Бесплатно

La tulipe noire

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена
Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

XXI
LE SECOND CAÏEU

La nuit fut bonne et la journée du lendemain meilleure encore.

Les jours précédents, la prison s'était alourdie, assombrie, abaissée; elle pesait de tout son poids sur le pauvre prisonnier. Ses murs étaient noirs, son air était froid, les barreaux étaient serrés à laisser passer à peine le jour.

Mais lorsque Cornélius se réveilla, un rayon de soleil matinal jouait dans les barreaux; des pigeons fendaient l'air de leurs ailes étendues, tandis que d'autres roucoulaient amoureusement sur le toit voisin de la fenêtre encore fermée.

Cornélius courut à cette fenêtre et l'ouvrit; il lui sembla que la vie, la joie, presque la liberté, entraient avec ce rayon de soleil dans la sombre chambre.

C'est que l'amour y fleurissait et faisait fleurir chaque chose autour de lui: l'amour, fleur du ciel bien autrement radieuse, bien autrement parfumée que toutes les fleurs de la terre.

Quand Gryphus entra dans la chambre du prisonnier, au lieu de le trouver morose et couché comme les autres jours, il le trouva debout et chantant un petit air d'opéra.

– Hein! fit celui-ci.

– Comment allons-nous, ce matin? dit Cornélius.

Gryphus le regarda de travers.

– Le chien, et M. Jacob, et notre belle Rosa, comment tout cela va-t-il?

Gryphus grinça des dents.

– Voilà votre déjeuner, dit-il.

– Merci, ami Cerberus, fit le prisonnier; il arrive à temps, car j'ai grand faim.

– Ah! vous avez faim? dit Gryphus.

– Tiens, pourquoi pas? demanda van Baërle.

– Il paraît que la conspiration marche, dit Gryphus.

– Quelle conspiration? demanda van Baërle.

– Bon! on sait ce qu'on dit, mais on veillera, M. le savant; soyez tranquille, on veillera.

– Veillez, ami Gryphus! dit van Baërle, veillez! ma conspiration, comme ma personne, est toute à votre service.

– On verra cela à midi, dit Gryphus.

Et il sortit.

– À midi, répéta Cornélius, que veut-il dire? Soit, attendons midi; à midi nous verrons. C'était facile à Cornélius d'attendre midi: Cornélius attendait neuf heures.

Midi sonna et l'on entendit dans l'escalier, non seulement le pas de Gryphus, mais des pas de trois ou quatre soldats montant avec lui.

La porte s'ouvrit, Gryphus entra, introduisit les hommes, et referma la porte derrière eux.

– Là! Maintenant, cherchons.

On chercha dans les poches de Cornélius, entre sa veste et son gilet, entre son gilet et sa chemise, entre sa chemise et sa chair; on ne trouva rien.

On chercha dans les draps, dans les matelas, dans la paillasse du lit; on ne trouva rien.

Ce fut alors que Cornélius se félicita de ne point avoir accepté le troisième caïeu. Gryphus, dans cette perquisition, l'eût bien certainement trouvé, si bien caché qu'il fût, et il l'eût traité comme le premier.

Au reste, jamais prisonnier n'assista d'un visage plus serein à une perquisition faite dans son domicile.

Gryphus se retira avec le crayon et les trois ou quatre feuilles de papier blanc que Rosa avait donnés à Cornélius; ce fut le seul trophée de l'expédition.

À six heures, Gryphus revint, mais seul; Cornélius voulut l'adoucir; mais Gryphus grogna, montra un croc qu'il avait dans le coin de la bouche, et sortit à reculons, comme un homme qui a peur qu'on ne le force.

Cornélius éclata de rire.

Ce qui fit que Gryphus, qui connaissait les auteurs, lui cria à travers la grille:

– C'est bon, c'est bon; rira bien qui rira le dernier.

Celui qui devait rire le dernier, ce soir-là du moins, c'était Cornélius, car Cornélius attendait Rosa. Rosa vint à neuf heures; mais Rosa vint sans lanterne. Rosa n'avait plus besoin de lumière, elle savait lire.

