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Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies

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Il y eut un instant de silence. L'Indien semblait réfléchir profondément.

Enfin il releva la tète, rendit à son regard toute sa sérénité, et, d'une voix basse et mélodieuse:

– Pourquoi feindre de ne pas me comprendre, Kolixi18? dit-il; le petit oiseau qui chante dans mon cœur ne chante-t-il pas dans le tien? Pourquoi ne pas être franc? Un guerrier ne doit pas avoir la langue fourchue. Ce qu'un homme seul ne peut faire, deux peuvent le tenter et réussir. Que mon frère s'explique, les oreilles d'un ami sont ouvertes.

– Mon frère a raison, je ne tromperai pas son attente; oui, j'ai dans le cœur un petit oiseau qui me répète de douces paroles à chaque instant du jour; oui, je donnerais ma vie avec bonheur pour voir le Pigeon-Volant libre de prendre son essor vers les cases de ses pères; mais que peut la volonté d'un homme seul?

– Mon frère se trompe, il n'est pas seul; je vois à ses côtés les six plus terribles rifles de la prairie. Que me dit donc là mon frère? Ne serait-il plus le grand guerrier que je connais? Douterait-il de l'amitié de son frère rouge Nauchenanga, le grand sagamore des Comanches?

– Je n'ai jamais douté de l'amitié de mon frère; c'est un illustre chef, et je suis flatté de l'offre qu'il veut bien me faire, répondit le jeune homme sans se compromettre.

– Eh bien, que mon frère dise un mot, et deux cents guerriers comanches se joindront à lui pour délivrer le Pigeon-Volant et prendre la chevelure de ses ravisseurs.

– Merci, chef, votre offre est loyale, et je l'accepte; je sais que vous êtes honnête et que votre parole est sacrée.

– Michabou19 nous protège, dit l'Indien en se levant; mon frère peut compter sur moi: qu'il suive les ladrones, je me charge de les lui livrer sans défense.

– Mais, reprit le chasseur, quand nous aurons sauvé la jeune fille, à qui appartiendra-t-elle?

– Rant-chaï-vaï-mè est sage, répondit noblement l'Indien, elle choisira entre le Faucon-Noir et Nauchenanga; heureux celui sur lequel tombera son regard; l'autre se retirera sans se plaindre: la douleur aime la solitude.

– Voici ma main, chef, et, quel que soit l'arrêt de celle que j'aime, je saurai m'y soumettre en homme de cœur.

– Mon frère parle bien, reprit l'Indien; Michabou a entendu son serment.

Et, s'inclinant avec courtoisie, le chef comanche se retira sans ajouter une parole.

Quelques minutes plus tard, les chasseurs quittaient la clairière pour se mettre à la poursuite des gambucinos.

III
EL VADO

Don López ne resta pas longtemps sous le coup du sanglant outrage qu'il avait reçu. L'orgueil, la colère, et surtout le désir de se venger lui rendirent le courage, et, quelques minutes après le départ du Faucon-Noir, il avait retrouvé toute son audace et son sang-froid.

– Vous le voyez, señor Pépé, dit-il en s'adressant au ranchero, nos projets sont connus; il faut donc nous hâter si nous ne voulons voir ici faire irruption les suppôts du gouvernement. Ce soir même, aidé du señor don Juan, que je vous laisse, vous mettrez à cheval le Pigeon-Volant, en ayant soin de lui couvrir la tête d'un chapeau d'homme à larges bords, et vous vous rendrez au camp. Votre arrivée sera le signal du départ de l'expédition.

– Mais, observa Pépé, dans quel but vous embarrasser d'une femme?

– Parce que cette femme, dit López avec une émotion mal dissimulée, est douée d'une beauté étrange; elle est aimée des principaux chefs des tribus indiennes sur le territoire desquelles nous devons passer; elle est donc pour nous un otage précieux, comme l'a fort bien dit l'homme qui vient de nous braver avec tant d'insolence; grâce à elle, je pourrai neutraliser les efforts que tenteront les Indiens pour nous fermer la route du placer.

