Бесплатно

Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies

Текст
Автор:
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

– Merci, chère Carmen. Beltran, procure-toi un manteau et un chapeau pour madame; elle ne doit pas être reconnue.

– Convenu, colonel.

– A bientôt, Carmen, à bientôt!

Octavio s'enveloppa dans son manteau, sortit de l'échoppe de l'evangelista, et se dirigea à grands pas vers le palais de la présidence.

Au moment où le colonel arrivait devant le palais, on en ouvrait la porte, et le général Miramón, revêtu de son grand uniforme et entouré d'une vingtaine de personnes, entrait sur la place.

Le général Miramón est jeune encore, nous disons est, car, grâce à Dieu, il vit toujours; ses traits sont beaux et caractérisés, l'expression de sa physionomie énergique, intelligente, est empreinte d'un grand cachet de douceur; son port est noble, ses manières affables, et sa prestance réellement militaire.

Le général Miramón représentait au Mexique le parti modéré et progressif; aussi comptait-il au nombre de ses plus chauds partisans tout le clergé, le haut commerce, la classe élevée de la population, et tous les étrangers fixés sur le territoire de la République.

Le général Miramón, personnellement, était sympathique à tous et fort aimé dans les deux partis; son entourage seul était odieux. Il aurait fort bien pu, si cela lui avait convenu, demeurer tranquillement dans la ville sans avoir rien à redouter des chefs du parti contraire. Des communications lui avaient été faites, et des assurances formelles données à ce sujet; mais, par un point d'honneur, fort louable sans doute, mais qui pouvait entraîner pour lui des conséquences funestes, le général n'avait pas voulu abandonner les derniers amis qui, dans la mauvaise fortune, lui restaient fidèles, et il avait résolu de se retirer avec eux dans l'intérieur.

Son armée, si l'on peut donner ce nom à la poignée de soldats encore rangés sous son drapeau, se composait d'environ deux mille hommes au plus; tous se trouvaient en ce moment réunis sur la plaza Mayor.

– Ah! colonel de Belval, s'écria le président en apercevant le jeune homme, je demandais justement après vous.

– Me voici, général, je regrette de ne pas être arrivé plus tôt.

– Le mal n'est pas grand, colonel; nous partons. Le jeune homme fronça le sourcil.

– Ainsi, dit-il à demi-voix, de manière à n'être entendu que du président seul, les prières de vos amis n'ont pas réussi à vaincre votre obstination, général?

– C'est une détermination inébranlable, mon ami, répondit Miramón avec une certaine impatience; ainsi n'en parlons plus.

– Un mot encore.

– Dites vite.

– Vous êtes trahi, général, j'en ai non seulement la conviction, mais encore la certitude.

Le président fit un mouvement.

– Je n'insiste pas, général, dit vivement le jeune homme; je m'incline sans murmurer devant votre toute-puissante volonté, je vous demande une grâce.

– Laquelle?

– Me l'accordez-vous, général?

– Comme il est probable, reprit-il avec un sourire triste, qu'avant bien longtemps on ne m'adressera pas de semblables requêtes, je vous accorde celle que vous me demandez.

– Merci, général, je désire seulement que vous marchiez au milieu de ma cuadrilla, et que vous me permettiez de demeurer à vos côtés.

– Toujours vos pensées de trahison, répondit-il avec un imperceptible froncement de sourcils; allons, soit, faites à votre guise. D'ailleurs, ce sera un grand plaisir pour moi, mon ami, de vous avoir pour compagnon de route.

Le jeune homme s'inclina sans répondre et s'éloigna pour donner les ordres nécessaires.

Le président se tourna alors vers les personnes qui le suivaient, et qui, le voyant parler bas, s'étaient respectueusement tenues à l'écart.

– Caballeros, dit-il avec un certain tremblement dans la voix qu'il ne parvint pas à maîtriser, ici nous nous séparons pour bien longtemps peut-être. Soyez fidèles au nouveau pouvoir comme vous l'avez été à moi, et, dans l'exil où je suis désormais condamné à vivre, je me réjouirai d'apprendre ce que vous aurez fait de bien pour la grandeur de la nation et le bonheur de ses malheureux habitants. Je préfère me retirer paisiblement et éviter l'effusion du sang entre frères, plutôt que de prolonger une lutte désormais sans but, puisque l'avantage ne saurait me rester. Le général Berriozábal m'a donné sa parole d'honneur de soldat que l'ordre serait maintenu et qu'aucune représaille ne serait exercée. Adieu donc, caballeros, soyez heureux et conservez mon souvenir comme celui d'un homme qui aurait avec joie versé jusqu'à la dernière goutte de son sang, s'il l'avait crue nécessaire pour assurer le bonheur de sa patrie bien-aimée.

