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Le collier des jours

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XLVII

Il y avait au couvent, une superbe novice, pleine de vie, de joie et de santé et dont la vocation religieuse prenait une exubérance passionnée, qui m'emplissait de surprise.

Grande, forte, les yeux lumineux, les joues colorées d'un sang riche, les lèvres charnues et rouges elle semblait faite, plus qu'aucune autre, pour la vie normale et tous les bonheurs naturels; c'était le contraire d'une nonne, et l'idée qu'elle allait, sans y être forcée par rien, se murer dans cette tombe, me causait un très vif chagrin.

Toutes les fois que je pouvais la joindre, j'entreprenais de combattre sa résolution, par des discours véhéments. Elle discutait volontiers, en riant de toutes ses dents éclatantes, en repoussant, sous le bandeau, ses beaux cheveux noirs, qui débordaient toujours, malgré elle. Je la suppliais, quand j'étais à bout d'arguments, je la menaçais des regrets terribles qui lui viendraient plus tard, alors qu'il ne serait plus temps. Les autres n'étaient pas entrées aussi jeunes, et puis les laides, ça ne faisait rien, le monde aurait été sans doute méchant pour elles, tandis qu'une belle comme elle, c'était un crime.

Elle riait, sûre de son bonheur, fière de se donner à Dieu, sans avoir eu ni déceptions ni tristesses, et à mesure que le jour de sa prise d'habit approchait, sa joie rayonnait de plus en plus.

J'assistai, sans en rien perdre, à cette cérémonie, à ce cruel spectacle, dont tous les détails se sont gravés dans mon souvenir, assez nettement pour qu'il me fût facile, bien des années plus tard, de donner à mon père, lorsqu'il composa son roman de Spirite, tous les renseignements qui lui étaient nécessaires pour la prise de voile de son héroïne.

Il voulut d'ailleurs choisir ce couvent, où j'avais vécu, loin de lui, et un peu contre sa volonté, pour y enfermer la jeune fille déçue par l'amour, de son œuvre; il en donna même, d'après mes indications, une description assez développée, dans le livre.

On se souvient de cette page que Spirite dicte à Guy de Malivert:

«Le couvent des sœurs de la Miséricorde n'est pas un de ces cloîtres romantiques comme les mondains en imagineraient pour abriter un désespoir d'amour. Point d'arcades en ogive, de colonnettes festonnées de lierre, de rayon de lune pénétrant par le trèfle d'une rosace brisée et jetant sa lueur sur l'inscription d'une tombe. Point de chapelle aux vitraux diaprés, aux piliers fuselés, aux clefs de voûtes découpées à jour, excellent motif de décoration ou de diorama. La religiosité que cherche à soutenir le christianisme par son côté pittoresque et poétique n'y trouverait aucun thème à descriptions dans le genre de Chateaubriand. La bâtisse en est moderne et n'offre pas le moindre recoin obscur pour loger une légende. Rien n'y amuse les yeux; aucun ornement, aucune fantaisie d'art, ni peinture, ni sculpture; ce ne sont que lignes sèches et rigides. Une clarté blanche illumine comme un jour d'hiver la pâleur des longs couloirs, aux parois coupées par les portes symétriques des cellules, et glace d'une lumière frisante les planchers luisants. Partout règne une sévérité morne, insouciante du beau et ne songeant pas à revêtir l'idée d'une forme. Cette architecture maussade a l'avantage de ne pas distraire les âmes qui doivent être abîmées en Dieu. Aux fenêtres, placées haut, des barreaux de fer se croisent serrés, et par leurs noirs quadrilles ne laissent du dehors entrevoir que le ciel bleu ou gris. On est là au milieu d'une forteresse élevée contre les embûches du monde. La solidité de la clôture suffit. La beauté serait superflue.

«Elle même, la chapelle ne se livre qu'à moitié aux dévotions des fidèles extérieurs. Une grande grille montant du sol à la voûte et garnie d'épais rideaux s'interpose comme la herse d'une place de guerre entre l'église et le chœur réservé aux religieuses. Des stalles de bois aux sobres moulures et lustrées par le frottement, le garnissent de chaque côté. Au fond, vers le milieu, sont placés trois sièges pour la supérieure et ses deux assistantes. C'est là que les sœurs viennent entendre l'office divin, le voile baissé et traînant leur longue robe noire sur laquelle se dessine une large bande d'étoffe blanche semblable à la croix d'un drap funèbre dont on aurait retranché les bras. De la tribune à treillis où se tiennent les novices, je les regardais saluer la supérieure et l'autel, s'agenouiller, se prosterner, s'engloutir dans leurs stalles changées en prie-Dieu. A l'élévation, le rideau s'entr'ouvre à demi et permet d'entrevoir le prêtre consommant le saint sacrifice à l'autel placé en face du chœur.»