Don López se leva, et, remontant à cheval, prit au galop la route du Cerro Prieto.

– Hum! fit Pépé en le regardant s'éloigner, quel œil de démon! Quoiqu'il y ait vingt ans que je le connaisse, je ne l'avais jamais vu ainsi! Comment tout cela finira-t-il?

Et, sans plus de commentaires, il commença à mettre tout en ordre dans le rancho. Lorsque ses apprêts furent terminés, il jeta un regard autour de lui.

Le señor don Juan, les coudes sur la table et la cigarette à la bouche, buvait à petits coups l'eau-de-vie restée dans la bouteille, sans doute pour se consoler de la navajada dont l'avait gratifié le Faucon-Noir, et qui déjà se cicatrisait tout en lui formant la plus piteuse physionomie du monde.

– Hé! dit le ranchero d'une voix insinuante, señor don Juan, savez-vous qu'il est à peine cinq heures?

– Vous croyez? répondit l'autre pour dire quelque chose.

– J'en suis sûr.

– Ah!

– Est-ce que le temps ne vous semble pas long?

– Extraordinairement.

– Si vous le vouliez, il nous serait facile de l'abréger.

– De quelle façon?

– Oh! mon Dieu, avec ceci.

Et Pépé sortit de sa poche un jeu de cartes crasseux, qu'il étala avec complaisance sur la table.

– Ah! la bonne idée! s'écria don Juan, dont les yeux étincelèrent; faisons un monté!

– A vos ordres; mais que jouerons-nous?

– Ah! diable, c'est vrai, il faut jouer quelque chose, fit don Juan en se grattant la tète.

– La moindre des choses, simplement pour intéresser la partie.

– Encore faut-il l'avoir.

– Que cela ne vous embarrasse pas; si vous y consentez, je vous ferai une proposition.

– Faites, señor, je serai charmé de la connaître.

– Voici. Nous jouerons, si vous voulez, la part qui doit nous revenir dans les lingots d'or que nous allons chercher avec don López.

– Accepté, s'écria don Juan, sortant de sa poche un jeu de cartes non moins crasseux que celui de son partenaire; cela nous fera gagner une heure.

– Tiens, vous avez des cartes aussi, observa le ranchero.

– Oui, et toutes neuves, comme vous voyez. Commençons-nous?

– Je suis à vos ordres.

La partie s'engagea, et bientôt, oubliant tout autre intérêt, les deux hommes furent complètement absorbés par les combinaisons du siete de copas, de el as de oro, du tres de bastos et du dos de espadas.

Au Mexique et dans toute l'Amérique espagnole, l'Angelus sonne au coucher du soleil, et dans ces contrées, où il n'y a pas de crépuscule, la nuit arrive sans transition, si bien que, lorsque la cloche a fini de tinter, l'ombre est épaisse. L'heure était donc bien choisie pour le départ, et Pépé ne le retarda pas, car, bien qu'il eût déployé toute sa science, il avait trouvé dans le señor don Juan un adversaire tellement habile, qu'après plus de trois heures d'une lutte acharnée, tous deux se trouvaient aussi avancés qu'auparavant.

Au dernier coup de l'Angelus, Pépé mit la clef dans la serrure de la porte conduisant à sa chambre, l'ouvrit, et, au bout de quelques secondes, il rentra dans la salle suivi du Pigeon-Volant.

