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Le Speronare

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On se réunit en conseil pour savoir ce qu'il y avait à faire en pareille circonstance. On proposa bien de fusiller l'homme dans l'intérieur de la citadelle, mais c'était tourner la difficulté et non la vaincre, et cette mort cachée et solitaire, loin de faire taire les accusations que l'on craignait, ne manquerait pas au contraire de les motiver. Dix autres propositions du même genre furent faites, débattues et rejetées; c'était une impasse dont il n'y avait pas moyen de sortir.

Il est vrai de dire que le malheureux se conduisait, de son côté, non seulement de manière à augmenter cette appréhension, mais encore de façon à la changer en certitude. Depuis que son jugement avait été lu, il ne faisait que pleurer, que demander grâce, et que se recommander à saint Janvier. Il était évident qu'il faudrait le traîner au lieu du supplice, et qu'il mourrait comme un capucin.

Sous différents prétextes, on avait reculé le jour de l'exécution; mais enfin, tout sursis nouveau était devenu impossible. Le conseil était réuni pour la troisième fois, cherchant toujours un moyen et ne le trouvant pas. Enfin on allait se séparer, en remettant tout à la Providence, lorsque l'aumônier du régiment, se frappant le front tout à coup, déclara que ce moyen si longtemps et si vainement cherché par les autres, il venait de le trouver, lui.

On voulut savoir quel était ce moyen; mais l'aumônier déclara qu'il n'en dirait pas le premier mot à personne, la réussite dépendant du secret. On lui demanda alors si le moyen était sûr; l'aumônier dit qu'il en répondait sur sa tête.

L'exécution fut fixée au lendemain, dix heures du matin. Elle devait avoir lieu entre monte Pellegrino et Castellamare, c'est-à-dire dans une plaine qui pouvait contenir tout Palerme.

Le soir, l'aumônier se présenta à la prison. En l'apercevant, le condamné jeta les hauts cris, car il comprit que le moment de faire ses adieux au monde était venu. Mais, au lieu de le préparer à la mort, l'aumônier lui annonça que le roi lui avait accordé sa grâce.

– Ma grâce! s'écria le prisonnier, ma grâce! en saisissant les mains du prêtre.

– Votre grâce.

– Comment! Je ne serai pas fusillé? Comment! Je ne mourrai pas, j'aurai la vie sauve? demanda le prisonnier ne pouvant croire à une pareille nouvelle.

– Votre grâce pleine et entière, reprit le prêtre; seulement Sa Majesté y a mis une condition, pour l'exemple.

– Laquelle? demanda le soldat en pâlissant.

– C'est que tous les apprêts du supplice devront être faits comme si le supplice avait lieu. Vous vous confesserez ce soir comme si vous deviez mourir demain, on viendra vous chercher comme si vous n'aviez pas votre grâce, on vous conduira au lieu de l'exécution comme si on allait vous fusilier; enfin, pour conduire la chose jusqu'au bout et que l'exemple soit complet, on fera feu sur vous, mais les fusils ne seront chargés qu'à poudre.

– Est-ce bien sûr, ce que vous me dites là? demanda le condamné, à qui cette représentation semblait au moins inutile.

– Quel motif aurais-je de vous tromper? répondit le prêtre.

– C'est vrai, murmura le soldat. Ainsi, mon père, reprit-il, vous me dites que j'ai ma grâce, vous m'assurez que je ne mourrai pas?

– Je vous l'affirme.

– Alors, vive le roi! Vive saint Janvier! Vive tout le monde! cria le condamné en dansant tout autour de sa prison.

– Que faites-vous, mon fils? Que faites-vous? s'écria le moine; oubliez-vous que ce que je viens de vous découvrir était un secret qu'on m'avait défendu de vous dire, et qu'il est important que tout le monde ignore que je vous l'ai révélé, le geôlier surtout? A genoux donc, comme si vous deviez toujours mourir, et commencez votre confession.

Le condamné reconnut la vérité de ce que lui disait le prêtre, se mit à genoux et se confessa.

L'aumônier lui donna l'absolution.

