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Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies

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III. SUR L'EAU

La nuit était complète, et les ténèbres épaisses au moment où nous nous embarquâmes.

Le péon, avec cette résolution passive de l'homme qui subit ce qu'il ne saurait empêcher, poussa au large la légère nacelle et saisit ses rames, après, toutefois, avoir fait plusieurs signes de croix et murmuré une inintelligible prière.

Ce n'était pas sans une émotion intérieure que je retrouvais dans ce coin ignoré de l'Amérique ces vieilles croyances de nos pères, acceptées jadis comme articles de foi par tous les peuples; aussi dès que nous commençâmes à voguer dans les canaux où le péon se dirigeait avec une adresse et une sûreté admirables, j'essayai d'amener tout doucement mon compagnon sur ce sujet et de le décider à me conter une de ces fantastiques légendes si naïves; mais tous mes efforts furent inutiles, j'avais trop franchement laissé voir mon incrédulité au Mexicain pour qu'il ne se tint pas sur la réserve par crainte de mes railleries; désespérant d'obtenir le moindre renseignement à ce sujet, et comprenant que je chagrinerais mon guide en insistant davantage, je tournai la question et lui demandai quel était ce don Estevan Sallazar, et pourquoi le péon avait cherché à le dissuader de m'accompagner au rancho.

Ce sujet de conversation ne parut pas être beaucoup plus agréable que le précédent à don Blas; cependant, comme il n'avait aucun motif plausible pour me refuser l'éclaircissement que j'exigeais de lui, il s'exécuta avec une mauvaise grâce évidente et consentit enfin à satisfaire ma curiosité.

C'était une histoire fort simple: don Estevan Sallazar avait une sœur belle comme le sont généralement toutes les Mexicaines. Don Estevan était propriétaire d'un rancho nommé la Noria, situé à quelques milles à peine du rancho d'Arroyo Pardo; par un effet naturel du voisinage, don Estevan et don Lucio, le fils de don Desiderio, s'étaient liés intimement; toujours et partout on les voyait ensemble, on les rencontrait côte à côte dans toutes les tertulias et dans toutes les romerías; doña Dolores, la sœur de don Estevan, qui n'était qu'une enfant à l'époque où avait commencé la liaison des deux jeunes gens, avait grandi et était, avec les années, devenue une admirable jeune fille. Don Lucio n'avait pu la voir sans l'aimer; de son côté, Dolores s'était laissé toucher par le noble caractère du jeune homme, et tous deux s'étaient aimés. Lucio n'avait pas fait mystère à son ami de l'amour qu'il éprouvait pour sa sœur. Estevan avait paru charmé de cet amour qui devait, disait-il, resserrer encore les liens qui les unissaient, et il avait engagé le jeune homme à adresser directement la demande à son père.

Don Lucio avait suivi ce conseil; le señor Sallazar, prévenu par son fils, avait fait un excellent accueil au jeune homme, sa demande avait été agréée et jour avait été pris pour la cérémonie.

Dolores et Lucio étaient au comble de leurs vœux, rien, croyaient-ils, ne devait désormais troubler leur bonheur.

Sur ces entrefaites, une discussion, légère en apparence, mais qui bientôt dégénéra en querelle sérieuse, divisa tout à coup les deux familles; cette discussion, qu'il aurait été très facile de terminer dans le principe, puisqu'il ne s'agissait que de la dot que chacun des pères s'engageait à donner à son enfant, s'envenima si bien, des paroles si dures et si blessantes furent échangées, que tout fut rompu entre les deux familles, et que la haine la plus vive remplaça bientôt l'amitié qui avait jusqu'alors uni les habitants de la Noria à ceux d'Arroyo Pardo. Les deux jeunes gens, dont les plans de bonheur étaient renversés, les projets d'avenir détruits, continuèrent cependant à se voir en cachette, mais en usant des plus grandes précautions, parce que les Sallazar avaient juré devant tous leurs amis que si Lucio osait approcher de leur rancho, ils tireraient sur lui comme sur un daim et le tueraient sans pitié. On savait qu'ils étaient capables de mettre sans hésiter leur menace à exécution.

