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Le Speronare

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La supérieure tint avec une fidélité scrupuleuse la promesse qu'elle avait faite, et don Ferdinand vit arriver, à l'heure convenue, le consommé, le filet de poisson, et même un petit verre de muscat de Lipari, dont il n'avait pas été question dans le traité. Tout cela, il est vrai, était distribué avec la parcimonie de la crainte; mais le peu qu'il y en avait était d'une succulence parfaite. Cette ombre de repas était loin cependant d'être suffisante pour apaiser la faim de don Ferdinand, mais c'était assez pour le soutenir jusqu'à la nuit, et à la nuit n'avait-il pas sa bonne Carmela pour mettre tout l'office à sa disposition?

Carmela entra cette fois encore d'un peu meilleure heure que la veille. La pauvre enfant ne cachait point la joie qu'elle avait eue lorsqu'elle avait appris que l'abbesse, sur la demande de don Ferdinand, la désignait à l'avenir pour la seule garde du malade. Dans sa reconnaissance, elle courut droit au lit du jeune homme, et cette fois, d'elle-même, et comme si c'était une chose qui lui fût due, elle lui présenta ses deux joues. Ferdinand y appuya ses lèvres, prit les deux mains de Carmela, et la regarda avec un si doux et si tendre sourire, que la pauvre enfant, sans savoir ce qu'elle disait, murmura: Oh! je suis bien heureuse! et tomba assise, près du lit, la tête renversée sur le dossier du fauteuil qui l'attendait.

Et Ferdinand aussi était bien heureux, car c'était la première fois qu'il aimait véritablement. Toutes ses amours de Palerme ne lui paraissaient plus maintenant que de fausse amours; il n'y avait qu'une femme au monde, c'était Carmela. Nous devons avouer toutefois que, pour être tout entier à ce sentiment délicieux dont il commençait seulement à apprécier la douceur, il comprit qu'il lui fallait se débarrasser d'abord de ce reste de faim qui le tourmentait. Regardant donc Carmela le plus tendrement qu'il put, il lui renouvela sa prière de la veille, en la conjurant seulement cette fois d'apporter le poulet intact et la bouteille pleine.

Carmela était dans cette disposition d'esprit où les femmes ne discutent plus, mais obéissent aveuglément. Elle demanda seulement un délai, afin d'être certaine de ne rencontrer personne sur les escaliers ou dans les corridors. L'attente était facile. Les jeunes gens parlèrent de mille choses qui voulaient dire clair comme le jour qu'ils s'aimaient; puis, lorsque Carmela crut l'heure venue, elle sortit sur la pointe du pied, une bougie à la main, et légère comme une ombre.

Un instant après elle rentra, portant un plateau complet; mais cette fois, il faut le dire en l'honneur de don Ferdinand, ses premiers regards se portèrent sur la belle pourvoyeuse et non sur le souper qu'elle apportait. Ce souper en valait cependant bien la peine: c'était une excellente poularde, une bouteille à la forme élancée et au long goulot, et une pyramide de ces fruits que Narsès envoya comme échantillon aux Barbares qu'il voulait attirer en Italie.

– Tenez, dit Carmela en posant le plateau sur la table, je vous ai obéi parce que, je ne sais pourquoi, je ne trouve point de paroles pour vous refuser; mais maintenant, au nom du ciel! soyez sage, et songez comme je serais malheureuse si ma complaisance pour vous allait tourner à mal.

– Écoutez, dit Ferdinand, il y a un moyen de vous assurer que je ne ferai pas d'excès.

– Lequel? demanda la jeune fille.

– C'est de partager la collation. Ce sera une oeuvre charitable, puisque vous empêcherez un pauvre malade de tomber dans le péché de la gourmandise; et, si j'en crois les apparences, ajouta-t-il en jetant un coup d'oeil sur la poularde, eh bien! ce ne sera pas une pénitence trop rude pour les autres péchés que vous aurez commis.

– Mais je n'ai pas faim, moi, dit Carmela.

– Alors l'action n'en sera que plus méritoire, reprit Ferdinand, vous vous sacrifierez pour moi, voilà tout.

– Mais, reprit encore la religieuse un peu plus disposée à donner au malade cette nouvelle preuve de dévouement, c'est aujourd'hui mercredi, jour maigre, et il ne nous est pas permis de faire gras sans dispense.