Il fit alors un signe d'adieu, salua à la ronde en ôtant son chapeau, échangea quelques poignées de main et se mit en selle.

Le mot marche! retentit, et l'armée commença à défiler, morne et silencieuse, au milieu de la population groupée sur son passage et qui la voyait s'éloigner avec un indicible sentiment de tristesse.

Le colonel de Belval se tenait à droite du président. Doña Carmen venait près de lui, enveloppée d'un grand manteau et la tête couverte d'un chapeau à larges bords qui cachait complètement ses traits.

Tant qu'on fut dans la ville, tout alla bien.

La nuit était splendidement éclairée par une profusion d'étoiles brillantes. La lune, aux deux tiers de sa course, déversait des flots de rayons blanchâtres qui donnaient aux accidents du paysage une apparence fantastique.

Le président Miramón, la tête penchée sur la poitrine, était plongé dans de profondes et tristes réflexions, ne regardant ni à droite ni à gauche et se laissant aller au gré de sa monture, sur le cou de laquelle il laissait insoucieusement flotter les rênes. Précipité de si haut par un caprice de la fortune, il était encore tout froissé de sa chute, et comme tous les ambitieux, malgré l'évidence des faits qu'il lui fallait subir, il se flattait peut-être de ressaisir un jour le pouvoir qui lui avait été si traîtreusement ravi.

Le colonel Octave de Belval, plus au fait des machinations souterraines de l'ennemi que le président lui-même, veillait attentivement sur sa personne, tout en essayant de rassurer doña Carmen.

Le jeune officier redoutait non-seulement une trahison de troupes, mais encore une attaque de la part de don Torribio de Carvajal, qui probablement essaierait de lui enlever sa nièce.

La population, groupée sur le passage de l'armée, suivait silencieusement sa marche et semblait vouloir lui faire cortège jusqu'à l'extrémité de la ville.

Cependant, plus on approchait des faubourgs, plus l'aspect de la population changeait et prenait une physionomie menaçante. Des cris et des huées, faibles d'abord, mais qui augmentaient rapidement s'élevaient des groupes. Malgré les efforts des officiers, le peuple se pressait de plus en plus contre les soldats, rompait leurs rangs et se mêlait avec eux.

Bientôt le désordre fut complet. Les soldats, silencieux jusque-là et maintenus par un semblant de discipline, mêlèrent leurs vociférations à celles de la populace; la révolte commençait.

Miramón releva la tête.

– Que se passe-t-il donc? demanda-t-il.

– Ce que j'avais prévu, répondit le colonel; l'armée vous abandonne.

– Oh! s'écria le président avec un geste de colère; et, appuyant les éperons aux flancs de son cheval, il le poussa au milieu des émeutiers.

Mais déjà il était trop tard. Les soldats, excités par les meneurs qui avaient semé l'argent parmi eux, méconnaissaient la voix de leur général et étouffaient ses paroles en criant à tue-tête;

– La hache! la hache!

La hache est au Mexique le symbole de la fédération.

Seule, la cuadrilla du colonel de Belval demeurait fidèle; sur l'ordre de son chef, elle s'était serrée autour du président.

Le pronunciamiento était fait, une rixe était imminente.

Le général Miramón voulait se faire tuer par ses soldats révoltés.

– Lâches! lâches! criait-il avec désespoir.

– La hache! vive Juárez! répondaient avec des hurlements de bêtes féroces les soldats et la populace; à bas Miramón!

Le moment était critique, une minute d'hésitation pouvait tout perdre, les révoltés se préparaient à charger.

– Vous êtes perdu si nous ne sortons pas de la foule, général! s'écria Belval.

Et avant que Miramón pût répondre, il fut enveloppé parla cuadrilla; un cavalier prit sa monture par la bride, et le colonel s'élança, le sabre haut, sur les révoltés, suivi par sa troupe.

Il y eut un instant de désordre terrible, mais les soldats n'opposèrent qu'une faible résistance, et bientôt la cuadrilla, son colonel en tête, apparut sur les flancs de l'armée insurgée; provisoirement du moins, le président était en sûreté.

