Бесплатно

Le Chevalier de Maison-Rouge

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

– Faites donc, cher ami, répondit Morand; j'ai dit ce que je devais dire. Faites: Geneviève est digne en tous points de la mission que vous lui donnez ou plutôt qu'elle s'est donnée elle-même. C'est avec les saintes qu'on fait les martyrs.



Et il tendit sa main blanche et efféminée à Dixmer, qui la serra entre ses mains vigoureuses.



Puis Dixmer, recommandant à Morand et à ses compagnons une surveillance plus grande que jamais, passa chez Geneviève.



Elle était assise devant une table, l'œil attaché sur une broderie et le front baissé. Elle se retourna au bruit de la porte qui s'ouvrait et reconnut Dixmer.



– Ah! c'est vous, mon ami? dit-elle.



– Oui, répondit Dixmer avec un visage placide et souriant; je reçois de notre ami Maurice une lettre à laquelle je ne comprends rien. Tenez, lisez-la donc, et dites-moi ce que vous en pensez.



Geneviève prit la lettre d'une main dont, malgré toute sa puissance sur elle-même, elle ne pouvait dissimuler le tremblement, et lut.



Dixmer suivit des yeux; ses yeux parcouraient chaque ligne.



– Eh bien? dit-il quand elle eut fini.



– Eh bien, je pense que M. Maurice Lindey est un honnête homme, répondit Geneviève avec le plus grand calme, et qu'il n'y a rien à craindre de son côté.



– Vous croyez qu'il ignore quelles sont les personnes que vous avez été visiter à Auteuil?



– J'en suis sûre.



– Pourquoi donc cette brusque détermination? Vous a-t-il paru hier ou plus froid ou plus ému que d'habitude?



– Non, dit Geneviève; je crois qu'il était le même.



– Songez bien à ce que vous me répondez là, Geneviève; car votre réponse, vous devez le comprendre, va avoir sur tous nos projets une grave influence.



– Attendez donc, dit Geneviève avec une émotion qui perçait à travers tous les efforts qu'elle faisait pour conserver sa froideur; attendez donc…



– Bien! dit Dixmer avec une légère contraction des muscles de son visage; bien, rappelez-vous tous vos souvenirs, Geneviève.



– Oui, reprit la jeune femme, oui, je me rappelle; hier il était maussade; M. Maurice est un peu tyran dans ses amitiés… et nous avons quelquefois boudé des semaines entières.



– Ce serait donc une simple bouderie? demanda Dixmer.



– C'est probable.



– Geneviève, dans notre position, comprenez cela, ce n'est pas une probabilité qu'il nous faut, c'est une certitude.



– Eh bien, mon ami… j'en suis certaine.



– Cette lettre alors ne serait qu'un prétexte pour ne point revenir à la maison?



– Mon ami, comment voulez-vous que je vous dise de pareilles choses?



– Dites, Geneviève, répondit Dixmer, car à toute autre femme que vous je ne les demanderais pas.



– C'est un prétexte, dit Geneviève en baissant les yeux.



– Ah! fit Dixmer. Puis, après un moment de silence, retirant de son gilet et appuyant sur le dossier de la chaise de sa femme une main avec laquelle il venait de comprimer les battements de son cœur:



– Rendez-moi un service, chère amie, fit Dixmer.



– Et lequel? demanda Geneviève en se retournant étonnée.



– Prévenez jusqu'à l'ombre d'un danger; Maurice est peut-être plus avant dans nos secrets que nous ne le soupçonnons. Ce que vous croyez un prétexte est peut-être une réalité. Écrivez-lui un mot.



– Moi? fit Geneviève en tressaillant.



– Oui, vous; dites-lui que c'est vous qui avez ouvert la lettre et que vous désirez en avoir l'explication; il viendra, vous l'interrogerez et vous devinerez très facilement alors de quoi il est question.



– Oh! non, certes, s'écria Geneviève, je ne puis faire ce que vous dites; je ne le ferai pas.



– Chère Geneviève, quand des intérêts aussi puissants que ceux qui reposent sur nous sont en jeu, comment reculez-vous devant de misérables considérations d'amour-propre?



