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Le collier des jours

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LXV

Une jeune Espagnole, finement jolie, accompagnée, elle aussi, d'une mère qui faisait penser à «la vieille Maugrabine»; de Gastibelza, vint solliciter «l'éminent critique». La gracieuse enfant s'imaginait faire de la peinture. D'un pinceau, qui semblait trempé dans du miel, elle léchait, en effet, de petites toiles, qui le plus souvent la représentaient elle-même, bien enlaidie… A cause de ses beaux yeux andalous et de sa passion sincère pour la peinture, mon père recommanda, le mieux qu'il put, la jeune artiste, et, très reconnaissante, la vieille Maugrabine, apporta un jour, dans un petit panier, un angora blanc, tout bébé, qui lui était né d'une noble chatte…

On baptisa le nouveau venu: Don Pierrot de Navarre, et ce fut un chat très aimé.

Il n'y avait alors à la maison aucun animal, sauf des oiseaux dans une grande volière, qu'une amie, s'expatriant, avait donnée à garder à ma mère et ne reprenait plus. Don Pierrot est le premier chat que j'aie connu chez mon père.

Tous les solliciteurs n'étaient cependant pas accueillis aussi cordialement que ces aimables Espagnoles, surtout quand ils s'avisaient de vouloir offrir un don, pour acheter la faveur…

Un jour, nous entendîmes des rugissements dans le salon, où mon père recevait un inconnu; puis le monsieur, reconduit à coups de pieds, traversa comme une flèche l'antichambre et, poursuivi jusque sur le palier, dégringola l'escalier la tête la première.

Mon père était blême et tremblant de fureur: il continuait à couvrir d'injures véhémentes «le misérable, qui avait osé lui offrir une somme énorme, pour louer je ne sais quoi d'idiot!..»

Dans sa colère, d'un mouvement nerveux, il avait descellé la tablette de marbre de la cheminée, avec l'idée de la jeter à la tête de cet imbécile; la pendule et les bibelots précieux l'avaient échappé belle! Le monsieur aussi!..

Se défendre des importuns et des solliciteurs était la grande affaire et c'était extrêmement difficile. Cet appartement, situé d'une façon si centrale, s'offrait naturellement aux visiteurs et toutes les personnalités du jour y venaient journellement saluer mon père, qui, à cause de cela n'osait pas consigner sa porte, craignant de voir un ami éconduit par la maladresse du concierge.

Je ne me souviens pas d'avoir vu Gérard de Nerval, mais j'ai bien souvent entendu parler de lui. Il avait été le camarade de collège de mon père et c'est certainement l'ami qu'il a aimé avec le plus de tendresse. Jamais, il ne cessa de regretter «ce pur et charmant écrivain, qui, à l'esprit le plus ingénieux, au caprice le plus tendre, joignait une forme sobre, délicate et parfaite,» celui à qui Gœthe écrivait, après la traduction de Faust en français, que Gérard publia à l'âge de dix-huit ans: «Je ne me suis jamais si bien compris qu'en vous lisant.» Le chagrin causé par sa mort tragique ne s'effaçait pas; mon père et ma mère en parlaient souvent entre eux, avec de vagues idées d'enquête et de représailles, car ils n'avaient jamais cru au suicide. N'ayant pas de preuves suffisantes, mon père n'osait pas écrire ce qu'il pensait, mais il le disait; d'après lui, Gérard de Nerval n'avait matériellement pas pu se pendre là où il était accroché; on l'avait assassiné, pour lui voler le prix d'un travail, qu'il avait touché la veille.