Doña Carmen avait suivi le jeune homme.

– Maintenant, dit Octave en s'adressant au général d'un ton qui n'admettait pas de réplique, mettez pied à terre, prenez ce manteau et cè chapeau.

– Mais où irai-je?

– Dans un endroit où nul ne vous découvrira, général.

– Me cacher! murmura-t-il douloureusement.

– Il le faut! lutter davantage serait une folie; Beltran, tu sais où conduire son Excellence?

– Oui, mon colonel.

– Suivez cet homme, général; il est brave et fidèle; je vous en réponds comme de moi-même.

– Mais vous, mon ami?

– Moi! ma place est ici.

– Cependant … reprit-il avec hésitation.

– Partez! partez! pendant que nous protégerons votre retraite.

Le général lui tendit la main.

– Laissez-moi mourir à vos côtés! dit-il.

– Non, général; vous devez compte de votre vie à la patrie.

En ce moment, les cris redoublèrent et un mouvement hostile s'opéra parmi les insurgés.

– A vos rangs! cria le colonel. Au nom du ciel! partez, général, pendant que nous nous ferons tuer pour protéger votre retraite.

– Venez, dit Beltran; peut-être est-il trop tard. Miramón jeta un regard triste autour de lui, serra affectueusement la main du colonel, murmura le mot: Au revoir! d'une voix brisée, et se décida enfin à suivre Beltran.

 

Ils se perdirent bientôt dans la foule, et passèrent inaperçus au milieu des groupes.

Beltran conduisait l'ex-président à l'échoppe de l'évangélista; c'était, en effet, le seul endroit où Miramón pouvait espérer échapper à la fureur de ses ennemis.

Cependant, plusieurs cavaliers, revêtus d'habits de ville et montés sur des chevaux de prix, s'étaient mêlés aux soldats et paraissaient leur donner des ordres, auxquels ceux-ci obéissaient.

– Carmen! dit le colonel en se penchant vers la jeune fille, peut-être dans quelques instants comparaîtrons-nous devant Dieu!

La jeune fille leva vers lui ses yeux brillants de fièvre et lui répondit avec un doux sourire:

– Que sa volonté soit faite, mon ami! Mieux vaut que je meure avec toi que d'être condamnée à te survivre!

Tout à coup un grand bruit se fit entendre et un escadron de cavalerie apparut arrivant à toute bride du côté de la campagne.

– Bas les armes! commanda d'une voix impérieuse un officier général qui galopait à quelques pas en avant des arrivants.

Les deux troupes, prêtes à se charger, s'arrêtèrent simultanément.

– Ah! ah! continua l'officier avec un accent railleur, en s'adressant à un des chefs des insurgés; comment! vous ici, don Torribio de Carvajal? Vive Dios! cher seigneur, je ne vous savais pas un si chaud partisan de notre illustre président Juárez.

Le vieillard, car c'était en effet lui, baissa la tête avec confusion.

– J'étais ici pour vous, général Saldana, dit-il.

– Oui, je sais, et pour essayer de rattraper le bel oiseau que vous teniez en cage et que vous avez laissé échapper, n'est-cè pas? Mais ceci me regarde. Colonel don Octavio de Belval, où êtes-vous? demanda-t-il à voix haute.

– Me voici, général, répondit froidement le jeune homme en faisant quelques pas en avant.

Le général l'examina un instant avec attention, puis, par un mouvement spontané, il lui tendit la main.

– Des hommes comme nous sont faits pour se comprendre tout de suite; lui dit-il affectueusement; ne soyez pas jaloux de moi, je vous rends justice; doña Carmen a bien fait de vous préférer à moi. Je ne prétends pas troubler votre bonheur; je veux, au contraire, vous servir.

– Mais, général, s'écria don Torribio.

– Silence, señor; Son Excellence le président Juárez vous exile dans votre hacienda del Palo Negro; j'ai ordre de vous y faire conduire immédiatement; de plus, vous êtes condamné à rendre à votre pupille la fortune qui lui appartient et que vous prétendiez lui ravir. Allez!

Don Torribio, atterré, se retira sans trouver un mot de réponse.

Octave et Carmen, en proie à la plus vive anxiété, ne savaient s'ils devaient craindre ou se rejouir.