Don Lucio cependant, malgré les prières de sa mère et les ordres de son père, obéissant, ainsi que cela arrive toujours en semblable circonstance, à la violence de son amour, cherchait constamment à voir Dolores, qui, de son côté, révoltée par l'injustice de ses parents, saisissait toutes les occasions de se rencontrer avec celui qu'elle aimait.

Une catastrophe était imminente. L'imprudence même des deux jeunes gens devait la faire éclater.

Ce fut ce qui arriva.

Un jour que Dolores et Lucio causaient cœur à cœur dans une clairière peu distante de la Noria, se croyant bien certains de ne pas être surpris, un coup de feu retentit, et le jeune homme tomba baigné dans son sang aux pieds de Dolores; au même instant, don Estevan s'élança d'un buisson et courut sur son ancien ami en brandissant comme une massue son fusil au-dessus de sa tête, dans l'intention évidente de l'achever.

La jeune fille, à demi folle de douleur, se jeta au-devant de son frère en le suppliant d'épargner celui qu'elle aimait. Estevan la frappa brutalement et la renversa d'un coup de crosse; mais soudain le blessé se releva, bondit sur son ennemi; celui-ci, saisi à l'improviste, roula sur le sol, complètement à la merci de son adversaire.

Les Mexicains portent continuellement des armes, leur couteau ne les abandonne jamais. Lucio saisit le sien, mais au moment où il se préparait à le plonger dans le cœur de son assassin, une main arrêta son bras.

Il se retourna. Doña Dolores s'était relevée, et chancelante encore du coup qu'elle avait reçu, elle s'était précipitée pour sauver son frère.

Le jeune homme comprit la prière muette de la jeune fille; sans répondre, il abandonna don Estevan, se releva et fit un pas en arrière, en ayant soin toutefois de jeter loin de lui le fusil dont il s'était emparé.

– Remerciez votre sœur, dit-il; sans son intervention providentielle, vous étiez mort, puis jetant quelques gouttes de sang au visage de son ennemi: « Adieu, ajouta-t-il, je ne vous chercherai pas, ne vous placez plus sur mon passage, notre première rencontre sera mortelle! Quant à vous, Dolores, je vous aime et je vous aimerai jusqu'au dernier jour de ma vie! les hommes nous séparent sur terre, Dieu nous unira dans le ciel.

Après ces paroles, le jeune homme s'était éloigné en chancelant et en appuyant fortement la main sur sa blessure afin d'arrêter le sang. Avec des difficultés extrêmes, il était arrivé à demi mort chez son père.

Sa blessure était sérieuse, longtemps il fut en danger; enfin la jeunesse triompha, il se rétablit; alors, cédant aux prières de sa famille, il avait quitté le rancho; depuis on n'avait plus entendu parler de lui, nul ne savait ce qu'il était devenu.

Voilà, en substance, le récit qui me fut fait par don Blas; lorsqu'il l'eut terminé, il laissa tomber avec douleur sa tête sur sa poitrine.

– Mais, lui demandai-je alors, comment se fait-il, señor don Blas, que vous connaissiez aussi bien cette histoire?

Il releva la tête, me regarda un instant avec une expression indéfinissable, et me répondit enfin avec un mélange de tristesse et d'amertume:

– C'est qu'elle m'intéresse plus intimement que vous ne le pouvez supposer.

Je cherchais vainement dans mon esprit l'explication de cette parole, lorsque sortant du milieu des buissons, je vis poindre à une assez courte distance devant nous l'avant d'une pirogue dont la noire silhouette se profilait vaguement dans les ténèbres.

– Veillez à l'avant, Perico, criai-je au péon; voici une embarcation qui nous croise.

Le péon se retourna, poussa une exclamation de terreur et abandonna les rames qu'il n'avait plus la force de manier.

