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La San-Felice, Tome 09

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CIII
LA PATROUILLE

Le douzième coup frappé sur le timbre avait à peine cessé de retentir, que le nouveau geôlier, que l'on eût pu prendre jusque-là pour la statue de l'attente, s'anima, et, comme mû d'une résolution subite, monta l'escalier sans hâte, mais sans lenteur. Et, en effet, si son pas était entendu, si son passage était remarqué, si une question lui avait été faite, il eût eu à répondre: «En l'absence de mon père, j'ai la surveillance de la prison; je surveille.»

Mais tout dormait dans la citadelle: personne ne le vit, personne ne l'entendit, personne ne le questionna.

Arrivé au second étage, il parcourut le corridor dans toute sa longueur, puis revint sur ses pas, mais avec plus de précautions, mais étouffant sa marche, l'oreille tendue, retenant son haleine.

Tout à coup, il s'arrêta devant la porte de la prison de la San-Felice.

Il tenait d'avance dans sa main la clef de cette porte.

Il l'introduisit dans la serrure avec tant de précaution et la fit tourner avec tant de lenteur, qu'à peine entendit-on le grincement du fer sur le fer: la porte s'ouvrit.

Cette fois, la nuit était sombre, le vent sifflait à travers les barreaux de la fenêtre, dont on ne distinguait pas même l'ouverture, tant l'obscurité était épaisse.

Le jeune homme fit un pas dans la chambre en retenant son souffle.

Puis, comme il cherchait en vain des yeux la prisonnière.

–Luisa! murmura-t-il.

Un souffle apporta à son oreille le nom de Salvato! puis, au moment même, deux bras s'élancèrent à son cou et une bouche s'appuya contre la sienne.

Un souffle de flamme, un murmure de joie se croisèrent. C'était la première fois depuis le jour de la condamnation au tribunal, et, par conséquent, de leur séparation, que les deux amants se retrouvaient dans les bras l'un de l'autre.

Sans doute, par des signes échangés entre eux dans la journée, Salvato avait prévenu Luisa de cette visite, de peur que la surprise ne lui arrachât quelque cri de terreur. Aussi, on l'a vu, pleine d'espérance, mais pleine de crainte, avait-elle attendu que Salvato prononçât son nom avant de lui répondre.

Il y eut dans le rapprochement de ces deux coeurs, si profondément dévoués l'un à l'autre, un moment d'extase muette et immobile.

Salvato en sortit le premier.

–Allons, chère Luisa, dit-il, maintenant, pas un instant à perdre: nous sommes arrivés au moment suprême où notre sort commun va se décider. Je t'ai dit: «Sois calme et patiente: nous mourrons tous deux ou nous vivrons ensemble.» Tu as compté sur moi, me voilà.

–Oh! oui, et Dieu est grand, Dieu est bon! Maintenant, que puis-je faire? comment puis-je t'aider?

–Écoute, répondit Salvato. J'ai à accomplir un travail qui durera plus d'une heure, j'ai à scier les barreaux de ta fenêtre. Il est minuit et quelques minutes: nous avons encore quatre heures de nuit devant nous. Ne précipitons rien, mais réussissons cette nuit: demain, tout sera découvert.

–Je te le demande une seconde fois, que ferai-je pendant cette heure?

–Je laisse la porte entr'ouverte, comme elle l'est: moitié dans ta prison, moitié dehors, tu écoutes si quelque bruit ne nous menace pas d'un danger. Au moindre soupçon, tu m'appelles, je sors, je referme la porte sur toi. La porte refermée, je suis en ronde de nuit, n'inspirant nulle défiance puisqu'on me trouve dans l'exercice de mon devoir. Je rentre un quart d'heure après et j'achève l'oeuvre commencée. Maintenant, du courage et du sang-froid!

–Sois tranquille, ami, je serai digne de toi, répondit Luisa en lui serrant la main avec une force presque virile.

Salvato tira alors de sa poche deux limes fines à l'acier mordant, l'une pouvant casser pendant l'opération, et, Luisa s'étant, selon sa recommandation, placée de manière à percevoir tout bruit qui se ferait dans les corridors et dans les escaliers, Salvato commença de limer les barreaux de cette main ferme et assurée qu'aucun péril ne pouvait faire trembler.

La lime était si fine, que l'on entendait à peine le cri de la morsure sur le fer. D'ailleurs, ce bruit, même plus perceptible, se fût perdu dans les sifflements du vent et les premiers grondements du tonnerre, annonçant un orage prochain.