– Je vous ai dit mon opinion sur Maurice, monsieur, répondit Geneviève; il est honnête, il est chevaleresque, mais il est capricieux, et je ne veux pas subir d'autre servitude que celle de mon mari.



Cette réponse fut faite à la fois avec tant de calme et de fermeté, que Dixmer comprit qu'insister, en ce moment du moins, serait chose inutile; il n'ajouta pas un seul mot, regarda Geneviève sans paraître la regarder, passa sa main sur son front humide de sueur et sortit.



Morand l'attendait avec inquiétude. Dixmer lui raconta mot pour mot ce qui venait de se passer.



– Bien, répondit Morand, restons-en donc là et n'y pensons plus. Plutôt que de causer une ombre de souci à votre femme, plutôt que de blesser l'amour-propre de Geneviève, je renoncerais…



Dixmer lui posa la main sur l'épaule.



– Vous êtes fou, monsieur, lui dit-il en le regardant fixement, ou vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites.



– Comment, Dixmer, vous croyez!..



– Je crois, chevalier, que vous n'êtes pas plus maître que moi de laisser aller vos sentiments à l'impulsion de votre cœur. Ni vous, ni moi, ni Geneviève ne nous appartenons, Morand. Nous sommes des choses appelées à défendre un principe, et les principes s'appuient sur les choses, qu'ils écrasent.



Morand tressaillit et garda le silence, un silence rêveur et douloureux. Ils firent ainsi quelques tours dans le jardin sans échanger une seule parole. Puis Dixmer quitta Morand.



– J'ai quelques ordres à donner, dit-il d'une voix parfaitement calme. Je vous quitte, monsieur Morand. Morand tendit la main à Dixmer et le regarda s'éloigner.



– Pauvre Dixmer, dit-il, j'ai bien peur que, dans tout cela, ce ne soit lui qui risque le plus.



Dixmer rentra effectivement dans son atelier, donna quelques ordres, relut les journaux, ordonna une distribution de pain et de mottes aux pauvres de la section, et, rentrant chez lui, quitta son costume de travail pour ses vêtements de sortie.



Une heure après, Maurice, au plus fort de ses lectures et de ses allocutions, fut interrompu par la voix de son officieux, qui, se penchant à son oreille, lui disait tout bas:



– Citoyen Lindey, quelqu'un qui, à ce qu'il prétend du moins, a des choses très importantes à vous dire, vous attend chez vous.



Maurice rentra et fut fort étonné, en rentrant, de trouver Dixmer installé chez lui, et feuilletant les journaux. En revenant, il avait, tout le long de la route, interrogé son domestique, lequel, ne connaissant point le maître tanneur, n'avait pu lui donner aucun renseignement.



En apercevant Dixmer, Maurice s'arrêta sur le seuil de la porte et rougit malgré lui.



Dixmer se leva et lui tendit la main en souriant.



– Quelle mouche vous pique et que m'avez-vous écrit? demanda-t-il au jeune homme. En vérité, c'est me frapper sensiblement, mon cher Maurice. Moi, tiède et faux patriote, m'écrivez-vous? Allons donc, vous ne pouvez pas me redire de pareilles accusations en face; avouez bien plutôt que vous me cherchez une mauvaise querelle.



– J'avouerai tout ce que vous voudrez, mon cher Dixmer, car vos procédés ont toujours été pour moi ceux d'un galant homme; mais je n'ai pas moins pris une résolution, et cette résolution est irrévocable…



– Comment cela? demanda Dixmer; de votre propre aveu vous n'avez rien à nous reprocher, et vous nous quittez cependant?



– Cher Dixmer, croyez que pour agir comme je le fais, que pour me priver d'un ami comme vous, il faut que j'aie de bien fortes raisons.



– Oui; mais, en tout cas, reprit Dixmer en affectant de sourire, ces raisons ne sont point celles que vous m'avez écrites. Celles que vous m'avez écrites ne sont qu'un prétexte.



Maurice réfléchit un instant.