– Tenez, répondit don Ferdinand en étendant le doigt vers la pendule qui marquait justement minuit, et en donnant, par une pause d'un moment, le temps aux douze coups de tinter; tenez, nous sommes à jeudi, jour gras; vous n'avez donc plus besoin de dispense, et vous aurez la conscience riche d'un péché de moins et d'une bonne action de plus.

Carmela ne répondit rien, car, nous l'avons dit, elle n'avait déjà plus d'autre volonté que celle de Ferdinand; elle prit donc une chaise et s'assit de l'autre côté de la table en face de lui.

– Oh! que faites-vous là? demanda le jeune homme. Ne voyez-vous pas que vous êtes trop éloignée de moi, et que je ne pourrai atteindre à rien sans risquer de faire un effort qui peut faire rouvrir ma blessure?

– Vraiment! s'écria Carmela avec effroi; mais dites-moi alors où il faut que je me mette, et je m'y mettrai.

– Là, dit Ferdinand en lui indiquant le bord de son lit, là, près de moi; de cette manière je n'aurai aucune fatigue, et vous n'aurez rien à craindre.

Carmela obéit en rougissant, et vint s'asseoir sur le bord du lit du jeune homme, sentant qu'elle faisait mal, peut-être; mais cédant à ce principe de la charité chrétienne qui veut que l'on ait pitié des malades et des affligés. L'intention était bonne, mais, comme le dit un vieux proverbe, l'enfer est pavé de bonnes intentions!

Et cependant c'était un tableau digne du paradis, que ces deux beaux jeunes gens rapprochés l'un de l'autre comme deux oiseaux au bord d'un même nid, se regardant avec amour et souriant de bonheur. Jamais ni l'un ni l'autre n'avait fait un souper si charmant, ni compris même qu'il y eût tant de mystérieuses délices cachées dans un acte aussi simple que celui auquel ils se livraient. Don Ferdinand lui-même, quelque plaisir qu'il eût eu la veille à apaiser cette faim effroyable qui le tourmentait depuis si longtemps, n'avait senti que la jouissance matérielle du besoin satisfait; mais cette fois c'était tout autre chose, il se mêlait à cette jouissance matérielle une volupté inconnue et presque céleste. Tous deux étaient oppressés comme s'ils souffraient, tous deux étaient heureux comme s'ils étaient au ciel. Carmela sentit le danger de cette position; un dernier instinct de pudeur, un dernier cri de vertu lui donna la force de se lever pour s'éloigner de don Ferdinand, mais don Ferdinand la retint, et elle retomba sans force et sans résistance. Il sembla alors à Carmela qu'elle entendait un faible cri, et que le frôlement de deux ailes effleurait son front. C'était l'ange gardien de la chasteté claustrale qui remontait tout éploré vers le ciel.

Le lendemain, la supérieure, en entrant dans la chambre de son neveu, lui annonça un message de sa mère, et derrière elle don Ferdinand vit apparaître Peppino.

Don Ferdinand avait tout oublié depuis la veille pour se replier sur lui-même et pour vivre dans son bonheur: cette vue lui rappelait tout ce qui s'était passé, et il y eut un instant où tout cela ne lui sembla plus qu'un rêve; sa vie réelle n'avait commencé que du jour où il avait vu Carmela, où il avait aimé et été aimé. Mais Peppino, apparaissant tout à coup comme un fantôme, était cependant une sérieuse et terrible réalité; sa présence rappelait à don Ferdinand qu'il lui restait à approfondir le mystère de la chapelle. Aussi, en présence de sa tante, jeta-t-il les yeux sur la lettre maternelle qu'il lui apportait. Cette lettre annonçait que tout allait au mieux à l'endroit de la justice; avant un mois, la marquise espérait que son fils pourrait revenir librement à Syracuse. Dès que don Ferdinand fut seul avec Peppino, il s'informa s'il ne s'était rien passé de nouveau à Belvédère depuis la nuit où il avait été blessé.

Tout était resté dans le même état; on ignorait toujours le nom du mort que l'on avait enterré après procès-verbal constatant ses blessures; personne n'était entré depuis cette époque dans la chapelle, et des paysans qui étaient passés près de ce lieu la nuit, disaient avoir entendu des gémissements et des bruits de chaînes qui semblaient sortir de terre, preuve bien évidente que le trépassé était mort en état de péché mortel, et que son âme revenait pour demander des prières à celui qui l'avait ainsi violemment et inopinément fait sortir de son corps.

