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Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies

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VIII
LA CHASSE AUX ÉLANS

Bien des heures s'étaient écoulées depuis que Pépé Naïpès était parti pour aller demander du secours aux Omahas, et rien ne faisait pressentir qu'il eût réussi dans sa mission et qu'il fût en marche pour revenir. L'inquiétude était grande au camp des gambucinos. Don López, debout sur le sommet du tombeau de l'Oiseau-Noir, regardait en vain dans toutes les directions; la solitude et le silence régnaient aussi loin que la vue pouvait s'étendre, nulle créature ne se montrait, le paysage était seulement animé d'intervalle en intervalle par des bisons qui passaient au galop, des asshatas qui bondissaient de rocher en rocher sur le bord de la rivière, des vigognes et des daims à queue noire qui couraient effarés çà et là.

Le soleil baissait à l'horizon, et l'ombre tombant du ciel commençait à envelopper la nature comme d'un épais linceul.

Les Mexicains durent renoncer à l'espoir de voir revenir leur compagnon avant le jour suivant, à cause du mauvais état des chemins, et surtout vu la prudence, pour ne pas dire la poltronnerie de leur ambassadeur. Découragés par cette vaine attente, et surtout démoralisés par la mauvaise fortune qui les avait poursuivis depuis leur départ de Santa Fé, les gambucinos s'assirent en soupirant autour d'un feu qu'ils avaient allumé, malgré le danger d'être découverts, afin d'éloigner les bêtes fauves, et prirent leur maigre repas en échangeant de mornes regards, en hommes qui ont le pressentiment d'un malheur prochain, et dont l'énergie est tellement usée, qu'ils ne veulent même plus se donner la peine de réfléchir aux moyens de l'éviter. Don López n'était pas moins abattu que les gens qu'il commandait. Il se promenait de long en large, repassant dans son esprit tout ce qui lui était arrivé depuis un mois, voyant avec désespoir les rêves dorés dont il s'était si longtemps bercé avec bonheur évanouis à jamais, maintenant que sa troupe était réduite à une poignée d'hommes rendus craintifs et timides par le malheur.

Nauchenanga, le chef comanche, qui seul connaissait le gisement du placer, avait disparu; il était mort peut-être, et, sans lui, comment découvrir la mine d'or dans ces plaines immenses, labyrinthe dont le fil s'était cassé dans ses mains. Qu'il y avait loin du triste état dans lequel se trouvait réduit don López, au jour où, à la tête d'une cinquantaine d'hommes résolus et pleins d'espoir, il avait quitté le presidio avec la certitude de s'enrichir en peu de temps!

Ces navrantes réflexions l'avaient plongé dans une sombre mélancolie, et cet homme de fer, qui toujours avait brisé les obstacles surgissant sur son passage, qui, dans toutes les circonstances, s'était montré plus fort que la fortune adverse, commençait à douter de lui-même et presque à trembler lorsqu'il jetait un regard en arrière sur sa vie passée et qu'il songeait aux crimes dont elle était souillée.

A deux pas de lui, à moitié cachée dans l'ombre, se tenait accroupie la pauvre Rant-chaï-waï-mè.

Les bras croisés, la tête inclinée sur la poitrine, elle pleurait silencieuse et désolée. Elle aussi, la pauvre enfant, était bien changée depuis le jour ou nous l'avons rencontrée pour la première fois dans le rancho de Pépé Naïpès; ses joues avaient pâli, ses yeux s'étaient cernés: elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, car la captivité était dure pour cette fille des forêts habituée à la liberté du désert.

Don López l'avait toujours, il est vrai, traitée avec bonté; mais elle avait lu au fond du cœur de cet homme le féroce amour qu'il ressentait pour elle. Cette passion, qu'il n'osait lui déclarer, le rendait d'une jalousie telle, qu'il ne la quittait pas une seconde, passant des heures entières à la contempler sans dire une parole, obsession qui, pour la jeune fille, était devenue un supplice affreux.