– Écoutez, Dixmer, dit-il, nous vivons dans une époque où le doute émis dans une lettre peut et doit vous tourmenter, je le comprends; il ne serait donc point d'un homme d'honneur de vous laisser sous le poids d'une pareille inquiétude. Oui, Dixmer, les raisons que je vous ai données n'étaient qu'un prétexte.



Cet aveu, qui aurait dû éclaircir le front du commerçant, sembla au contraire l'assombrir.



– Mais enfin, le véritable motif? dit Dixmer.



– Je ne puis vous le dire, répliqua Maurice; et cependant, si vous le connaissiez, vous l'approuveriez, j'en suis sûr. Dixmer le pressa.



– Vous le voulez absolument? dit Maurice.



– Oui, répondit Dixmer.



– Eh bien, répondit Maurice, qui éprouvait un certain soulagement à se rapprocher de la vérité, voici ce que c'est: vous avez une femme jeune et belle, et la chasteté, cependant bien connue, de cette femme jeune et belle, n'a pu faire que mes visites chez vous n'aient été mal interprétées.



Dixmer pâlit légèrement.



– Vraiment? dit-il. Alors, mon cher Maurice, l'époux vous doit remercier du mal que vous faites à l'ami.



– Vous comprenez, dit Maurice, que je n'ai pas la fatuité de croire que ma présence puisse être dangereuse pour votre repos ou celui de votre femme, mais elle peut être une source de calomnies, et, vous le savez, plus les calomnies sont absurdes, plus facilement on les croit.



– Enfant! dit Dixmer en haussant les épaules.



– Enfant, tant que vous voudrez, répondit Maurice; mais de loin nous n'en serons pas moins bons amis, car nous n'aurons rien à nous reprocher; tandis que de près, au contraire…



– Eh bien, de près?



– Les choses auraient pu finir par s'envenimer.



– Pensez-vous, Maurice, que j'aurais pu croire…?



– Eh! mon Dieu! fit le jeune homme.



– Mais pourquoi m'avez-vous écrit cela plutôt que de me le dire, Maurice?



– Tenez, justement pour éviter ce qui se passe entre nous en ce moment.



– Êtes-vous donc fâché, Maurice, que je vous aime assez pour être venu vous demander une explication? fit Dixmer.



– Oh! tout au contraire, s'écria Maurice, et je suis heureux, je vous jure, de vous avoir vu cette fois encore, avant de ne plus vous revoir.



– Ne plus vous revoir, citoyen! nous vous aimons bien pourtant, répliqua Dixmer en prenant et en pressant la main du jeune homme entre les siennes.

 



Maurice tressaillit.



– Morand, – continua Dixmer, à qui ce tressaillement n'avait point échappé, mais qui cependant n'en exprima rien, – Morand me le répétait encore ce matin: «Faites tout ce que vous pourrez, dit-il, pour ramener ce cher M. Maurice.»



– Ah! monsieur, dit le jeune homme en fronçant le sourcil et en retirant sa main, je n'aurais pas cru être si avant dans les amitiés du citoyen Morand.



– Vous en doutez? demanda Dixmer.



– Moi, répondit Maurice, je ne le crois ni n'en doute, je n'ai aucun motif de m'interroger à ce sujet; quand j'allais chez vous, Dixmer, j'y allais pour vous et pour votre femme, mais non pour le citoyen Morand.



– Vous ne le connaissez pas, Maurice, dit Dixmer; Morand est une belle âme.



– Je vous l'accorde, dit Maurice en souriant avec amertume.



– Maintenant, continua Dixmer, revenons à l'objet de ma visite.



Maurice s'inclina en homme qui n'a plus rien à dire et qui attend.



– Vous dites donc que des propos ont été faits?



– Oui, citoyen, dit Maurice.



– Eh bien, voyons, parlons franchement. Pourquoi feriez-vous attention à quelque vain caquetage de voisin désœuvré? Voyons, n'avez-vous pas votre conscience, Maurice, et Geneviève n'a-t-elle pas son honnêteté?