Rant-chaï-waï-mè était une mignonne jeune fille de seize ans à peine, à la tournure gracieuse, légère, avec ce laisser-aller plein de charme que les Espagnols appellent salero, mot que nulle expression française ne saurait rendre; ses traits délicats, presque enfantins, respiraient la douceur et l'innocence; son front rêveur, ses grands yeux noirs et pensifs, son nez finement découpé, aux ailes mobiles, sa bouche rieuse bordée de deux lèvres parfaitement ourlées, ses dents blanches et son petit menton à fossette, lui formaient la plus délicieuse physionomie qui se puisse imaginer; son teint bistré, presque blanc, nuance moins rare qu'on ne le croit chez les Indiennes, ses cheveux noirs lui tombant en deux énormes tresses sur les talons, ses mains d'une petitesse extrême, complétaient l'ensemble enchanteur de sa personne. Comme toutes les femmes de sa race, elle était vêtue de deux larges chemises de calicot rayé; l'une, serrée au cou, tombait jusqu'aux hanches, tandis que l'autre, attachée à la ceinture, lui descendait jusqu'aux chevilles. Son cou était orné de colliers de perles fines entremêlées de ces petits coquillages nommés wampums et qui servent de monnaie aux Indiens; ses bras et ses chevilles étaient entourés de larges cercles d'or, et un petit diadème du même métal rehaussait le ton mat de son front; des mocassins de daim, brodés de laine et de perles de toutes couleurs emprisonnaient ses pieds nerveux et finement cambrés.

A son entrée dans la salle, un nuage de tristesse et de mélancolie répandu sur son visage ajoutait, s'il est possible, un attrait de plus à sa personne.

– Allons, waïnè20, lui dit le ranchero, séchez vos larmes, nous ne vous voulons pas de mal, que diable! et tout cela finira peut-être mieux que vous le croyez.

La jeune fille ne répondit pas, elle se laissa déguiser sans résistance, mais en faisant une petite moue à désespérer un saint.

– S'il y a du bon sens! murmurait le digne Pépé à part lui, tout en attifant sa prisonnière et en jetant un regard de convoitise sur les joyaux dont elle était parée; il faut être fou pour gâcher ainsi l'or et les perles. Ne vaudrait-il pas mieux s'en servir pour acheter quelque chose d'utile? C'est qu'elle en a au moins pour dix mille piastres! Quelle magnifique partie de monté on ferait avec cela! Ah! si don López avait voulu… Enfin nous verrons.

 

Tout en faisant ces judicieuses réflexions, le ranchero avait achevé la toilette de la jeune fille; il compléta son déguisement en lui jetant sur les épaules le manteau abandonné par le Faucon-Noir; puis, donnant un dernier regard à sa demeure, il fourra dans sa poche le jeu de cartes qui était resté sur la table, but un large verre d'eau-de-vie et sortit enfin de la salle, suivi de la jeune fille et du señor don Juan, qui, malgré les divers incidents de la journée, avait repris sa bonne humeur, grâce sans doute au monté, cette passion invétérée de tout bon Mexicain.

La porte fermée avec soin, l'Indienne fut placée sur un cheval, Pépé monta sur un autre, ainsi que le señor don Juan, et, abandonnant sa maison à la garde de la Providence, laquelle devait fort peu s'en soucier, le ranchero donna le signal du départ, suivi de ses deux compagnons; il fit un détour pour traverser le pueblo et se dirigea au grand trot du côté du Cerro Prieto.

Don López avait mis le temps à profit, et tout était prêt pour le départ. Les nouveaux venus ne descendirent même pas de cheval; dès qu'on les aperçut, la caravane, composée, comme nous l'avons dit, d'une cinquantaine d'hommes déterminés, après s'être, formée en file indienne, s'ébranla dans la direction des Prairies, non sans avoir prudemment détaché sur ses flancs deux éclaireurs chargés de surveiller les environs.

Rien n'est triste comme une marche de nuit dans un pays inconnu, semé d'embûches de toutes sortes où à chaque instant l'on craint de voir s'élancer de derrière les buissons l'ennemi qui vous guette au passage. Aussi la petite troupe, inquiète et tressaillant au moindre bruit, s'avançait-elle silencieuse et morne, les yeux fixés sur les halliers touffus qui bordaient le chemin, le fusil en avant, et prête à tirer au moindre mouvement suspect.

Cependant les gambucinos marchaient déjà depuis trois heures sans que rien fut venu justifier leurs craintes, un calme solennel continuait à régner autour d'eux; peu à peu leurs appréhensions se dissipèrent et ils commençaient à causer à voix basse et à rire de leurs terreurs passées, lorsqu'ils arrivèrent sur les bordas d'une petite rivière qui leur barra le passage.