– Jesús! Maria! José! s'écria-t-il en faisant le signe de la croix avec une rapidité convulsive, nous sommes perdus!

Cependant, la pirogue avait laissé arriver en plein sur nous; elle semblait glisser sur l'eau sans le secours d'aucune impulsion humaine, sombre, noire, effilée, elle s'avançait dans le canal morne et silencieuse; debout au milieu, enveloppé dans les plis épais d'un manteau qui dérobait entièrement ses traits, se tenait un homme, la tête tournée vers nous, et dont les yeux brillaient dans l'ombre comme des charbons ardents.

La fantastique embarcation passa à nous ranger.

– Te voilà donc enfin! cria une voix rauque, métallique et menaçante.

Don Blas, au son de cette voix, se dressa comme sous le choc d'une commotion électrique.

– Vive Dios! s'écria-t-il en se précipitant vers le péon, c'est lui! c'est lui! Vire! vire donc, Perico, avant qu'il n'échappe!

Mais le péon, incapable du moindre mouvement, tremblait de tous ses membres et murmurait machinalement d'une voix sourde et brisée par la terreur:

– Vous l'avez vu! vous l'avez vu! mi amo! Malheur! malheur!

– Mais qui donc! au nom de tous les saints, m'écriai-je exaspéré.

– Le passeur de nuit t balbutia-t-il en se signant!

Cependant don Blas avait réussi à saisir les avirons et à faire virer la pirogue; mais, réelle ou fantastique, l'embarcation qui nous était apparue si subitement avait aussi soudainement disparu, s'évanouissant dans l'ombre sans laisser de traces.

Le Mexicain demeura un instant comme étourdi de la rapidité de cette scène étrange; mais se redressant tout à coup et lançant vers le ciel un regard de défi:

– Soit! s'écria-t-il d'une voix éclatante: homme ou démon, nous nous verrons face à face!

Un éclat de rire strident et saccadé répondit aussitôt à cette hautaine provocation et nous glaça de terreur; car moi-même, malgré mon vif désir de voir du merveilleux, je me sentais trembler instinctivement.

– En avant! au nom de Dieu! s'écria don Blas, en avant!

Chacun de nous saisit des avirons, et la légère pirogue vola sur la nappe unie du canal.

Cinq minutes plus tard, elle abordait une petite crique au fond de laquelle on apercevait, à une portée de fusil en avant, briller dans la nuit les fenêtres éclairées d'un rancho.

 

Nous étions à Arroyo Pardo.

A l'instant où l'avant de la pirogue grinçait sur le sable de la plage, une femme s'élança follement au devant de nous, les bras étendus, en s'écriant d'une voix déchirante:

– Fuis! fuis, Lucio!.. fuis! le voilà! le voilà!

Soudain un coup de feu retentit, la femme chancela, mais ne s'arrêta point.

– Fuis, Lucio! dit-elle encore, et elle alla tomber, par la force de l'impulsion de sa course désespérée, dans l'eau où elle disparut en poussant un dernier cri de douleur.

Mon compagnon bondit avec désespoir hors de la pirogue.

– A moi! Lucio! à moi, lui dit un homme qui avait semblé surgir de terre.

– Ah! fit le Mexicain avec un cri de rage, te voilà donc enfin, Estevan!

Les deux hommes se précipitèrent l'un sur l'autre, se saisirent à bras le corps, s'enlacèrent comme deux serpents et commencèrent une lutte affreuse entrecoupée de sourdes exclamations de rage et de fureur.

Perico, à genoux sur le sable, priait. J'avais machinalement saisi mon rifle, et, après avoir jeté dans la pirogue le corps de la pauvre femme que le courant avait conduit à portée de ma main, j'avais sauté sur la rive.

Le coup de feu avait donné l'éveil dans le rancho; on voyait des lumières courir dans la maison, et de sombres silhouettes apparaissaient se rapprochant de nous rapidement. Les deux ennemis, acharnés l'un après l'autre, avaient, sans se lâcher, roulé sur le sol, où ils continuaient à s'entre-déchirer, en cherchant à s'arracher mutuellement la vie.