– Je suis plus jeune que vous, dit Maurice, qui commençait à s'étonner de cette insistance, et je vois peut-être les choses d'un œil plus susceptible. C'est pourquoi je vous déclare que, sur la réputation d'une femme comme Geneviève, il ne doit pas même y avoir le vain caquetage d'un voisin désœuvré. Permettez donc, cher Dixmer, que je persiste dans ma première résolution.



– Allons, dit Dixmer, et puisque, nous sommes en train d'avouer, avouons encore autre chose.



– Quoi?.. demanda Maurice en rougissant. Que voulez-vous que j'avoue?



– Que ce n'est ni la politique ni le bruit de vos assiduités chez moi qui vous engagent à nous quitter.



– Qu'est-ce donc, alors?



– Le secret que vous avez pénétré.



– Quel secret? demanda Maurice avec une expression de curiosité naïve qui rassura le tanneur.



– Cette affaire de contrebande que vous avez pénétrée le soir même où nous avons fait connaissance d'une si étrange manière. Jamais vous ne m'avez pardonné cette fraude, et vous m'accusez d'être mauvais républicain, parce que je me sers de produits anglais dans ma tannerie.



– Mon cher Dixmer, dit Maurice, je vous jure que j'avais complètement oublié, quand j'allais chez vous, que j'étais chez un contrebandier.



– En vérité?



– En vérité.



– Vous n'aviez donc pas d'autre motif d'abandonner la maison que celui que vous m'aviez dit?



– Sur l'honneur.



– Eh bien, Maurice, reprit Dixmer en se levant et serrant la main du jeune homme, j'espère que vous réfléchirez et que vous reviendrez sur cette résolution qui nous fait tant de peine à tous.



Maurice s'inclina et ne répondit point; ce qui équivalait à un dernier refus.



Dixmer sortit désespéré de n'avoir pu se conserver de relations avec cet homme que certaines circonstances lui rendaient non seulement si utile, mais encore presque indispensable.



Il était temps. Maurice était agité par mille désirs contraires. Dixmer le priait de revenir; Geneviève lui pourrait pardonner. Pourquoi donc désespérait-il? Lorin, à sa place, aurait bien certainement une foule d'aphorismes tirés de ses auteurs favoris. Mais il y avait la lettre de Geneviève; ce congé formel qu'il avait emporté avec lui à la section, et qu'il avait sur son cœur avec le petit mot qu'il avait reçu d'elle le lendemain du jour où il l'avait tirée des mains de ces hommes qui l'insultaient; enfin, il y avait plus que tout cela, il y avait l'opiniâtre jalousie du jeune homme contre ce Morand détesté, première cause de sa rupture avec Geneviève.



Maurice demeura donc inexorable dans sa résolution.



Mais, il faut le dire, ce fut un vide pour lui que la privation de sa visite de chaque jour à la vieille rue Saint-Jacques; et quand arriva l'heure où il avait l'habitude de s'acheminer vers le quartier Saint-Victor, il tomba dans une mélancolie profonde, et à partir de ce moment, parcourut toutes les phases de l'attente et du regret.



Chaque matin, il s'attendait, en se réveillant, à trouver une lettre de Dixmer, et cette fois il s'avouait, lui qui avait résisté à des instances de vive voix, qu'il céderait à une lettre; chaque jour, il sortait avec l'espérance de rencontrer Geneviève, et, d'avance, il avait trouvé, s'il la rencontrait, mille moyens pour lui parler. Chaque soir, il rentrait chez lui avec l'espérance d'y trouver ce messager qui lui avait un matin, sans s'en douter, apporté la douleur, devenue depuis son éternelle compagne.



Bien souvent aussi, dans ses heures de désespoir, cette puissante nature rugissait à l'idée d'éprouver une pareille torture sans la rendre à celui qui la lui avait fait souffrir: or, la cause première de tous ses chagrins, c'était Morand. Alors il formait le projet d'aller chercher querelle à Morand. Mais l'associé de Dixmer était si frêle, si inoffensif, que l'insulter ou le provoquer, c'était une lâcheté de la part d'un colosse comme Maurice.