–Beau temps! murmura Salvato remerciant tout bas le tonnerre de se mettre de la partie.

Et il continua son travail.

Rien ne vint l'en distraire.

Comme il l'avait prévu, au bout d'une heure, quatre barreaux furent sciés, et la fenêtre présenta une ouverture assez grande pour que deux personnes pussent passer par cette ouverture.

Alors, il releva de nouveau son surtout et détacha une corde roulée autour de sa ceinture. Cette corde, solide, quoique finement tressée, était d'une longueur plus que suffisante pour toucher la terre.

A l'une de ses extrémités était un anneau tout préparé, destiné à être passé dans la partie verticale du barreau scié par Salvato et restés adhérente et scellée à la muraille.

Salvato fit, de distancé en distance, des noeuds à la corde, noeuds destinés à servir de point d'appui à ses mains et à ses genoux.

Puis il sortit de la chambre et parcourut le corridor jusqu'à l'endroit où il aboutissait à l'escalier.

Là, penché sur la lourde rampe de fer, l'oeil interrogeant les ténèbres, l'oreille interrogeant le silence, il demeura un instant immobile et sans respiration.

–Rien!.. murmura-t-il avec une expression de joie et de triomphe.

Et, revenant vivement sur ses pas, il rentra dans la chambre, retira la clef de la porte, la referma en dedans, paralysa le serrure en y glissant trois ou quatre clous, prit Luisa dans ses bras, la pressa contre son coeur en lui recommandant le courage, fixa l'anneau à la tige de fer, lia, de peur qu'elles ne se desserrassent par le poids, l'une à l'autre les deux mains de Luisa, et l'invita à lui passer les deux bras autour du cou.

Seulement alors, Luisa comprit le mode d'évasion que comptait employer Salvato, et le coeur lui faillit à l'idée qu'elle allait être suspendue dans le vide, et qu'il lui faudrait descendre de trente pieds de haut suspendue au cou de son amant, qui n'aurait lui-même d'autre appui que la corde.

Cependant, sa terreur fut muette. Elle tomba à genoux, leva au ciel ses mains liées par le mouchoir, fit à voix basse une courte prière à Dieu, et se releva en disant:

–Je suis prête.

En ce moment, un éclair sillonna les nuées, épaisses et basses, et, à la lueur de cet éclair, Salvato put voir de grosses gouttes de sueur sillonner le visage pâle de Luisa.

–Si c'est cette descente qui t'effraye, dit Salvato, qui comptait avec raison sur ses muscles de fer, je te réponds d'arriver à terre sans accident.

–Mon ami, répondit Luisa, je te répète que je suis prête. J'ai confiance en toi, et je crois en Dieu.

–Alors, dit Salvato, ne perdons pas une minute.

Salvato passa la corde en dehors de la fenêtre, s'assura de sa solidité, tendit sa tête à Luisa pour qu'elle passât la chaîne de ses bras autour de son cou, monta sur un tabouret qu'il avait préparé, passa avec Luisa à travers l'ouverture, et, sans s'inquiéter du frissonnement nerveux qui agitait tout le corps de la pauvre femme, il saisit de ses genoux la corde qu'il tenait déjà de ses mains, et se lança dans le vide.

Luisa retint un cri lorsqu'elle se sentit suspendue et balancée au-dessus de ces dalles, dont elle avait si souvent avec effroi mesuré la hauteur, et ferma les yeux en cherchant de ses lèvres celles de Salvato.

–Ne crains rien, murmura tout bas Salvato; j'ai des forces pour trois fois la longueur de cette corde.

Et, en effet, elle se sentait descendre d'un mouvement lent et mesuré indiquant à la fois la force et le sang-froid du puissant gymnaste qui essayait de la rassurer. Mais, à la moitié de la longueur de la corde, Salvato s'arrêta tout à coup.

Luisa ouvrit les yeux.

–Qu'y a-t-il? demanda-t-elle.

–Silence! fit Salvato.

Et il parut écouter avec une attention profonde.

Au bout d'un instant:

–N'entends-tu rien? demanda-t-il à Luisa d'une voix perceptible pour elle seule.

–Les pas de plusieurs hommes, il me semble, répondit celle-ci d'une voix faible comme le dernier soupir de la brise expirante.