Avant que le prêtre ne le quittât, le prisonnier lui demanda encore de nouveau l'assurance que tout ce qu'il lui avait dit était vrai.

Le prêtre le lui affirma une seconde fois; puis il sortit.

Derrière le prêtre le geôlier entra, et trouva le prisonnier sifflotant un petit air.

– Tiens, tiens, dit-il, est-ce que vous ne savez pas qu'on vous fusille demain, vous?

– Si fait, répondit le soldat; mais Dieu m'a accordé la grâce de faire une bonne confession, et maintenant je suis sûr d'être sauvé.

– Oh! alors, c'est différent, dit le geôlier. Avez-vous besoin de quelque chose?

– Je mangerais bien, dit le soldat.

Il y avait deux jours qu'il n'avait rien pris.

On lui apporta à souper; il mangea comme un loup, but deux bouteilles de vin de Syracuse, se jeta sur son grabat, et s'endormit.

Le lendemain, il fallut le tirer par les bras pour le réveiller. Depuis qu'il était en prison, le pauvre diable ne dormait plus.

Jamais le geôlier n'avait vu un homme si déterminé.

Le bruit se répandit par la ville que le condamné marcherait au supplice comme à une fête. Les Siciliens doutaient fort de la chose, et avec ce geste négatif qui n'appartient qu'à eux, ils disaient: Nous verrons bien.

A sept heures, on vint chercher le prisonnier. Il était en train de faire sa toilette. Il avait fait blanchir son linge, il avait brossé à fond ses habits: il était aussi beau qu'un soldat napolitain peut l'être.

Il demanda à marcher jusqu'au lieu de l'exécution, et à garder ses mains libres. Les deux choses lui furent accordées.

La place de la Marine, sur laquelle est située la prison, était encombrée de monde. En arrivant sur le haut des degrés, il salua fort gracieusement le peuple. Il n'y avait point sur son visage la moindre marque d'altération. Les Siciliens n'en revenaient pas.

Le condamné descendit les escaliers d'un pas ferme, et commença de s'acheminer par les rues, gardé par le caporal et les neuf hommes chargés de l'exécution. De temps en temps, sur sa route, il rencontrait des camarades, et, avec la permission de son escorte, leur tendait la main; et quand ceux-ci le plaignaient, il répondait par quelque maxime consolante comme: la vie est un voyage; ou bien par quelque vers équivalent à ces beaux vers du Déserteur:

Chaque minute, chaque pas

Ne mène-t-il pas au trépas?

puis il reprenait sa route.

Les Napolitains triomphaient.

A la porte d'un marchand de vin, il aperçut deux de ses camarades montés sur une borne pour le regarder passer; il alla à eux. Ils lui offrirent de boire un dernier verre de vin ensemble. Le condamné accepta, tendit son verre et le laissa remplir jusqu'au bord; puis, le levant sans que sa main tremblât, sans qu'il ne répandît une seule goutte de la précieuse liqueur qu'il contenait:

– A la longue et heureuse vie de Sa Majesté le roi Ferdinand! dit-il d'une voix ferme et dans laquelle il n'y avait pas le plus léger tremblement.

Et il vida le verre.

Cette fois Siciliens et Napolitains applaudirent, tant le courage est chose puissante, même sur un ennemi.

On arriva au lieu de l'exécution.

Là, pensaient les Siciliens, ce courage factice, résultat d'une exaltation quelconque, s'évanouirait sans doute. Tout au contraire: en voyant le lieu marqué, le condamné parut redoubler de courage. Il s'arrêta de lui-même au point désigné; seulement il demanda à n'avoir pas les yeux bandés et à commander le feu lui-même.

Ces deux dernières faveurs se refusent rarement, comme on le sait; aussi lui furent-elles accordées.

Alors son confesseur s'approcha de lui, l'embrassa, lui fit baiser le crucifix, lui offrit quelques paroles de consolation qu'il parut recevoir fort légèrement; puis il lui donna l'absolution et s'écarta pour laisser achever l'oeuvre mortelle.

Le condamné se posa debout, le visage regardant Palerme, et: le dos tourné au monte Pellegrino. Le caporal et les neuf hommes reculèrent jusqu'à ce qu'ils fussent à dix pas de lui; alors le mot halte se fit entendre, et ils s'arrêtèrent.