Lorin était bien venu jeter quelques distractions sur les chagrins que son ami s'obstinait à lui taire, sans lui en nier cependant l'existence. Celui-ci avait fait tout ce qu'il avait pu, en pratique et en théorie, pour rendre à la patrie ce cœur tout endolori par un autre amour. Mais, quoique la circonstance fût grave, quoique dans toute autre disposition d'esprit elle eût entraîné Maurice tout entier dans le tourbillon politique, elle n'avait pu rendre au jeune républicain cette activité première qui avait fait de lui un héros du 14 juillet et du 10 août.



En effet, les deux systèmes, depuis près de dix mois en présence l'un de l'autre, qui jusque-là ne s'étaient en quelque sorte porté que de légères attaques, et qui n'avaient préludé encore que par des escarmouches, s'apprêtaient à se prendre corps à corps, et il était évident que la lutte, une fois commencée, serait mortelle pour l'un des deux. Ces deux systèmes, nés du sein de la Révolution elle-même, étaient celui de la modération, représenté par les girondins, c'est-à-dire par Brissot, Pétion, Vergniaud, Valazé, Lanjuinais, Barbaroux, etc., etc.; et celui de la Terreur ou de la Montagne, représenté par Danton, Robespierre, Chénier, Fabre, Marat, Collot d'Herbois, Hébert, etc., etc.



Après le 10 août, l'influence, comme après toute action, avait semblé devoir passer au parti modéré. Un ministère avait été reformé des débris de l'ancien ministère et d'une adjonction nouvelle. Roland, Servien et Clavières, anciens ministres, avaient été rappelés; Danton, Monge et Le Brun avaient été nommés de nouveau. À l'exception d'un seul qui représentait, au milieu de ses collègues, l'élément énergique, tous les autres ministres appartenaient au parti modéré.



Quand nous disons modéré, on comprend bien que nous parlons relativement.



Mais le 10 août avait eu son écho à l'étranger, et la coalition s'était hâtée de marcher, non pas au secours de Louis XVI personnellement, mais du principe royaliste ébranlé dans sa base. Alors avaient retenti les paroles menaçantes de Brunswick, et, comme une terrible réalisation, Longwy et Verdun étaient tombés au pouvoir de l'ennemi. Alors avait eu lieu la réaction terroriste; alors Danton avait rêvé les journées de septembre, et avait réalisé ce rêve sanglant qui avait montré à l'ennemi la France tout entière complice d'un immense assassinat, prête à lutter, pour son existence compromise, avec toute l'énergie du désespoir. Septembre avait sauvé la France, mais, tout en la sauvant, l'avait mise hors la loi.



La France sauvée, l'énergie devenue inutile, le parti modéré avait repris quelques forces. Alors il avait voulu récriminer sur ces journées terribles. Les mots de meurtrier et d'assassin avaient été prononcés. Un mot nouveau avait même été ajouté au vocabulaire de la nation, c'était celui de

septembriseur

.



Danton l'avait bravement accepté. Comme Clovis, il avait un instant incliné la tête sous le baptême de sang, mais pour la relever plus haute et plus menaçante. Une autre occasion de reprendre la terreur passée se présentait, c'était le procès du roi. La violence et la modération entrèrent, non pas encore tout à fait en lutte de personnes, mais en lutte de principes.



L'expérience des forces relatives fut faite sur le prisonnier royal. La modération fut vaincue, et la tête de Louis XVI tomba sur l'échafaud.



Comme le 10 août, le 21 janvier avait rendu à la coalition toute son énergie. Ce fut encore le même homme qu'on lui opposa, mais non plus la même fortune. Dumouriez, arrêté dans ses progrès par le désordre de toutes les administrations qui empêchaient les secours d'hommes et d'argent d'arriver jusqu'à lui, se déclare contre les jacobins qu'il accuse de cette désorganisation, adopte le parti des girondins, et les perd en se déclarant leur ami.