Le général se hâta de dissiper leurs doutes.

– Colonel, dit-il avec bonté, vous avez commis une faute grave en enlevant une jeune fille alliée aux premières familles du pays, cette faute exige une réparation, le président Juárez ordonne que vous épousiez doña Carmen dans le plus bref délai; votre cuadrilla est incorporée à l'armée. Quant à vous, vous êtes libre, après votre mariage, de vous retirer où bon vous semblera.

– Oh! général, c'est trop de bonté, s'écria le jeune homme avec émotion.

Doña Carmen s'était jetée dans les bras du colonel.

– Me pardonnez-vous la peur que je vous ai faite à mon insu, señorita? reprit le vieux soldat.

– Ah! caballero, s'écria-t-elle, ne vous dois-je pas mon bonheur?

– Maintenant, à Mexico! dit le général en levant son épée. Colonel, je vous demande l'hospitalité pour cette nuit; quant à cette charmante enfant, il lui faudra pour quelques jours se résigner à retourner au couvent.

Les officiers fédéraux avaient fait reprendre leurs rangs aux soldats, et bientôt toutes les troupes répétèrent: A Mexico! au milieu des cris de joie, des illuminations, des vivats et des pétards, suivis par toute la population qui jamais n'avait paru si heureuse.

La révolution était finie et Miramón déjà oublié … de ses amis.

Un seul se souvenait encore de lui, c'était Octave de Belval.

Il est vrai que lui n'était pas Mexicain.

UNE CHASSE AUX ABEILLES
SOUVENIR DES PRAIRIES

De toutes les passions humaines, la plus implacable, sans contredit, est celle de la chasse. Cette passion offre à ses adeptes une suite continuelle d'enivrements, de péripéties imprévues, d'incidents étranges, qui tiennent l'esprit constamment en haleine et fournissent au chasseur le moins favorisé du sort des prétextes plausibles pour persévérer, surtout lorsque l'homme qui en est atteint se trouve, par les hasards d'une vie aventureuse, mis, comme je l'ai moi-même été, à même de la satisfaire dans ses plus fantastiques exigences.

Je me rappelle à ce sujet une assez singulière aventure dont je fus le héros, et qui, par la bizarrerie des épisodes dont la fatalité, pour me faire pièce sans doute, se plut à remailler, a laissé dans mon esprit un impérissable souvenir.

Le territoire de Colima est, sans contredit, une des régions les plus sauvages et les plus désertes du Mexique.

A la suite de certaines circonstances inutiles à rappeler ici, je me trouvai, vers 1854, avoir planté ma tente dans ce pays chez un brave hacendero mexicain, dont l'exploitation s'étendait presque jusqu'à la limite de la frontière indienne, et qui, peu habitué à être visité par des hommes de sa couleur, m'avait, sans me connaître, reçu les bras ouverts, employant à mon égard tous les raffinements de l'hospitalité mexicaine, dont les principes sont déjà cependant si larges dans leur bienveillante et fraternelle simplicité.

Don López Figueroa, mon hôte, était un homme de trente-cinq à quarante ans, au regard doux et franc, à la physionomie intelligente, qui vivait heureux sur ses vastes domaines, où il régnait en vrai souverain.

La seule occupation de don López était de chercher à me rendre la vie agréable et à prolonger le plus longtemps possible mon séjour chez lui.

Comme tous les hacenderos, dont la plus grande partie de l'existence se passe à cheval, don López était un enragé chasseur; ce fut donc à la chasse qu'il songea tout d'abord.

Pendant deux mois consécutifs, poil et plume, animaux de toutes sortes, furent livrés à notre merci.

Antilopes, chevreuils, élans, asshata, panthères, bisons, jaguars, ours gris même, tombèrent tour à tour sous nos coups; cela fut poussé si loin que, si j'étais demeuré six mois de plus à l'hacienda, nous aurions fini, don López et moi, par dépeupler complètement le pays à dix et quinze lieues à la ronde.

Cependant le gibier devenait rare; depuis deux jours j'étais confiné à l'hacienda; ne sachant plus à quelle chasse me livrer, l'ennui me prenait, et je commençais sournoisement, avec l'égoïsme caractéristique des voyageurs blasés, à faire petit à petit mes préparatifs de départ, sans tenir compte à mon hôte des charmantes attentions qu'il n'avait cessé d'avoir pour moi et des agréables surprises qu'il m'avait si souvent préparées.