Toutes ces données rendirent à Ferdinand son premier désir de mener à bout cette étrange aventure. Blessé et retenu dans son lit, il n'avait pas volontairement du moins perdu un temps qui pouvait être précieux; mais, maintenant qu'il se sentait à peu près guéri, maintenant que ses forces étaient revenues, maintenant qu'il n'y avait plus d'autre cause de retard que sa volonté, il résolut de tenter l'entreprise aussitôt que cela lui serait possible. En conséquence, il ordonna à Peppino de garder le secret, et de revenir, dans la nuit du surlendemain, avec deux chevaux et une échelle de corde. Don Ferdinand, comme on le comprend, voulait éviter toute contestation avec la tourière du couvent, qui sans doute avait l'ordre formel de ne pas le laisser sortir; il avait donc résolu de passer par-dessus les murs du jardin, à l'aide de l'échelle que lui jetterait Peppino.

Peppino promit tout ce que le jeune comte voulut. Selon les ordres qui lui avaient déjà été donnés, il tenait toutes prêtes, dans le pavillon qu'il habitait, torches, tenailles, limes et pinces. Tout fut donc convenu pour la nuit du surlendemain: les chevaux attendraient près du mur extérieur, Peppino frapperait trois fois dans ses mains, et, au même signal répété par don Ferdinand, il jetterait l'échelle par-dessus le mur.

Malgré ce projet et même à cause de ce projet, don Ferdinand ne feignit pas moins d'être toujours accablé par une grande faiblesse; d'ailleurs il gagnait deux choses à cette feinte: la première de prolonger près de lui les veilles de Carmela, et la seconde d'ôter à sa tante tout soupçon qu'il eût l'idée de fuir. La ruse réussit complètement: la pauvre femme l'avait trouvé si languissant le matin, qu'elle revint vers le soir pour savoir de lui comment il se trouvait; don Ferdinand lui dit qu'il avait essayé de se lever, mais que, ne pouvant se tenir debout, il avait été forcé de se recoucher aussitôt. La bonne abbesse gronda fort son neveu de cette imprudence, et lui demanda s'il était toujours satisfait de sa garde-malade; le comte répondit qu'il avait dormi toute la nuit et ne pouvait par conséquent lui rien dire à ce sujet; que, cependant, s'étant réveillé une fois, il se rappelait l'avoir vue éveillée elle-même et faisant sa prière; l'abbesse leva les yeux au ciel, et se retira tout édifiée. Il résulta de cette information, que Carmela reçut la permission de venir près du malade une heure plus tôt que d'habitude.

 

Ce fut une grande joie pour les jeunes gens que de se revoir, et cependant Carmela avait pleuré toute la journée. Quant à don Ferdinand, il n'avait éprouvé ni chagrin ni remords; et Carmela lui trouva le visage si joyeux, qu'elle n'eut point la force de l'attrister de sa propre tristesse. D'ailleurs, à peine la main du jeune homme eut-elle touché sa main, à peine leurs yeux eurent-ils échangé un regard, à peine les lèvres de Ferdinand se fussent-elles posées sur ses lèvres pâles et cependant brûlantes, que tout fut oublié.

La journée qui suivit cette nuit se passa comme les autres journées; seulement jamais Ferdinand ne s'était senti l'âme si pleine de bonheur: il aimait autant qu'il était aimé. Puis la nuit revint, puis le jour succéda encore à la nuit; c'était le dernier que don Ferdinand devait passer dans le couvent. La nuit suivante Peppino devait venir le chercher avec les chevaux.

Don Ferdinand n'avait eu le courage de rien dire à Carmela: d'ailleurs il craignait que, par douleur ou par faiblesse, elle ne le trahît. Lorsqu'il vit s'avancer l'heure où il crut que Peppino devait s'approcher de Catane, il alla vers la fenêtre, l'ouvrit et, montrant à Carmela ce beau ciel étoile, il lui demanda si elle n'aurait point du bonheur à descendre avec lui au jardin et à respirer ensemble cet air pur tout imprégné de saveur marine. Carmela voulait tout ce que voulait Ferdinand. Son bonheur à elle était non point d'être à tel endroit, ou de respirer tel ou tel air; son bonheur était d'être près de lui et de respirer le même air que lui. Elle se contenta donc de sourire et de répondre: Allons.