Alors la Vendée se lève, les départements menacent; les revers amènent des trahisons, et les trahisons des revers. Les jacobins accusent les modérés et veulent les frapper au 10 mars, c'est-à-dire pendant la soirée où s'est ouvert notre récit. Mais trop de précipitation de la part de leurs adversaires les sauve, et peut-être aussi cette pluie qui avait fait dire à Pétion, ce profond anatomiste de l'esprit parisien:



«Il pleut, il n'y aura rien cette nuit.»



Mais, depuis ce 10 mars, tout, pour les girondins, avait été présage de ruine: Marat mis en accusation et acquitté; Robespierre et Danton réconciliés maintenant, du moins comme se réconcilient un tigre et un lion pour abattre le taureau qu'ils doivent dévorer; Henriot, le septembriseur, nommé commandant général de la garde nationale: tout présageait cette journée terrible qui devait emporter dans un orage la dernière digue que la Révolution opposait à la Terreur.



Voilà les grands événements auxquels, dans toute autre circonstance, Maurice eût pris une part active que lui faisaient naturellement sa nature puissante et son patriotisme exalté. Mais, heureusement ou malheureusement pour Maurice, ni les exhortations de Lorin, ni les terribles préoccupations de la rue n'avaient pu chasser de son esprit la seule idée qui l'obsédât, et, quand arriva le 31 mai, le terrible assaillant de la Bastille et des Tuileries était couché sur son lit, dévoré par cette fièvre qui tue les plus forts, et qu'il ne faut cependant qu'un regard pour dissiper, qu'un mot pour guérir.



XIII

Le 31 mai

Pendant la journée de ce fameux 31 mai, où le tocsin et la générale retentissaient depuis le point du jour, le bataillon du faubourg Saint-Victor entrait au Temple.



Quand toutes les formalités d'usage eurent été accomplies et les postes distribués, on vit arriver les municipaux de service, et quatre pièces de canon de renfort vinrent se joindre à celles déjà en batterie à la porte du Temple.



En même temps que le canon, arrivait Santerre avec ses épaulettes de laine jaune et son habit, où son patriotisme pouvait se lire en larges taches de graisse.



Il passa la revue du bataillon, qu'il trouva dans un état convenable, et compta les municipaux, qui n'étaient que trois.



– Pourquoi trois municipaux? demanda-t-il, et quel est le mauvais citoyen qui manque?



– Celui qui manque, citoyen général, n'est cependant pas un tiède, répondit notre ancienne connaissance Agricola; car c'est le secrétaire de la section Lepelletier, le chef des braves Thermopyles, le citoyen Maurice Lindey.



– Bien, bien, fit Santerre; je reconnais comme toi le patriotisme du citoyen Maurice Lindey, ce qui n'empêchera pas que si, dans dix minutes, il n'est pas arrivé, on l'inscrira sur la liste des absents.



Et Santerre passa aux autres détails.



À quelques pas du général, au moment où il prononçait ces paroles, un capitaine de chasseurs et un soldat se tenaient à l'écart: l'un appuyé sur son fusil, l'autre assis sur un canon.



– Avez-vous entendu? dit à demi-voix le capitaine au soldat; Maurice n'est point encore arrivé.



– Oui, mais il arrivera, soyez tranquille, à moins qu'il ne soit d'émeute.



– S'il pouvait ne pas venir, dit le capitaine, je vous placerais en sentinelle sur l'escalier, et, comme

elle

 montera probablement à la tour, vous pourriez lui dire un mot.



En ce moment, un homme, qu'on reconnut pour un municipal à son écharpe tricolore, entra; seulement, cet homme était inconnu du capitaine et du chasseur, aussi leurs yeux se fixèrent-ils sur lui.



– Citoyen général, dit le nouveau venu en s'adressant à Santerre, je te prie de m'accepter en place du citoyen Maurice Lindey, qui est malade; voici le certificat du médecin; mon tour de garde arrivait dans huit jours, je permute avec lui; dans huit jours, il fera mon service, comme je vais faire aujourd'hui le sien.

 



– Si, toutefois, les Capet et les Capettes vivent encore huit jours, dit un des municipaux.