Et plus loin, lorsque Spirite prononce ses vœux, tous les détails qu'il donne sont ceux-là mêmes qui m'avaient si vivement impressionnée à la prise d'habit de la sœur Sainte-Barbe.

J'y assistai de la sacristie, située au fond du chœur à droite et je ne sais pas pour quelle raison je jouissais de cette faveur unique; peut-être la récipiendaire, à qui on ne refuse rien ce jour-là, avait-elle voulu que sa petite amie fût tout près d'elle, et pût se convaincre que, devant l'épreuve suprême, l'enthousiasme de la nouvelle élue ne fléchissait pas.

Je la vis revêtir le costume somptueux et un peu théâtral, dans lequel elle devait abjurer les vanités du monde. On ouvrit l'écrin où dormait le collier de fausses perles; on posa, au-dessus du voile pailleté d'or une couronne fleuronnée de pierres rouges et vertes, et au bruissement de sa longue robe de brocard pourpre, elle fit son entrée dans le chœur, où toute la communauté était rangée, debout devant les stalles.

Au milieu d'un tapis, des coussins de soie et un prie-Dieu de velours étaient disposés pour elle; d'un pas solennel, entre deux assistantes, elle s'y rendit, accompagnée des grondements de l'orgue, s'agenouilla, toute rayonnante dans ses atours, et écouta l'office.

Quand le moment fut venu, elle prononça d'une voix ferme et sonore les paroles qui la liaient à jamais. Elle arracha avec violence le collier de perles, repoussa les coussins, jeta loin d'elle la couronne et cria presque: «Je renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres.»

On la ramena dans la sacristie, pour la dépouiller de sa toilette mondaine, ses lourds cheveux noirs roulèrent jusqu'à ses reins et j'aperçus, dans les mains d'une sœur, de grands ciseaux luisants, qui disparurent, en grinçant, sous les mèches épaisses. Quand je compris qu'on allait couper ces beaux cheveux, je me mis à crier et à pleurer, et je me jetai sur la sœur pour l'empêcher de continuer. Une autre me retint. Les éclats de l'orgue et des chants liturgiques couvrirent ma voix.

Je fus frappée de l'expression extatique de la victime: ses prunelles disparaissaient presque des globes bleuâtres de ses yeux levés, un sourire ravi laissait voir ses dents, entre ses lèvres qui chuchotaient des prières, tandis que, maladroitement, on massacrait sa chevelure, qui s'envolait autour d'elle sous la morsure des ciseaux et tombait, légèrement, comme des plumes, à mesure que sa tête se hérissait et devenait ressemblante à une tête de garçon. Tout disparut sous le serre-tête et le bandeau blanc, qui eurent peine à contenir cet ébouriffement rebelle.

On lui fit endosser la robe de bure et l'étole blanche; puis on la reconduisit dans le chœur, où elle se prosterna, la face contre terre; on jeta alors sur elle un drap funèbre qui la recouvrit complètement et on chanta l'office des morts, sur celle qui était morte au monde.

Mais j'étais trop bouleversée par la scène de la sacristie, je ne voulus pas regarder jusqu'à la fin; je m'en allai toute seule, dans le préau, où les chants lugubres m'arrivaient encore. J'étais consternée et révoltée; fâchée aussi contre cette sœur Sainte-Barbe, qui me paraissait folle, car je cherchais en vain à comprendre pourquoi elle avait dû laisser détruire une parure naturelle, et devenir laide, de belle qu'elle était, pour plaire à Celui qu'elle disait être son créateur.

XLVIII

Pendant les grandes vacances, je me retrouvais à Montrouge, où rien n'était changé; mais il me fallait quelque temps pour me reprendre; il me semblait que moi, je n'étais plus la même. Je ne perdais pas tout de suite l'habitude de la contrainte, du silence, des longues heures d'immobilité. Catherine me manquait; nous étions si bien accoutumées à nous serrer l'une contre l'autre, à nous comprendre à demi-mot, à être toujours deux contre les attaques. Nini Rigolet me paraissait vulgaire, et j'en voulais à la vieille Catherine, celle qui me conduisait jadis chez Mlle Lavenue, de porter le même nom que mon amie.

On était surpris de me voir si taciturne, dans ce milieu triste, où on attendait ma venue pour retrouver un peu de gaîté!