Inquiet du danger terrible que courait mon compagnon, et poussé je ne sais par quelle inspiration subite, je m'approchai du groupe informe des deux ennemis, et au moment où don Estevan levait son poignard pour le plonger dans la gorge de son adversaire abattu sous lui, je lui cassai la tête d'un coup de pistolet.

Il tomba comme une masse. J'aidai don Blas ou plutôt don Lucio, – car ainsi se nommait mon compagnon, – à se relever; il n'avait reçu que de légères blessures.

Quant à don Estevan, qui s'était fait passer pour mort afin d'attirer son ennemi à sa portée … cette fois, il était bien réellement tué et ne devait plus revenir…

Une heure plus tard, la pirogue repartait d'Arroyo Pardo, conduite par Perico à peine remis de sa terreur, et emmenant, outre don Lucio et moi, doña Dolores, grièvement blessée, il est vrai, mais dont la blessure faite par son frère n'était pas mortelle, grâce à Dieu.

Don Lucio et sa femme, fixés depuis longtemps sur le territoire de Colima, dans une hacienda appartenante un Français, ont oublié au milieu d'une famille charmante et des joies du présent les malheurs de leur première jeunesse; ils sont heureux autant que la condition faite à l'homme par Dieu lui permet de l'être sur cette terre.

Parmi les nombreuses connaissances laissées par moi en Amérique, je suis certain de compter au moins un ami: don Lucio; peu de gens peuvent en dire autant.

Ce simple récit n'a qu'un mérite, celui d'être d'une rigoureuse exactitude; malheureusement, en passant par notre bouche, il aura sans doute perdu beaucoup de sa naïveté première, ce dont nous demandons humblement pardon au lecteur.

LA TOUR DES HIBOUX
HISTOIRE DE VOLEURS

«C'est à votre tour, capitaine, – me dit alors de Saulcy, en vidant d'un seul trait le verre de chambertin que depuis quelques secondes il tenait à la main, et que le dénouement imprévu de la précédente histoire lui avait presque fait oublier.

«Messieurs, – répondis-je en cherchant tant bien que mal à parer la botte qui m'était portée, – je ne sais réellement quoi vous dire: mon existence s'est toujours écoulée si calme et si tranquille, que, dans toute ma vie passée, je ne vois pas un fait qui soit digne de vous être rapporté.»

Comme je m'y attendais, ces paroles furent accueillies par une protestation énergique de tous les convives, plus ou moins échauffés par les nombreuses libations d'un festin qui durait déjà depuis plus de six heures. Ce fut en vain que je cherchai à faire agréer mes excuses au milieu du brouhaha des interpellations et des reproches qui pleuvaient sur moi de toutes parts; enfin, désespérant de sortir vainqueur de cette lutte où la force des poumons était loin d'être de mon côté, je pris le parti d'y mettre fin en souscrivant aux vœux de l'honorable compagnie.

Dès que j'eus fait connaître ma résolution, le silence se rétablit comme par enchantement, les verres se remplirent, les têtes se tournèrent de mon côté, les regards se fixèrent sur moi, et je commençai mon récit avec la conviction flatteuse que l'on m'écoutait, sinon avec intérêt, du moins avec attention.

«Messieurs, – dis-je après avoir allumé une cigarette et m'être adossé nonchalamment sur le dossier de ma chaise, – vers la fin de 18… des affaires assez importantes m'appelèrent en Espagne et me forcèrent à un séjour de près d'une année en Andalousie.

«A cette époque, j'avais à peine vingt-trois ans. Au lieu de me confiner dans Cadix, dont les rues sont étroites et sales, je louai un joli mirador à Puerto Real, ville coquette, aux blanches maisons percées d'un nombre infini de fenêtres, derrière les jalousies desquelles on est certain, à toute heure du jour, de voir étinceler des yeux noirs et sourire des lèvres roses.