Aussitôt le condamné, au milieu de ce silence profond, religieux, solennel, qui plane toujours au-dessus des choses suprêmes, commanda la charge, et cela d'une voix calme, ferme, parfaitement divisée dans ses commandements.

Au mot Feu! il tomba percé de sept balles sans dire un mot, sans pousser un soupir; il avait été tué raide.

Les Napolitains jetèrent un grand cri de triomphe: l'honneur national était sauvé.

Les Siciliens se retirèrent la tête basse, et profondément humiliés qu'un Napolitain pût mourir ainsi.

Quant au prêtre, son parjure resta une affaire à régler entre lui et Dieu.

Cependant, cette grande haine entre les deux peuples s'était un peu calmée dans les derniers temps. Je parle des années 1833, 1834 et 1835. Le roi de Naples, lors de son avènement au trône, était venu en Sicile et avait fait précéder son arrivée à Messine de la grâce de vingt condamnés politiques; aussi, lorsqu'il mit le pied sur le port, les vingt graciés l'attendaient vêtus de longues robes blanches, et tenant chacun une palme à la main. La voiture qui devait conduire le roi au palais fut alors dételée, et le roi traîné en triomphe au milieu d'un enthousiasme général.

Quelque temps après, il acheva d'accomplir les espérances des Siciliens, en envoyant son frère à Palerme avec le rang de vice-roi.

Le comte de Syracuse était non seulement un jeune homme, mais même presque un enfant; il avait, à ce que je crois, dix-huit ans à peine. D'abord, cette extrême jeunesse effraya ses sujets; quelques espiègleries augmentèrent les inquiétudes; mais bientôt, au frottement des affaires, l'enfant se fit homme, comprit quelle haute mission il avait à remplir en réconciliant Naples et Palerme; il rêva pour cette pauvre Sicile ruinée, abattue, esclave, une renaissance sociale et artistique. Deux ans après son arrivée, l'île respirait comme si elle sortait d'un sommeil de fer. Le jeune prince était devenu l'idole des Siciliens.

 

Mais il arriva ce qui arrive toujours en pareille circonstance: les hommes qui vivaient du désordre, de la ruine et de l'abaissement de la Sicile, virent que leur règne était fini si celui du prince continuait. La bonté naturelle du vice-roi devint dans leur bouche un calcul d'ambition, la reconnaissance du peuple une tendance à la révolte. Le roi, entouré, circonvenu, tiraillé, conçut des soupçons sur la fidélité politique de son frère.

Sur ces entrefaites, le carnaval arriva. Le comte de Syracuse, jeune, beau garçon, aimant le plaisir, était de toutes les fêtes, et saisit avec empressement l'occasion de profiter de celles qui se présentaient. Napolitain, et par conséquent habitué à un carnaval bruyant et animé, il organisa une magnifique cavalcade dans laquelle il prit le costume de Richard-Coeur-de-Lion, et invita tous les seigneurs siciliens qui voudraient lui être agréables à se distribuer les autres personnages du roman d'Ivanhoë. Le comte de Syracuse n'était point encore en disgrâce, par conséquent chacun se hâta de se rendre à son invitation. La cavalcade fut si magnifique, que le bruit en arriva jusqu'à Naples.

– Et comment était déguisé mon frère? demanda le roi.

– Sire, répondit le porteur de la nouvelle. Son Altesse Royale le comte de Syracuse représentait le personnage de Richard-Coeur-de-Lion.

– Ah! oui, oui, murmura le roi, lui Richard-Coeur-de-Lion, et moi Jean-Sans-Terre! Je comprends.

Huit jours après, le comte de Syracuse était rappelé.

Cette disgrâce lui avait donné une popularité nouvelle en Sicile, où chacun, l'ayant vu de près, rendait justice à ses intentions, et où personne ne le soupçonnait du crime dont on l'avait accusé près de son frère.