Dans l'intérieur de l'Amérique du Sud les voies de communication sont nulles et par conséquent le système des ponts complètement négligé. On ne connaît que deux moyens de traverser les rivières: chercher un vado (gué), ou, si l'on est trop pressé, lancer son cheval dans le courant, souvent très rapide, et tâcher d'atteindre l'autre bord à la nage. Don López choisit le premier moyen: il chercha un vado.

Ce fut l'affaire de quelques minutes, et bientôt toute la troupe entra dans l'eau; quoique le gué ne fût pas égal et que parfois les chevaux eussent de l'eau jusqu'au poitrail et fussent obligés de se mettre à la nage, tous les cavaliers passèrent sans accident.

Il ne restait plus sur la rive que don López, le chef comanche, qui avait rejoint l'expédition quelques minutes avant son départ et lui servait de guide, la jeune Indienne et le señor Pépé Naïpès.

– A nous maintenant, chef, dit don López en s'adressant à Nauchenanga; vous voyez que nos hommes sont en sûreté et n'attendent plus que nous pour se mettre en route.

– La waïnè première, répondit laconiquement l'Indien.

– C'est juste, chef, la femme d'abord, reprit don López; et se tournant vers sa prisonnière: – Passez, lui dit-il, en adoucissant autant que possible le timbre de sa voix.

La jeune fille, sans répondre, fit résolument entrer son cheval dans la rivière; les trois hommes la suivirent.

La nuit était sombre, le ciel couvert de nuages, et la lune incessamment voilée ne brillait qu'à de longs intervalles, ce qui rendait le passage difficile en ne permettant pas de distinguer les objets à une courte distance; cependant, au bout de quelques secondes, don López crut s'apercevoir que le cheval de la jeune Indienne ne suivait pas la ligne tracée par le vado, mais appuyait sur la gauche comme s'il se fût abandonné au courant. Il poussa son cheval en avant pour s'assurer de la réalité du fait; mais tout à coup une main vigoureuse saisit sa jambe droite, et avant même qu'il songeât à résister, il fut renversé dans l'eau et pris à la gorge par un Indien.

Pépé Naïpès s'élança à son secours.

Pendant ce temps, le cheval de l'Indienne, subissant probablement une impulsion occulte, s'éloignait de plus en plus de l'endroit où les gambucinos avaient pris terre. Quelques-uns d'entre eux, s'apercevant de ce qui se passait, rentrèrent dans l'eau pour venir en aide à leur chef, tandis que d'autres, guidés par don Juan, suivirent le rivage au galop afin de couper la retraite au cheval de l'Indienne lorsqu'il aborderait.

Pépé Naïpès, après plusieurs efforts infructueux, se rendit maître du cheval de don López et le mena à celui-ci au moment où il venait de tuer son ennemi d'un coup de couteau dans la poitrine; le Mexicain se remit en selle et gagna le rivage où il tâcha de rétablir un peu d'ordre dans sa troupe, tout en suivant avec anxiété les péripéties du drame silencieux qui se jouait dans la rivière entre Nauchenanga et la jeune Indienne.

Le chef comanche avait lancé son cheval à la poursuite de celui du Pigeon-Volant, et tous deux, sur une ligne presque parallèle, suivaient le fil de l'eau, le premier cherchant à se rapprocher du second qui s'efforçait au contraire d'augmenter de plus en plus la distance qui les séparait.

Tout à coup le cheval de Nauchenanga fit un bond en poussant un hennissement de douleur, et il commença à battre follement l'eau de ses pieds de devant, tandis que la rivière se teignait en rouge autour de lui; le chef, comprenant que son cheval était blessé à mort, quitta la selle et se pencha de côté, prêt à plonger. En ce moment, une face hideuse apparut au niveau de l'eau en riant d'une façon diabolique, et une main s'avança vers lui pour le saisir. Avec cet imperturbable sang-froid qui n'abandonne jamais les Indiens, même dans les circonstances les plus critiques, le Comanche prit son tomahawk, fendit le crâne de son ennemi et se laissa glisser dans l'eau.