Puis la lumière pouvait dénoncer Rosa, espionnée plus que jamais par Jacob.

Puis enfin, à la lumière on voyait trop la rougeur de Rosa lorsque Rosa rougissait.

De quoi parlèrent les deux jeunes gens ce soir-là? Des choses dont parlent les amoureux au seuil d'une porte en France, de l'un et de l'autre côté d'un balcon en Espagne, du haut en bas d'une terrasse en Orient.

Ils parlèrent de ces choses qui mettent des ailes au pied des heures, qui ajoutent des plumes aux ailes du temps.

Ils parlèrent de tout, excepté de la tulipe noire.

Puis à dix heures, comme d'habitude, ils se quittèrent.

Cornélius était heureux, aussi complètement heureux que peut l'être un tulipier à qui on n'a point parlé de sa tulipe.

Il trouvait Rosa jolie comme tous les Amours de la terre; il la trouvait bonne, gracieuse, charmante.

Mais pourquoi Rosa défendait-elle qu'on parlât tulipe?

C'était un grand défaut qu'avait là Rosa.

Cornélius se dit, en soupirant, que la femme n'était point parfaite.

Une partie de la nuit, il médita sur cette imperfection. Ce qui veut dire que tant qu'il veilla il pensa à Rosa.

Une fois endormi, il rêva d'elle.

Mais la Rosa des rêves était bien autrement parfaite que la Rosa de la réalité. Non seulement celle-là parlait tulipe, mais encore celle-là apportait à Cornélius une magnifique tulipe noire éclose dans un vase de Chine.

Cornélius se réveilla tout frissonnant de joie et en murmurant:

– Rosa, Rosa, je t'aime.

Et comme il faisait jour, Cornélius ne jugea point à propos de se rendormir.

Il resta donc toute la journée sur l'idée qu'il avait eue à son réveil.

Ah! si Rosa eût parlé tulipe, Cornélius eût préféré Rosa à la reine Sémiramis, à la reine Cléopâtre, à la reine Élisabeth, à la reine Anne d'Autriche, c'est-à-dire aux plus grandes ou aux plus belles reines du monde.

Mais Rosa avait défendu sous peine de ne plus revenir, Rosa avait défendu qu'avant trois jours on causât tulipe.

C'était soixante-douze heures données à l'amant, c'est vrai; mais c'était soixante-douze heures retranchées à l'horticulteur.

Il est vrai que sur ces soixante-douze heures, trente-six étaient déjà passées.

Les trente-six autres passeraient bien vite, dix-huit à attendre, dix-huit au souvenir.

Rosa revint à la même heure; Cornélius supporta héroïquement sa pénitence. C'eût été un pythagoricien très distingué que Cornélius, et pourvu qu'on lui eût permis de demander une fois par jour des nouvelles de sa tulipe, il fût bien resté cinq ans, selon les statuts de l'ordre, sans parler d'autre chose.

Au reste, la belle visiteuse comprenait bien que lorsqu'on commande d'un côté, il faut céder de l'autre. Rosa laissait Cornélius tirer ses doigts par le guichet; Rosa laissait Cornélius baiser ses cheveux à travers le grillage.

Pauvre enfant! toutes ces mignardises de l'amour étaient bien autrement dangereuses pour elle que de parler tulipe.

Elle comprit cela en rentrant chez elle, le cœur bondissant, les joues ardentes, les lèvres sèches et les yeux humides.

Aussi, le lendemain soir, après les premières paroles échangées, après les premières caresses faites, elle regarda Cornélius à travers le grillage, et dans la nuit, avec ce regard qu'on sent quand on ne le voit pas:

– Eh bien! dit-elle, elle a levé!

– Elle a levé! quoi? qui? demanda Cornélius, n'osant croire que Rosa abrégeât d'elle-même la durée de son épreuve.

– La tulipe, dit Rosa.

– Comment, s'écria Cornélius, vous permettez donc…?

– Eh oui, dit Rosa d'un ton d'une mère tendre qui permet une joie à son enfant.