La nuit était complètement tombée, le ciel d'un bleu sombre était plaqué d'une multitude d'étoiles qui scintillaient comme des diamants, la lune se levait à l'horizon, déversant sur la terre ses rayons argentés qui éclairaient les objets de lueurs fantastiques. Il faisait une de ces belles nuits du désert américain, pleines de senteurs étranges, et d'âcres parfums. L'air était pur, l'atmosphère transparente, la nature entière semblait se reposer de ses fatigues et reprendre des forces après ses convulsions de la nuit précédente; un silence majestueux planait sur la Prairie, silence troublé seulement par ces bruits sans causes connues que l'on entend dans les pampas et qui semblent être la respiration du monde endormi. Tout à coup, dans le calme, la hulotte bleue chanta à deux reprises différentes; son chant plaintif et doux résonna mélodieusement dans l'espace.

Rant-chaï-waï-mè tressaillit en jetant un regard en dessous à don López, qui n'avait fait aucune attention à ce cri.

– Eh! compère! dit un des gambucinos en s'adressant à son voisin, voilà un oiseau qui chante bien tard.

– Mauvais augure! répondit celui auquel on s'adressait.

– Caray! de quel augure parlez-vous?

– J'ai toujours entendu dire, reprit le second interlocuteur, que, lorsqu'on entend un oiseau chanter auprès d'un tombeau, cela présage un malheur.

– Que le diable vous confonde, vous et vos pronostics! avec cela que les malheurs nous ont manqué jusqu'à présent, et que nous avons eu besoin de présages pour cela!

En ce moment le chant de la hulotte bleue, qui la première fois s'était fait entendre à une distance assez éloignée, retentit avec une nouvelle force; il semblait s'être sensiblement rapproché et partir des arbres situés sur la lisière du camp.

Don López s'arrêta en levant la tète, comme s'il eût, quoique son esprit fut ailleurs, cherché machinalement à se rendre compte du bruit qui frappait son oreille; mais tout rentra dans le silence. Don López secoua la tête et reprit sa promenade.

La jeune fille, après avoir suivi ses mouvements avec une anxiété qu'elle n'avait pas eu la force de dissimuler et qui l'aurait trahie si quelqu'un avait songé à la regarder, respira avec force et reprit sa première position, feignant la plus grande indifférence; mais, pour un observateur attentif, il eût été facile de deviner que quelque chose d'extraordinaire se passait en elle, sa poitrine haletait, son regard brillait dans l'ombre, ses narines se gonflaient, enfin elle semblait en proie à une grande émotion intérieure.

Dès que les gambucinos eurent terminé leur souper, ils s'enveloppèrent dans leurs couvertures, s'étendirent devant le feu, et, fatigués de la marche du jour et des événements de la nuit précédente, ils ne tardèrent pas à être plongés dans un profond sommeil. Don López seul veillait, ainsi que la jeune fille, et encore son immobilité était telle, qu'il était impossible d'assurer qu'elle ne dormait pas.

La nuit fut tranquille et sans incident digne d'être rapporté, si ce n'est que le chant de la hulotte se fit encore entendre à trois reprises différentes, et qu'à chaque fois la jeune Indienne parut se réveiller.

Au point du jour, don López monta sur le tombeau de l'Oiseau-Noir. La solitude continuait à régner dans la plaine; seulement à une portée de fusil du camp, sur le versant de la colline, quatre ou cinq superbes élans rôdaient parmi les arbres.

A la vue de ces animaux, les gambucinos sentirent se réveiller en eux leurs instincts de chasseurs, et quelques-uns demandèrent à don López la permission d'aller les tirer; celui-ci n'osa leur refuser cette demande; mais il leur ordonna de ne se servir que du lasso, de crainte que les coups de fusil répétés par les échos ne vinssent frapper les oreilles des Indiens, qui se trouvaient peut-être embusqués dans les environs. Pour secouer la sombre tristesse qui l'accablait et pour rétablir la circulation dans ses membres engourdis par une longue veille, il partit avec les chasseurs.