Alors un formidable cri de guerre éclata dans la forêt, et une cinquantaine de coups de feu éclatèrent, tirés des deux rives à la fois et illuminant la scène de lueurs fugitives et sinistres. Une foule de peaux-rouges se rua sur les gambucinos et une mêlée terrible s'engagea.

Les Mexicains, pris à l'improviste, se défendirent d'abord mollement, lâchant pied et cherchant un abri derrière les arbres; mais obéissant à la voix de don López qui faisait des prodiges de valeur tout en excitant ses compagnons à vendre chèrement leur vis, ils reprirent courage, se formèrent en escadron serré et chargèrent les Indiens avec furie, luttant corps à corps avec eux, les assommant à coups de crosse de fusil ou les poignardant avec leurs machettes. Le combat fut court. Les peaux-rouges voyant le mauvais résultat de leur surprise, se découragèrent et disparurent aussi vite qu'ils étaient apparus. Cinq minutes plus tard, le calme et le silence étaient si complètement rétablis, que si quelques Mexicains n'avaient pas été blessés et si plusieurs Indiens n'étaient pas restés sur le champ de bataille, cette scène étrange aurait pour ainsi dire pu sembler un rêve.

Dès que les sauvages furent en fuite, don López jeta un regard avide sur la rivière: de ce côté aussi la lutte était terminée. Nauchenanga, monté en croupe derrière la jeune fille, guidait son cheval vers le rivage qu'il ne tarda pas à atteindre.

– Eh bien? lui demanda don López.

– Les Pawnies sont des renards sans courage, répondit le Comanche en montrant du doigt deux chevelures humaines qui pendaient sanglantes à sa ceinture, ils fuient comme des femmes dès qu'ils voient le visage d'un guerrier de ma nation.

– Bien! fit avec joie don López, mon frère est un grand chef, il a un ami.

L'Indien s'inclina avec un sourire indéfinissable; son but était atteint, il avait gagné la confiance de celui qu'il voulait perdre.

La troupe se remit en marche.

Pendant plus d'un mois, le voyage des aventuriers à travers la Prairie ne fut qu'une longue suite de combats soutenus contre les Indiens qui les suivaient pour ainsi dire à la piste. Ils voulaient délivrer le Pigeon-Volant, c'était là du moins le principal motif de leurs agressions; le second était cette haine qui séparera toujours la race rouge de la race blanche, race avide qui enserre d'année en année davantage les Indiens, envahissant un jour leurs plus beaux territoires de chasse, le lendemain promenant la charrue au lieu même où reposent les os de leurs pères, les refoulant sans cesse vers les mornes désolés et les pics neigeux des Montagnes Rocheuses, et qui ne sera satisfaite que lorsqu'elle aura vu tomber sous ses coups le dernier de ces enfants de la Prairie, abruti par les vices qu'elle lui aura inoculés.

IV
LA GROTTE DU SAYOTKATTA 21

Le Néobraska – la Plate – ainsi que le nomment les Indiens, est un de ces immenses cours d'eau comme l'Amérique a seule le privilège d'en posséder. Aussitôt descendu des Montagnes Rocheuses, il se partage en deux branches magnifiques qui, après des détours sans nombre, se réunissent enfin vers le 41° 9' N et le 101° 40' O et vont se perdre dans le Missouri.

C'est à l'endroit où le Néobraska forme en se divisant une large fourche, que nous prierons le lecteur de se transporter avec nous.

L'homme auquel les splendides paysages américains sont inconnus aura peine à se figurer l'imposante et sauvage majesté de ce lieu. La rivière, parsemée d'iles couvertes de cotonniers des bois, coule silencieuse et rapide entre des rives peu élevées et garnies d'herbes si hautes qu'elles suivent l'impulsion du vent; au loin dans la vaste plaine, sont disséminées d'innombrables collines, dont le sommet, coupé à peu près à la même hauteur, présente une surface plate; jusqu'à une grande distance vers le nord, le sol est semé de larges dalles de grès semblables à des pierres tumulaires.