–C'est quelque patrouille, fit Salvato. Nous n'aurions pas le temps de descendre avant qu'elle fût passée… Laissons-la passer, nous descendrons après.

–Mon Dieu! mon Dieu! je n'ai plus de force! murmura Luisa.

–Qu'importe, si j'en ai, moi! répondit Salvato.

Pendant ce court dialogue, les pas s'étaient rapprochés, et Salvato, dont les yeux seuls étaient restés ouverts, voyait, à la lueur d'une lanterne portée par un soldat, poindre une patrouille de neuf hommes, contournant le pied de la muraille. Mais peu importait à Salvato; l'obscurité était si grande, qu'à moins d'un éclair, il était invisible à la hauteur à laquelle il était suspendu, et, comme il l'avait dit, il se sentait assez de forces pour attendre que la patrouille fût passée et eût disparu.

La patrouille, en effet, passa sous les pieds des deux fugitifs; mais, au grand étonnement de Salvato, qui la suivait avidement des yeux, elle s'arrêta au pied de la tour, échangea quelques mots avec un soldat en sentinelle et qu'il n'avait pas encore aperçu, laissa un autre soldat à la place de celui-là, et s'enfonça sous la voûte, où un reflet de sa lanterne resta visible, preuve qu'elle ne l'avait pas franchie.

Si rudement trempée que fût l'âme de Salvato, un frisson passa dans ses veines. Il avait tout deviné. La demande du prince de Calabre et de la princesse Marie-Clémentine avait ravivé la haine contre la San-Felice; de nouveaux ordres de surveillance avaient été donnés, et une sentinelle placée au pied de la tour était le résultat de ces ordres.

Luisa, appuyée au coeur de Salvato, sentit, en quelque sorte, son coeur frémir.

 

–Qu'y a-t-il? demanda-t-elle en ouvrant d'effroi ses grands yeux.

–Rien, répondit Salvato; Dieu nous protégera!

Et, en effet, les fugitifs avaient grand besoin de la protection de Dieu: une sentinelle se promenait au pied de la tour, et les forces de Salvato, suffisantes pour descendre, étaient insuffisantes pour remonter.

D'ailleurs, descendre, c'était la mort possible; remonter, c'était la mort assurée.

Salvato n'hésita point. Il profita du moment où, dans sa promenade régulière et bornée, la sentinelle s'éloignait tournant le dos pour achever de descendre. Mais, au moment même où il touchait la terre, le soldat se retournait. Il vit à dix pas de lui un groupe informe s'agiter dans l'ombre.

–Qui vive? cria-t-il.

Salvato, sans répondre, tenant Luisa à moitié évanouie de terreur entre ses bras, prit sa course vers la mer, où certainement l'attendait la barque.

–Qui vive? répéta la sentinelle en s'apprêtant à mettre en joue.

Salvato, toujours muet, pressa sa course. Il distinguait la barque, il voyait ses amis, il entendait la voix de son père, qui criait, à lui: «Courage!» et, à ses matelots; «Accostez!»

–Qui vive? cria une troisième fois le soldat, le fusil à l'épaule.

Et, comme la demande restait sans réponse, guidé par un éclair qui illumina le ciel en ce moment, le coup partit.

Luisa sentit faiblir Salvato, qui tomba sur un genou, poussant un cri où l'on pouvait distinguer encore plus de rage que de douleur.

Puis, d'une voix étouffée, tandis que le soldat qui venait de faire feu criait: «Aux armes!» lui essayait de crier une dernière fois: «Sauvez-la!»

Luisa, à moitié évanouie, folle de douleur, incapable de faire un mouvement, les poignets liés l'un à l'autre, les bras passés autour du cou de Salvato, vit alors, comme dans un songe, se ruer l'une contre l'autre deux troupes d'hommes ou plutôt de démons furieux, luttant, se frappant, hurlant, la foulant aux pieds avec des cris de mort.

Puis, au bout de cinq minutes, le combat, pour ainsi dire, se déchirait en deux: elle restait mourante aux mains des soldats, qui l'entraînaient vers la citadelle, tandis que les matelots emportaient dans leur barque Salvato mort, la balle du factionnaire lui ayant traversé le coeur et le père de Salvato, évanoui, d'un coup de crosse de fusil qu'il avait reçu sur la tête.