A l'instant où ils quittaient le camp, le chant de la hulotte bleue se fit encore entendre, vif, pressant et saccadé comme un appel.

– C'est étonnant, murmura don López en s'arrêtant, je n'ai jamais entendu chanter cet oiseau pendant le jour.

– Oh! capitaine, déjà cette nuit il nous a fatigués de son ramage, répondit un gambucino, et, quoi qu'on en dise, un oiseau qui chante auprès d'un tombeau ça porte malheur.

Don López haussa les épaules avec dédain.

Dès que le chant de la hulotte eut fini de vibrer dans l'air, Rant-chaï-waï-mè leva la tête et regarda autour d'elle pour voir où étaient les gambucinos. Nul ne faisait attention à elle, les huit ou dix Mexicains qui restaient étaient groupés aux retranchements et suivaient avec intérêt les péripéties de la chasse.

La jeune fille profita de ce moment favorable, et, peu à peu, en rampant sur les genoux, s'arrêtant à chaque minute pour surveiller ses gardiens, le cœur palpitant et retenant sa respiration, elle arriva jusqu'à l'extrémité opposée du camp; une fois là, elle demeura immobile quelques secondes pour reprendre haleine et calmer les battements de son cœur; puis ayant jeté un dernier regard autour d'elle, la pauvre fille réunit toutes ses forces, elle s'élança, et, d'un bond prodigieux que le désir seul d'être libre pouvait lui faire tenter, elle franchit le retranchement, se releva, et se mettant à courir avec une agilité surprenante, elle gagna les premiers arbres de la forêt et ne tarda pas à disparaître au milieu d'un épais fourré de lianes, de ronces et de cactus dans lequel elle se faufila comme un serpent.

Personne ne s'aperçut de cette fuite; la chasse était à son plus haut point d'intérêt pour les gambucinos.

Don López et ses compagnons, munis de leurs lassos s'avançaient en silence du côté des élans, en ayant soin de prendre le dessus du vent afin de ne pas être dépistés par l'odorat subtil des intelligents animaux qu'ils voulaient atteindre; ceux-ci continuaient à brouter insoucieusement, marchant de côté et d'autre, sans paraître se douter qu'ils avaient des ennemis près d'eux.

 

Arrivés à une courte distance des élans, les Mexicains s'éloignèrent les uns des autres afin de pouvoir facilement faire tournoyer leurs lassos avant de les lancer, et marchant avec précaution pour ne pas produire le moindre bruit, se courbant et se faisant un rempart du tronc de chaque arbre, de crainte d'être aperçus, ils parvinrent ainsi à vingt ou vingt-cinq pas des animaux qui broutaient toujours; ils s'arrêtèrent là, échangèrent un regard entre eux, et calculant avec soin la portée de leur coup, ils jetèrent leurs lassos.

Alors il se passa une chose étrange.

Les peaux d'élans tombèrent toutes à la fois sur le sol pour faire place au Faucon-Noir et à ses compagnons, qui profitant de la stupeur des gambucicinos à cette métamorphose extraordinaire, chassèrent leurs chasseurs en leur jetant à leur tour sans perdre de temps chacun un lasso sur les épaules et les renversant à terre.

Don López et ses hommes étaient prisonniers.

– Eh eh! compagnons, dit Fleur-de-Genêt en ricanant, comment trouvez-vous celui-là!

Les gambucinos atterrés ne répondirent rien et se laissèrent garrotter en silence. Un seul murmura entre ses dents:

– J'étais bien sûr que cette scélérate de hulotte nous porterait malheur!

A cette boutade, le Faucon-Noir sourit avec finesse, et, mettant deux doigts de sa main gauche dans sa bouche, il imita le chant de la hulotte avec une telle perfection, que le gambucino qui avait parlé leva machinalement les yeux vers le sommet des arbres.

A peine le chant avait-il cessé, qu'un bruit et un froissement de feuilles se fit entendre, et Rant-chaï-waï-mè, écartant les buissons, vint toute palpitante se jeter dans les bras du Faucon-Noir qui la pressa sur son cœur.