A l'extrême pointe de la fourche s'élève un tertre conique supportant a son sommet un obélisque de granit de cent vingt pieds de haut, les Indiens, épris comme tous les peuples primitifs du fantastique et du bicarré, se réunissaient souvent en cet endroit: c'est là que se font les hécatombes à Kitchi-Manitou. Un grand nombre de crânes de bisons, amoncelés au pied de la colonne et disposés en cercles, en courbes et autres ligures géométriques, attestent leur piété pour ce dieu de la chasse, dont l'esprit protecteur plane, disent-ils, du haut du monolithe. Çà et là poussent et s'épanouissent par larges touffes, la pomme de terre indienne, l'oignon sauvage, la tomate des prairies et ces millions de fleurs et d'arbres étranges qui composent la flore américaine; le reste du paysage est couvert de hautes herbes qui ondulent continuellement sous le pied léger des gracieux ahsathas ou longues-cornes qui bondissent d'un roc à un autre. Et bien loin enfin, bien loin à l'horizon, se confondant avec l'azur du ciel, apparaissent les pics dénudés des Montagnes Rocheuses, dont les sommets, couverts de neiges éternelles, servent de cadre à ce tableau immense et imposant, empreint d'une sombre et mystérieuse grandeur.

Deux mois après les événements que nous avons rapportés, par une belle soirée du mois de mai, que dans leur langue imagée et sonore les Indiens nomment wabigon-quisi», le mois des fleurs, la tranquillité du désert que nous avons essayé de décrire fut troublée par le bruit de la course précipitée d'une nombreuse troupe de cavaliers qui apparut suivant les rives de la branche méridionale de la Plate, nommée Paduca, et se dirigeant vers la colonne de granit placée au centre de la fourche.

C'était l'heure où le maukawis22 faisait entendre son dernier chant pour saluer le coucher du soleil, qui, à demi plongé dans la pourpre du soir, jaspait encore le ciel de longues bandes rouges.

 

Arrivés à une légère distance de la colonne, les cavaliers s'arrêtèrent subitement, et, mettant pied à terre, se préparèrent à camper pour la nuit. Cette troupe d'une trentaine d'hommes environ, présentait l'ensemble le plus pittoresque et le moins pacifique. Au premier coup d'œil, elle paraissait composée d'Indiens; mais, en l'examinant avec attention, l'on reconnaissait à certains signes une réunion de ces trappeurs blancs et de ces gambucinos mexicains dont l'audace est proverbiale dans le Nouveau-Monde.

Leur aspect et leur équipement offraient un singulier mélange de la vie sauvage et de la vie civilisée; ils étaient généralement d'une taille moyenne, mais vigoureuse et bien proportionnée. Tous se faisaient remarquer par la longueur de leurs cheveux, car dans ces contrées où l'on ne combat souvent un homme que pour la gloire de lui ravir sa chevelure, c'est une coquetterie de l'avoir longue et facile à saisir. Quelques-uns même la portaient élégamment tressée et entremêlée de peaux de loutre et de cordons aux vives couleurs.

Le reste de leur costume répondait à ce spécimen de leur goût: une blouse de chasse de calicot d'un rouge éclatant, ou de cuir grossièrement brodé, leur tombait jusqu'aux genoux; des guêtres garnies de rubans de laine et de grelots entouraient leurs jambes, et leur chaussure se composait de ces mocassins constellés de perles fausses que savent si bien confectionner les squaws23. Une couverture bariolée et serrée aux hanches par une ceinture de cuir, achevait de les envelopper, mais non pas assez cependant pour qu'à chacun de leurs mouvements on ne pût voir briller en dessous le fer des haches, la poignée des revolvers et des machettes mexicains dont tous étaient armés. Quant à leurs rifles, pour le moment inutiles et pendus aux arçons des selles auprès des lassos et des outres à l'eau, si on les avait dépouillés du fourreau de peau d'élan garni de plumes qui les recouvrait, on aurait pu voir avec quel soin leurs possesseurs les avaient ornés de clous de cuivre et peints de différentes couleurs, car tout chez ces hommes portait l'empreinte des coutumes indiennes; leurs montures mêmes, mustangs presque aussi indomptés que leurs maîtres, ressemblaient à s'y méprendre aux chevaux des Pawnies dont ils foulaient le territoire; ils étaient littéralement couverts de plumes d'aigle, de perles et de rubans, et de longues taches rouges et blanches, plaquées sur leur robe à la façon persane et chinoise, complétaient leur déguisement en achevant de les rendre méconnaissables.