En entrant dans sa prison, Luisa, quoique enceinte de sept mois seulement, Luisa, brisée par les émotions terribles qu'elle venait d'éprouver, fut prise des douleurs de l'enfantement, et, vers cinq heures du matin, accoucha d'un enfant mort.

Une faveur ou plutôt un repentir de la Providence lui épargnait cette dernière douleur d'avoir à se séparer de son enfant!

CIV
L'ORDRE DU ROI

Huit jours après les événements que nous venons de raconter, le vice-roi de Naples, prince de Cassero-Statella, étant au théâtre dei Fiorentini, avec notre vieille connaissance le marquis Malaspina, vit s'ouvrir la porte de sa loge, et, à travers cette porte, aperçut, debout dans le corridor, un huissier du palais, suivi d'un officier de marine.

L'officier de marine tenait un pli scellé d'un large cachet rouge.

–Monsieur le prince vice-roi! dit l'huissier.

L'officier de marine s'inclina et tendit la dépêche au prince.

–De quelle part? demanda le prince.

–De la part de Sa Majesté le roi des Deux-Siciles, répondit l'officier, et, la dépêche étant d'importance, j'oserai en demander un reçu à Votre Excellence.

–Alors, vous venez de Palerme? demanda le prince.

–J'en suis parti avant-hier, sur la Sirène, monseigneur.

–La santé de Leurs Majestés était bonne?

–Excellente, prince.

–Donnez un reçu en mon nom, Malaspina.

Le marquis tira un portefeuille de sa poche et commença d'écrire le reçu.

–Que Votre Excellence, dit l'officier, ait la bonté d'indiquer le lieu et l'heure auxquels la dépêche a été remise au prince.

–Ah ça! dit Malaspina, cette dépêche est donc bien importante?

–De la plus haute importance, Excellence.

Le marquis donna le reçu dans les conditions où le demandait l'officier et rentra dans la loge, dont la porte se referma sur lui.

Le prince achevait de lire la dépêche.

–Tenez, Malaspina, lui dit-il, cela vous, regarde.

Et il lui passa le papier.

Le marquis Malaspina le prit, et lut cet ordre, à la fois concis et terrible:

«Je vous expédie la San-Felice. Que, dans les douze heures de son arrivée à Naples, elle soit exécutée.

»Elle est confessée, et, par conséquent, en état de grâce.

»FERDINAND B.»

Malaspina regarda d'un oeil étonné le prince de Cassero-Statella.

–Eh bien? demanda-t-il.

–Eh bien, mon cher, avisez, cela vous regarde.

Et le prince se remit à écouter le Matrimonio segreto, chef-d'oeuvre du pauvre Cimarosa, qui venait de mourir à Venise de la peur d'être pendu à Naples.

Malaspina resta muet. Il n'avait jamais cru qu'au nombre de ses devoirs comme secrétaire du vice-roi, fût celui de préparer les exécutions capitales.

Mais, nous l'avons dit, le marquis était un courtisan tout à la fois railleur obéissant; aussi le prince de Cassero n'eut qu'à se retourner vers lui une seconde fois, et lui dire: «Vous avez entendu!» pour qu'il s'inclinât et sortit, muet mais prêt à obéir.

Il descendit, prit une voiture qui stationnait à la porte du théâtre, et se fit conduire à la Vicaria.

La San-Felice venait d'y arriver, il y avait une heure à peine, brisée, mourante, anéantie. Elle avait été conduite à la chambre attenante à la chapelle, où nous avons vu Cirillo, Caraffa, Pimentel, Manthonnet et Michele suer leur agonie.

La dépêche n'était accompagnée d'aucune autre instruction que celle-ci:

«Son Excellence le prince de Cassero-Statella est chargé de l'exécution de cette femme, exécution dont il répond sur sa propre tête.»

Le marquis Malaspina comprit, comme le lui avait dit le vice-roi, que c'était à lui d'aviser.

Il pouvait hésiter avant de prendre un parti; mais, une fois son parti pris, il le mettait bravement à exécution.

Il remonta en voiture, et dit au cocher:

–Rue des Soupirs-de-l'Abîme!

On se rappelle qui demeurait rue des Soupirs-de-l'Abîme: c'était maître Donato, le bourreau de Naples.

Arrivé à la porte, le marquis Malaspina ressentit quelque répugnance à entrer dans cette demeure maudite.

–Appelle maître Donato, dit-il au cocher, et fais qu'il vienne me parler.