«Aussi, le temps passait-il pour moi le plus agréablement du monde.

«Négligeant mes affaires un peu plus que je ne l'aurais dû, j'avais fait de fort gentilles connaissances, créé de charmantes relations; en un mot, je ne songeais qu'à me divertir.

«Pourtant, deux ou trois fois par semaine, prenant, comme l'on dit vulgairement, mon courage à deux mains, je m'arrachais, quoique à regret, de ma délicieuse retraite, et, monté sur un magnifique genet, je franchissais au galop les trois lieues qui séparent Puerto Real de Cadix, et je m'informais de l'état de mes affaires, bien plus dans le but de savoir combien de temps encore il me serait permis de jouir de la vie délicieuse que je m'étais organisée, que par respect pour les graves intérêts qui m'étaient confiés.

«Que voulez-vous, messieurs! je ne comprenais encore de la vie que le plaisir.

«L'on parlait beaucoup, à cette époque, d'un certain José Maria, qui avait longtemps écume les grandes routes de l'Espagne comme chef de salteadores, et qui, après avoir fait sa paix avec le gouvernement, s'était retiré à Cadix, sa patrie, pour y jouir tranquillement et honorablement du produit de ses rapines passées.

«On racontait de cet ex-bandit des traits d'une audace inouïe, qui avaient éveillé en moi une vive curiosité et le plus grand désir de me trouver en face de lui.

«Un matin, je reçus une lettre d'un de mes compagnons de plaisir, nommé don Torribio Quesada, qui m'annonçait que, le soir même, à Cadix, le fameux José Maria devait dîner avec lui, et m'engageait à ne pas manquer l'occasion qu'il m'offrait de le voir et de l'entretenir à mon aise en venant partager le repas auquel il avait invité l'ancien salteador.

«Bondissant de joie à cette nouvelle inattendue, je fis immédiatement seller mon cheval, et je m'élançai à toute bride sur la route de Cadix, contremandant tous les ordres que j'avais donnés à mon domestique pour les divertissements de ce jour.

«Deux heures plus tard, j'étais confortablement installé dans le salon de don Torribio.

«José Maria fut exact au rendez-vous.

«C'était bien l'homme que je m'étais figuré, il était bien tel que mon imagination exaltée s'était plu à me le représenter, et les quelques heures que je passai en sa compagnie s'écoulèrent pour moi avec la rapidité d'un songe, tant je fus vivement impressionné en l'écoutant raconter, de sa voix grave et vibrante, avec ce laisser-aller et cette franchise de l'homme supérieur, les émouvantes péripéties de sa vie aventureuse.

«Enfin, il fallut se séparer; José Maria nous quitta après avoir bu un dernier verre de valde peñas et nous avoir amicalement serré la main.

«Lorsque je me trouvai seul avec don Torribio, celui-ci m'engagea à passer la nuit chez lui, car il commençait à se faire tard et j'étais à trois lieues de Puerto Real.

«Le dîner avait été copieux, et un nombre considérable de bouteilles vides, rangées plus ou moins symétriquement sur la table, prouvait surabondamment que la soirée ne s'était pas écoulée avec une sobriété exemplaire. Je me sentais la tête lourde, j'avais beaucoup fumé, et sans être ivre, j'avais cependant dépassé de fort loin les limites d'une honnête gaieté, et mon esprit, naturellement rétif et entêté, se ressentait de cette petite débauche; si bien que je demeurai sourd à toutes les observations de mon ami, et quoiqu'il me pressât fortement de rester auprès de lui en m'objectant l'heure avancée, la longueur du chemin et le peu de sécurité des routes, je m'obstinai à partir.

«Don Torribio, voyant que ses remontrances étaient inutiles et que rien ne pouvait me convaincre, ne s'opposa pas davantage à ma résolution, nous bûmes un dernier coup d'aguardiente; puis, après nous être embrassés, je sautai sur mon cheval, qui piaffait avec impatience devant la porte de la maison, et, m'enveloppant avec soin dans mon manteau, je piquai des deux et partis.

