Читать книгу: «Alfred de Vigny»

Publié par Good Press, 2022
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EAN 4064066303730
Table des matières
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
§ I er
§ II.
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
POÉSIES.
I
Le cœur a la forme d’une urne; c’est un vase sacré, rempli de secrets.
ALFRED DE VIGNY.
Sur le point de pénétrer dans l’intimité du comte Alfred de Vigny, nous sommes saisis d’une sorte de respect religieux. L’asile que nous voulons franchir est pieux et tranquille comme un sanctuaire. Nous y trouvons, dans toute sa gravité, l’homme qui eut entre tous la religion de la dignité humaine, et il nous apparaît, dans sa solitude, à peu près aussi impénétrable qu’on l’a pu voir au milieu de cette foule qu’il a d’ailleurs peu coudoyée. Le Gaulois, qui dans Rome envahie, tira la barbe d’un vieux sénateur immobile sur son banc, n’aurait peut-être pas osé toucher, de sa main curieuse, ce visage sérieux et impassible, dont l’œil, discret jusqu’au dédain, cache à tous le miroir d’une âme énigmatique.
Notre poète n’est pas assis sur le trépied sibyllin dont les effluves sacrées donnent un délire éloquent; il se tient muet sur sa chaise d’ivoire. Ne vous approchez pas pour écouter les battements de son cœur; autant vaudrait écarter des cuisses sacrées d’un Jupiter antique les plis de sa draperie de marbre. Pourtant cet homme calme n’était pas insensible: il eut ses souffrances, mais il garda toujours la suprême pudeur de les cacher ou du moins de n’en laisser voir que ce qu’il fallait pour s’en parer. C’est le poète des passions décentes. Sa muse, comme son âme, a le calme coutumier de tout ce qui est grand et beau. Car ce n’est pas une des moindres puissances du génie d’Alfred de Vigny, d’avoir mis jusque sur le front de la passion une inaltérable sérénité. Une telle vie et une telle œuvre nous déconcertent tout d’abord et peuvent même nous laisser froids; nous sommes habitués, enfants de ce siècle, à voir dans le sanctuaire des cœurs la flamme briser la lampe, les sentiments excessifs rompre, en éclatant, l’harmonie des lignes et des sons; nous avons vu la Muse de Byron se pâmer, se tordre, belle encore, et hurler, non sans charme, ses ivresses et ses douleurs. La poésie moderne, si souple et si vraie, n’en est pas moins excessive et violente. Sa force éclate dans l’effort, et non, comme voulaient les Grecs, dans la sérénité et dans le repos même. Cette beauté tranquille des anciens Hellènes, Alfred de Vigny l’a aimée et l’a connue: elle a visité le poète dans son recueillement et sa solitude.
Les esprits grossiers qui ne voient la passion qu’à travers les contorsions et les grimaces qu’elle arrache aux faibles, ces esprits que le poète dédaignait jusqu’à l’oubli, peuvent seuls prendre son calme pour de l’insensibilité. Les eaux les plus pures ne sont pas les plus froides. Dans son recueillement, le poète jeta un*profond regard, qui dura toute sa vie, sur la Destinée, sur cette fatalité nommée de tant de noms par les hommes, qu’elle entraîne également, ou dociles ou révoltés. Ce douloureux regard ne fut pas sans larmes, et, de ces larmes, comme Eloa la sœur des anges, sont nées les œuvres du poète.
Une foi profonde peut seule donner cette belle paix qui brillait sur son visage comme elle brille dans ses œuvres. Cette foi, Alfred de Vigny l’avait pour sa religion, la seule qu’il ait jamais connue et à laquelle il n’a jamais failli, la religion de l’honneur. Il l’avait apprise sous les armes; il s’en fit le prêtre et l’évangéliste, et il égala sa vie à cette haute parole qu’il prononça une fois et qu’on n’a pas placée sans raison au seuil de ses pensées intimes: «L’honneur est la poésie du devoir.»
II
Nous désirons qu’on ait présent à la mémoire
Que nos pères étaient des conquérants de gloire.
