regard sur les femmes. Deux d'entre elles jouaient aux échecs; toutes les autres, penchées vers l'échiquier, suivaient attentivement la partie, la discutaient avec volubilité; elles étaient complètement absorbées et aucune ne prenait garde à celle qu'elles étaient chargées de garder.

Tremblant de colère, j'allais courir à elles et renverser leur échiquier, quand je vis Parvati tout au bord de l'eau et qui continuait à avancer. Le papillon s'était posé sur un lotus.

J'étais immobilisé par l'angoisse, mais elle ne fut pas longue: la petite princesse était tombée sans un clapotement, sans qu'un cri eut attiré l'attention.

En trois bonds, je fus à la place où elle avait disparu, au milieu des nénuphars et des lotus. Je fouillai l'eau avec ma trompe, dans l'enchevêtrement des tiges.

Un nuage de boue monta du fond, obscurcit tout, et les quelques secondes qui s'écoulèrent me parurent longues, horriblement.

Toutes les femmes étaient accourues, poussant des cris assourdissants, tordant leurs bras, déchirant leurs vêtements! Il était bien temps, vraiment, et cela servait beaucoup! J'aurais voulu les jeter toutes dans le lac.

Enfin, je saisis la pauvre petite princesse, je l'enlevai, inanimée, comme morte, noire de vase et toute ruisselante.

Les gouvernantes voulaient me la reprendre, pour dissimuler leur faute, mais je voulais, moi, qu'elle fût connue, et, sans me soucier de leurs clameurs, je me mis à courir vers le palais.

C'était jour de réception; Saphir-du-Ciel était dans la grande salle du trône avec des dames de sa suite et les courtisans. J'entrai sans hésitation, interrompant les conversations et les danses des bayadères, j'allai droit à la reine et je posai sur ses genoux l'enfant toute souillée de boue sans souffle et sans mouvement.

Saphir-du-Ciel ne comprit pas tout de suite ce qui arrivait et voulut repousser ce paquet noir qui dégouttait sur sa robe; mais elle reconnut Parvati.

– Ma fille! criait-elle, et dans quel état! morte peut-être!

Un médecin qui était présent, s'avança.

– Rassurez-vous, Madame, dit-il, ce n'est rien; une syncope.

Il prit l'enfant, arracha les vêtements mouillés, donna des ordres; tout le monde s'empressa pour secourir la petite princesse.

Les gouvernantes, tout effarées, étaient entrées derrière moi. Elles expliquaient l'événement, toutes à la fois, avec des protestations, des serments, des pleurs. C'était incompréhensible.

– Taisez-vous, dit la reine; ne répondez qu'à mes questions!

Et elle interrogea une des femmes.

– La princesse Parvati est tombée dans le lac, répondit-elle en sanglotant.

Une négresse ajouta:

– C'est l'éléphant blanc qui l'y a jetée.

Mais elle reçut aussitôt de moi un tel coup de trompe au bas des reins qu'elle tomba par terre, muette pour longtemps.

– Celle-là a menti, dit Saphir-du-Ciel. Que toutes les femmes soient emprisonnées! Nous saurons bientôt la vérité. Pour l'instant je ne veux m'occuper que de ma fille.

Malgré leurs larmes et leurs supplications, les femmes eurent les bras liés avec des cordes de soie et on les entraîna, tandis qu'on emportait la négresse sur un brancard.

Parvati, ranimée, baignée, enveloppée dans un voile de gaze d'or, fut remise par le médecin sur les genoux de la reine.

La mignonne semblait toute surprise d'être là, ne se souvenant de rien; elle regardait les assistants, qui tous lui souriaient, en élargissant ses beaux yeux, sous le rayonnement de ses longs cils noirs. Puis, intimidée, elle jeta ses bras autour du cou de sa mère et cacha son visage en regardant en dessous.

Elle n'était pas morte, pas même malade!

Quelle joie! Je me dandinais bêtement, remuant mes oreilles, n'ayant pas d'autres moyens d'exprimer mon contentement.

– Iravata, dit la reine, en me caressant le front de sa douce main, nous saurons ce qui s'est passé, et tu nous aideras à le découvrir. Jamais je ne douterai de toi et ne croirai que tu as commis une mauvaise action. Peut-être aurai-je encore à te remercier! peut-être te dois-je la vie de mon enfant, comme je te dois déjà celle de mon époux!

C'était vrai, cela; sans moi elle eût été perdue, notre fleur chérie! Si par malheur j'avais été, à ce moment-là, loin du palais, à gambader dans la forêt, ou au bain, ou occupé à manger, ou simplement distrait et regardant ailleurs, c'est une petite morte qu'on eût retirée de l'eau. Je frissonnai à une pareille idée, et je me promis de ne plus la perdre de vue, de renoncer pour cela à mes vagabondages hors de la ville.