Le cocher descendit, ouvrit la porte, et cria:

–Maître Donato! venez ici.

On entendit alors une voix de femme qui répondait:

–Mon père n'est point à Naples.

–Comment, son père n'est point à Naples? Il est donc en congé, son père?

–Non, Votre Excellence, répondit la même voix qui s'était rapprochée; il est à Salerne pour affaire de son état.

–Comment, de son état? répondit Malaspina. Expliquez-moi cela, la belle enfant.

Et, en effet, il venait de voir apparaître sur la porte une jeune femme, suivie pas à pas d'un homme qui semblait être son amant ou son époux.

–Oh! Excellence, l'explication sera bien facile, répondit la jeune femme, qui n'était autre que Marina. Son confrère de Salerne est mort hier, et il y avait quatre exécutions à faire, deux demain, deux après-demain. Il est parti aujourd'hui à midi, et reviendra après-demain au soir.

–Et il n'a laissé personne pour le remplacer? demanda le marquis.

–Dame, non: aucun ordre n'a été donné, et les prisons, à ce qu'il paraît, sont à peu près vides. Il a pris ses aides avec lui, ne se fiant point à des gens avec qui il n'a point travaillé.

–Et ce garçon-là ne saurait, au besoin, le remplacer? dit le marquis en montrant Giovanni.

Giovanni, – on a deviné que c'était lui, dont les voeux avaient été comblés en devenant l'époux de Marina, – Giovanni secoua la tête:

–Je ne suis pas le bourreau, dit-il, je suis pêcheur.

–Et comment faire? demanda Malaspina. Donnez-moi un conseil, au moins, si vous ne voulez pas me donner un coup de main.

–Dame, voyez! Vous êtes dans le quartier des bouchers, – les bouchers, en général, sont royalistes: – peut-être, lorsqu'il saura que ce n'est qu'un jacobin à pendre, peut-être y en aura-t-il quelqu'un qui consente à faire la chose.

Malaspina comprit que c'était le seul parti qu'il eût à prendre, et, ne pouvant s'engager avec sa voiture dans le dédale de rues qui s'étendent entre le quai et le Vieux-Marché, il se mit en quête d'un bourreau amateur.

Le marquis s'adressa à trois braves gens, qui refusèrent, quoiqu'il offrît jusqu'à soixante et dix piastres et qu'il montrât, signé de la main du roi, l'ordre d'exécuter dans les douze heures.

Il sortait désespéré de chez le dernier, en murmurant: «Je ne peux pourtant pas la tuer moi-même!» lorsque celui-ci, frappé d'une idée lumineuse, le rappela.

–Excellence, dit le boucher, je crois que j'ai votre affaire.

–Ah! murmura Malaspina, c'est bien heureux!

–J'ai un voisin… Il n'est pas boucher, il est tueur de boucs: vous ne tenez point absolument à un boucher, n'est-ce pas?

–Je tiens à trouver un homme qui, comme vous le disiez tout à l'heure, fasse mon affaire.

–Eh bien, adressez-vous au beccaïo. Il a été fort persécuté par les républicains, le pauvre homme! et il ne demandera pas mieux que de se venger.

–Et où demeure-t-il, le beccaïo? demanda le marquis.

–Viens ici, Peppìno, dit le boucher s'adressant à un jeune garçon couché dans un coin de la boutique sur un amas de peaux à moitié sèches; viens ici, et conduis Son Excellence chez le beccaïo.

Le jeune garçon se leva, s'étira et, tout grognant d'être réveillé dans son premier sommeil, se prépara à obéir.

–Allons, mon garçon, dit Malaspina pour l'encourager, si nous réussissons, il y a une piastre pour toi.

–Mais, si vous ne réussissez pas, dit l'enfant avec la logique de l'égoïsme, j'aurai été dérangé tout de même, moi.

–C'est juste, dit Malaspina: voilà la piastre, pour le cas où nous ne réussirions pas, et, si nous réussissons, il y en aura une seconde.

–A la bonne heure! voilà qui est parler. Donnez vous la peine de me suivre, Excellence.

–Est-ce loin? demanda Malaspina.

–C'est là, Excellence; la rue à traverser, voilà tout.

L'enfant marcha devant, le marquis suivit.

Le guide avait dit vrai, il n'y avait que la rue à traverser. Seulement, la boutique du beccaïo était fermée; mais, à travers les contrevents mal joints, on voyait transparaître de la lumière.