«La nuit était sombre, de gros nuages noirs, chargés d'électricité, roulaient lourdement dans l'espace, l'atmosphère était chaude et pesante, de larges gouttes de pluie commençaient à tomber; par intervalles, on entendait les sourds grondements d'un tonnerre lointain, précédés d'éclairs dont l'éclat aveuglait mon cheval et le faisait se cabrer de terreur.

«J'avançais péniblement sur la route solitaire, la tête pleine des lugubres histoires que pendant toute la soirée José Maria n'avait cessé de raconter, et mes regards erraient autour de moi avec inquiétude, cherchant à percer l'obscurité et à me prémunir contre les embûches qui pouvaient m'être tendues par les nombreux caballeros de la Noche qui, à cette époque, pullulaient sur tous les grands chemins de l'Andalousie.

«J'étais armé, et, malgré mes appréhensions, j'avais trop souvent parcouru la distance qui sépare Cadix de Puerto Real, pour ne pas savoir à peu près à quoi m'en tenir sur ce que j'avais à craindre; mais cette nuit-là, la tête farcie d'un tas d'histoires lamentables, je me sentais en proie à une terreur inusitée: de quoi avais-je peur? Je l'ignore, ou plutôt, pour être franc, j'avais peur de tout.

«Cependant, le temps était devenu détestable.

«Le ciel s'était changé en une immense nappe de feu, des éclairs incessants répandaient une lueur livide et fantastique, la pluie tombait à torrents, enfin l'orage qui menaçait depuis longtemps déjà, éclatait avec fureur.

«Mon cheval buttait et trébuchait à chaque pas au milieu de ce bouleversement général de la nature, et j'étais obligé de le surveiller avec le plus grand soin, pour éviter d'être renversé dans la boue.

«J'étais littéralement traversé par la pluie et je maudissais mon entêtement, qui m'avait fait refuser l'offre obligeante de don Torribio, pour venir patauger ainsi au milieu de la nuit dans des sentiers perdus, au risque de me rompre vingt fois le cou; enfin je ne savais plus à quel saint me vouer, lorsque je me souvins d'une vieille masure dont je ne devais pas être bien éloigné en ce moment et qui pouvait provisoirement m'offrir un abri contre la tempête.

«Je m'orientai le mieux qu'il me fut possible dans les ténèbres qui m'entouraient, et je parvins, au bout de quelques instants, à gagner ce toit hospitalier.

«C'était une vieille tour, reste de quelque manoir féodal que le temps avait peu à peu miné et fait disparaître; elle était abandonnée, tombait presque en ruine et servait de retraite aux oiseaux de nuit. Les gens du pays la nommaient, et la nomment sans doute encore, la tour des hiboux, nom qu'elle méritait à tous égards.

«Je mis pied à terre, et passant la bride à mon bras, j'entrai, suivi de mon cheval, dans une grande salle dont l'aspect avait quelque chose de lugubre et de sinistre qui me saisit malgré moi.

«L'on racontait sur cet endroit des histoires étranges qui, je ne sais par quelle fatalité, se retracèrent tout à coup à mon imagination malade avec une vivacité et une force qui firent courir un frisson dans tous mes membres, et ce ne fut qu'avec une certaine inquiétude que je jetai un regard circulaire sur ces lieux qui devaient, pour plusieurs heures peut-être, me servir de domicile.

«Comme je vous l'ai dit, messieurs, je me trouvais dans une vaste salle comprenant toute la largeur de la tour; elle était percée d'étroites fenêtres, veuves depuis longtemps de contrevents, et par lesquelles l'eau, chassée par le vent, entrait en tourbillonnant. Dans le fond, un escalier délabré s'élevait en spirale conduisant aux étages supérieurs; dans un coin, un monceau de débris de toute espèce montait jusqu'au plafond voûté et ne semblait pas avoir été remué ou touché depuis au moins un siècle.

