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Le canon du sommeil

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VII. MISS ELLEN S’EXPLIQUE

Miss Ellen fit asseoir sa sœur auprès d’elle, la dimension du créneau le permettait; elle lui prit les mains, les pressa longuement sur ses lèvres.

– Vois-tu, sœur bien-aimée, on croit que les enfants ne comprennent pas. Et les précautions que l’on prend attirent leurs réflexions… Non, écoute, ne parle pas… Ainsi, notre frère, toi, vous êtes, mon cœur en est sûr, les êtres les plus droits, les plus loyaux, les plus épris de vérité qui soient au monde.

– Chère Ellen! murmura Tanagra d’une voix attendrie.

– Tais-toi, tais-toi…, je t’en conjure. Ne me trouble pas dès mon début. Je reprends. Étant tels que vous êtes, comment n’avez-vous pas pensé que je m’étonnerais de vos déguisements?

– Où prends-tu cela?

– Chez toi-même. À Vienne, tu étais blonde; à Madrid ton front se couronnait de tes beaux cheveux, les vrais, je l’ai bien reconnu, va, bruns et or, que je suis fière d’avoir, moi, parce qu’ils ressemblent aux tiens. En Angleterre, tu étais redevenue blonde, et bien plus âgée… Ici, je te retrouve au premier blond, celui de Vienne.

Tanagra avait rougi légèrement:

– Mais, ma chérie, la folie de la mode.

– Chut! ne mens pas à ta petite Ellen… Tu ne sais pas.

Et doucement:

– La mode, d’abord tu es trop intelligente… Si, si… la mode des cheveux teints ou des perruques, c’est bon pour les petites femmes niaises ou laides, ou demi-jolies si tu veux. Mais toi! Allons donc… Et puis la comtesse de Graben, qui devient la marquise de Almaceda en Espagne et Mistress sans nom en Angleterre, dis, est-ce aussi une mode?

Et enlaçant brusquement sa sœur, dans un geste d’adorable et câline tendresse.

– Tu répondras tout à l’heure. Il faut que tu me donnes toute confiance. Il le faut… Mais je reprends le fil, je pleurerais si je m’écartais de mon sujet, et je ne veux pleurer qu’après, quand j’aurai tout dit.

Elle eut un sourire mouillé et continua:

– Donc tu te déguisais. Pourquoi? Ce ne pouvait être que dans un but noble, digne de ton âme de fleur et de clarté. Alors me vint à l’esprit que tu courais des dangers ainsi que notre frère, et que vous vous sépariez de moi pour me les éviter…; ne réponds pas, je t’en prie… En fouillant dans mes souvenirs, je me souvenais de jours tristes, d’une campagne couverte de neige, d’un voyage de nuit dans un traîneau, de notre passage sur une colline dénudée, en haut de laquelle un pendu se balançait à une potence. Cela avait dans ma mémoire, le vague d’un rêve. Au pied du gibet, un soldat, oui, ce devait être un soldat, tenait une torche allumée, et la flamme poussée par le vent jetait des lueurs rouges sur la neige, sur le pendu, sur nous. Et j’entendis ces paroles qui restèrent gravées dans mon esprit: Le maître couronné est content… Rendez-vous auprès de son Excellence. Il veut récompenser, s’attacher ceux qui furent injustement proscrits… Et la course dans la nuit, sur la terre ouatée de neige recommença… Eh bien, sœur aimée, ceci se mêla à tes cheveux changeants… Une idée s’implanta dans mon cerveau…; les déguisements étaient la suite, la conséquence de l’homme pendu.

Tanagra avait baissé la tête. Je n’apercevais son visage qu’en raccourci, et il me semblait que ses paupières palpitaient désespérément.

Moi-même, je me sentais emporté dans une atmosphère de rêve. Je fixais sur miss Ellen un regard interrogateur. Oh! jeune fille, qui eût supposé que tu cachais, sous ton front pur, cette vision sinistre d’un gibet. Elle reprenait cependant d’une voix plus assurée.

– Là-dessus, tu me fais quitter précipitamment mon pensionnat de Madrid. Nous partons en grand mystère, tu me conduis à Londres… Alors, tu vas voir! Chez mistress Trilny, la fête de mai, la fête du muguet est célébrée par les élèves. Toute l’institution est en révolution. Nous courons de la cave aux combles, à la recherche de fil de fer, de ficelle pour nos guirlandes décorant les classes. Je tombe sur un paquet de vieux journaux… des numéros anciens déjà du Times. Comment ai-je lu, le sais-je… Peut-être la signature de certains articles. À Madrid, ou en route, je ne sais plus, tu avais prononcé un nom…; ce nom était resté dans mon esprit, ce nom figurait au bas des articles: Max Trelam…

Un faible cri, une plainte étouffée fusa entre les lèvres de Tanagra.