V. HUGO.
Les de Vigny, gentilshommes de Beauce, tenaient déjà, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, un rang élevé dans le royaume, puisque le roi Charles IX envoya, en l’an 1570, un titre à:
«Notre cher et bien aimé François de Vigny, pour les louables et recommandables services faits à nos prédécesseurs Roys et à Nous en plusieurs charges honorables et importantes où il a été employé pour le bien de notre service et de tout le royaume, mesme durant les troubles d’iceluy, pour jouir des franchises et prérogatives, et à ce titre posséder tous les fiefs et possessions nobles, etc.»
Le journal du duc de Luynes, à la date du vendredi8avril1740, fait la mention que voici:
«Le roi vient d’accorder une pension de 1,200livres à M. de Vigny, écuyer de quartier, fils de M. de Vigny, lieutenant général des bombardiers, à qui l’on doit l’invention des carcasses. M. de Vigny est écuyer du roi depuis environ trente ans. C’est lui qui a fait le voyage de madame jusqu’à la frontière d’Espagne.»
Jean-René de Vigny, ancien mousquetaire et officier dans une des compagnies de la garde du Roi, retenu pour dettes à Londres, manquant du nécessaire, écrivit le5septembre1766à l’acteur Garrick, «célèbre par ses sentiments et ses talents,» pour recevoir de lui un secours dont il avait le plus pressant besoin.
François de Vigny, celui qui reçut les lettres de1570, eut pour fils Étienne de Vigny, qui fut père de Jean de Vigny, qui fut père de Guy-Victor de Vigny, seigneur du Tronchet, de Moncharville, des deux Emarville, d’Isy, du Frêne, de Joinville, de Folleville, de Gravelle et autres lieux. Celui-ci fut père de Léon de Vigny, qui donna le jour à Alfred de Vigny dont nous nous occupons ici.
Ces gentilshommes menèrent presque tous une vie paisible et modeste, «poussant le service militaire jusqu’au grade de capitaine où ils s’arrêtaient pour se retirer chez eux avec la croix de Saint-Louis.» Les armes de la famille de Vigny sont:
D’argent cantonné de quatre lions de gueules, à l’écusson en abîme, d’azur à la fasce d’or, accompagnée en chef d’une mer-Jette d’or, en pointe d’une merlette de même, entre deux coquilles d’argent.
Ces nobles hommes vécurent ainsi, servant dans les armées du Roi et chassant le loup sur leurs terres; ils ne connurent que l’action, et nul d’entre eux n’eut, souci de la pensée. Le dernier de cette race, le comte de Vigny, poète, fut de beaucoup le plus grand, car il les domina tous de toute la hauteur de l’idée; et il a pu dire, les yeux fixés avec un tranquille orgueil sur leurs portraits cuirassés pendus à la muraille:
J’ai mis sur le cimier doré du gentilhomme
Une plume de fer qui n’est pas sans beauté.
III
Mon père vieux soldat, ma mère Vendéenne.
V. HUGO.
Alfred de Vigny naquit le27mars1797, l’an V de la République française, à Loches, dans une petite maison retirée que M. Léon de Vigny, son père, avait achetée pour y vivre obscurément à l’abri de la Révolution.
S’il est une époque qui influe sur les destinées de l’être humain, c’est assurément celle où son existence est encore enveloppée et confondue dans l’existence de sa mère. L’enfant, dans cette mystérieuse vie, tressaille de tous les tressaillements maternels et subit irréparablement l’influence des peines, des passions, des moindres désirs de l’être sympathique dans lequel il se développe. C’est là qu’on trouverait peut-être le mot de bien des existences inexplicables. Ce mot, c’est le secret d’une âme: il est profond et sacré, On peut toutefois, sans violer l’asile intérieur des consciences, deviner quelles étaient les impressions dominantes de madame de Vigny à cette époque où la femme «craint d’être émue.» Madame de Vigny avait vu se disperser au vent populaire sa fortune et ses privilèges; elle avait suivi, dans les prisons de Loches, son père, M. de Baraudin, vieux marin infirme et mutilé; elle était encore toute noire du deuil de son jeune frère fusillé à Quiberon, et du deuil de ce vieux père tué par la mort de son fils. L’âme fière de ma dame de Vigny était pleine de cet orgueil héraldique qu’il avait fallu comprimer, pleine d’une tristesse de mort pour les malheurs de sa famille et d’une haine bien excusable pour le peuple qui lui apparaissai sous l’aspect d’un égorgeur, les bras nus et sanglants. Il ne pouvait y avoir place en elle pour d’autres sentiments. Ces traits de l’âme maternelle se retrouveront peu affaiblis dans l’âme du fils.