 

«Mais ce qui m'effraya réellement, ce fut de voir flamber au milieu de la salle un feu de broussailles et de bois mort.

«Quels étaient les hôtes de cette demeure?.. où étaient-ils?.. Ne voulant pas m'aventurer en étourdi dans ce coupe-gorge, je revins sur la route et regardai attentivement de tous les côtés, mais la nuit était trop obscure pour qu'il me fût possible de rien découvrir; vainement je prêtai l'oreille, j'entendis seulement les sifflements furieux du vent auxquels nul bruit humain ne venait se mêler.

«Un peu rassuré par ce silence et cette solitude, je me déterminai à faire le tour de la vieille forteresse; mes recherches furent sans résultat, seulement je découvris une espèce de hangar sous lequel j'installai mon cheval.

«Puis convaincu que, pour le moment du moins, j'étais le seul habitant de la tour, et que par conséquent je n'avais rien à redouter, je rentrai dans la salle; pourtant, ne voulant pas être pris a l'improviste, je résolus de ne pas m'y arrêter et de monter à l'étage supérieur, ce que j'exécutai immédiatement.

«Autant que je pus en juger au milieu des ténèbres épaisses dans lesquelles j'étais plongé, cette salle ressemblait complètement à celle que j'avais quittée: même délabrement, même monceau d'ordures et même escalier montant à un étage supérieur.

«Pour ne pas être surpris sans défense, je visitai avec soin les amorces de mes pistolets; puis, m'enveloppant de mon manteau et recommandant mon âme à Dieu, je me couchai auprès de l'escalier afin d'être prêt à tout événement et avec la résolution de rester éveillé; mais; la fatigue et le vin aidant, je sentis mes yeux se fermer malgré moi; mes idées peu à peu s'obscurcirent, et j'allais me laisser aller au sommeil, lorsque tout à coup un bruit de pas résonnant à mon oreille me tira subitement de ma torpeur et me rendit à moi-même.

«Une dizaine de personnes venaient d'entrer dans la tour.

«De l'endroit où j'étais couché, en avançant légèrement la tête, il me fut possible de les apercevoir sans être vu.

«C'étaient des hommes au teint hâlé, au visage sombre, aux membres robustes, vêtus pour la plupart du pur costume andalou si riche et si coquet. Ils étaient armés jusqu'aux dents.

«Ils s'étaient assis autour du feu, dans lequel ils avaient mis deux ou trois brassées de bois, et causaient entre eux avec vivacité, tout en jetant par intervalle des regards de convoitise sur deux larges coffres qu'ils avaient déposés dans un coin.

«Les premiers mots que j'entendis ne me permirent pas de conserver le moindre doute sur leur profession.

«C'étaient des salteadores, autrement dit voleurs de grands chemins, et ils appartenaient à la cuadrilla (troupe) du Niño (jeune homme), célèbre chef de bande qui avait succédé à José Maria, et dont le nom était devenu la terreur de toute l'Andalousie.

«Leurs gestes étaient animés; parfois ils portaient la main sur leurs armes. Je crus comprendre qu'ils ne s'entendaient pas sur le partage du butin contenu dans les malles; la dispute finit par s'échauffer à un tel point que je vis le moment où ces misérables allaient s'égorger entre eux: ils s'étaient levés en tumulte, les couteaux étaient tirés, ils se mesuraient du regard avec colère, tout à coup leur chef parut.

«El Niño était à cette époque un homme d'une quarantaine d'années, d'une taille élevée et fortement charpentée; ses épaules larges et ses bras musculeux dénotaient une vigueur peu commune; ses traits étaient durs et son regard farouche; les reflets fantastiques du feu, qui se jouaient sur son visage, donnaient à sa physionomie un caractère rendu plus étrange encore par le sourire ironique qui plissait ses lèvres épaisses et charnues.

«Encore des querelles, des disputes,» dit-il d'une voix brève et accentuée, «Caray! ne pouvez-vous vivre en bonne intelligence comme cela se doit entre honnêtes bandits?»