Don Ferdinand s'habilla, mit dans sa poche la clef du corridor sombre, et descendit dans le jardin, appuyé sur le bras de Carmela. Ils allèrent s'asseoir sous un berceau de lauriers rosés. Alors don Ferdinand demanda à Carmela si elle connaissait les détails de l'événement auquel il devait le bonheur de la voir. Carmela n'en savait que ce qu'en savait tout le monde, mais elle lui dit qu'elle aurait bien du bonheur à les lui entendre raconter à lui-même. Puis elle lui passa un bras autour du cou, et, appuyant sa tête sur son épaule, comme ces pauvres fleurs qui se penchent après une trop chaude journée, elle attendit ses paroles comme la douce brise, comme la fraîche rosée, qui devaient lui faire relever la tête.

Don Ferdinand lui raconta tout, depuis sa première rencontre avec Cantarello jusqu'au duel. Pendant ce récit, la pauvre Carmela passa par toutes les angoisses de l'amour et de la terreur. Don Ferdinand la sentit se rapprocher de lui, frissonner, trembler, frémir. Au moment où le jeune homme parla de coup d'épée reçu, elle jeta un cri et faillit perdre connaissance. Enfin, au moment où il venait de terminer son récit, et où il la tenait tout éplorée dans ses bras, trois battements de main retentirent de l'autre côté du mur. Carmela tressaillit.

– Qu'est-ce que cela? s'écria-t-elle.

– M'aimes-tu, Carmela? demanda don Ferdinand.

– Qu'est-ce que ce signal? répéta de nouveau la jeune fille. Ne me trompe pas, Ferdinand, je suis plus forte que tu ne le crois. Seulement dis-moi toute la vérité; que je sache ce que j'ai à espérer ou à craindre.

– Eh bien! dit Ferdinand, c'est Peppino qui vient me chercher.

– Et tu pars? demanda Carmela. Et elle devint si pâle, que don Ferdinand crut qu'elle allait mourir.

– Écoute, lui dit-il en se penchant à son oreille, veux-tu partir avec moi?

Carmela tressaillit et se leva vivement; mais elle retomba aussitôt.

– Écoute, Ferdinand, dit-elle, tu m'aimes ou tu ne m'aimes pas: si tu ne m'aimes pas, que je reste ici ou que je te suive, tu ne m'en abandonneras pas moins, et je serai perdue à la fois aux yeux du monde et aux yeux de Dieu; si tu m'aimes, tu sauras bien venir me rechercher avec la permission et l'aveu de mon père, n'est-ce pas? Et, le jour où je te reverrai, Ferdinand, où je te reverrai pour t'appeler mon mari, je tomberai à genoux devant toi, car tu m'auras rendu l'honneur et sauvé la vie. Si je ne te revois pas, je mourrai, voilà tout.

Ferdinand la prit dans ses bras.

– Oh! oui! oui! s'écria-t-il en la couvrant de baisers, oui, sois tranquille, je reviendrai.

Le signal se renouvela.

– Entends-tu? dit Carmela, on t'attend.

Ferdinand répondit en frappant à son tour trois coups dans ses mains, et un rouleau de cordes, lancé par-dessus le mur, tomba à ses pieds.

Carmela poussa un soupir qui ressemblait à un gémissement, et sa douleur s'échappa de sa poitrine en sanglots si profonds et si sourds, que Ferdinand, qui avait déjà fait un pas vers l'échelle de corde, revint à elle, et, lui passant le bras autour du corps, puis la rapprochant de lui:

– Écoute, Carmela, lui dit-il, dis un mot, et je ne te quitte pas.

– Ferdinand, répondit la jeune fille en rappelant tout son courage, tu l'as dit, il y a quelque mystère étrange caché dans ce souterrain, peut-être quelque créature vivante y est-elle ensevelie; songes-y, Ferdinand, songes-y, il y a quatorze jours que Cantarello est mort et que tu es blessé, et depuis quatorze jours, O mon Dieu! c'est effroyable à penser. Pars, pars, Ferdinand; car, si je retardais ton départ d'une seconde, peut-être te verrais-je reparaître avec un visage sévère et accusateur, peut-être pour la première fois me dirais-tu: Carmela! c'est ta faute. Pars, pars!