– Tu ne fais donc plus ton sabbat? demandaient les tantes.

– Hé! hé! disait le grand-père, les nonnes sont venues à bout de la diablesse; il n'est plus question de Chabraque, et l'Ouragan se calme.

– Elles l'ont rendue sournoise, disait tante Zoé.

Et tante Lili approuvait de la tête.

Mais cela ne durait pas. J'allais revoir tous les coins familiers, toutes les figures connues; je m'essayais à regrimper dans le catalpa, dans les abricotiers des vergers, je risquais quelques galopades à travers la prairie, et, bientôt comme un drapeau longtemps roulé qui se défripe, je recommençais à flotter gaîment, à faire fête à l'air libre.

Je revis le bon curé de Montrouge, qui avait une communication à me faire. Après de patientes recherches, il avait fini par découvrir une «Sainte Judith». Cela le taquinait de me voir porter un nom, qui n'avait pas de date dans le calendrier; depuis longtemps, il fouillait le Martyrologe et il était très fier d'avoir retrouvé cette sainte Judith, vierge et martyre, dont la fête tombe le 5 mai. Il avait même fait la trouvaille d'une petite image, bordée de dentelle, qui la représentait. Il la conservait entre les feuillets de son bréviaire et me la donna. Bien des années je l'ai gardée, à cause de lui, dévotement.

 

Quelques nouvelles connaissances fréquentaient la maison de la route de Châtillon, entre autres une vieille demoiselle, qui venait on ne sait d'où, mais me parut, à moi, venir du fond du passé.

Elle s'appelait Mlle du Médic – je crus entendre d'abord du Midi. – Surannée et solennelle, tout en elle était d'ailleurs et d'autrefois. Maigre, grande, d'une suprême distinction, les cheveux du même blanc que son teint, et soigneusement disposés en bouclettes, sous un chapeau d'une forme inusitée; toujours vêtue d'une robe claire, avec un mantelet de soie changeante, bordé de dentelle, ses longues mains voilées de mitaines en filet blanc. Elle embaumait la frangipane et marchait d'un pas cadencé et pompeux, comme si elle eût fait son entrée à la Cour. Sa levrette Flox, avait l'air d'être en porcelaine; timide et maniérée, elle retirait ses pattes, aussitôt posées, comme si le parquet l'eût brûlée.

Après des politesses chuchotées et des ébauches de révérences, Mlle du Médic s'asseyait et ouvrait un joli sac garni d'acier, pour y prendre son ouvrage; elle faisait du filet et parlait d'une voix mystérieuse, tandis que courait sa navette d'ivoire.

Je ne me lassais pas de la regarder et de l'écouter et j'entrevoyais, à propos d'elle, d'imprécises histoires, que j'aurais voulu mieux connaître.

Ce besoin de découvrir le passé et l'attrait qu'il exerçait sur mon imagination, s'affirmait de plus en plus. Tout ce qui était ancien m'attirait et me retenait des heures en contemplation. Je voulais maintenant des histoires très vieilles; je questionnais sur les origines de ma famille.

Mais les renseignements que j'obtenais étaient très décousus. Les tantes ne parlaient que par lambeaux de phrases, par sous-entendus énigmatiques, et leurs narrations manquaient d'ordre.

Avignon était le pays d'origine, là, où la bonne tante Mion était seule, aujourd'hui, à représenter la famille des Gautier d'Avençon, qui avaient tenu jadis une place importante. Grand-père parlait des papes et du palais formidable, toujours debout; du poète Pétrarque et des délicieux souvenirs de ses promenades sentimentales à la fontaine de Vaucluse.

La fontaine de Vaucluse! je la connaissais, je la savais même par cœur, et elle m'avait fait bien souvent rêver. Je la contemplais tous les soirs, avant de m'endormir, et tous les matins en m'éveillant, car, dans la chambre des tantes, une belle gravure encadrée la représentait. Au milieu d'un paysage nébuleux, on voyait, d'une vasque pareille à une coupe géante, l'eau ruisseler en débordant; un jeune homme et une jeune fille accouraient pleins d'impatience et tendaient leurs lèvres avidement; des petits anges voltigeaient au-dessus de la coupe et semblaient les inviter à boire. Je ne tarissais pas de questions sur cette fontaine; sur ces deux personnages si jolis, qui avaient l'air si altérés et si heureux. «Est-ce que Vaucluse était loin de chez la tante Mion? – Est-ce qu'elle avait bu de cette eau? – Fallait-il être habillé comme cela, avec une tunique courte et les jambes nues? – Quand me conduirait-on à cette fontaine?» Et en m'endormant, j'entendais longtemps le murmure de l'eau.