«Un des brigands hasarda une justification que le Niño interrompit aussitôt.

«Silence, fit-il, je ne veux rien entendre!.. Vive Dieu! vous êtes là à vous goberger tranquillement autour du feu comme des moines idiots, sans plus songer à notre sûreté commune que si nous étions seuls dans l'univers!.. Heureusement que j'ai toujours l'œil au guet, moi!.. Où est passé l'homme auquel appartient le cheval que j'ai trouvé sous le hangar?»

«A cette parole, un frémissement involontaire s'empara de moi, et je réfléchis avec terreur à l'atroce position dans laquelle le hasard et mon mauvais destin m'avaient placé. En effet, cette position était des plus critiques, je me trouvais littéralement dans une souricière: nul moyen n'était en mon pouvoir pour m'échapper de ce coupe-gorge, et je recommandai tout bas mon âme à Dieu, tout en me promettant de vendre ma vie le plus cher possible à ces bandits, dont je connaissais trop bien la férocité pour conserver le moindre doute sur le sort qu'ils me réservaient si je tombais entre leurs mains.

«Cependant les salteadores, étourdis par le discours de leur chef, avaient saisi avec empressement leurs tromblons et leurs carabines.

«Nous ne savons où peut être l'homme dont vous parlez, dit un de ces brigands; à notre arrivée ici, la tour était déserte.

« – Possible, répondit le Niño; en tout cas, deux d'entre vous vont battre les abords de cette bicoque; peut-être est-il caché dans les environs.»

«Deux hommes sortirent, et le capitaine commença à se promener de long en large dans la salle en attendant leur retour.

«Au bout d'un instant ils revinrent.

«Eh bien! demanda-t-il.

« – Rien, répondirent les deux bandits; le cheval est toujours sous le hangar, mais du cavalier, nulle trace.

« – Hum! fit le capitaine. »

«Et il reprit sa promenade.

«Un silence de mort régnait dans cette salle, un instant auparavant si bruyante.

«Je respirai avec force, présumant que tout danger immédiat était passé pour moi. Je me trompais.

«Au bout d'un instant, le capitaine s'arrêta.

«A-t-on visité l'intérieur de la tour? demanda-t-il.

«Non, répondirent les bandits; à quoi bon? aucun homme n'aurait été assez abandonné de Dieu pour venir ainsi, de gaieté de cœur, se jeter dans la gueule du loup.

«Qui sait? murmura le capitaine en hochant la tête, peut-être que l'homme que nous cherchons était ici avant vous, et que, en vous entendant venir, ne sachant à qui il allait avoir affaire, et voyant sa retraite coupée, il est monté dans les étages supérieurs. Visitons-les toujours; dans notre métier, deux précautions valent mieux qu'une.»

«Et, suivi de ses hommes, le Niño se dirigea vers l'escalier.

«Je montai immédiatement au second étage. Je ne tardai pas à entendre le bruit que faisaient les salteadores en fouillant et en furetant dans tous les coins.

«Rien! fit la voix du capitaine; voyons plus haut.»

«La tour n'avait que deux étages et se terminait par une plate-forme sur laquelle j'arrivai haletant et en proie à la plus profonde terreur.

«Je me voyais perdu, perdu sans ressources; nul secours humain ne pouvait me venir en aide; je courais çà et là, je tournais comme une bête fauve autour de cette plate-forme maudite au bas de laquelle se trouvait un précipice de plus de cent pieds.

«Mes dents claquaient à se briser, une sueur froide inondait mon visage, et un tremblement convulsif s'était emparé de tout mon corps.

«J'entendais dans l'escalier les pas des bandits, lancés comme des limiers à ma poursuite, et je calculais en frémissant combien de secondes me restaient encore.

«Enfin, rendu fou par l'épouvante, je résolus de me précipiter, plutôt que de tomber vivant entre les mains de ces scélérats qui, je le savais, avaient la coutume de faire souffrir d'effroyables tortures à leurs victimes, afin d'en tirer de riches rançons.

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