– Ah! Rosa! dit Cornélius en allongeant ses lèvres à travers le grillage, dans l'espérance de toucher une joue, une main, un front, quelque chose enfin.

Il toucha mieux que tout cela, il toucha deux lèvres entr'ouvertes.

Rosa poussa un petit cri.

Cornélius comprit qu'il fallait se hâter de continuer la conversation; il sentait que ce contact inattendu avait fort effarouché Rosa.

– Levé bien droit? demanda-t-il.

– Droit comme un fuseau de Frise, dit Rosa.

– Et elle est bien haute?

– Haute de deux pouces au moins.

– Oh! Rosa ayez-en bien soin et vous verrez comme elle va grandir vite.

– Puis-je en avoir plus de soin? dit Rosa. Je ne songe qu'à elle.

– Qu'à elle, Rosa? Prenez garde, c'est moi qui vais être jaloux à mon tour.

– Eh! vous savez bien que penser à elle c'est penser à vous. Je ne la perds pas de vue. De mon lit je la vois; en m'éveillant, c'est le premier objet que je regarde; en m'endormant, le dernier objet que je perds de vue. Le jour je m'assieds et je travaille près d'elle, car depuis qu'elle est dans ma chambre, je ne quitte plus ma chambre.

– Vous avez raison, Rosa c'est votre dot, vous savez.

– Oui, et grâce à elle je pourrai épouser un jeune homme de vingt-six ou vingt-huit ans que j'aimerai.

– Taisez-vous, méchante.

Et Cornélius parvint à saisir les doigts de la jeune fille, ce qui fit, sinon changer de conversation, du moins succéder le silence au dialogue. Ce soir-là, Cornélius fut le plus heureux des hommes. Rosa lui laissa sa main tant qu'il lui plut de la garder, et il parla tulipe tout à son aise. À partir de ce moment, chaque jour amena un progrès dans la tulipe et dans l'amour des deux jeunes gens. Une fois c'étaient les feuilles qui s'étaient ouvertes, l'autre fois c'était la fleur elle-même qui s'était nouée. À cette nouvelle, la joie de Cornélius fut grande, et ses questions se succédèrent avec une rapidité qui témoignait de leur importance.

– Nouée! s'écria Cornélius, elle est nouée?

– Elle est nouée, répéta Rosa.

Cornélius chancela de joie et fut forcé de se retenir au guichet.

– Ah! mon Dieu! s'exclama-t-il.

Puis revenant à Rosa:

– L'ovale est-il régulier? le cylindre est-il plein? les pointes sont-elles bien vertes?

– L'ovale a près d'un pouce et s'effile comme une aiguille, le cylindre gonfle ses flancs, les pointes sont prêtes à s'entr'ouvrir.

 

Cette nuit-là, Cornélius dormit peu: c'était un moment suprême que celui où les pointes s'entr'ouvriraient. Deux jours après, Rosa annonçait qu'elles étaient entr'ouvertes.

– Entr'ouvertes, Rosa! s'écria Cornélius, l'involucrum est entr'ouvert! Mais alors on voit donc, on peut distinguer déjà…?

Et le prisonnier s'arrêta haletant.

– Oui, répondit Rosa, oui, l'on peut distinguer un filet de couleur différente, mince comme un cheveu.

– Et la couleur? fit Cornélius en tremblant.

– Ah! répondit Rosa, c'est bien foncé.

– Brun!

– Oh! plus foncé.

– Plus foncé, bonne Rosa, plus foncé! merci. Foncé comme l'ébène, foncé comme…

– Foncé comme l'encre avec laquelle je vous ai écrit.

Cornélius poussa un cri de joie folle.

Puis s'arrêtant tout à coup:

– Oh! dit-il en joignant les mains, oh! il n'y a pas d'ange qui puisse vous être comparé, Rosa.

– Vraiment! dit Rosa, souriant à cette exaltation.