Ce n'est que bien longtemps plus tard que j'ai découvert que l'on m'avait trompée, que ce tableau ne représentait pas la fontaine de Vaucluse, mais la Fontaine d'Amour, chose impossible à révéler à une petite fille!.. Je n'ai jamais pu séparer de ce souvenir, le chef d'œuvre de Fragonard; j'ai beau savoir, maintenant, la vérité, il reste toujours pour moi, la fontaine de Vaucluse.

Tante Zoé me dit un jour, tandis que l'aïeul somnolait dans son fauteuil:

– Tel que tu le vois, ton grand-père est un héros.

– Un héros?.. Qu'est-ce qu'il a fait?

– Pendant la Révolution…

– Laisse-la donc tranquille! s'écria le grand-père, en s'éveillant, est-ce qu'elle sait ce que c'est que la Révolution? Elle n'en est encore qu'aux rois fainéants.

– Si, si, je veux savoir ce qu'a fait grand-père!..

– Pendant la Révolution, reprit tante Zoé… la Révolution c'est des bandits qui coupaient la tête à tout le monde…

– Surtout aux nobles et aux prêtres, ajouta tante Lili.

– Sans compter les rois et les reines … enfin tu sauras cela plus tard … ton grand-père qui était ami des nobles et noble lui-même, fut arrêté pour cela, et enfermé, avec beaucoup d'autres, dans une prison d'Avignon, où ils attendaient tous qu'on vienne les chercher pour leur couper le cou. Il y avait des prêtres et beaucoup des plus importants châtelains du pays. Papa, qui était alors un tout jeune homme, eut l'idée de sauver ses compagnons et de se sauver lui-même. Mais ça n'était pas facile. Après avoir beaucoup cherché, il trouva un moyen bizarre … et pas très propre…

Tante Lili ferma ses tout petits yeux et tortilla sa bouche, trop grande, en un rire.

– Ça valait mieux que la guillotine, dit-elle.

– Enfin, conclut tante Zoé, après un travail terrible, pour leur frayer un chemin, il les fit évader … par les commodités … et ne sortit lui-même, que lorsque tous les prisonniers furent dehors. Ils se cachèrent si bien, qu'on ne put les reprendre, et personne n'eut le cou coupé.

– C'est vrai, grand-père, tu as fait cela?

– Ma foi, il y a si longtemps qu'il ne me semble plus que c'est à moi que c'est arrivé. Pourtant je revois toujours la scène, comme si j'y étais. Il y eut surtout un certain abbé, corpulent et peu agile, qui ne pouvait passer. On le tirait par les pieds … il manqua de faire tout échouer … plutôt que d'en abandonner un seul, aucun ne serait parti … on n'oublie pas un pareil quart d'heure.

– On t'a donné la croix, au moins pour cela? demandai-je.

– Ah bien oui! tu ne connais pas le pèlerin, s'écria tante Zoé, quand les Bourbons sont revenus, il a refusé toutes les faveurs.

– Cela lui suffisait d'avoir été un héros, dit tante Lili, il a bien fait.

– Allons, assez! grogna le grand-père qui avait une quinte de toux, le héros est à présent un vieux catarrheux. Passe-moi ma boîte de pâte pectorale.

XLIX

Plus réfléchie, moins enragée de gaminage, je restais maintenant plus volontiers à la maison, j'étais même capable de m'immobiliser en compagnie d'un livre. La bibliothèque du grand-père était toujours fermée à clef et il ne m'était permis que de regarder, à travers la vitre, les rangées de dos et les titres. Hors de cette citadelle impénétrable, quelques volumes traînaient sur des guéridons, comme objets d'ornement, à cause de leurs reliures et des gravures qui les illustraient. On me permettait de regarder les images, sans me défendre de lire le texte, pensant bien qu'il était trop fort pour moi et que je n'en lirais pas long. L'un de ces livres, à couverture violette gaufrée d'or, était le Werther de Gœthe, illustré par Tony Johannot.

Charlotte, distribuant des tartines, auprès d'un clavecin, à de jolis enfants qui semblaient vouloir la prendre d'assaut, fut naturellement la scène reproduite qui m'intrigua le plus; je cherchais le passage qui l'expliquait, mais ce n'était pas bien clair et je dus lire beaucoup tout autour.