Cependant la république, si mâle naguère, s’affaiblissait de jour en jour du bon sang qu’elle avait perdu; elle était tombée en enfance, et avait eu besoin d’un conseil de régence, le Directoire. On pressentait le coup d’Etat du18brumaire: la noblesse relevait la tête. C’est alors que M. de Vigny vint à Paris avec sa femme et son fils Alfred, qui avait dix-huit mois. C’est dans cette ville, pour ainsi dire, que l’enfant ouvrit les yeux; c’est là qu’il reçut ces premières et profondes impressions des choses auxquelles on attache l’idée de patrie.
La servitude des grandes villes pèse lourdement sur les enfants: toutes les mères y peuvent dire, comme l’Elisabeth de Shakespeare: «Pitié, vieilles pierres, pour ces tendres bébés; dur berceau pour ces jolis petits, sombres compagnes de jeu, si vieilles pour ces jeunes enfants.»
Les yeux bleus d’Alfred ne perdaient les mélancolies de la ville que pour s’ouvrir aux mélancolies de la campagne. Son père le menait parfois, à l’automne, chez madame de Vigny, tante de l’enfant, et qui élevait ses six tilles près d’Étampes, au Tronchet, dans un vieux manoir triste comme une ruine et triste encore des tristesses de l’automne. L’enfant regardait avec une stupeur charmée «la grande salle de billard, où étaient rangés les portraits de famille,» et les vieilles tapisseries soulevées par les grands vents qui venaient de la plaine.
Alfred était alors un bel enfant qui ressemblait à une fille; il avait de son père l’amour héréditaire de l’épée, mais sa mère lui avait donné ses beaux cheveux blonds et une grâce un peu féminine que le poète ne quitta jamais.
M. deVigny, que la Révolution avait ruiné, consacrait le reste de son bien à l’éducation de son fils. Jusqu’à l’âge d’être écolier, Alfred eut des maîtres que sa mère choisit et dirigea. Cette mère avait pour son fils la sévère gravité d’un père, et c’était M. de Vigny, ce vieux soldat courbé en deux par les blessures et les douleurs, qui avait pour lui des tendresses toutes maternelles. Il contait souvent à l’enfant les vieilles histoires de la guerre de sept ans, si bien que celui-ci croyait voir Frédéric avec sa canne et son tricorne. M. Léon de Vigny avait vu de près le roi philosophe sur le champ de bataille, où un de ses oncles avait été enlevé par un boulet de canon. Le petit Alfred entendait souvent aussi l’histoire du chevalier d’Assas, dont son père avait été l’ami, et avec lequel il s’était trouvé au camp la veille de sa mort.
Alfred était grand questionneur, comme le sont tous les enfants inlelligents. Il obsédait son père d’interrogations si persistantes, que celui-ci lui disait qu’il ressemblait à l’interrogant bailly de Voltaire.
Un jour–c’était à l’Élysée-Bourbon, où habitait la famille de Vigny–Alfred vit son père revenir triste avec une larme dans le creux de ses rides. Et l’enfant sut que le duc d’Enghien venait d’être fusillé.
Ce fut sa première impression d’horreur: elle dura longtemps.
A peu près à cette époque, le jeune Alfred de Vigny fut envoyé chez M. Hix, dont la pension, située dans le faubourg Saint-Honoré, suivait les cours du lycée Bonaparte.
L’écolier avait la première qualité, presque la seule qui fait ce qu’on nomme, au collège, un élève fort: la mémoire. Il obtenait les premières places et les plus hautes récompenses. Mais il avait toujours l’apparence d’une petite fille blonde et délicate. Ses camarades le battaient, parce qu’il était faible. La raison est excellente, et l’enfance a une implacable logique. Les récréations devinrent intolérables au pauvre écolier: on lui volait son pain dans son panier, et il était obligé de faire les devoirs des voleurs pour racheter la moitié de son déjeuner.
L’enfant devenait triste.