De son côté le roi Ferdinand, sachant qu'il avait perdu par cet acte une partie de sa popularité en Sicile, boudait ses sujets insulaires. Pour la première fois depuis son avènement au trône, il laissait passer la fête de sainte Rosalie sans venir assister dans la cathédrale à la messe solennelle qu'on célèbre à cette époque.

Voilà au milieu de quels sentiments je trouvais la Sicile, sans que ces préoccupations politiques nuisissent cependant d'une manière ostensible à sa propension vers le plaisir.

Le Corso dura jusqu'à deux heures. A deux heures du matin, nous rentrâmes au milieu des illuminations à moitié éteintes, et des sérénades à moitié étouffées.

Le lendemain, à neuf heures du matin, on frappa à ma porte. Je sonnai le garçon de l'hôtel qui entra par un escalier particulier.

– Ouvrez mes volets, et voyez qui frappe, lui dis-je. Il obéit, et entr'ouvrant la porte:

– C'est il signor Mercurio, me dit-il après avoir regardé, et en se retournant de mon côté.

– Dites-lui que je suis au lit, répondis-je un peu impatienté de cette insistance.

– Il dit qu'il veut attendre que vous soyez levé, répondit le domestique.

– Alors dites-lui que je suis fort malade.

– Il dit qu'il veut savoir de quelle maladie.

– Dites-lui que c'est de la migraine.

– Il dit qu'il veut vous proposer un remède infaillible.

– Dites-lui que je suis à l'extrémité.

– Il dit qu'il veut vous dire adieu.

– Dites-lui que je suis mort.

– Il dit qu'il veut vous jeter de l'eau bénite.

– Alors, faites-le entrer.

Il signor Mercurio entra avec un assortiment de pipes de Tunis, une collection de produits sulfureux des îles Éoliennes, une foule d'ouvrages en lave de Sicile, et enfin, une partie, comme on dit en termes de commerce, d'écharpes de Messine, le tout posé en équilibre sur sa tête, appendu à ses mains, ou roulé autour de son cou. Je ne pus m'empêcher de rire.

– Ah ça! lui dis-je, savez-vous, seigneur Mercurio, que vous avez un grand talent pour forcer les portes?

– C'est mon état, Excellence.

– Et cela vous réussit-il souvent?

– Toujours.

– Mais enfin, chez les gens qui tiennent bon?

– J'entre par la fenêtre, par la cheminée, par le trou de la serrure.

– Et une fois entré?

– Oh! une fois entré, je vois à qui j'ai affaire, et j'agis en conséquence.

– Mais à ceux qui, comme moi, ne veulent rien acheter?

– Je leurs vends toujours quelque chose, quoique avec Votre Excellence, je ne veuille pas avoir de secrets. Ces pipes, ces échantillons, ces écharpes, toute cette roba enfin n'est qu'un prétexte; ma vraie profession, Excellence…

– Oui, oui, je la connais; mais je vous ai dit que je n'en ai que faire.

– Alors, Excellence, voyez ces pipes.

– Je ne fume pas.

– Voyez ces écharpes.

– J'en ai six.

– Voyez ces échantillons de soufre.

– Je ne suis pas marchand d'allumettes.

– Voyez ces petits ouvrages en lave.

– Je n'aime que les chinoiseries.

– Je vous vendrai pourtant quelque chose?

– Oui, si tu veux.

– Je veux toujours, Excellence.

– Vends-moi une histoire: tu dois en avoir de bonnes, au métier que tu fais.

– Allez demander cela aux confesseurs des couvents.

– Pourquoi me renvoies-tu à eux?

– Parce que la discrétion fait mon crédit, et que je ne veux pas le perdre.

– Donc tu n'as pas d'histoire à me raconter?

– Si fait, j'en ai une.

– Laquelle?

– J'ai la mienne; comme elle est à moi, j'en peux disposer. En voulez-vous?

– Tiens, au fait, elle doit être assez curieuse; je te donne deux piastres de ton histoire.

– Je dois prévenir Votre Excellence qu'il n'est pas le premier auquel je la raconte.

– Et combien de fois l'as-tu déjà racontée?

– Une fois à un Anglais, une fois à un Allemand, et deux fois à des Français.

– Mets-tu la même conscience dans toutes tes fournitures, signor Mercurio?