Et la jeune fille s'était élancée sur le paquet de cordes, et déroulait l'échelle qui devait lui enlever tout ce qu'elle aimait au monde. Cette double vue, qui n'appartient qu'au coeur de la femme, lui avait fait deviner qu'il se passait dans la chapelle quelque douloureuse catastrophe. Don Ferdinand, qui d'abord ne s'était arrêté qu'à l'idée que le souterrain renfermait quelque trésor soustrait, quelque amas d'objets volés, commençait à entrevoir une autre probabilité. Ces cris de douleur, ces bruits de chaînes que les paysans avaient pris pour les plaintes de Cantarello, lui revenaient à l'esprit, et à son tour il se reprochait d'avoir tant tardé, comprenant tout ce qu'il y avait d'admirable force et de sublime charité de la part de Carmela dans cette abnégation d'elle-même qui faisait qu'au lieu de le retenir, elle pressait son départ. Il sentit qu'il l'en aimait davantage, et, la pressant dans ses bras:

– Carmela, lui dit-il, je te jure en face de Dieu qui nous entend…

– Pas de serment! pas de serment! dit la jeune fille en lui fermant la bouche avec sa main; que ce soit ton amour qui te ramène, Ferdinand, et non la promesse que tu m'auras faite. Dis-moi: sois tranquille, Carmela, je reviendrai. Voilà tout, et je croirai en toi comme je crois en Dieu.

– Sois tranquille, je reviendrai, murmura le jeune homme en appuyant ses lèvres sur celles de sa maîtresse, oh! oui, je reviendrai; et si je ne reviens pas, c'est que je serai mort.

– Alors, dit en souriant la jeune fille, sois tranquille, nous ne serons pas séparés longtemps.

Peppino répéta une seconde fois le signal.

– Oui, oui, me voilà! s'écria Ferdinand en s'élançant sur l'échelle de corde et en montant rapidement sur le couronnement du mur.

Arrivé là, il se retourna et vit la jeune fille à genoux, et les bras tendus vers lui.

– Adieu, Carmela! lui cria-t-il, adieu, ma femme devant Dieu et bientôt devant les hommes!

Et il sauta de l'autre côté de la muraille.

– Au revoir, murmura une voix faible; au revoir, je t'attends.

– Oui, oui, répondit Ferdinand. Il sauta sur le cheval que lui avait amené Peppino, lui enfonça ses éperons dans le ventre, et s'élança, suivi du jardinier, sur la route de Syracuse, craignant, s'il restait plus longtemps, de n'avoir plus la force de partir.

LE SOUTERRAIN

Dieu garda don Ferdinand et Peppino de toute mauvaise rencontre, et au point du jour ils arrivèrent à Belvédère.

Sans entrer au village, ils se dirigèrent à l'instant vers la petite porte du jardin, enfermèrent les chevaux dans l'écurie, prirent les torches, la pince, les tenailles et la lime, et s'avancèrent vers la chapelle. Comme des craintes superstitieuses continuaient d'en écarter les visiteurs, ils ne rencontrèrent personne sur la route et y entrèrent sans être vus.

L'impression fut profonde pour don Ferdinand quand il se retrouva là où il avait éprouvé de si violentes émotions et couru un si terrible danger; il ne s'en avança pas moins d'un pas ferme vers la porte secrète, mais sur sa route, il reconnut les traces du sang desséché de Cantarello, qui rougissait encore les dalles de marbre dans toute la partie du pavé voisine de la colonne au pied de laquelle il était tombé. Don Ferdinand se détourna avec un frémissement involontaire, décrivit un cercle en regardant de côté et en silence cette trace que la mort avait laissée en passant, puis il alla droit à la porte secrète, qui s'ouvrit sans difficulté. Arrivés là, les deux jeunes gens allumèrent chacun une torche, continuèrent leur chemin, descendirent l'escalier, et trouvèrent la seconde porte; en un instant elle fut enfoncée; mais, en s'ouvrant, elle livra passage à une odeur tellement méphitique, que tous deux furent obligés de faire quelques pas en arrière pour respirer. Don Ferdinand ordonna alors au jardinier de remonter et de maintenir la première porte ouverte, afin que l'air extérieur pût pénétrer sous ces voûtes souterraines. Peppino remonta, fixa la porte et redescendit. Déjà don Ferdinand, impatient, avait continué son chemin, et de loin Peppino voyait briller la lumière de sa torche; tout à coup le jardinier entendit un cri, et s'élança vers son maître. Don Ferdinand se tenait appuyé contre une troisième porte qu'il venait d'ouvrir; un spectacle si effroyable s'était offert à ses regards, qu'il n'avait pu retenir le cri qui lui était échappé et auquel était accouru Peppino.