– Rosa, vous avez tant travaillé, Rosa, vous avez tant fait pour moi; Rosa, ma tulipe va fleurir, et ma tulipe fleurira noire! Rosa, Rosa, vous êtes ce que Dieu a créé de plus parfait sur la terre!

– Après la tulipe cependant?

– Ah! taisez-vous, mauvaise; taisez-vous! Par pitié, ne me gâtez pas ma joie! Mais, dites-moi, Rosa, si la tulipe en est à ce point, dans deux ou trois jours au plus tard elle va fleurir?

– Demain ou après-demain, oui.

– Oh! et je ne la verrai pas, s'écria Cornélius, en se renversant en arrière, et je ne la baiserai pas comme une merveille de Dieu qu'on doit adorer, comme je baise vos mains, Rosa, comme je baise vos cheveux, comme je baise vos joues, quand par hasard elles se trouvent à portée du guichet.

Rosa approcha sa joue, non point par hasard, mais avec volonté; les lèvres du jeune homme s'y collèrent avidement.

– Dame! je la cueillerai si vous voulez, dit Rosa.

– Ah! non! non! Sitôt qu'elle sera ouverte, mettez-la bien à l'ombre, Rosa, et à l'instant même, à l'instant, envoyez à Harlem prévenir le président de la société d'horticulture que la grande tulipe noire est fleurie. C'est loin, je le sais bien, Harlem, mais avec de l'argent vous trouverez un messager. Avez-vous de l'argent, Rosa?

Rosa sourit.

– Oh oui! dit-elle.

– Assez? demanda Cornélius.

– J'ai trois cents florins.

– Oh! si vous avez trois cents florins, ce n'est point un messager qu'il vous faut envoyer, c'est vous-même, vous-même, Rosa, qui devez aller à Harlem.

– Mais pendant ce temps, la fleur?..

– Oh! la fleur, vous l'emporterez. Vous comprenez bien qu'il ne faut pas vous séparer d'elle un instant.

– Mais en ne me séparant point d'elle, je me sépare de vous, M. Cornélius, dit Rosa attristée.

– Ah! c'est vrai, ma douce, ma chère Rosa. Mon Dieu! que les hommes sont méchants! Que leur ai-je donc fait? et pourquoi m'ont-ils privé de la liberté? Vous avez raison, Rosa, je ne pourrais vivre sans vous. Eh bien, vous enverrez quelqu'un à Harlem, voilà; ma foi, le miracle est assez grand pour que le président se dérange; il viendra lui-même à Loewestein chercher la tulipe.

Puis, s'arrêtant tout à coup et d'une voix tremblante:

– Rosa! murmura Cornélius, Rosa! si elle allait ne pas être noire?

– Dame! vous le saurez demain ou après-demain soir.

– Attendre jusqu'au soir pour savoir cela, Rosa!.. Je mourrai d'impatience. Ne pourrions-nous convenir d'un signal?

– Je ferai mieux.

– Que ferez-vous?

– Si c'est la nuit qu'elle s'entr'ouvre, je viendrai, je viendrai vous le dire moi-même. Si c'est le jour, je passerai devant la porte et vous glisserai un billet, soit dessous la porte, soit par le guichet, entre la première et la deuxième inspection de mon père.

– Oh! Rosa, c'est cela! un mot de vous m'annonçant cette nouvelle, c'est-à-dire un double bonheur.

– Voilà dix heures, dit Rosa, il faut que je vous quitte.

– Oui! oui! dit Cornélius, oui! allez, Rosa, allez!

Rosa se retira presque triste.

Cornélius l'avait presque renvoyée.

Il est vrai que c'était pour veiller sur la tulipe noire.

XXII
ÉPANOUISSEMENT

La nuit s'écoula bien douce, mais en même temps bien agitée pour Cornélius. À chaque instant il lui semblait que la douce voix de Rosa l'appelait; il s'éveillait en sursaut, il allait à la porte, il approchait son visage du guichet; le guichet était solitaire, le corridor était vide.

Sans doute Rosa veillait de son côté; mais plus heureuse que lui, elle veillait sur la tulipe; elle avait là sous ses yeux la noble fleur, cette merveille des merveilles, non seulement inconnue encore, mais crue impossible.