Paul de Saint-Victor, qui venait souvent, était un des mieux accueillis. Il se proclamait le disciple de mon père et ils avaient, entre eux, une similitude extraordinaire de goûts et d'opinions artistiques; une parenté d'esprit très singulière, qui leur créa même, à propos du feuilleton du lundi, qu'ils faisaient tous deux dans des journaux différents, de bien curieux embarras. Ils évitaient, cependant, de se faire part de leurs impressions, quand ils se rencontraient au théâtre. Ils causaient de littérature ou discutaient des questions d'art, mais ne soufflaient mot de la pièce qu'on représentait: Ils savaient bien que, même sans se rien dire, ils ne seraient que trop du même avis. Plusieurs fois, en effet, il leur était arrivé, sans qu'il fût possible de soupçonner l'un ou l'autre de plagiat, les articles paraissant à la même heure, d'avoir écrit des pages presque identiques. Mon père racontait que, maintes fois, en commençant son feuilleton, il avait biffé ce qu'il venait d'écrire, pour prendre un autre point de départ, se disant: «Saint-Victor va commencer comme cela» et il était rare qu'il ne trouvât pas exprimée, dans les premières lignes de l'article de son confrère, l'idée qui s'était d'abord présentée à lui.

Quelquefois, c'était plus étrange encore. Tandis que mon père se disait: «Saint Victor va penser ainsi», Saint-Victor, de son côté, pensait: «Gautier aura cette idée-là» et, tous deux alors, pour éviter la rencontre, laissant la route qui s'était d'abord offerte à eux, prenaient un même sentier de traverse, qui, à leur joyeuse surprise les remettait face à face.

A nous, Paul de Saint-Victor faisait un peu peur, par sa gaîté moqueuse, la torsion de ses sourcils, ses moustaches en crocs, si noires et si aiguës, et par la raideur de son cou, qui semblait ankylosé par le carcan du faux-col éblouissant.

Edmond About, que l'on appelait toujours, je ne sais trop pourquoi: «Le jeune About, âgé de vingt-sept ans», venait aussi. Mon père savait très bien imiter sa manière de rire en fronçant le nez et en fermant tout à fait les yeux; il s'exécutait sans se faire prier, dès que nous lui disions: «Papa, fais About.»

Mais celui qui m'enthousiasma du premier coup, ce fut Gustave Flaubert. Il m'apparut tout de suite comme un personnage prodigieux et colossal, avec sa haute taille, ses larges épaules, ses beaux yeux bleus, frangés de longs cils noirs et sa moustache de chef gaulois.

Il disait souvent: «C'est énorme!» en rejetant ses bras en arrière et en se penchant vers son interlocuteur, comme s'il eût voulu lui donner un coup de tête dans l'estomac.

A table, il racontait de monstrueux paris, dans lesquels on s'engageait à boire des barils d'eaux-de-vie, à dévorer des monceaux de nourriture, à accomplir des prouesses fantastiques; le tout énoncé avec une richesse d'images, une abondance de gestes et une ampleur de voix, qui me stupéfiaient et me comblaient d'admiration.

J'aurais voulu l'écouter toujours, et un de mes désirs était de lire ses œuvres, mais j'avais beau fouiller la bibliothèque, je ne trouvais aucun livre de lui.

Un soir, il avait promis de lire, devant quelques intimes, un fragment de la première version de La Tentation de saint Antoine. Quand le moment fut venu, on m'envoya me coucher. Je suppliais, avec des pleurs et des cris, qu'on me permît d'entendre Flaubert, mais on déclara que ce qu'il allait dire n'était pas du tout pour les petites filles. Mon père était assez disposé à me laisser rester. Flaubert lui-même était attendri; leur influence fut vaine et je dus céder la force.

Une fois couchée, tout émue encore de la lutte, j'essayai de me résigner, mais les échos du Gueuloir arrivaient jusqu'à moi et je n'y pus tenir. Me glissant, pieds nus, sans bruit, je gagnai la salle à manger, séparée du salon par une porte à deux battants, qui était poussée sans être fermée tout à fait. Par l'entrebâillement, je pouvais très bien voir, et entendre sans perdre un mot.

Flaubert, debout devant la cheminée, ployant un peu sa haute taille, lisait à pleine voix, en faisant de larges gestes.

C'était l'épisode de la Reine de Saba, la description de sa parure superbe, de sa robe de brocard d'or à falbalas de perles, dont la longue queue était portée par douze négrillons, et l'extrémité tenue par un singe, qui la soulevait, de temps à autre, pour regarder dessous. J'eus l'idée que c'était à cause de cette malice du singe que l'on n'avait pas voulu me laisser entendre.