– La même, Excellence.

– Alors, comme tu es un homme précieux, je ne rabattrai rien de ce que j'ai dit; voilà tes deux piastres.

– Avant d'avoir l'histoire?

– Je m'en rapporte à toi.

– Oh! Si Votre Excellence voulait m'honorer d'une confiance pareille à l'endroit de…

– L'histoire, signor Mercurio, l'histoire!

– La voilà, Excellence.

Je sautai en bas de mon lit, je passai un pantalon à pieds, je chaussai mes pantouffles, je m'assis à une table où l'on venait de me servir des oeufs frais et du thé, et je fis signe au signor Mercurio que j'étais tout oreilles.

GELSOMINA

Il signor Mercurio était né au village de Carini, et il espérait bien qu'en commémoration de l'honneur qui revenait à ce village d'avoir donné naissance à un homme tel que lui, il lui sérail; érigé après sa mort, sur la montagne qui domine Carini, une statue de la taille de celle de saint Charles Borromée à Arona.

C'était un homme de trente-cinq à quarante ans, quoique à ses cheveux grisonnants et à sa barbe parsemée de poils argentés, on pût lui en donner hardiment quarante-cinq à cinquante; mais, comme il disait lui-même, ces marques de vieillesse prématurée tenaient beaucoup moins à l'âge qu'à la fatigue de l'esprit et au travail de l'imagination. C'était, en effet, un rude métier, et demandant une éternelle tension de la pensée que celui qu'il faisait depuis sa jeunesse; nous disons depuis sa jeunesse, car l'état qu'il avait embrassé était le résultat, non pas d'une suggestion étrangère, mais d'une vocation personnelle.

A vingt-cinq ans, il signor Mercurio était un beau garçon, jouissait déjà d'une réputation méritée par toute la Sicile, quoiqu'il se nommât encore tout simplement Gabriello, du nom de l'ange Gabriel, auquel sa mère avait eu une dévotion toute particulière pendant sa grossesse; aussi prétendait-il que plus d'une grande dame avait regretté parfois qu'il ne lui présentât point pour son compte les déclarations qu'il faisait pour le compte d'autrui.

Un jour, c'était le lendemain des fêtes de sainte Rosalie, le prince de G… le fit demander. Comme le prince de G… était une des meilleures pratiques de Gabriello, celui-ci se hâta de se rendre au palais; à peine arrivé, il fut introduit.

– Gabriello, dit le prince mettant de côté toute circonlocution inutile et entrant de plein saut en matière, il y avait hier sur le char de sainte Rosalie, une jeune fille de seize ans à peu près, belle comme un ange, avec des yeux superbes et des cheveux magnifiques. Ne pourrais-tu pas lui dire deux mots de ma part?

– Quatre, Excellence, répondit Gabriello; mais dépeignez moi un peu la personne à laquelle il faut que je m'adresse. Où était-elle placée? Était-ce parmi les anges qui portent des guirlandes au premier étage, ou parmi ceux qui jouent de la trompette au second?

– Mon cher, il n'y a pas à s'y tromper: c'était celle qui représentait la Sagesse, qui tenait une lance à la main droite, un bouclier à la main gauche, et qui était debout derrière le cardinal.

– Diamine! Excellence, vous n'avez pas mauvais goût.

– Tu la connais?

– Est-ce que je ne connais pas toutes les femmes de Palerme?

– Qui est-elle?

– C'est la fille unique du vieux Mario Capelli.

– Et comment l'appelle-t-on?

– On l'appelle Gelsomina.

– Eh bien! Gabriello, je veux Gelsomina.

– Ce sera long. Excellence! Ce sera cher!

– Combien de jours?

– Huit jours.

– Combien d'onces?

– Cinquante onces.

– Va pour huit jours et pour cinquante onces. Nous sommes aujourd'hui le 19 juillet, je t'attends le 27.

Et le prince, qui savait qu'on pouvait se reposer sur l'exactitude de Gabriello, attendit tranquillement le moment fixé.

Le même jour, Gabriello se mit à l'oeuvre: sa première visite fut pour le capucin qui confessait Gelsomina, et qui se nommait Fra Leonardo.