– Enfin tu m'es rendue! s'écria-t-il avec un accent impossible à rendre.

– Pour toujours! répondit-elle en cachant sa tête charmante dans son sein.

Don López ne put retenir un cri de rage, et il fit un effort terrible pour se débarrasser des liens qui le retenaient et s'élancer sur le chasseur; mais les gens qui l'avaient attaché savaient trop bien faire les nœuds et la corde était trop solide pour se rompre; au contraire le lasso lui entra si cruellement dans les chairs, qu'il retomba vaincu et désespéré sur le sol.

Le Faucon-Noir s'avança alors vers les retranchements.

Les gambucinos restés à la garde du camp avaient assisté avec une colère impuissante à ce qui s'était passé.

Le Faucon-Noir prit immédiatement possession du camp, plaça des sentinelles et laissa reposer sa troupe, car il comptait partir le lendemain pour se rendre au village des Iowaïs, dont le père de Rant-chaï-waï-mè était le principal chef.

Le soir, trois cents guerriers pawnies alliés du Faucon-Noir arrivèrent au camp, ce qui le mit à la tête d'une troupe d'élite, avec laquelle il pouvait hardiment traverser la Prairie sans craindre d'être insulté. Au coucher du soleil, une des sentinelles signala un nuage de poussière qui arrivait comme un tourbillon.

Bientôt on distingua, reluisant aux derniers rayons du soleil, les armes d'une troupe nombreuse d'Indiens qui accouraient au galop.

Le Faucon-Noir plaça ses hommes aux retranchements pour être prêt à repousser l'attaque qui sans doute le menaçait, et il attendit.

IX
LA LOI DES PRAIRIES

Après l'interrogatoire de Pépé Naïpès, le conseil avait décidé qu'on enverrait demander secours aux Indiens Pieds-Noirs, aux Corbeaux, aux Omahas, aux Ottoës, enfin aux tribus alliées des Comanches, dont les loges se trouvaient aux environs, afin de pouvoir cerner toutes les routes et barrer tous les passages, et qu'aussitôt ces secours arrivés, Néculpangue et Nauchenanga se mettraient à la tête d'une expédition et partiraient immédiatement pour attaquer le camp des gambucinos.

Quelques heures plus tard les députés revinrent suivis chacun des guerriers d'élite des nations auprès desquelles ils avaient été envoyés, et, le jour suivant, au lever du soleil, les deux chefs comanches, à la tête de cinq cents hommes bien montés, se mirent en marche dans la direction de la colline de l'Oiseau-Noir. Le soir, au coucher du soleil, ils arrivèrent en vue du camp. C'étaient eux que la sentinelle des chasseurs avait aperçus.

Aussitôt ses préparatifs de défense terminés, le Faucon-Noir prit une escorte de deux cents Pawnies à cheval, laissa la garde du camp au Castor et descendit dans la plaine.

Les deux troupes indiennes rivales poussèrent de grands cris en se voyant, et, lâchant la bride à leurs chevaux, elles s'élancèrent avec furie l'une contre l'autre.

Certes, pour qui n'eût pas été au fait des mœurs singulières de la Prairie, cette façon de s'aborder eût paru une hostilité déclarée; il n'en était rien pourtant, car, arrivées à la portée l'une de l'autre, les deux troupes commencèrent à faire danser et caracoler leurs chevaux avec cette grâce et cette habileté qui caractérisent les Indiens, et, se déployant à droite et à gauche, elles formèrent deux vastes demi-cercles au centre desquels se trouvèrent les chefs.

Nauchenanga, sur un geste de Néculpangue, détacha sa robe de buffle qu'il agita en signe de paix; le Faucon-Noir répondit immédiatement en s'avançant seul le bras tendu et la main ouverte.

Les deux chefs se joignirent au milieu de l'espace laissé libre pour eux et leurs guerriers.

– Mon frère est le bienvenu, dit le Faucon-Noir qui, en qualité de premier occupant, se crut autorisé à faire les honneurs de cette partie de la Prairie.