Quand Flaubert eut fini de lire, au moment où j'allais me sauver, on lui demanda de contrefaire l'ivrogne. Il se défendit longtemps, puis finit par céder à l'insistance de tous.

J'assistai, alors, à une scène extraordinaire, d'un réalisme qui me parut si effrayant, que je ne pus le voir jusqu'au bout et que je regagnai mon lit, plus vite que je ne l'avais quitté, pour m'y blottir, en me cachant la tête sous les couvertures.

LXVI

Depuis longtemps, je demandais qu'on me laissât aller voir ma nourrice; la permission était accordée, mais on reculait toujours la visite. Marianne n'avait pas le temps, le Conservatoire la mettait en retard pour son ouvrage, ou bien il fallait faire une course pour mon père; coudre quelque chose de pressé pour ma mère. Mais je revenais sans cesse à la charge, et un jour, enfin, suivis de Marianne, nous nous mîmes en route, ma sœur et moi, vers les Batignolles.

Je trouvai la chère nounou triste et vêtue de noir. Le père Damon était mort, de la maladie qui le tenait depuis longtemps. On avait beau s'attendre au malheur, c'était dur tout de même, quand il arrivait.

Pauvre père Damon! Je l'aimais bien, aussi lui; il se faisait si doux pour moi, si soumis à mes caprices. Sur les genoux de la Chérie, comme autrefois, j'essayais de la consoler, et je vis bientôt, au fond des orbites plus creusés, ses beaux yeux rayonner de tendresse.

Rien n'est changé dans ces deux petites chambres où j'ai commencé à vivre; mon pseudo-portrait est toujours accroché au mur; mon berceau est à la même place; «il y restera tant que je serai là», dit ma nourrice.

Et Marie, et Sidonie, et Pauline, où sont-elles? A leur ouvrage. Eugène est à l'école. Pour rencontrer tout le monde, il faudrait venir un dimanche. Mais puisque j'étais sortie du couvent, heureusement, elle viendrait souvent me voir, avec l'un ou avec l'autre.

Quand nous partons, pour nous accompagner un peu, la Chérie fait un bout de toilette; elle met son auréole tuyautée, attache, sur ses épaules, un châle à franges… et je reconnais le cher petit châle vert à palmes, qui a été teint en noir et où les dessins ne sont plus visibles… Et, tout à coup, je me souviens de la noce de Marie où, à cette même place, le petit châle vert, dans toute sa fraîcheur, fit sa première apparition… J'ai le cœur serré par un regret poignant. Je comprends mieux la mort, les tristesses, la méchanceté du temps, devant cette pauvre étoffe qui a dû prendre le deuil.

 

LXVII

Un après-midi, Rodolpho, que je n'avais pas vu depuis bien longtemps, vint nous rendre visite. Il amenait avec lui un grand jeune homme, blond, qui portait encore l'uniforme de collégien, et qu'il nous présenta comme notre frère.

Notre frère!.. On ne nous avait jamais parlé de lui. Je crus que Rodolpho se moquait de nous.

– Regarde-le donc, me dit-il, tu ne vois pas comme il ressemble au portrait de ta grand'mère, qui est dans la chambre des tantes, à Montrouge.

Il avait, en effet, le nez aquilin, les yeux bleus, la carnation blanche et blonde, du portrait que je connaissais bien.

Il était notre frère, sans être le fils de notre mère, ce qui nous parut singulier, sans nous préoccuper davantage.

– Comment t'appelles-tu?

– Théophile, mais on prononce Toto, me répondit-il, en me faisant sauter presque jusqu'au plafond.

Une partie monstre, un peu violente pour nous, et qui emplit l'appartement de tumulte, s'organisa. Je ne sais trop en quoi consistait le jeu, ni comment il se fit que j'avalai un bouton de cuivre, ce qui arrêta net le tintamarre.

A cause du vert-de-gris, on était très inquiet, et on me fit avaler beaucoup de lait.

Rodolpho me parla des tantes, que je devrais bien aller voir, pour les distraire un peu. Elles avaient quitté la maison de la route de Châtillon. Maintenant, leur déménagement était fini; elles étaient installées dans un appartement, rue du Grand-Montrouge, et il y avait un très grand jardin, un vrai parc.