Que dirait le monde lorsqu'il apprendrait que la tulipe noire était trouvée, qu'elle existait, et que c'était van Baërle le prisonnier qui l'avait trouvée?

Comme Cornélius eût envoyé loin de lui un homme qui fût venu lui proposer la liberté en échange de sa tulipe!

Le jour vint sans nouvelles. La tulipe n'était pas fleurie encore.

La journée passa comme la nuit.

La nuit vint, et avec la nuit Rosa joyeuse, Rosa légère comme un oiseau.

– Eh bien? demanda Cornélius.

– Eh bien! tout va à merveille. Cette nuit sans faute votre tulipe fleurira!

– Et fleurira noire?

– Noire comme du jais.

– Sans une seule tache d'une autre couleur?

– Sans une seule tache.

– Bonté du Ciel! Rosa, j'ai passé la nuit à rêver, à vous d'abord…

Rosa fit un petit signe d'incrédulité.

– Puis à ce que nous devions faire.

– Eh bien?

– Eh bien! voilà ce que j'ai décidé. La tulipe fleurie, quand il sera constaté qu'elle est noire et parfaitement noire, il vous faut trouver un messager.

– Si ce n'est que cela, j'ai un messager tout trouvé.

– Un messager sûr?

– Un messager dont je réponds, un de mes amoureux.

– Ce n'est pas Jacob, j'espère?

– Non, soyez tranquille. C'est le batelier de Loewestein, un garçon alerte, de vingt-cinq à vingt-six ans.

– Diable!

– Soyez tranquille, dit Rosa en riant, il n'a pas encore l'âge, puisque vous-même vous avez fixé l'âge de vingt-six à vingt-huit ans.

– Enfin, vous croyez pouvoir compter sur ce jeune homme?

– Comme sur moi, il se jetterait de son bateau dans le Wahal ou dans la Meuse, à mon choix, si je le lui ordonnais.

– Eh bien, Rosa, en dix heures ce garçon peut être à Harlem; vous me donnerez un crayon et du papier, mieux encore serait une plume et de l'encre, et j'écrirai, ou plutôt vous écrirez, vous; moi, pauvre prisonnier, peut-être verrait-on, comme voit votre père, une conspiration là-dessous. Vous écrirez au président de la société d'horticulture, et, j'en suis certain, le président viendra.

– Mais s'il tarde?

– Supposez qu'il tarde un jour, deux jours même; mais c'est impossible, un amateur de tulipes comme lui ne tardera pas une heure, pas une minute, pas une seconde à se mettre en route pour voir la huitième merveille du monde. Mais, comme je le disais, tardât-il un jour, tardât-il deux, la tulipe serait encore dans toute sa splendeur. La tulipe vue par le président, le procès-verbal dressé par lui, tout est dit, vous gardez un double du procès-verbal, Rosa, et vous lui confiez la tulipe. Ah! si nous avions pu la porter nous-mêmes, Rosa, elle n'eût quitté mes bras que pour passer dans les vôtres; mais c'est un rêve auquel il ne faut pas songer, continua Cornélius en soupirant; d'autres yeux la verront défleurir. Oh! surtout, Rosa, avant que ne la voie le président, ne la laissez voir à personne. La tulipe noire, bon Dieu! si quelqu'un voyait la tulipe noire, on la volerait!..

– Oh!

– Ne m'avez-vous pas dit vous-même ce que vous craignez à l'endroit de votre amoureux Jacob? On vole bien un florin, pourquoi n'en volerait-on pas cent mille?

– Je veillerai, allez, soyez tranquille.

– Si pendant que vous êtes ici elle allait s'ouvrir?

– La capricieuse en est bien capable, dit Rosa.

– Si vous la trouviez ouverte en rentrant?

– Eh bien?

– Ah! Rosa, du moment où elle sera ouverte, rappelez-vous qu'il n'y aura pas un moment à perdre pour prévenir le président.

– Et vous prévenir, vous. Oui, je comprends.