– Merci, répondit Nauchenanga; mon frère est-il donc à présent un chef des Pawnies?

– Non; mais les Pawnies sont les amis de mon âme, et mon cœur se réjouit lorsque je suis près d'eux, reprit le chasseur.

– Les Pawnies doivent être fiers de l'amitié d'un grand guerrier comme mon frère.

Le chasseur s'inclina avec courtoisie.

– Mon frère chasse-t-il le bison en ce moment? Les troupeaux sont nombreux dans la pampa.

– Non, répondit le jeune homme, ma chasse est faite; j'ai pris le gibier que je voulais atteindre.

– Mon frère est heureux.

– Mon frère, le grand chef comanche, est-il donc sur le sentier de la guerre, qu'il mène une si grande troupe de guerriers à sa suite?

– Oui, dit Nauchenanga, je vais prendre les chevelures de mes ennemis.

– Wacondah lui donnera la victoire, mon frère est un chef habile.

L'Indien s'inclina à son tour.

Les deux interlocuteurs s'examinèrent un instant.

– Si mon frère veut, avant de continuer son voyage, prendre sa part d'une bosse de bison, je serai heureux de la lui offrir, insinua le chasseur.

– Je remercie mon frère, mon voyage est terminé, c'est ici que je m'arrête.

– Ici! que veut dire mon frère? et quel est donc l'ennemi dont il cherche à ravir la chevelure?

– Mon frère a-t-il perdu la mémoire? répondit vivement le Comanche, et mon ennemi n'est-il pas le sien?

– Si mon frère veut parler de l'homme que les visages pâles nomment don López, cet homme est en mon pouvoir.

– Oah! mon frère s'est-il réellement emparé du chef des visages pâles? fit Nauchenanga d'une voix saccadée et en modérant avec peine la passion qui grondait au fond de son cœur.

– Il est là prisonnier dans son camp, ainsi que tous les hommes qu'il commandait, dit le jeune homme en indiquant le sommet de la colline.

– Et, reprit Nauchenanga avec un tremblement dans la voix et une certaine agitation, le walkon des Prairies bienheureuses…

– Le walkon est près de moi; est-ce qu'une squaw ne doit pas suivre son mari en tous lieux? répondit le Faucon-Noir avec un sourire tranchant comme une lame d'acier.

– Tu mens, chien! s'écria Nauchenanga avec fureur en levant son tomahawk sur la tête du chasseur: le Pigeon-Volant ne veut pas être la squaw d'un lièvre des visages pâles.

A cette insulte, le Faucon-Noir fit faire une volte à son cheval, et, saisissant son rifle, il coucha en joue le Comanche.

Une mêlée terrible et sans pitié allait s'engager entre les deux troupes, lorsque Néculpangue, qui jusqu'à ce moment avait assisté à l'entretien sans y prendre part, se jeta entre les deux rivaux, et, s'interposant dans la discussion avec cette autorité que lui donnaient son âge et sa réputation:

– Que mon frère comanche remette son tomahawk à sa ceinture, dit-il, des hommes ne se battent pas pour l'amour d'une femme lorsque de graves intérêts les réclament! Gardons notre courage pour lutter contre les visages pâles qui nous volent nos territoires de chasse, la hache doit être enterrée entre les enfants des prairies; mon frère le chasseur est jeune, mais c'est un grand chef au feu du conseil; qu'il retourne vers les siens, ma tribu campera ici, les tentes vont être dressées par mes fils, demain les chefs se rassembleront pour discuter au sujet des voleurs visages pâles dont mon frère s'est emparé, il assistera au conseil, Wacondah nous prêtera ses lumières pour que justice soit faite à tous et que les intérêts de mon frère le chasseur et ceux de mon fils soient sauvegardés.

– Bon! fit Nauchenanga, mon père a bien parlé.

– J'assisterai au conseil, répondit le chasseur avec fierté, non pas que j'admette que nul ait le droit de disposer de mes prisonniers, mais parce que je suis ami de la justice, et que jamais on ne me verra enfreindre les lois de la Prairie.