J'y allai, en effet, passer quelques jours.

Je trouvai les tantes plus vives, et comme rajeunies, dans leurs robes noires. Cependant, elles semblaient ne savoir que faire de leur liberté, qui lui venait, pour la première fois, trop tard, malheureusement.

L'appartement, aux pièces vastes, aux larges fenêtres, se trouvait dans l'hôtel même des La Vallière, et le parc, commun à tous les locataires, était superbe. C'était au premier, et on avait vite fait de dégringoler l'escalier, pour aller courir sous les grands arbres.

Les tantes se trouvaient, là, moins isolées, moins perdues, que sur la route de Châtillon; elles avaient des amies parmi les voisines, dans la maison même, et j'y trouvai tout de suite d'agréables compagnons de jeu.

Le mobilier s'était enrichi d'un vieux clavecin, venu je ne sais d'où, et qui m'émerveilla par ses sons fêlés, lointains et mystérieux. Il me faisait penser à Mlle du Médic, et, peut-être, venait-il d'elle.

Je revis l'aristocratique demoiselle, plus mince et plus pâle, plus droite que jamais, et qui semblait se retrouver dans son vrai cadre, sous ces hauts plafonds, devant ces boiseries claires et enrubannées de sculptures. Ses longues mains, voilées de mitaines, faisaient toujours du filet, et la levrette Flox, fragile et gracieuse, continuait à ne pas vouloir poser ses pattes sur le parquet.

Je me serais vite reprise à cette vie libre et aux courses au grand air; mais mon père vint me chercher, après une semaine; il ne voulait plus me laisser longtemps éloignée de la maison; peut-être aussi s'était-il déjà accoutumé à moi, et il trouvait que je lui manquais.

LXVIII

Une fois, passant en voiture dans un quartier de Paris que je ne connaissais pas, je me dressai tout à coup, debout, agitant les bras, criant de toutes mes forces au cocher d'arrêter.

Qu'est-ce que j'avais vu?.. Qu'est-ce qui me prenait?.. Etais-je malade, ou folle?..

– C'est la rue des Jeûneurs! la rue des Jeûneurs!

– Eh bien! qu'est-ce que ça nous fait, la rue des Jeûneurs? Ce n'est pas là que nous allons.

– C'est la rue de Catherine!

– La rue de Catherine?..

– Oui, la rue où demeure son tuteur.

Et comme le cocher s'est arrêté, je veux absolument descendre. Ma mère comprend qu'il n'y aura pas moyen de me faire entendre raison, et que le plus court est de céder. Nous voilà donc avec ma sœur, toutes trois sur le pavé de la rue des Jeûneurs.

– Eh bien! quel numéro? demande ma mère.

– Quel numéro?.. Je ne sais pas… Catherine ne me l'a pas dit.

– Et le tuteur, comment s'appelle-t-il?

– Je ne sais pas… C'est le tuteur de Catherine…

– Il fallait te renseigner mieux… Tu comprends que nous ne pouvons pas aller demander, de porte en porte: le tuteur de Catherine… Nous nous ferions rire au nez.

Nous remontons dans la voiture. Je suis très penaude, mais encore plus désolée; je pense que je ne sais même pas le nom de famille de Catherine, je ne m'en suis jamais inquiétée. Il me semble qu'elle est bien perdue pour moi, que je ne pourrai jamais la retrouver. Et ma sœur, qui s'aperçoit que j'ai envie de pleurer, m'embrasse gentiment, pour me consoler.

LXIX

Mon père trouvait que décidément, les entrechats du Conservatoire et les leçons de piano de Virginie Huet, ne constituaient pas une éducation suffisante, et, quand il en avait le loisir, il se désolait de nous laisser ainsi nous élever au hasard.

Cependant, l'idée de la réclusion dans les pensionnats lui était particulièrement antipathique, à cause, sans doute, de ses souvenirs personnels et de ses premières tristesses.