Ce sont les élèves, et non les maîtres, qui font l’opinion publique dans le petit monde des collèges, et cette opinion se forme bien moins d’après le travail des classes que sur la force ou l’adresse des joueurs dans les récréations. Les maîtres punissent, c’est tout; les élèves flétrissent et mettent hors la loi. Le paria devient craintif, défiant et se retranche, selon sa nature, dans la férocité de son orgueil ou dans la conviction indolente de sa nullité. Il devient sombre ou il devient idiot. Alfred de Vigny s’assombrit et se replia sur lui-même.
Heureusement cette oppression de la force physique et brutale se relâche et s’adoucit dans les hautes classes. D’ailleurs Alfred de Vigny fit sa seconde et sa rhétorique dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, et qui transformèrent absolument l’esprit ordinaire des lycéens.
La France, comme a dit le poète, était alors «vivandière;» tous ses fils étaient enfants de troupe.
L’enthousiasme militaire soulevait les écoliers sur leurs bancs tachés d’encre; le tambour étouffait la voix des maîtres; tous les yeux de quinze ans clignaient dédaigneusement sur les harangues du Conciones et dévoraient les bulletins de la grande armée. Quand un condisciple, sorti depuis quelques mois du collége, reparaissait «en uniforme de housard et le bras en écharpe,» tous les élèves rougissaient de honte et «jetaient leurs livres à la tête des maîtres.»
Alfred de Vigny conçut alors «un amour désordonné de la gloire des armes.» Marcher à la gloire, c’était, de l’avis commun, suivre Napoléon. La jeunesse ne se précipitait pas alors, comme les volontaires de 4793, à la glorieuse servitude d’un principe: elle se ruait pour servir un homme. Mais M. Léon de Vigny, qui avait hrisé son épée pour ne pas fausser son serment de fidélité au roi, ne croyait pas qu’une épée de gentilhomme dût répondre à la diane du camp impérial, il se hâta de tirer son fils d’au milieu de ces jeunes têtes belliqueuses et napoléoniennes de sentiment, et jeta de suite l’adolescent au milieu du monde, comptant que le murmure des salons étoufferait à ses oreilles juvéniles le grondement prochain du canon de Leipzig.
Il semble qu’en effet, grâce à ce changement, le rêveur ait alors surmonté l’homme d’action dans ce jeune homme promis par la destinée aux spéculations de l’esprit.
Alfred de Vigny, libre enfin d’étudier et d’apprendre, se jeta dans tous les travaux où son imagination le poussait. Il lisait et écrivait avec une sorte de fureur, sous la direction d’un vieux précepteur dont il a laissé le nom, l’abbé Gaillard; il traduisait Homère du grec eu anglais. Il faisait aussi des tragédies classiques qu’il avait l’esprit de déchirer à mesure qu’il les écrivait; il essayait des romans et des comédies. Il était inquiet, sentant en lui comme des idées, mais si vagues et si fuyantes, qu’il ne pouvait ni les saisir ni les formuler. Le dépit lui venait de ne pouvoir réaliser sur l’implacable papier blanc que d’insipides pastiches. Ce sont là les premières tortures du talent qui naît; il dit: création, et il écrit: réminiscence. La tête bout et la main est froide. Quand le génie vient, c’est le front qui est calme et la main qui est de feu, comme l’a dit un grand poète français.
L’âme adolescente du poète sentait alors le trouble et les tressaillements inévitables du moment de la conception. Dès lors, on pouvait pressentir l’heure d’un glorieux enfantement.
Ce moment sacré de l’âme humaine est plein de vertiges et d’ignorances. Le jeune homme, las de la méditation que, dans son impatience, il accusait de stérilité, se reprit à maudire son apparente oisiveté et à souhaiter d’agir. Il demanda de nouveau une épée. Dans le duel intérieur de la pensée et de l’actiçn, c’est l’action qui se relevait victorieuse une seconde fois, mais calmée, rendue plus grave par un an de réflexion.
Alfred de Vigny, qui voulait être officier, était résolu d’entrer clans le corps le plus recueilli et le plus savant de l’armée, dans l’artillerie. Pour atteindre ce but, il avait étudié les mathématiques avec ardeur, et il était en état de se présenter à l’École polytechnique, quand la bataille de Paris, en ramenant les Bourbons, ouvrit immédiatement au nom du gentilhomme les cadres de l’armée.
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