Cette troisième porte ouvrait un caveau à voûte basse qui renfermait trois cadavres: celui d'un homme scellé au mur par une chaîne qui lui ceignait le corps, celui d'une femme étendue sur un matelas, et celui d'un enfant de quinze ou dix-huit mois, couché sur sa mère.

Tout à coup les deux jeunes gens tressaillirent; il leur semblait qu'ils avaient entendu une plainte.

Tous deux s'élancèrent aussitôt dans le caveau: l'homme et la femme étaient morts, mais l'enfant respirait encore; il avait la bouche collée à la veine du bras de sa mère et paraissait devoir cette prolongation d'existence au sang qu'il avait bu. Cependant il était d'une faiblesse telle, qu'il était évident que, si de prompts secours ne lui étaient prodigués, il n'y avait rien à faire; la femme paraissait morte depuis plusieurs heures, et l'homme depuis deux ou trois jours.

La décision de don Ferdinand fut rapide et telle que le commandait la gravité de la circonstance; il ordonna à Peppino de prendre l'enfant; puis, s'étant assuré qu'il ne restait dans ce fatal caveau aucune autre créature ni morte, ni vivante, à l'exception de l'homme et de la femme, qui leur étaient inconnus à tous deux, il repoussa la porte, sortit vivement du souterrain, referma l'issue secrète, et, suivi de Peppino, s'achemina vers le village de Belvédère. Le long du chemin, Peppino cueillit une orange, et en exprima le jus sur les lèvres de l'enfant, qui ouvrit les yeux et les referma aussitôt en y portant les mains et en poussant un gémissement, comme si le jour l'eût douloureusement ébloui; mais, comme en même temps il ouvrait sa bouche haletante, Peppino renouvela l'expérience, et l'enfant, quoique gardant toujours les yeux fermés, sembla revenir un peu à lui.

Don Ferdinand se rendit droit chez le juge, et lui raconta mot pour mot ce qui venait d'arriver, en lui montrant l'enfant près d'expirer comme preuve de ce qu'il avançait, et en le sommant de le suivre à la chapelle pour dresser procès-verbal et reconnaître les morts; puis, accompagné du juge, il se rendit chez le médecin, laissa l'enfant à la garde de sa femme, et tous quatre retournèrent à la chapelle.

 

Tout était resté dans le même état depuis le départ de Ferdinand et de Peppino. On commença le procès-verbal.

Le cadavre enchaîné au mur était celui d'un homme de trente-cinq à trente-six ans, qui paraissait avoir effroyablement lutté pour briser sa chaîne, car ses bras crispés étaient encore étendus dans la direction de la bouche de sa femme: ses bras étaient couverts de ses propres morsures, mais ces morsures étaient des marques de désespoir plus encore que de faim. Le médecin reconnut qu'il devait être mort depuis deux jours à peu près. Cet homme lui était totalement inconnu ainsi qu'au juge.

La femme pouvait avoir vingt-six à vingt-huit ans. Sa mort à elle paraissait avoir été assez douce; elle s'était ouvert la veine avec une aiguille à tricoter, sans doute pour prolonger l'existence de son enfant, et était morte d'affaiblissement, comme nous l'avons déjà dit. Le médecin jugea qu'elle était expirée depuis quelques heures seulement. Ainsi que l'homme, elle paraissait étrangère au village, et ni le médecin ni le juge ne se rappelèrent avoir jamais vu sa figure.

Auprès de la tête de la femme, et contre la muraille, était une chaise brisée et recouverte d'un jupon. Le juge leva cette chaise, et l'on s'aperçut alors qu'elle avait été mise là pour cacher un trou pratiqué au bas de la muraille. Ce trou était assez large pour qu'une personne y pût passer, mais il s'arrêtait à quatre ou cinq pieds de profondeur. Examen fait de ce trou, il fut reconnu qu'il avait dû être creusé à l'aide d'un instrument de bois que les femmes siciliennes appellent mazzarello; c'est le même que nos paysannes placent dans leur ceinture et qui leur sert à soutenir leur aiguille à tricoter. Au reste, telle est la puissance de la volonté, telle est la force du désespoir, que l'on retrouva sous le matelas plusieurs pierres énormes arrachées des fondations du mur, et qui en avaient été extraites par cette femme sans autre aide que celle de ses mains et de cet outil. La terre était, ainsi que les pierres, recouverte par le matelas, afin sans doute de les cacher aux yeux de ceux qui gardaient les prisonniers.