Quand on l'avait mis, à l'âge de huit ans, au collège Louis-le-Grand, il avait failli mourir de chagrin, et on avait dû le retirer. C'est dans ce collège qu'il avait conçu pour un affreux pion qui le tourmentait de préférence, une haine qui ne s'est jamais éteinte, ni amoindrie. Il nous racontait, avec orgueil, l'affreuse méchanceté qu'il avait imaginée, pour se venger de son bourreau: ayant poussé très loin l'étude du latin, qu'il approfondissait avec son père, très fort latiniste, il avait dépassé en savoir le pion qu'il détestait. Avec une malice diabolique, il glissait, dans un thème latin, quelque faute rare, difficile à remarquer pour un savant médiocre, et, quand le maître avait déclaré que le thème était sans faute: «Vous vous trompez, s'écriait l'élève, devant toute la classe attentive, il y a une faute dans mon thème, et la voici. Je l'y ai mise exprès, pour démontrer que vous ne savez pas ce que vous enseignez.»

On peut juger de ce qu'était cette haine. Jamais mon père ne parlait de ce pion sans pâlir de colère, et il redisait souvent, – il l'a même écrit – que s'il se trouvait en sa présence, après si longtemps, il lui sauterait à la gorge.

Donc, il ne voulait pas plus du pensionnat que du couvent. Restait l'institutrice. On commençait à y songer.

Quand il en trouvait le temps, mon père nous faisait bien quelques dictées, admirables et instructives; nous donnait des leçons à apprendre, des devoirs à écrire; mais livrées à nous-mêmes, nous les faisions tout de travers, ou pas du tout. Alors, il s'efforçait de nous persuader, à l'aide de raisonnements, car il s'élevait contre les taloches, punitions et brusques réprimandes, qu'il trouvait inefficaces et cruelles. Nous asseyant chacune sur un genou, il nous faisait de la morale, et nous démontrait, par des exemples saisissants et des paraboles superbes, l'avantage qu'il y avait à être sage, à se bien conduire et à apprendre rapidement les leçons prescrites; puis, pour bien fixer dans notre esprit l'excellence de son discours, il concluait en nous faisant cadeau d'une pièce de quarante sous. On peut s'imaginer à quel point cette morale nous plaisait, nous l'aurions voulue tous les jours. Mais il dut renoncer à ce système, le jour où, avec une naïve impudence, nous lui proposâmes de supprimer la morale, et de donner tout de suite les quarante sous.

L'institutrice, de plus en plus menaçante, planait au-dessus de notre vie.

Les jours des leçons de piano, on en parlait mystérieusement avec la belle Virginie. Nous allions le plus souvent travailler chez elle, dans le petit logement où elle habitait, avec sa mère et une sœur plus âgée qu'elle. Cet intérieur était des plus modestes; tous les efforts étaient concentrés sur Virginie, le seul espoir du pauvre ménage, tous les sacrifices étaient admis pour soutenir son élégance extérieure et pour parer sa beauté. Les autres ne comptaient pas. La vieille mère, qui en négligé tournait à la sorcière, nous ouvrait la porte, et dès le seuil, une odeur d'huile frite et d'ail, nous prenait à la gorge, provenant de quelque fricassée marseillaise, cuisinée avec amour.

Nous ne faisions pas grande attention à Honorine, qui n'avait aucun vestige de la beauté de sa sœur, et de beaucoup son aînée, avait plutôt l'air d'être sa tante. Grande, forte, le visage gras, les cheveux ternes, dont les grands bandeaux donnaient l'impression d'une perruque; elle n'avait rien de remarquable, si ce n'est qu'elle parlait du nez.

D'ailleurs, elle était le plus souvent absente, car elle donnait au dehors, elle aussi, des leçons … des leçons de français!..

Nous ne nous doutions guère quelle importance prendrait pour nous cette Honorine Huet, que nous regardions à peine. Nous ne soupçonnions pas que, sous cet air inoffensif, elle cachait de redoutables qualités, qu'elle était très savante, possédait des diplômes, et avait déjà été institutrice.

Toutes sortes de conciliabules avaient lieu, qui nous donnaient un peu de répit, mais nous sentions le dénouement tout proche. Nous en gémissions avec Marianne, presque aussi tourmentée que nous.