Rosa soupira, mais sans amertume et en femme qui commence à comprendre une faiblesse, sinon à s'y habituer.

– Je retourne auprès de la tulipe, M. van Baërle, et aussitôt ouverte, vous êtes prévenu; aussitôt vous prévenu, le messager part.

– Rosa, Rosa, je ne sais plus à quelle merveille du ciel ou de la terre vous comparer.

– Comparez-moi à la tulipe noire, M. Cornélius, et je serai bien flattée, je vous jure; disons-nous donc au revoir, M. Cornélius.

– Oh! dites: Au revoir, mon ami.

– Au revoir, mon ami, dit Rosa un peu consolée.

– Dites: Mon ami bien-aimé.

– Oh! mon ami…

– Bien-aimé, Rosa, je vous en supplie, bien-aimé, bien-aimé, n'est-ce pas?

– Bien-aimé, oui, bien-aimé, fit Rosa palpitante, enivrée, folle de joie.

– Alors, Rosa, puisque vous avez dit bien-aimé, dites aussi bienheureux, dites heureux comme jamais homme n'a été heureux et béni sous le ciel. Il ne me manque qu'une chose, Rosa.

– Laquelle?

– Votre joue, votre joue fraîche, votre joue rose, votre joue veloutée. Oh! Rosa, de votre volonté, non plus par surprise, non plus par accident, Rosa. Ah!

Le prisonnier acheva sa prière dans un soupir; il venait de rencontrer les lèvres de la jeune fille, non plus par accident, non plus par surprise, comme cent ans plus tard Saint-Preux devait rencontrer les lèvres de Julie.

Rosa s'enfuit. Cornélius resta l'âme suspendue à ses lèvres, le visage collé au guichet. Cornélius étouffait de joie et de bonheur, il ouvrit sa fenêtre et contempla longtemps, avec un cœur gonflé de joie, l'azur sans nuages du ciel, la lune qui argentait le double fleuve, ruisselant par-delà les collines. Il se remplit les poumons d'air généreux et pur, l'esprit de douces idées, l'âme de reconnaissance et d'admiration religieuse.

– Oh! vous êtes toujours là-haut, mon Dieu! s'écria-t-il à demi prosterné, les yeux ardemment tendus vers les étoiles; pardonnez-moi d'avoir presque douté de vous ces jours derniers; vous vous cachiez derrière vos nuages, et un instant j'ai cessé de vous voir, Dieu bon, Dieu éternel, Dieu miséricordieux! Mais aujourd'hui, mais ce soir, mais cette nuit, oh! je vous vois tout entier dans le miroir de vos cieux et surtout dans le miroir de mon cœur.

Il était guéri, le pauvre malade, il était libre, le pauvre prisonnier!

Pendant une partie de la nuit Cornélius demeura suspendu aux barreaux de sa fenêtre, l'oreille au guet, concentrant ses cinq sens en un seul, ou plutôt en deux seulement: il regardait et écoutait.

Il regardait le ciel, il écoutait la terre.

Puis, l'œil tourné de temps en temps vers le corridor:

– Là-bas, disait-il, est Rosa, Rosa qui veille comme moi, comme moi attendant de minute en minute. Là-bas, sous les yeux de Rosa, est la fleur mystérieuse, qui vit, qui s'entr'ouvre, qui s'ouvre; peut-être en ce moment Rosa tient-elle la tige de la tulipe entre ses doigts délicats et tiédis. Touche cette tige doucement, Rosa. Peut-être touche-t-elle de ses lèvres son calice entr'ouvert. Effleure-le avec précaution, Rosa. Rosa, tes lèvres brûlent. Peut-être en ce moment, mes deux amours se caressent-ils sous le regard de Dieu.

En ce moment, une étoile s'enflamma au midi, traversa tout l'espace qui séparait l'horizon de la forteresse et vint s'abattre sur Loewestein.

Cornélius tressaillit.