Couché paresseusement dans mon hamac, les bras pendants et les yeux fermés, je me berçais doucement, cherchant, afin de tromper le temps, à m'endormir.

Un léger bruit me fit ouvrir les yeux. Don López était devant moi, ses yeux brillaient, sa bouche souriait, sa physionomie tout entière, enfin, exprimait la joie et rayonnait de plaisir.

– Ah! ah! fis-je en l'examinant avec curiosité.

– Eh! me répondit-il en se frottant les mains, je vous ménage pour demain une chasse dont vous me direz des nouvelles.

– Une chasse? répétai-je en me relevant comme poussé par un ressort, et laquelle? bon Dieu! N'ai-je pas, depuis que je suis ici, chassé toutes espèces d'animaux?

– Pas ceux-là, fit-il en souriant.

– Bah! qu'allons-nous donc chasser de si extraordinaire?

– Des abeilles, rien que cela, caballero; eh bien, qu'en dites-vous?

– Comment, des abeilles! m'écriai-je abasourdi.

– Oui, vous verrez; nous partirons demain de bonne heure; depuis quelques jours, des abeilles viennent butiner par ici; nous nous mettrons sur leur passée, et nous nous lancerons après elles; cela vous convient-il?

– C'est-à-dire, mon cher hôte, que vous me voyez, charmé; je ne sais réellement comment vous remercier.

– Bah! bah! fit-il en riant, vous me remercierez demain au retour.

Le lendemain, j'étais debout avec le soleil, tant j'avais hâte de savoir à quoi m'en tenir sur cette chasse promise par mon hôte, et qui m'intriguait au plus haut point.

Chasser les abeilles, cela me semblait le comble de la fantaisie; en fait de gibier, certes, je n'aurais jamais songé à celui-là!

– Déjà levé? me dit joyeusement don López.

– Comme vous voyez, et prêt à partir.

– Eh bien! alors en route.

On nous avait préparé deux chevaux de cette magnifique race des prairies, sans égale en Europe, qui peuvent dans leur journée faire trente lieues sans mouiller un poil de leur robe, et dont la sobriété est proverbiale.

Cinq minutes plus tard, nous étions en rase campagne.

– Tiens, me dit tout à coup Don López, où sont donc vos armes?

– Mes armes, répondis-je, j'ai pensé qu'elles me seraient inutiles aujourd'hui.

– Les armes ne sont jamais inutiles sur la frontière, reprit-il sentencieusement.

– Bah! répondis-je, nous ne tuerons pas les abeilles à coups de fusil, je suppose?

– Non, mais nous pourrions tuer autre chose.

– Aussi vous voyez que j'ai pris mon machette.

– Hum, ce n'est pas grand'chose; enfin à la grâce de Dieu!

Cette parole m'inquiéta; cependant, je ne laissai rien paraître et nous changeâmes de conversation tout en continuant à galoper.

Vers dix heures du matin, nous avions déjà franchi deux ou trois rivières à gué, monté et descendu plusieurs collines; nous suivions un sentier étroit qui serpentait dans une forêt de chênes-lièges et de mezquites.

– Avez-vous faim? me demanda mon hôte.

– Ma foi, répondis-je, je vous avouerai franchement que cette course matinale m'a singulièrement creusé l'estomac et que je me sens un appétit du diable.

– Bon, soyez tranquille, vous ne tarderez pas à le satisfaire.

En effet, un quart d'heure après à peine, nous débouchions dans une clairière traversée par un ruisseau perdu dont les eaux cristallines fuyaient en murmurant sous l'ombrage des grands arbres.

– Que pensez-vous de cette salle à manger? fit mon hôte.

– Je la trouve ravissante, dis-je, en sautant à terre.

Don López m'imita, sauta sur l'herbe auprès de moi, après avoir placé entre nous les provisions contenues dans ses alforjas et le déjeuner commença gaiement.

Tout à coup nos chevaux, entravés à quelques pas, couchèrent les oreilles, se refusèrent avec force et tournèrent avec inquiétude leurs têtes fines et et intelligentes vers les fourrés voisins.

– Ils sentent quelque chose, dis-je.

– C'est probable, répondit Don López sans perdre un coup de dents.

Nous sûmes bientôt à quoi nous en tenir; un miaulement sourd et prolongé résonna à nos oreilles, presque immédiatement suivi d'un second.