– Pense donc, lui disions-nous, elle sera toujours sur notre dos; ce sera un vrai gendarme, plus moyen de jeter le riz au lait dans l'évier, ni de te lire des romans tout haut. Elle ne nous laissera pas jouer l'opéra italien avec des robes à maman: ça va être une vie impossible!.. Et si tu savais comme elle parle du nez … on dirait qu'elle ne se mouche jamais!

– Ça, c'est tégoûdant, disait Marianne.

Et d'avance, nous formions une alliance offensive et défensive contre la majestueuse Honorine.

LXX

Il fut décidé qu'on passerait l'été à Enghien. Ma sœur avait la gorge délicate, ma mère avait besoin de fortifier ses cordes vocales, l'eau sulfureuse ferait du bien à tout le monde.

Nous sautions de joie, croyant voir l'institutrice renvoyée après les vacances. Mais bien au contraire, ce départ hâta la décision. Mon père devait rester, la plupart du temps, à Paris, ma mère avait besoin d'y venir toutes les semaines, qu'aurait-on fait de nous? Mlle Huet devenait indispensable.

Elle nous rejoignit après la première semaine de notre séjour à Enghien.

Nous étions si évaporées par le grand air, si éperdues de jeu et d'un engouement nouveau pour de délicieuses Espagnoles, devenues nos camarades, que l'effet de cette arrivée, si redoutée, en fut émoussé.

Ce jour-là même, ma mère allait à Paris et nous l'accompagnâmes à la gare. Au retour, nous étions seules avec Mlle Huet. Elle s'efforçait de se montrer très aimable, très bonne enfant, pas sévère du tout; mais elle nous proposa de faire une promenade, au lieu de rentrer, prétendant que rien n'était bon pour la santé, comme les longues trottes.

Nous eussions préféré jouer dans le jardin; mais il fallait bien la suivre. Elle nous entraîna vers des sites fort vilains, que nous ne connaissions pas: le long d'un chemin poussiéreux, où des vignes basses, sur des terrains bossués, cachaient toute vue. Nous nous jetions des regards navrés, ma sœur et moi.

Tout à coup, Mlle Huet poussa un cri, et s'élança entre les ceps.

Qu'est-ce qui lui prenait?.. Nous nous étions arrêtées net, croyant qu'elle avait été piquée par une guêpe, ou qu'elle avait vu un serpent.

Mais d'une voix joyeuse, elle s'écria:

– Un escargot!..

Alors, elle retira de sa poche, un mouchoir, qu'elle déploya et qui parut presque aussi grand qu'une serviette, elle l'étendit par terre, puis cueillant délicatement l'escargot, elle le posa au milieu.

– Comment! vous allez l'emporter?..

– Lui et bien d'autres, j'espère. Des escargots de vignes!.. Vous ne savez donc pas comme c'est recherché?.. Allons, mes enfants, faites la chasse avec moi…

Et nous voilà, cherchant des escargots sous les feuilles, en nous demandant, tout ébahies, qu'est-ce qu'elle pourrait bien en faire! C'était tout de même moins ennuyeux qu'une leçon de grammaire, et nous allions gaîment d'un cep à l'autre, un peu dégoûtées, mais intéressées tout de même à la chasse.

 

Quand le mouchoir fut rempli, Mlle Huet le noua soigneusement, et tout verdi, gluant et grouillant, le rapporta à la maison, au grand effroi de la cuisinière.

– Vous ne savez donc pas votre métier? disait Mlle Huet, une cuisinière qui se respecte doit savoir accommoder les escargots, car c'est un mets des plus délicats. Nous allons les faire jeûner, et, demain, je les préparerai moi-même, selon la bonne recette provençale, et vous vous en lécherez les doigts.

Malgré cette affirmation, personne ne voulut goûter aux escargots, et, au risque de se donner une indigestion, Mlle Huet les dévora toute seule, tandis que nous nous cachions les yeux, pour ne pas voir ce spectacle.

On eût dit des représailles, quand, l'institutrice, un peu vexée, déficela un ballot de livres menaçants, à cartonnages marbrés, qui nous annonçaient l'irrévocable avènement d'une ère nouvelle.

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