Santerre répondit par un petit sourire à la plaisanterie de ce zélé; puis, se tournant vers le mandataire de Maurice:



– C'est bien, dit-il, va signer sur le registre à la place de Maurice Lindey, et consigne, à la colonne des observations, les causes de cette mutation.



Cependant le capitaine et le chasseur s'étaient regardés avec une surprise joyeuse.



– Dans huit jours, se dirent-ils.



– Capitaine Dixmer, cria Santerre, prenez position dans le jardin avec votre compagnie.



– Venez, Morand, dit le capitaine au chasseur, son compagnon. Le tambour retentit, et la compagnie, conduite par le maître tanneur, s'éloigna dans la direction prescrite.



On mit les armes en faisceaux, et la compagnie se sépara par groupes, qui commencèrent à se promener en long et en large, selon leur fantaisie.



Le lieu de leur promenade était le jardin même, où, du temps de Louis XVI, la famille royale venait, quelquefois, prendre l'air. Ce jardin était nu, aride, désolé, complètement dépouillé de fleurs, d'arbres et de verdure.



À vingt-cinq pas, à peu près, de la portion du mur qui donnait sur la rue Porte-Foin, s'élevait une espèce de cahute, que la prévoyance de la municipalité avait permis d'établir, pour la plus grande commodité des gardes nationaux qui stationnaient au Temple, et qui trouvaient là, dans les jours d'émeute, où il était défendu de sortir, à boire et à manger. La direction de cette petite guinguette intérieure avait été fort ambitionnée; enfin, la concession en avait été faite à une excellente patriote, veuve d'un faubourien tué au 10 août, et qui répondait au nom de femme Plumeau.



Cette petite cabane, bâtie en planches et en torchis, était située au milieu d'une plate-bande, dont on reconnaissait encore les limites à une haie naine en buis. Elle se composait d'une seule chambre d'une douzaine de pieds carrés, au-dessous de laquelle s'étendait une cave, où on descendait par des escaliers grossièrement taillés dans la terre même. C'était là que la veuve Plumeau enfermait ses liquides et ses comestibles, sur lesquels elle et sa fille, enfant de douze à quinze ans, veillaient à tour de rôle.



À peine installés à leur bivac, les gardes nationaux se mirent donc, comme nous l'avons dit, les uns à se promener dans le jardin, les autres à causer avec les concierges; ceux-ci à regarder les dessins tracés sur la muraille, et qui représentaient tous quelque dessin patriotique, tel que le roi pendu, avec cette inscription: «M. Veto prenant un bain d'air», – ou le roi guillotiné, avec cette autre: «M. Veto crachant dans le sac»; ceux-là à faire des ouvertures à madame Plumeau sur les desseins gastronomiques que leur suggérait leur plus ou moins d'appétit.



Au nombre de ces derniers étaient le capitaine et le chasseur que nous avons déjà remarqués.



– Ah! capitaine Dixmer, dit la cantinière, j'ai du fameux vin de Saumur, allez!



– Bon, citoyenne Plumeau; mais le vin de Saumur, à mon avis du moins, ne vaut rien sans le fromage de Brie, répondit le capitaine, qui, avant d'émettre ce système, avait regardé avec soin autour de lui et avait remarqué parmi les différents comestibles, qu'étalaient orgueilleusement les rayons de la cantine, l'absence de ce comestible apprécié par lui.



– Ah! mon capitaine, c'est comme un fait exprès, mais le dernier morceau vient d'être enlevé.



– Alors, dit le capitaine, pas de fromage de Brie, pas de vin de Saumur; et remarque, citoyenne, que la consommation en valait la peine, attendu que je comptais en offrir à toute la compagnie.



– Mon capitaine, je te demande cinq minutes et je cours en chercher chez le citoyen concierge qui me fait concurrence, et qui en a toujours; je le payerai plus cher, mais tu es trop bon patriote pour ne pas m'en dédommager.



– Oui, oui, va, répondit Dixmer, et nous, pendant ce temps, nous allons descendre à la cave et choisir nous-mêmes notre vin.