– Bon, fit négligemment Don López en se versant une mesure de mezcal qu'il avala d'un trait, il y a des jaguars aux environs, ils ont éventé nos chevaux et bientôt ils seront sur nous.

– Vous croyez? m'écriai-je, fort peu charmé de cette nouvelle.

– Pardieu! j'en suis sûr, avant une heure ils seront ici.

– Diable! si nous partions.

– Pourquoi faire? ils nous auraient bientôt rejoints: mieux vaut les tuer, puisqu'ils viennent à nous si bêtement.

– Hum! elle est charmante votre chasse aux abeilles, je m'en souviendrai, savez-vous?

– Oh! c'est intéressant, vous verrez.

– Caramba! je le crois bien.

– Est-ce la première fois que vous chassez le tigre?

– Ah! vous appelez cela chasser le tigre, vous, je vous remercie du renseignement.

Deux autres rauquements plus forts que les premiers se firent entendre.

– Quand je vous disais qu'ils avaient éventé nos chevaux; seulement, ils viennent plus vite que je ne le supposais, ils doivent avoir faim; il est temps de nous préparer.

– A quoi? demandai-je tout déferré par le sang-froid imperturbable de mon hôte.

– A chasser les tigres, pardieu!

– Mais je n'ai qu'un machette.

– C'est plus qu'il n'en faut, vous allez voir. Don López se leva, et s'approcha des chevaux qui tremblaient et faisaient des écarts de terreur.

– Tenez, me dit-il en revenant, entourez votre bras gauche avec cette peau de mouton, roulez votre zarapé au bras droit, lorsque le tigre viendra, vous mettrez un genou en terre en avançant le bras gauche pour vous garantir, et au moment où l'animal bondira sur vous, vous l'éventrerez au vol; c'est la chasse la plus divertissante que je connaisse.

 

– Oui, cela me fait cet effet-là; et l'autre tigre?

– Ne vous en inquiétez pas, je m'en charge.

– C'est égal, murmurai-je à part moi, si jamais on me rattrape à la chasse aux abeilles, je veux bien être pendu, par exemple!

Cependant, il me fallait pour cette fois en prendre mon parti et faire contre fortune bon cœur; je ne voulais pas laisser supposer au digne Mexicain, si naïvement brave, que moi, Français, j'étais capable d'avoir peur; je me roidis, et, l'orgueil aidant, je parvins à faire bonne contenance.

Après avoir de point en point suivi les instructions de mon hôte, j'attendis l'arrivée des tigres, en maudissant intérieurement la chasse aux abeilles, et persuadé que j'allais servir de déjeuner aux bêtes fauves, mais résolu à vendre chèrement ma vie.

Don López, le corps penché en avant, immobile comme une statue, écoutait attentivement les bruits de la forêt.

– Attention, les voilà! s'écria-t-il tout à coup. Au même instant un froissement de broussailles de plus en plus fort se fit entendre, et deux magnifiques jaguars tombèrent en arrêt sur la lisière de la clairière juste en face de nous.

Le corps allongé, la tête furieusement relevée, ils nous examinèrent un instant en battant à coups pressés leurs flancs de leur queue, fixant sur nous leurs yeux qui brillaient comme des escarboucles, et en passant doucement leurs langues sanglantes sur leurs lèvres retroussées.

C'étaient, sans contredit, de nobles animaux, mais j'aurais préféré les savoir autre part que là devant moi; celui surtout qui me faisait face, à cause de la frayeur que j'éprouvai, sans doute, me paraissait avoir des proportions gigantesques.

– Attention! cria Don López.

Au même instant, les tigres bondirent en rugissant.

J'étendis le bras, une haleine acre me suffoqua, une muraille sembla s'écrouler sur ma tête, une pluie chaude m'inonda, et je roulai à terre; je ne voyais rien, je n'entendais rien, seulement je faisais machinalement les plus grands efforts pour me relever: j'y parvins enfin.

Le tigre gisait immobile, mon machette enfoncé tout entier dans son corps; il avait été tué roide; quant à moi, à part quelques contusions, j'étais sain et sauf.

Après m'être assuré que je n'avais même pas une égratignure, le courage commença peu à peu à me revenir, et je regardai autour de moi.

Don López m'avait consciencieusement tenu parole; il avait, lui aussi, tué son tigre.