La rumeur du palais avait attiré l'attention du roi, et on n'avait pas pu lui cacher l'accident arrivé à la princesse. Il accourut, tout ému; mais Parvati s'élança vers lui en riant, tout à fait remise et s'amusant de ce grand voile d'or, qu'une princesse avait prêté et qui traînait derrière elle en faisant du bruit.

Après avoir embrassé tendrement sa fille, Alemguir demanda des détails sur l'événement, et comme on ne put lui en fournir, il ordonna que l'enquête eût lieu tout de suite.

– Iravata, me dit-il, conduis-nous à l'endroit où le malheur a eu lieu.

J'obéis à l'instant. Le roi, qui portait Parvati, la reine et tous les assistants me suivirent extrêmement intéressés.

Arrivé au bord du lac, je montrai au roi l'échiquier, encore chargé des pièces de la partie interrompue. Mais on ne put comprendre quel rapport il y avait entre cet échiquier et la chute de la princesse dans le lac. On examina avec émotion la place où elle était tombée, les lotus brisés, le gazon piétiné par moi. Mais cela n'expliquait rien. Quel était le coupable? Qui fallait-il punir?

Les femmes furent amenées et on les interrogea. Mais elles continuèrent à mentir, répondant confusément, m'accusant toujours.

 

– Il a passé comme un ouragan, nous faisant grand'peur; la princesse était devant lui, il l'a poussée dans l'eau.

– Et ensuite, demanda le roi, qui l'a retirée du lac?

– C'est nous, c'est nous, dirent-elles, mais l'éléphant nous l'a arrachée et s'est enfui en l'emportant.

Le prince me regarda. Je lui fis signe que ce n'était pas cela.

– Qu'on les fouette, cria-t-il, jusqu'à ce qu'elles avouent la vérité.

Ce fut alors un concert de hurlements, qui redoubla d'acuité quand des esclaves parurent, armés de doubles lanières de cuir.

Le roi fit un signe. Les esclaves empoignèrent chacun une femme, la jetèrent à genoux et leur cinglèrent les reins d'un coup de lanières. Ce fut assez pour leur délier la langue; c'était à qui parlerait, raconterait l'histoire, la vraie.

– J'écoute, dit le roi, et il désigna celle qui devait parler.

– Faites-nous grâce, ô roi très magnanime! dit-elle; nous sommes coupables. Voilà ce qui s'est passé: Ananta jouait avec Zobeïde une partie d'échecs, et le jeu se présentait d'une façon très extraordinaire. Toutes nous regardions du coin de l'œil, intéressées malgré nous, tout en surveillant la chère princesse qui cueillait des fleurs et nous les apportait. Malheureusement, nous engageâmes des paris et, au moment décisif, notre attention fut un moment tout entière captivée par la marche des pièces. Monseigneur l'éléphant blanc était là depuis longtemps, regardant par-dessus les buissons. Tout à coup, avec un grondement affreux, il s'élança, brisant les branches, écrasant les fleurs, et se précipita vers le lac, d'où, après quelques instants de recherche, il retira la princesse.

Le roi s'approcha de moi, les yeux pleins de larmes.

– Tu es vraiment notre bon génie, ô Iravata! dit-il; après m'avoir sauvé d'une mort honteuse, voilà que tu me rends ma fille! Certes il n'est pas un homme au monde à qui je sois redevable d'une gratitude pareille à celle que je te dois. Que ces misérables femmes soient chassées et exilées, ajouta-t-il. Voilà bien la punition, mais comment récompenser dignement le sauveur?

J'aurais voulu pouvoir parler, afin de dire que nulle récompense ne vaudrait pour moi le bonheur de les voir vivants et de vivre près d'eux. Saphir-du-Ciel pleurait à chaudes larmes, agenouillée devant ce gouffre d'eau qui aurait pu ne pas lui rendre son enfant. Tout à coup elle se releva, prit Parvati sous les bras et la tendit vers moi.

– O toi, mon aïeul inconnu! s'écria-t-elle, toi, qui si manifestement nous protèges, accepte la garde de ma fille; je te la confie, que toi seul veilles sur elle, et jamais alors l'angoisse ni l'inquiétude ne mordront mon cœur.

A moi la princesse Parvati! à moi la délicieuse fleur humaine que j'aimais par-dessus tout! C'était moi qui devais la garder, veiller sur elle, être près d'elle toujours! Cela m'emplit d'un si grand enthousiasme que je lançai un coup de trompette tellement formidable que tous les assistants frissonnèrent.

Je m'arrêtai court, penaud et inquiet. J'avais peut-être effrayé aussi ma bien-aimée qui ne voudrait pas de moi pour gardien. Il n'en était rien, au contraire; elle riait aux éclats en frappant l'une contre l'autre ses petites mains, et criait:

– Encore! encore!

Si bien que je recommençai la fanfare, mais on l'adoucissant un peu.

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