C'était un vieillard de soixante-quinze ans, à la barbe blanche et au visage sévère; aussi Gabriello vit-il, avant d'ouvrir la bouche, que la négociation entreprise serait plus difficile à mener à fin qu'il n'avait cru. Il lui dit qu'il venait au nom d'un oncle de la jeune fille, qui, ayant du bien, voulait l'avantager, si ce que l'on disait de sa sagesse était la vérité. Le résultat des renseignements donnés par le capucin fut que Gelsomina était un ange.

Au reste, comme c'est toujours par là que débutent les confesseurs, Gabriello ne s'inquiéta pas trop des mauvais renseignements que celui de Gelsomina venait de lui donner. Il se déguisa en juif, prit les plus beaux bijoux qu'il put se procurer, s'en forma une espèce d'écrin, et, au moment où le vieux Mario était dehors, il entra chez la jeune fille pour lui offrir sa marchandise. Quand Gelsomina sut que c'étaient des pierreries qu'on allait lui montrer, elle refusa même de les voir, en disant qu'elle n'était pas assez riche pour désirer de pareilles choses. Gabriello lui dit alors que, quand on avait seize ans et qu'on était belle comme elle l'était, on pouvait tout désirer et tout avoir; à ces mots, il ouvrit l'écrin et lui mit sous les yeux assez de diamants pour tourner la tête à une sainte; mais Gelsomina jeta à peine un coup d'oeil sur l'écrin et, comme Gabriello insistait, elle entra dans la chambre voisine, en sortit un instant après avec une couronne de jasmin et de daphnés, et se mirant avec coquetterie dans une glace: «Tenez, lui dit-elle, voilà mes diamants, à moi; Gaëtano dit que je suis belle comme cela, et, tant qu'il me trouvera belle ainsi, je ne désirerai pas autre chose. Maintenant, mon père va rentrer, il trouverait peut-être mauvais que je vous eusse reçu en son absence; ainsi, croyez-moi, retirez-vous.»

Gabriello n'insista pas; pour la première visite, il ne voulait pas l'effaroucher. D'ailleurs il savait ce qu'il voulait savoir: Gelsomina n'était pas coquette, et elle aimait un jeune homme nommé Gaëtano.

Il retourna chez le prince de G…

– Excellence, lui dit-il, je viens de voir Gelsomina; c'est plus difficile et plus cher que je ne croyais; il me faut quinze jours et cent onces.

– Prends le temps et l'argent que tu voudras, mais réussis, voilà tout ce que je te demande.

– Je réussirai, Excellence.

– Je puis donc y compter?

– C'est comme si vous rayiez, monseigneur.

Gabriello connaissait assez son monde pour comprendre qu'il n'y avait rien à faire du côté de la jeune fille. Il se retourna donc de l'autre côté.

Il s'agissait de découvrir monsieur Gaëtano. La chose n'était pas difficile: Gabriello loua une petite chambre au premier, dans la maison située en face de celle qu'habitait Gelsomina, et le soir même il se mit en sentinelle derrière la jalousie.

A mesure que l'heure s'avançait, là rue devint de plus en plus déserte. A minuit, elle était complètement solitaire; à minuit et demi, un grand garçon passa et repassa plusieurs fois; enfin, voyant que tout était tranquille, il s'arrêta, tira une petite mandoline de dessous son manteau, et se mit à chanter la chanson de Méli:

 

Occhiuzzi neri,

A la fin du couplet, la jalousie du premier se souleva doucement, et Gabriello en vit sortir la jolie tête de Gelsomina avec sa couronne de jasmins et de daphnés. Le jeune homme monta aussitôt sur une borne, et lui prit la main qu'il baisa; mais tout se borna là. Après deux heures des protestations de l'amour le plus chaste et le plus pur, la jalousie retomba. Le jeune homme resta encore un instant à prier; mais la petite main repassa seule à travers les planchettes, puis, après avoir été baisée et rebaisée vingt fois, elle se retira à son tour. Ce fut vainement alors que Gaëtano pria et implora; Gabriello entendit le bruit de la fenêtre qui se refermait. Le jeune homme, au lieu d'être reconnaissant de ce qu'on avait fait pour lui, sauta à terre avec un mouvement de dépit. Gabriello pensa qu'il allait se retirer; il descendit vivement. En effet, au moment où il ouvrait la porte, le jeune homme tournait le coin de la rue. Gabriello marcha derrière lui.