Tandis que les uns déchargeaient les bêtes de somme et disposaient les ballots de façon à former un rempart sur toute la circonférence d'un vaste cercle, les autres plantèrent des pieux ferrés auxquels chacun attacha son cheval en lui liant les pieds à l'amble, afin qu'en cas d'alarme il ne pût s'échapper. Puis, après avoir dressé une tente pour leur chef au milieu de ce camp improvisé en quelques minutes à peine, ils allumèrent quatre feux que des sentinelles furent chargées d'entretenir, et chacun se fit un lit de la monture24 de son cheval.

Bientôt le camp fut plongé dans le silence, tout dormait, à part trois ou quatre gambucinos qui, appuyés sur leur rifle, l'œil et l'oreille au guet, veillaient sur le repos de leurs compagnons, et deux personnages nonchalamment étendus devant la tente et qui causaient à voix basse: c'étaient don López Arriaga et Nauchenanga, le sagamore des Comanches.

Bien des événements s'étaient passés depuis le départ du presidio de Santa Fé; les choses avaient continuellement marché de mal en pis, et le soir de leur arrivée à la fourche du Neobraska, les gambucinos, fatigués d'un voyage qui leur paraissait interminable, et découragés de tant de combats dans lesquels les plus braves d'entre eux avaient succombé, étaient pour ainsi dire à bout de forces; ils commençaient à murmurer contre don López, dont ils ne voulaient plus écouter les avis et les exhortations.

L'Indien paraissait en proie à une vive inquiétude; le regard fixé dans l'espace, on eût dit qu'il voulait sonder les ténèbres et deviner les mystères de la nuit profonde qui l'entourait.

– Chef, dit l'Espagnol, croyez-vous que nous soyons parvenus à dissimuler nos traces aux Pawnies?

– Les Pawnies sont des chiens, répondit l'Indien d'une voix gutturale, les femmes comanches les chassent à coups de fouet. Nauchenanga connaît tous les détours de la Prairie; il a fait pour le mieux.

– Ainsi nous voilà enfin débarrassés de nos ennemis?

– Qui peut dire où sont ces voleurs en ce moment? Le Pawnie est comme le loup, il rôde continuellement autour des chasseurs pour enlever leur chevelure; souvent on le croit loin et il est près.

– J'espère, du moins, que nous avons échappé au Faucon-Noir et aux bandits qui l'accompagnent?

– Mon frère le grand chef pâle ne connaît pas le Faucon-Noir, répondit l'Indien; Nauchenanga l'a combattu plusieurs fois, il le connaît. Tromper le Faucon-Noir est impossible; il a l'œil de l'aigle et la prudence du serpent, et puis il est guidé par un charmant petit oiseau qui chante dans son cœur et qui lui dit: Viens! viens!

– Qu'entendez-vous par là? quel oiseau?

– Rant-chaï-waï-mè, murmura l'Indien avec émotion.

– L'amour est donc capable d'opérer de tels prodiges! ne put s'empêcher de dire don López.

– L'amour est le maître! répondit le chef avec un accent passionné qui échappa à l'Espagnol; mais que mon frère ouvre ses oreilles, un chef va parler.

– J'écoute.

– Si cette nuit est tranquille, nous lèverons le camp à l'endit-ha25, et une heure plus tard, nous aurons rejoint deux cents guerriers de ma nation; avec leur escorte, il nous sera facile d'atteindre le placer que je vous ai donné.

– Guatéchù vous entende, chef, répondit l'Espagnol en poussant un soupir de soulagement. Voyez, ajouta-t-il en se levant et en se préparant à entrer dans la tente, voyez comme tout est calme autour de nous, il ne se fait pas le moindre bruit dans ce désert.