– Ah! dit-il, voilà Dieu qui envoie une âme à ma fleur. Et comme s'il eût deviné juste, presque au même moment, le prisonnier entendit dans le corridor des pas légers, comme ceux d'une sylphide, le froissement d'une robe qui semblait un battement d'ailes et une voix bien connue qui disait:

– Cornélius, mon ami, mon ami bien-aimé et bien heureux, venez, venez vite.

Cornélius ne fit qu'un bon de la croisée au guichet. Cette fois encore ses lèvres rencontrèrent les lèvres murmurantes de Rosa, qui lui dit dans un baiser:

– Elle est ouverte, elle est noire, la voilà!

– Comment, la voilà! s'écria Cornélius, détachant ses lèvres des lèvres de la jeune fille.

– Oui, oui, il faut bien risquer un petit danger pour donner une grande joie: la voilà, tenez.

Et, d'une main, elle leva à la hauteur du guichet, une petite lanterne sourde, qu'elle venait de faire lumineuse; tandis qu'à la même hauteur elle levait, de l'autre, la miraculeuse tulipe.

Cornélius jeta un cri et pensa s'évanouir.

– Oh! murmura-t-il, mon Dieu! mon Dieu! vous me récompensez de mon innocence et de ma captivité, puisque vous avez fait pousser ces deux fleurs au guichet de ma prison.

 

– Embrassez-la, dit Rosa, comme je l'ai embrassée tout à l'heure.

Cornélius retenant son haleine toucha du bout des lèvres la pointe de la fleur, et jamais baiser donné aux lèvres d'une femme, fût-ce aux lèvres de Rosa, ne lui entra si profondément dans le cœur.

La tulipe était belle, splendide, magnifique; sa tige avait plus de dix-huit pouces de hauteur; elle s'élançait du sein de quatre feuilles vertes, lisses, droites comme des fers de lance; sa fleur tout entière était noire et brillante comme du jais.

– Rosa, dit Cornélius tout haletant, Rosa, plus un instant à perdre, il faut écrire la lettre.

– Elle est écrite, mon bien-aimé Cornélius, dit Rosa.

– En vérité!

– Pendant que la tulipe s'ouvrait, j'écrivais, moi, car je ne voulais pas qu'un seul instant fût perdu. Voyez la lettre, et dites-moi si vous la trouvez bien.

Cornélius prit la lettre et lut, sur une écriture qui avait encore fait de grands progrès depuis le petit mot qu'il avait reçu de Rosa:

«Monsieur le président,

«La tulipe noire va s'ouvrir dans dix minutes peut-être. Aussitôt ouverte, je vous enverrai un messager pour vous prier de venir vous-même en personne la chercher dans la forteresse de Loewestein. Je suis la fille du geôlier Gryphus, presque aussi prisonnière que les prisonniers de mon père. Je ne pourrai donc vous porter cette merveille. C'est pourquoi j'ose vous supplier de la venir prendre vous-même.

«Mon désir est qu'elle s'appelle Rosa Barlænsis.

«Elle vient de s'ouvrir; elle est parfaitement noire… Venez M. le président, venez.

«J'ai l'honneur d'être votre humble servante.

«ROSA GRYPHUS.»

– C'est cela, c'est cela, chère Rosa. Cette lettre est à merveille. Je ne l'eusse point écrite avec cette simplicité. Au congrès, vous donnerez tous les renseignements qui vous seront demandés. On saura comment la tulipe a été créée, à combien de soins, de veilles, de craintes, elle a donné lieu; mais, pour le moment, Rosa, pas un instant à perdre… Le messager! le messager!

– Comment s'appelle le président?

– Donnez que je mette l'adresse. Oh! il est bien connu. C'est mynheer van Herysen, le bourgmestre de Harlem… Donnez, Rosa, donnez.

Et, d'une main tremblante, Cornélius écrivit sur la lettre:

«À mynheer Peters van Herysen, bourgmestre et président de la Société horticole de Harlem.»

– Et maintenant, allez, Rosa, allez, dit Cornélius; et mettons-nous sous la garde de Dieu, qui jusqu'ici nous a si bien gardés.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»