Il prit la rue de Tolède, qu'il suivit jusqu'à la place de la Marine, puis il longea le quai et entra dans une petite maison située au bord de la mer. Gabriello fit, pour la reconnaître, une croix sur la maison avec de la craie rouge, et il rentra tranquillement chez lui.

Le lendemain, il connaissait Gaëtano comme il connaissait Gelsomina. C'était un beau garçon de vingt-quatre à vingt-cinq ans, pêcheur de son état, d'un caractère froid et retiré en lui-même, et si préoccupé d'assortir sa toilette à sa figure, que ses camarades ne l'appelaient que le glorieux.

De ce moment, le plan de Gabriello fut arrêté.

Il alla trouver la plus adroite et la plus jolie fille qu'il put rencontrer à Palerme: c'était une Catanaise qu'un marquis syracusain avait séduite, puis abandonnée après avoir vécu près d'un an avec elle. Pendant cette année elle avait pris certaines façons de grande dame; c'était tout ce qu'il fallait à Gabriello.

Il prit un appartement petit, mais élégant, dans un des plus beaux quartiers de la ville. Il loua pour un mois les plus jolis meubles qu'il put trouver; il alla chercher sa Catanaise, la conduisit dans l'appartement, lui donna pour femme de chambre une fille qui était sa maîtresse; puis, une fois installée, il lui fit sa leçon. Tout cela lui prit huit jours.

Le neuvième était un dimanche; ce dimanche amenait la fête d'un village voisin de Palerme nommé Belmonte; Gelsomina vint à cette fête avec trois ou quatre de ses jeunes amies. Gaëtano n'était point encore arrivé, mais, en cherchant de tous côtés celui pour qui elle était venue, les yeux de Gelsomina s'arrêtèrent sur une petite barque tout enrubannée et à la poupe de laquelle flottait un pavillon de soie; c'était la barque de Gaëtano qui traversait le golfe et qui venait de Castellamare à la Bagherie. Arrivé à la côte, Gaëtano amarra sa barque et sauta sur le rivage: il avait un simple habit de pêcheur, mais son bonnet phrygien était du pourpre le plus vif; sa veste de velours était brodée comme un cafetan arabe; sa ceinture aux mille couleurs était de la plus belle soie de Tunis; enfin, son pantalon plissé était de la plus fine toile de Catane. Toutes les jeunes filles, en apercevant le beau pêcheur, poussèrent un cri d'admiration; Gelsomina seule resta muette, mais elle rougit d'orgueil et de plaisir.

Gaëtano fut tout à Gelsomina; et cependant, quoiqu'il parût fier d'elle comme elle était fière de lui, les regards du beau jeune homme ne laissaient pas de s'égarer de la modeste jeune fille aux nobles dames qui étaient venues, des villas voisines, voir cette fête populaire à laquelle elles dédaignaient de prendre part. Plusieurs d'entre elles remarquèrent même Gaëtano, et se le montrèrent du doigt avec cette naïveté des femmes italiennes, qui s'arrêtent devant un beau garçon, et qu'elles regardent comme elles regarderaient un beau chien ou un beau cheval. Gaëtano répondit à leurs regards par un regard de dédain; mais, dans ce regard de Gaëtano, il y avait pour le moins autant d'envie que d'orgueil, et l'on comprenait facilement qu'il donnerait bien des choses pour être l'amant d'une de ces fières beautés qu'en apparence il semblait haïr.

Gelsomina ne voyait qu'une chose: c'est que son Gaëtano était le roi de la fête, c'est qu'on l'enviait d'être aimée par le beau pêcheur; et, jugeant le coeur de son amant par le sien, elle était heureuse.