La visite continua. On trouva dans un enfoncement de la muraille une bouteille où il y avait eu de l'huile, une jarre où il y avait eu de l'eau, une lampe éteinte et un gobelet de fer-blanc. Un autre enfoncement du mur était noirci par la calcination, et annonçait que plusieurs fois on avait dû allumer du feu en cet endroit, quoiqu'il n'y eût aucun conduit par lequel pût s'échapper la fumée.

Une table était dressée au milieu de ce caveau. En s'asseyant devant cette table pour écrire, le juge vit un second gobelet d'étain dans lequel était une liqueur noire; près du gobelet était une plume, et par terre trois ou quatre feuillets de papier. On s'aperçut alors que ces feuillets étaient écrits d'une écriture fine et menue, sans orthographe, et cependant assez lisible. Aussitôt on se mit à la recherche des autres morceaux de papier que l'on pourrait trouver encore, et l'on en découvrit deux nouveaux dans la paille qui était sous le cadavre de l'homme. Ces feuillets de papier ne paraissaient point avoir été cachés là avec intention; mais bien plutôt être tombés par accident de la table, et avoir été éparpillés avec les pieds. Comme les feuillets étaient paginés, on les réunit, on les classa, et voici ce qu'on lut:

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.

J'ai écrit ces lignes dans l'espérance qu'elles tomberont entre les mains de quelque personne charitable. Quelle que soit cette personne, nous la supplions, au nom de ce qu'elle a de plus cher en ce monde et dans l'autre, de nous tirer du tombeau où nous sommes enfermés depuis plusieurs années, mon mari, mon enfant et moi, sans avoir mérité aucunement cet effroyable supplice.

Je me nomme Teresa Lentini, je suis née à Taormine, je dois avoir maintenant vingt-huit ou vingt-neuf ans. Depuis le moment où nous sommes enfermés dans le caveau où j'écris, je n'ai pu compter les heures, je n'ai pu séparer les jours des nuits, je n'ai pu mesurer le temps. Il y a bien longtemps que nous y sommes; voilà tout ce que je sais.

J'étais à Catane, chez le marquis de San-Floridio, où j'avais été placée comme soeur de lait de la jeune comtesse Lucia. La jeune comtesse mourut en 1798, je crois; mais la marquise, à qui je rappelais sa fille bien-aimée, voulut me garder auprès d'elle. Elle mourut à son tour, cette bonne et digne marquise; Dieu veuille avoir son âme, car elle était aimée de tout le monde.

Je voulus alors me retirer chez ma mère, mais le marquis de San-Floridio ne le permit pas. Il avait près de lui, à titre d'intendant, un homme dont les ancêtres, depuis quatre ou cinq générations, avaient été au service de ses aïeux, qui connaissait toute sa fortune, qui savait tous ses secrets; un homme dans lequel il avait la plus grande confiance enfin. Cet homme se nommait Gaëtano Cantarello. Il avait résolu de me marier à cet homme, afin, disait-il, que nous puissions tous deux demeurer près de lui jusqu'à sa mort.

Cantarello était un homme de vingt-huit à trente ans, beau, mais d'une figure un peu dure. Il n'y avait rien à dire contre lui; il paraissait honnête homme; il n'était ni joueur ni débauché. Il avait hérité de son père, et reçu des bontés du marquis une somme considérable pour un homme de sa condition; c'était donc un parti avantageux, eu égard à ma pauvreté. Cependant, lorsque le marquis de San-Floridio me parla de ce projet, je me mis malgré moi à frémir et à pleurer; il y avait dans le froncement des sourcils de cet homme, dans l'expression sauvage de ses yeux, dans le son âpre de sa voix, quelque chose qui m'effrayait instinctivement. J'entendais dire, il est vrai, à toutes mes compagnes que j'étais bien heureuse d'être aimée de Cantarello, et que Cantarello était le plus bel homme de Messine. Je me demandais donc intérieurement si je n'étais pas une folle de juger seule ainsi mon fiancé, tandis que tout le monde le voyait autrement. Je me reprochais donc d'être injuste pour le pauvre Cantarello. Et, à mes yeux, le reproche que je me faisais était d'autant plus fondé, que, si j'avais un sentiment de répulsion instinctive pour Cantarello, je ne pouvais me dissimuler que j'éprouvais un sentiment tout contraire pour un jeune vigneron des environs de Paterno, nommé Luigi Pollino, lequel était mon cousin. Nous nous aimions d'amitié depuis notre enfance, et nous n'aurions pas su dire nous-mêmes depuis quelle époque cette amitié s'était changée en amour.