Après avoir prononcé ces paroles, le jeune homme se remit à la tête de sa troupe et regagna son camp.

Néculpangue le suivit longtemps des yeux avec une émotion dont il ne pouvait se rendre compte; la voix du chasseur vibrait doucement au fond de son cœur et lui causait un charme indicible; enfin, lorsque les Pawnies eurent disparu au milieu des arbres de la colline, le vieux chef secoua la tête à plusieurs reprises comme pour chasser une pensée importune, et, reprenant l'impassibilité indienne, il s'occupa activement des préparatifs de la cérémonie du lendemain.

Au lever du soleil, un Indien comanche vint de la part des chefs de sa nation prévenir le Faucon-Noir que l'on attendait sa présence pour ouvrir la discussion.

Le chasseur fit immédiatement monter à cheval ses compagnons blancs, et, suivi d'une centaine de Pawnies qui lui servaient d'escorte et conduisaient au milieu d'eux don López désarmé, il se rendit dans la plaine. Rant-chaï-waï-mè, parée de ses plus beaux habits et rayonnante de bonheur, caracolait auprès de lui.

Les Comanches avaient, en quelques heures, improvisé un véritable village avec ses tentes en peaux de bisons alignées et formant des rues et des places.

A l'entrée du village se tenaient Néculpangue et tous les chefs alliés, accompagnés du devin, attendant l'arrivée du Faucon-Noir.

Aussitôt que celui-ci parut, le devin fait quelques pas à sa rencontre, précédé de deux enfants dont l'un frappait de toutes ses forces sur un chichikoué, et le second soufflait dans une conque, tandis que, derrière lui, quatre hommes portaient une longue perche dépouillée de son écorce, au sommet de laquelle se balançaient des chevelures humaines. Deux enfants d'une dizaine d'années conduisaient un asshata, et un troisième portait une bêche; derrière eux venait, gardé par quatre guerriers comanches, le pauvre Pépé Naïpès, qui lançait des regards effarés et qui était plus mort que vif.

Lorsque le sayotkatta fut arrivé à une dizaine de pas du chasseur, il s'arrêta, fit un signe, et la musique se tut.

Néculpangue et le Faucon-Noir firent quelques pas au devant l'un de l'autre, tenant une robe de bison déployée en signe de paix.

– Que Guatéchù, qui voit tout et sonde les cœurs, dirent-ils ensemble, écoute nos paroles; ce sont des sentiments de paix et d'amitié qui nous réunissent.

Alors le devin saisit la bêche, et creusa, entre les deux chefs, un trou de quatre pieds de profondeur; et lorsque ce travail fut terminé:

– Wacondah vous entend, dit-il: malheur à celui qui trompera son frère! vos paroles seront enterrées là.

Néculpangue, Nauchenanga et le Faucon-Noir se placèrent à trois angles du trou, et, se penchant en avant, ils se donnèrent la main au-dessus et commencèrent les discours d'usage en pareille circonstance, chacun protestant des bonnes intentions qui le guidaient, et de la franchise et de la cordialité qu'il apporterait dans la discussion.

Les discours terminés, le sayotkatta fit trois fois le tour du trou en prononçant des mots magiques d'une voix basse et monotone; puis il égorgea l'asshata dont il recueillit le sang dans un panier en jonc tressé si serré qu'il ne s'en perdit pas une goutte, et l'asshata, coupé en quartiers, fut placé dans le trou. Le devin planta au-dessus la perche, après l'avoir bariolée avec le sang de la victime d'un nombre infini de signes hiéroglyphiques destinés à éloigner les mauvaises influences et à empêcher que les paroles enterrées ne sortissent du trou et ne fussent saisies par Jurùpari, le génie malfaisant.

 

– Frères et hommes puissants, dit le devin d'une voix imposante, tous les rites sont accomplis, Guatéchù les a vus d'un regard complaisant. Vous pouvez sans crainte vous réunir autour du feu du conseil, pendant que ce visage pâle, ajouta-t-il en désignant Pépé Naïpès qui tremblait de tous ses membres, sera attaché au poteau, pour que son âme de lièvre aille après sa mort rapporter à Wacondah de quelle façon nous savons l'honorer.