– Oui, répondit sentencieusement le chef, tout est calme, trop calme, j'entends le silence!

Don López allait demander à l'Indien l'explication de ses paroles, lorsque celui-ci le saisit brusquement par le bras et, le tirant à lui, le fit tomber sur les genoux.

Un coup de feu retentit, une balle passa en sifflant à un pouce à peine au-dessus de la tête de l'Espagnol, et s'aplatit contre un des pieux de la tente.

– Les Pawnies! les Pawnies! s'écria l'Indien en poussant son cri de guerre.

Et il s'élança dans la Prairie.

– Malédiction! murmura don López en se relevant, encore ces loups enragés! Aux armes! enfants! aux armes!

En quelques secondes, tous les gambucinos furent debout et embusqués derrière les ballots qui formaient l'enceinte du camp. Au même moment des cris effroyables, suivis d'une décharge terrible, éclatèrent dans la Prairie. Les gambucinos répondirent par une décharge à bout portant faite sur une nombreuse troupe de cavaliers qui arrivaient à toute bride sur leur camp. Un de ces épouvantables combats comme chaque jour il s'en livre dans la Prairie, était engagé entre les gambucinos et les Peaux-rouges, leurs ennemis mortels.

Nauchenanga, au lieu de se jeter dans la mêlée, fit un bond sur la droite et, se mettant à plat ventre, il commença à ramper sur les mains et les genoux, glissant comme un serpent au milieu des hautes herbes qui le cachaient, s'arrêtant par intervalles pour regarder autour de lui et prêter une oreille attentive aux bruits du combat, qui devenaient de moins en moins distincts.

Arrivé à la colonne, il s'abrita derrière le tertre qui lui sert de base, se releva sur les genoux, et, après s'être assuré qu'il était bien seul, il porta sa main à sa bouche, et, à trois reprises différentes, il imita avec une rare perfection le cri plaintif du cachorro de agua26. Au bout de quelques secondes à peine, le même cri poussé avec une semblable perfection lui répondit; ce cri paraissait sortir du tertre qui soutient le monolithe. Nous avons dit que ce tertre était entouré d'un amas considérable d'os d'animaux sauvages, rangés d'une façon bizarre; tout à coup ils s'agitèrent avec un cliquetis sinistre, une fissure se forma au milieu d'eux, et, dans l'espace laissé libre, une figure étrange apparut, surgissant des entrailles de la terre.

Lorsque Nauchenanga se trouva face à face avec l'être singulier qu'il venait d'évoquer, une sueur froide inonda son corps et il fit un pas en arrière; mais cette impression n'eut que la durée de l'éclair. Il reprit presque aussitôt son empire sur lui-même, et fixant son œil assuré sur le personnage qui se tenait muet et immobile devant lui:

– Curujira27 a-t-il appris au sage piaïes28 ce que le grand chef comanche désirait savoir? demanda-t-il d'une voix ferme.

– Suis-moi, répondit le devin en lui faisant un signe pour lui ordonner le silence.

L'Indien, sans hésiter, sans manifester la moindre émotion, s'engagea dans le chemin qui venait de s'ouvrir devant lui. Après avoir descendu une quinzaine de marches grossièrement taillées dans le roc, il arriva, à la suite de son guide, dans une espèce d'excavation naturelle de forme circulaire, éclairée par une lampe fumeuse, qui répandait une lueur incertaine. Il s'assit sur un siège en bois de nopal sculpté en forme d'animal avec un rare talent, et croisant ses bras sur sa poitrine, il attendit.

18Faucon noir.
19Dieu.
20Femme.
21Sorcier voyant.
22Espèce de caille.
23Femmes indiennes.
24Composée de peaux de mouton et de ponchos.
25Point du jour.
26Chien d'eau, petit animal amphibie qui fréquente les rivières de l'intérieur de l'Amérique du Sud; il peut être apprivoisé, mais il conserve toujours son cri plaintif.
27L'esprit des pensées.
28Sorcier.

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