– Là, me dit-il en rechargeant son fusil, nous enverrons ce soir prendre notre gibier; quant à nous, continuons notre chasse.

– Quelle chasse, demandai-je, à peine remis de l'émotion que j'avais éprouvée?

– Notre chasse aux abeilles donc!

– Ah! c'est vrai, fis-je; nous chassons les abeilles, si nous rentrions à l'hacienda plutôt? hein?

– Y songez-vous? dans une heure nous aurons découvert l'essaim; voyez plutôt.

Et il me montra, en effet, une troupe assez considérable d'abeilles qui volaient au-dessus de nous et traversaient la clairière à tire-d'ailes.

– C'est juste, fis-je en maudissant intérieurement les abeilles et celui qui s'était ingéré de me les faire chasser.

Notre déjeuner, si malencontreusement interrompu par l'arrivée de nos deux fauves convives, ne fut pas continué, je ne me sentais plus le moindre appétit, bien que j'eusse à peine mangé.

Nous repartîmes au galop à travers bois, suivant autant que possible la direction que nous indiquait le vol des abeilles.

– A propos, me dit Don López, vous savez que les ours sont très-friands de miel?

– Ma foi, non, je ne le savais pas, répondis-je, mais qu'est-ce que cela nous fait?

– Pas grand'chose, c'est vrai; seulement je vous avertis, parce qu'il est possible que nous rencontrions un ou deux ours autour de la ruche.

– Comment, m'écriai-je consterné, des ours aussi! Mais c'est un véritable guet-apens, que cette chasse endiablée!

– Bah! qu'est-ce qu'un ours?

– Dame! écoutez donc, vous en parlez bien à votre aise, vous, qui êtes armé jusqu'aux dents; moi, je n'ai que mon machette.

– Eh bien! vous ferez à l'ours comme au tigre, ce n'est pas difficile cela.

– C'est vrai, mais je connais un proverbe qui dit qu'on ne réussit pas deux fois de suite, et vous le savez, les proverbes sont la sagesse des nations.

– C'est juste, malheureusement il est trop tard pour reculer; regardez, reprit-il en me montrant un arbre mort, au pied duquel se trouvait gravement assis sur son train de derrière un gigantesque ours brun.

– Bien, murmurai-je à part moi, à l'autre maintenant; diablesses d'abeilles, que le ciel les confonde!

Heureusement, la rencontre tourna mieux que je ne l'espérais pour moi, et je n'eus pas besoin d'intervenir; Don López, fort adroit tireur, logea une balle dans l'œil droit du pauvre animal qui fut tué roide.

– Maintenant, dit mon hôte, préparons quelques herbes sèches, afin d'endormir les abeilles avant d'abattre l'arbre.

Et il fit un mouvement pour mettre pied à terre; mais au même instant une nuée de flèches s'abattit autour de nous; un horrible cri de guerre résonna comme une fanfare sinistre à nos oreilles, et une douzaine d'Indiens bondirent du milieu des broussailles et se précipitèrent sur nous en brandissant leurs armes.

Cette fois, c'en était trop, la partie n'était plus tenable; j'enfonçai les éperons dans les flancs de mon cheval, et, sans m'occuper de Don López, sans même songer à lui, je partis ventre à terre dans la direction de l'hacienda.

J'entendis plusieurs coups de feu, suivis de hurlements sauvages, puis le galop précipité d'un cheval à mes côtés.

C'était Don López qui me rejoignait, après avoir blessé ou tué deux ou trois Indiens.

– C'est égal, me dit-il tout en galopant, nous savons maintenant où est la ruche; nous irons demain prendre le miel.

– Ah! non, hein, assez, lui répondis-je; c'est charmant, je n'en disconviens pas, la chasse aux abeilles, mais je vous avoue que je la trouve trop accidentée, elle n'a aucune de mes sympathies.

Don López me regarda avec étonnement.

– Cependant, vous vous êtes amusé? me dit-il.

– Epouvantablement, mon ami; mais je suis pour quelque temps guéri de la chasse.

En effet, je tins parole; après cette soi-disant chasse aux abeilles, pendant laquelle j'avais eu consécutivement maille à partir avec un tigre, un ours et des Indiens, sans mettre la main sur la moindre abeille, je renonçai définitivement à poursuivre ce fallacieux animal, et depuis lors, jamais la fantaisie ne m'a repris de lui chercher noise.

Другие книги автора

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»