– Un moment! dit le Faucon-Noir. Je n'assisterai pas au conseil des chefs si ma présence doit être le prétexte d'un meurtre. Nous venons de prononcer des paroles de paix qui doivent avoir leur effet: j'exige que cet homme soit libre à l'instant, ou je me retire.

A ces paroles hardies, prononcées d'un accent clair et assuré, les Indiens restèrent un moment interdits.

– Cet homme est voué à Jurùpari, dit le sayotkatta avec hésitation, car il sentait qu'il n'était pas soutenu par les chefs.

– Ce misérable n'est pas digne de votre colère; voyez, il pleure comme une femme, reprit le Faucon-Noir. Chassez-le avec le mépris qu'il mérite: les guerriers combattent les hommes et ne torturent pas les enfants.

Un murmure d'assentiment accueillit cette proposition, et le sayotkatta, prenant l'initiative avant que les Indiens ne le forçassent à renoncer au supplice du ranchero, le détacha lui-même en disant:

– Que votre volonté soit faite; cet homme est libre.

Le pauvre diable, qui depuis la veille ne vivait pour ainsi dire que par artifice, chancela un instant comme un homme ivre, et alla tomber évanoui au milieu des chasseurs.

– Maintenant, dit le Faucon-Noir, chefs, je vous remercie; je vois que ce sont réellement des sentiments de paix qui vous animent, je suis prêt à vous suivre.

Les chefs s'inclinèrent avec courtoisie, tandis que le devin, dont le rôle était terminé, se retirait et se perdait dans la foule des guerriers.

Néculpangue prit le Faucon-Noir par-dessous les bras, et le guida vers le feu du conseil, où des tabourets de nopal sculptés étaient rangés en cercle pour les chefs. Chacun prit place, et le calumet de paix fut apporté avec le cérémonial usité en pareille circonstance.

Le fourneau du calumet était fait d'une espèce de pierre ressemblant à du porphyre, son tuyau avait sept pieds de long et était orné de touffes de crins teints en rouge.

Le porte-pipe entra dans le cercle, alluma la pipe, la tourna vers le soleil, puis vers les différents points du compas; après quoi il la tendit à Néculpangue. Celui-ci fuma quelques bouffées, ensuite gardant le fourneau de la pipe dans sa main, il tendit l'autre bout au Faucon-Noir et à chacun dans le cercle. Lorsque tous eurent fumé, Néculpangue rendit le calumet au porte-pipe, et, se tournant vers le chasseur:

– Que mon frère parle, dit-il, nos oreilles sont ouvertes.

– Ce n'est pas à moi de parler, répondit le Faucon-Noir, c'est à mon frère le grand tokki des Comanches. J'attends la demande qu'il a à m'adresser à propos de mes prisonniers.

– Bon! reprit Néculpangue, je vais donc m'expliquer. Peu m'importe le sort des autres prisonniers blancs; mais, contre leur chef, je réclame la loi des Prairies, œil pour œil, dent pour dent.

– Je ne puis consentir à ce que demande mon frère, répondit simplement le chasseur; j'ai promis la vie sauve à mes prisonniers. D'ailleurs, que mon frère y réfléchisse, pour être passible de la loi des Prairies, il faut l'avoir enfreinte en commettant un meurtre sur un parent ou un ami de celui qui réclame l'application de la loi; et je ne sache pas que le chef blanc, qui ne connaît pas le tokki des Comanches, se soit souillé d'un meurtre sur quelqu'un des siens.

– Qu'en sais-tu, jeune homme? s'écria Néculpangue en se levant de son siège. Écoutez tous, ulmens et sachems de ma nation, il faut enfin que vous me connaissiez. Ce n'est pas un sang indien qui coule dans mes veines, le désespoir seul m'a obligé de me réfugier parmi vous et de réclamer l'adoption que vous m'avez si noblement accordée et dont je crois m'être rendu digne. Avant ce temps j'étais riche, heureux; j'avais un frère que j'aimais, une femme et un enfant que je chérissais; le misérable qui est devant vous a causé ma ruine et m'a pour toujours ravi le bonheur. Je demande, encore une fois, l'application de la loi des Prairies.