–Ohé! le beccaïo! cria l'enfant en frappant du poing contre la porte.

–Qu'y a-t-il? demanda une voix rude.

-Un monsieur habillé de drap qui veut vous parler2.

Et, comme cette indication, si précise qu'elle fût, ne paraissait point hâter la détermination du beccaïo:

–Ouvre mon ami, dit Malaspina; je viens de la part du vice-roi, et je suis son secrétaire.

Ces mots opérèrent comme la baguette d'une fée: la porte s'ouvrit par magie, et, à la lueur d'une lampe fumeuse et près de s'éteindre, éclairant des amas d'ossements et de peaux sanglantes, il aperçut un être informe, mutilé, hideux.

C'était le beccaïo avec son oeil crevé, sa main mutilée, sa jambe de bois.

Debout à la porte de son charnier, il semblait le génie de la destruction.

Malaspina, quoiqu'il eût le coeur fort solide à certains endroits, ne put réprimer un mouvement de dégoût.

Le beccaïo s'en aperçut.

–Ah! c'est vrai, dit-il en grinçant des dents, ce qui était sa manière de rire, je ne suis pas beau, Excellence. Mais je ne présume pas que vous veniez chercher ici une statue du musée Borbonico.

–Non, je viens chercher un fidèle serviteur du roi, un homme qui n'aime pas les jacobins et qui ait juré de se venger d'eux. On m'a adressé à vous, et l'on m'a dit que vous étiez cet homme-là.

–Et l'on ne vous a pas trompé. Donnez-vous donc la peine d'entrer, Excellence.

Malgré la répugnance qu'il éprouvait à mettre le pied dans ce charnier, le marquis entra.

Le gamin qui l'avait conduit, intéressé à connaître le résultat de la négociation, voulait se glisser derrière lui; mais le beccaïo leva sur l'enfant son bras mutilé.

 

–Arrière, garçon! dit-il; tu n'as pas affaire avec nous.

Et il referma la porte, au nez du gamin, qui resta dehors.

Le beccaïo et le marquis Malaspina restèrent dix minutes, à peu près, enfermés ensemble; puis le marquis sortit.

Le beccaïo l'accompagna jusqu'à la porte avec force révérences.

A dix pas dans la rue, Malaspina rencontra son guide.

–Ah! ah! dit-il, te voilà, garçon?

–Certainement, me voilà, dit le gamin; j'attendais.

–Et qu'attendais-tu?

–J'attendais pour savoir si vous aviez réussi.

–Oui. Et, dans ce cas-là…?

–Votre Excellence se le rappelle, elle me devait une seconde piastre.

Le marquis fouilla à sa poche.

–Tiens, dit-il, la voilà.

Et il lui donna une pièce d'argent.

–Merci, Excellence, dit le gamin en la mettant dans la même main que la première, et en les faisant sauter toutes deux comme des castagnettes. Dieu vous donne une longue vie!

Le marquis remonta dans sa voiture, en donnant l'ordre au cocher de toucher aux Florentins.

Pendant ce temps, Peppino montait sur une borne, et, à la lueur de la lampe d'une madone, examinait la pièce qu'il venait de recevoir.

–Oh! dit-il, il m'a donné un ducat au lieu d'une piastre! c'est deux carlins qu'il me vole. Ces grands seigneurs, sont-ils canailles!

Pendant que Peppino faisait son apologie, le marquis Malaspina roulait vers les Florentins.

A la porte du théâtre, ou plutôt sur la petite place qui la précède, il vit la voiture du vice-roi; ce qui indiquait que le prince était encore au spectacle.

Il sauta à bas de son carrocello, paya son cocher, monta vivement et se fit ouvrir la porte de la loge du prince.

Au bruit que fit cette porte en s'ouvrant, le prince se retourna.

–Ah! ah! Malaspina, dit-il, c'est vous?

–Oui, mon prince, répondit le marquis avec sa brutalité ordinaire.

–Eh bien?

–Tout est arrangé, et, demain, à dix heures du matin, les ordres de Sa Majesté seront exécutés.

–Merci, répondit le prince. Mettez-vous donc là. Vous avez perdu le duo du second acte; mais, par bonheur, vous arrivez à temps pour le Pira che spunti l'aurora!

2Le «vêtu de drap» (vestito di panno) est le signe d'aristocratie devant lequel s'inclinaient les Napolitains du dernier siècle.
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