Gaëtano proposa à Gelsomina et à ses amies de les ramener dans sa barque. Les jeunes filles acceptèrent, et tandis qu'un jeune frère de Gaëtano, enfant de douze ans, tenait le gouvernail, le beau pêcheur s'assit à la proue, prit sa mandoline et, au milieu de cette belle nuit, sous ce ciel magnifique, sur cette mer d'azur, il se mit à chanter les plus douces chansons de Méli, l'Anacréon sicilien.

On aborda ainsi près de la cabane de Gaëtano; puis il amarra sa barque. Les jeunes filles descendirent. Le beau pêcheur conduisit Gelsomina et deux de ses compagnes qui demeuraient dans le même quartier qu'elle jusqu'au coin de la rue qu'elle habitait; puis, arrivé là, il les quitta, et Gelsomina rentra avec une de ses amies qui, un instant après, sortit, accompagnée à son tour de la vieille Assunta, la nourrice de Gelsomina.

Gabriello s'était remis a son poste à la même heure que la veille; il vit Gaëtano passer, repasser, s'arrêter et faire le signal. Comme la veille, les deux amants causèrent jusqu'à deux heures du matin; mais, comme la veille encore, leur entretien demeura chaste et pur, et leurs caresses se bornèrent à quelques baisers déposés sur la main de Gelsomina.

Gaëtano ne douta plus qu'ils ne se vissent ainsi chaque nuit; mais il ne douta pas non plus que, malgré ces entretiens, Gelsomina ne fût digne en tout point de représenter la déesse de la Sagesse sur le char de sainte Rosalie.

Le lendemain, comme Gaëtano venait à son rendez-vous habituel, une femme, couverte d'un long voile noir, l'accosta et lui glissa un petit billet dans la main. Gaëtano voulut l'interroger, mais la femme voilée appuya par-dessus son voile son doigt sur sa bouche en signe de silence, et Gaëtano étonné la laissa se retirer sans faire un seul mouvement pour la retenir.

Gaëtano resta un instant immobile à la place où il était, reportant ses yeux du billet à la femme voilée et de la femme voilée au billet; puis, s'approchant vivement d'une madone devant laquelle brûlait une lampe, il lut ou plutôt il dévora les quelques lignes que le papier contenait. C'était une déclaration d'amour, qui n'avait pour signature que ces mots, dont l'effet, au reste, fut magique sur Gaëtano: Une des plus grandes dames de la Sicile.

On lui disait en outre que, s'il était disposé à répondre à cet amour, il retrouverait le lendemain, à la même heure et à la même place, la même femme voilée, qui le conduirait près de l'inconnue que la violence de sa passion forçait à faire près de lui cette étrange démarche.

A cette lecture, le visage de Gaëtano s'éclaira d'une orgueilleuse joie. Il releva le front, secoua la tête, et respira comme un homme qui arrive tout à coup, et au moment où il s'en doutait le moins, à un but longtemps poursuivi; puis, quoiqu'il fût minuit passé, il resta encore un instant pensif, debout et les bras croisés, devant la madone, relut une seconde fois le billet, le glissa dans la poche de côté de sa veste, et prit la rue qui conduisait à la maison de Gelsomina.

Quoique aucun signal n'eût été fait, la pauvre enfant était à sa fenêtre; c'était la première fois, depuis que Gaëtano lui avait dit qu'il l'aimait, que Gaëtano se faisait attendre.

Enfin il parut, non point tendre et empressé comme d'habitude, mais contraint, gêné, inquiet. Dix fois Gelsomina, s'apercevant de sa préoccupation, lui demanda quelle pensée le tourmentait. Gaëtano dit qu'il était indisposé, souffrant, et que, si le lendemain il ne se sentait pas mieux, il était possible qu'il ne vînt même pas.

En face de cette crainte, Gelsomina oublia toute autre chose; il fallait en effet que Gaëtano fût bien malade pour n'avoir point la force de venir voir sa Gelsomina, que depuis un an il venait voir, en lui disant lui-même que peut-être l'habitude qu'il avait d'une inaltérable santé faisait qu'il exagérait les douleurs qu'il éprouvait, et qu'en tout cas il ferait tout au monde pour venir à l'heure ordinaire.

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