Tous les membres du conseil étaient atterrés. Don López, agité de mouvements convulsifs, le visage livide et défiguré par les remords, lançait autour de lui des regards empreints d'une terreur folle.

Néculpangue continua d'une voix vibrante, en le désignant d'un geste terrible:

– Chefs et guerriers indiens, mes frères, cet homme n'était guidé ni par la haine ni par la cupidité en commettant ces crimes; son but était d'épouser ma veuve. Que cet homme me démente, s'il l'ose. Je l'accuse devant vous du meurtre de don Estevan de la Fuente, mon frère; de l'incendie de ma maison, et, par suite, de la mort de mon fils et de ma femme bien-aimée; car je suis don Gutierrez de la Fuente. Me reconnais-tu, don López?

– Oui! oui! c'est lui! s'écria le Mexicain avec égarement.

– Pas de grâce, continua Néculpangue, œil pour œil, dent pour dent.

Un morne silence régnait dans l'assemblée; le Faucon-Noir baissait la tête avec découragement, renonçant malgré lui à défendre plus longtemps son prisonnier.

Tout à coup Rant-chaï-waï-mè, qui avait assisté, aux côtés du chasseur, à cette scène étrange, vint se placer devant don López, et lui présenta un poignard, en lui disant d'une voix émue:

– Je te pardonne ce que tu as fait contre moi, homme blanc; meurs comme un homme de cœur, tes victimes crient après toi. Wacondah te pardonnera peut-être, si ton repentir est sincère.

Don López regarda un instant la jeune fille avec une expression impossible à rendre, deux larmes jaillirent de ses yeux brûlés de fièvre, et il lui répondit en prenant le poignard:

– Merci, Rant-chaï-waï-mè, tu es une noble femme; sois bénie pour les bonnes paroles que tu viens de dire. Toi seule as eu pitié de moi, je saurai mourir. Et toi, don Gutierrez, ajouta-t-il en se tournant vers Néculpangue, sois heureux, tu es vengé!

Et d'un geste aussi prompt que la pensée, il se plongea le poignard dans le cœur.

– Heureux! murmura Néculpangue d'une voix brisée par la douleur: il n'est plus de bonheur pour moi.

A ce moment, le Castor écarta la chemise du Faucon-Noir, et, montrant le reliquaire que celui-ci portait au cou:

– Vous blasphémez, don Gutierrez, dit-il; il vous reste un fils.

A cette vue, le chef, malgré ses efforts pour se contenir, trembla de tous ses membres, ses traits se contractèrent, et deux larmes, les premières qu'il eût versées depuis la mort de sa femme, jaillirent de ses yeux et coulèrent lentement sur ses joues hâlées; il chancela, et serait tombé si le chasseur ne l'eût reçu dans ses bras.

– Mon fils! mon fils! s'écria-t-il en éclatant en sanglots.

Le jeune homme le retint longtemps serré sur son cœur, dans une étreinte passionnée.

Les Comanches, heureux du bonheur de leur chef vénéré, oublièrent l'impassibilité indienne, et laissèrent éclater leur joie.

Nauchenanga prit alors Rant-chaï-waï-mè par la main, et, s'inclinant devant le chasseur:

– Mon frère, dit-il au Faucon-Noir, tu deviendras un des grands chefs de notre nation; voilà ta femme, elle est désormais ma sœur.

Les deux hommes se serrèrent la main, franchement et loyalement.

– C'est égal, dit Pépé Naïpès qui avait repris son outrecuidante gaieté et qui se pavanait au milieu des Peaux-rouges, il faut avouer que si ce pauvre don López a mené une vilaine vie, il a fait une bien belle mort!

Et il poussa du pied le corps de son ancien chef.

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