Une autre image, dont la légende était: «Elle posa sa main sur la mienne et dit: O Klopstock!» resta pour moi impénétrable. Le coup de pistolet m'inquiétait beaucoup et j'aurais bien voulu savoir; je n'avais cependant pas le courage de lire toute l'histoire, vraiment bien compacte et ténébreuse. Je lisais d'un bout à l'autre, par exemple, les Contes de Charles Nodier, illustrés par le même artiste, et l'un d'eux surtout, peut-être parce qu'il se passe dans un couvent, me fit une impression très vive. C'est celui intitulé La Sacristine: une sœur, si pieuse, que la Vierge lui a accordé cette faveur miraculeuse: guérir les malades en les touchant. Un blessé, sauvé par elle ainsi, s'éprend de la jeune religieuse et la séduit, il veut l'enlever, et en pleurant, elle abandonne l'autel de la Vierge, qu'elle a toujours desservi avec tant de dévotion, se dérobe à ses malades, s'enfuit du couvent. Un an après, délaissée et repentante, elle revient, et elle croit rêver, en se voyant elle-même occupée à parer la chapelle. Personne ne connaît sa faute, personne ne sait qu'elle a fui; pendant son absence, la Vierge a tenu sa place et fait son office; maintenant, toute lumineuse, elle remonte sur l'autel, et reprend son geste, qui bénit et pardonne. Ce délicieux conte, que Nodier avait pris dans la légende dorée, m'était resté si net dans la mémoire, que sans jamais l'avoir relu, j'ai pu, il y a quelques années, le prendre pour thème d'un livret d'opéra…

Cependant le livre sur lequel je m'acharnais le plus était le vieux poème, en d'innombrables vers, de Guillaume de Loris: Le Roman de la Rose. On voulait toujours me le reprendre.

– Laisse cela, disait tante Lili, c'est un livre infâme, pas du tout pour les petites filles.

– Qu'est-ce que tu veux qu'elle y comprenne? reprenait tante Zoé, c'est comme si elle lisait du turc, ça la fait tenir tranquille, et puisqu'il n'y a pas d'images…

Ces propos me donnaient encore plus envie de déchiffrer le grimoire. J'y prenais une peine incroyable et, à travers le vieux français, il me semblait m'enfoncer dans des broussailles inextricables. Je ne reculais pas pourtant, le mystère dont l'histoire restait enveloppée la rendait plus attrayante, et je finissais par en saisir le fil: Dame Oyseuse et le château de Déduyt, où elle introduit un jeune pèlerin, qui est reçu par Bel-Accueil et par Doux-Regard. Le parterre de roses, défendu par une haie piquante, vers lequel le jeune homme s'élance pour cueillir un frais bouton; mais l'audacieux reçoit une flèche, décochée par l'Amour, et tombe sans avoir pu saisir la fleur. Il est contraint de donner son cœur en gage, à l'Amour, qui l'enferme dans un coffre, à triple tour de clef. Ah! je ne comprenais pas! Je grillais d'envie d'aller redire le conte aux tantes incrédules, mais je jugeais plus malin de me taire et de faire la bête, afin qu'on ne me reprît pas le livre.

L

– Sans t'en douter, tu es une ingrate, car tu dois la vie à une prise de tabac…

C'est tante Zoé qui me fait cette bizarre déclaration, tandis que je me débats, parce que je ne veux pas qu'elle m'embrasse. Elle a pris la mauvaise habitude de priser et j'ai déjà reçu du tabac dans les yeux, ça fait trop mal.

– C'est comme je te le dis … demande à ta tante.

Lili, qui n'a pas compris tout de suite, pouffe silencieusement et reprend sa couture.

– Tu vas voir si ce n'est pas la vérité. Ton père, il avait alors une douzaine d'années, fut très malade, quelque chose de terrible, comme le croup. Maman était aux cent coups et fit venir les meilleurs médecins, qui y perdirent leur latin; l'enfant étouffait, on le crut mort et même on lui jeta le drap sur la tête. Heureusement, une vieille dame de la maison, qui prisait comme moi, voulut le voir et puisque tout était perdu, essayer d'un remède à elle. Ouvrant sa tabatière, elle lui bourra le nez de tabac. Après un instant, voilà que celui que l'on croyait mort, fait un mouvement, puis se met à éternuer, à tousser, en inondant son lit de sang et d'humeur… Il était sauvé… C'est la vérité pure … demande à ton grand-père. Tu vois bien que sans le tabac, tu ne serais pas là, à me regarder, d'un air ébahi, avec tes yeux jaunes, et que tu dois la vie à une prise…

Et, ayant dit, elle renifla, de ses larges narines, une pincée de poudre noire.

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