Notre désespoir à tous deux fut grand, lorsque le marquis m'eut fait part de ses projets sur moi et Cantarello; d'autant plus que ma mère, qui voyait là un mariage comme je ne pouvais jamais espérer d'en faire un, disait-elle, abandonna entièrement les intérêts du pauvre Luigi pour prendre ceux du riche intendant, et me signifia de renoncer à mon cousin pour ne plus penser qu'à son rival.

Nous étions arrivés au commencement de l'année 1783, et le jour de notre mariage était fixé pour le 15 mars, lorsque le 5 février, de terrible mémoire, arriva. Toute la journée du 4, le sirocco avait soufflé, de sorte que chacun était endormi dans la torpeur que ce vent amène avec lui. Le marquis de San-Floridio était retenu par la goutte dans son appartement, où il était couché sur une chaise longue. Je me tenais dans la chambre voisine, afin d'accourir à sa première demande, si par hasard il avait besoin de quelque chose, lorsque tout à coup un bruit étrange passa dans l'air, et le palais commença de vaciller comme un vaisseau sur la mer. Bientôt le mur qui séparait ma chambre de celle du marquis se fendit à y passer la main, tandis que le mur parallèle s'écroulait et que le plafond, cessant d'être soutenu de ce côté, s'abaissait jusqu'à terre. Je me jetai du côté opposé pour éviter le coup, et je me trouvai prise comme sous un toit; en même temps, j'entendis un grand cri dans la chambre du marquis. J'étais près de cette gerçure qui s'était faite dans la muraille; j'y appliquai mon oeil. Une poutre en tombant avait frappé le marquis à la tête, et il avait roulé de sa chaise longue à terre, tout étourdi. J'allais essayer de courir à son aide lorsque, par la porte de la chambre opposée à celle où je me trouvais, je vis entrer Cantarello dans l'appartement du marquis. A la vue de son maître évanoui, sa figure prit une expression si étrange, que j'en frémis de terreur. Il regarda autour de lui s'il était bien seul; puis, assuré que personne n'était là, il s'élança sur son maître; je crus d'abord que c'était pour le secourir, mais je fus détrompée, il détacha la cordelière qui nouait la robe de chambre du marquis, la roula autour de son cou; puis, lui appuyant le genou sur la poitrine, il l'étrangla. Dans son agonie, le marquis rouvrit les yeux, et sans doute il reconnut son assassin, car il étendit vers lui les deux mains jointes. Je poussai un cri involontaire. Cantarello leva la tête. – Y a-t-il quelqu'un ici? dit-il d'une voix terrible. C'est alors que je vis dans toute leur expression de férocité ce froncement de sourcil, ce regard, qui m'avaient, même sur son visage calme, toujours effrayée. Tremblante et presque morte de peur, je me tus et m'affaissai sur moi-même. Au bout d'un instant, ne voyant paraître personne, je me relevai, je rapprochai de nouveau mon oeil de l'ouverture, car j'avais oublié le danger que je courais moi-même en restant dans un palais qui pouvait achever de s'écrouler d'un moment à l'autre, tant j'étais retenue et fascinée en quelque sorte par la scène terrible qui venait de se passer devant moi. Le marquis était étendu par terre sans mouvement et paraissait mort. Cantarello était debout devant un secrétaire que chacun de nous savait être plein d'or et de billets, car jamais on n'y laissait la clef, et nous n'ignorions pas que cette clef ne quittait pas le marquis. L'intendant prenait l'or et les billets à pleines mains, et les entassait confusément dans les poches de son habit; puis, lorsqu'il eut tout pris, il arracha du lit du marquis le matelas en paille de maïs, renversa le secrétaire sur le matelas, entassa les chaises sur le secrétaire, et, tirant un tison du poêle, il mit le feu à ce bûcher. Bientôt, voyant la flamme grandir, il s'élança par la porte par laquelle il était entré.

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