– Fais comme chez toi, capitaine, fais. Et la veuve Plumeau se mit à courir de toutes ses forces vers la loge du concierge, tandis que le capitaine et le chasseur, munis d'une chandelle, soulevaient la trappe et descendaient dans la cave.



– Bon! dit Morand après un instant d'examen, la cave s'avance dans la direction de la rue Porte-Foin. Elle est profonde de neuf à dix pieds, et il n'y a aucune maçonnerie.



– Quelle est la nature du sol? demanda Dixmer.



– Tuf crayeux. Ce sont des terres rapportées; tous ces jardins ont été bouleversés à plusieurs reprises, il n'y a de roche nulle part.



– Vite, s'écria Dixmer, j'entends les sabots de notre vivandière; prenez deux bouteilles de vin et remontons.



Ils apparaissaient tous deux à l'orifice de la trappe, quand la Plumeau rentra, portant le fameux fromage de Brie demandé avec tant d'insistance.



Derrière elle venaient plusieurs chasseurs, alléchés par la bonne apparence du susdit fromage.



Dixmer fit les honneurs: il offrit une vingtaine de bouteilles de vin à sa compagnie, tandis que le citoyen Morand racontait le dévouement de Curtius, le désintéressement de Fabricius et le patriotisme de Brutus et de Cassius, toutes histoires qui furent presque autant appréciées que le fromage de Brie et le vin d'Anjou offerts par Dixmer, ce qui n'est pas peu dire.



Onze heures sonnèrent. C'était à onze heures et demie qu'on relevait les sentinelles.



– N'est-ce point d'ordinaire de midi à une heure que l'Autrichienne se promène? demanda Dixmer à Tison, qui passait devant la cabane.



– De midi à une heure, justement. Et il se mit à chanter:





Madame monte à sa tour…

Mironton, tonton, mirontaine.



Cette nouvelle facétie fut accueillie par les rires universels des gardes nationaux.



Aussitôt Dixmer fit l'appel des hommes de sa compagnie qui devaient monter leur garde de onze heures et demie à une heure et demie, recommanda de hâter le déjeuner et fit prendre les armes à Morand pour le placer, comme il était convenu, au dernier étage de la tour, dans cette même guérite derrière laquelle Maurice s'était caché, le jour où il avait intercepté les signes qui avaient été faits à la reine, d'une fenêtre de la rue Porte-Foin.



Si l'on eût regardé Morand au moment où il reçut cet avis, bien simple et bien attendu, on eût pu le voir blêmir sous les longues mèches de ses cheveux noirs.



Soudain un bruit sourd ébranla les cours du Temple, et l'on entendit dans le lointain comme un ouragan de cris et de rugissements.



– Qu'est-ce que cela? demanda Dixmer à Tison.



– Oh! oh! répondit le geôlier, ce n'est rien; quelque petite émeute que voudraient nous faire ces gueux de brissotins avant d'aller à la guillotine.



Le bruit devenait de plus en plus menaçant; on entendait rouler l'artillerie, et une troupe de gens hurlant passa près du Temple en criant:



«Vivent les sections! Vive Henriot! À bas les brissotins! À bas les rolandistes! À bas madame Veto!»



– Bon! bon! dit Tison en se frottant les mains, je vais ouvrir à madame Veto pour qu'elle jouisse sans empêchement de l'amour que lui porte son peuple.



Et il approcha du guichet du donjon.



– Ohé! Tison! cria une voix formidable.



– Mon général? répondit celui-ci en s'arrêtant tout court.



– Pas de sortie aujourd'hui, dit Santerre; les prisonnières ne quitteront pas leur chambre. L'ordre était sans appel.



– Bon! dit Tison, c'est de la peine de moins.



Dixmer et Morand échangèrent un lugubre regard; puis, en attendant que l'heure de la faction, inutile maintenant, sonnât, ils allèrent tous deux se promener entre la cantine et le mur donnant sur la rue Porte-Foin. Là, Morand commença à arpenter la distance en faisant des pas géométriques, c'est-à-dire de trois pieds.



Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»