Pour moi, je demeurai immobile, médusé de voir mon nom apparaître ainsi.

Miss Ellen, elle, serra plus étroitement sa sœur contre elle, et l’accent abaissé:

– C’était l’histoire de ce vol de documents, de l’affaire de Casablanca, de l’espion X. 323 … Pas d’autre nom pour lui; et cependant, je reconnus des phrases de mon frère… Vous savez, sir Max Trelam, dans le passage où vous vous trouvez tous les deux dans la petite maison de gardien de la rue Zorilla… Ses réponses me rappelaient des idées déjà entendues dans les instants trop rares où j’ai vécu auprès de lui… Et puis il y avait une femme aux cheveux bruns et or, dont vous ne disiez pas le nom. Seulement, vous êtes un écrivain de race, sir Max Trelam…; on voit ce que vous décrivez…; et elle, elle, je la reconnaissais aussi… Oh! je ne pouvais pas me tromper, tes grands yeux où se mêlent le bleu du ciel et le glauque de la vague, l’incomparable mélancolie de ton visage que le rire ne pouvait pas effacer… Tout, tout… C’était toi, sœur chérie.

Et tendre, sa voix baissant en inflexions de harpe éolienne:

– Ainsi, vous étiez espions.

Un nouveau gémissement sonna, douloureux.

Mais comme je restais là, pétrifié en quelque sorte, miss Ellen me tendit la main.

– Merci à vous, sir Max Trelam, qui avez compris que des espions comme eux sont dignes de toutes les affections, de tous les honneurs.

Je ne saurais dire ce qui se passa en moi au contact de cette main fine secouant la mienne. Oh! les deux sœurs avaient bien le même pouvoir d’influence. La petite miss, la petite fille de tout à l’heure, me parut avoir démesurément grandi.

Je l’avais qualifiée in petto de quantité négligeable… Maintenant je me surprenais à me traiter de quantité stupide. Pour un peu, j’aurais dévoué au bourreau, mes yeux qui n’avaient pas su voir, mon cerveau qui n’avait pas su comprendre.

Déjà, miss Ellen baisait les paupières de Tanagra, elle séchait de ses lèvres les larmes perlant au bout des longs cils, et elle parlait.

– Espions… Oui, tout devenait clair… Une tâche terrible vous tenait; vous aviez voulu à tout prix m’épargner son horreur… Vous aviez voulu, frère et toi, que je pusse aimer, que je ne fusse pas condamnée comme toi aux terribles besognes qui brisent le cœur.

Et Tanagra ne pouvant retenir un sanglot:

– Pleure, chérie, pleure, continua miss Ellen, nous sommes deux à présent, deux… Tu n’as rien à m’expliquer du passé; que m’importe ce qu’il fût, il t’a liée. Maudit soit-il ce passé, qui torture la sainte et pure créature que tu es.

Jamais, non, jamais, prêtresses des îles sacrées de notre mer d’Irlande, saluant la divinité parmi les mugissements de la tempête, ne durent être plus impressionnantes que cette jeune fille disant sa foi profonde en cette sœur si bien aimée.

Elle allait toujours, m’entraînant peu à peu à un sentiment d’admiration.

– Seulement, je ne veux plus être l’égoïste petite créature que l’on tient en dehors des peines, des dangers, des soucis… Oh! je sais tout, va… Cet homme, ce comte Strezzi qui t’a amenée ici, je l’ai reconnu, lui aussi. À Madrid, c’était lui qui, l’avant-veille de notre départ précipité, s’était présenté au parloir sous couleur de voir une autre élève, mais je l’avais bien remarqué, va; ses yeux ne m’avaient pas quittée… Et quand j’ai été sa prisonnière, dans ce ballon qu’il dirige à son gré, j’ai compris. C’était toi, c’était notre frère qu’il voulait frapper en ma personne si chère à votre adorable bonté… Et tout à l’heure, alors que, dans nos chambres voisines, tu as eu beau me raconter qu’un ordre de l’Empereur de Vienne t’avait obligée à accorder ta main à ce Strezzi… Je savais que tu t’étais dévouée pour sauver la petite prisonnière enfermée à Gremnitz… Mais je suis avec toi, auprès de toi maintenant… Je connais ton ennemi… Il me semble que Dieu approuvera la jeune fille qui tuera le misérable et rendra ainsi à sa sœur chérie, la possibilité d’épouser l’homme de cœur, qui l’a aimée en dépit de l’étiquette honteuse d’espionne… Chère aimée honorée espionne, ta petite Ellen te délivrera!

Alors, oh alors, j’assistai, témoin muet et sans mouvement, à la lutte de générosité la plus émouvante.

Aux dernières paroles de sa sœur, Tanagra s’était dressée brusquement.

– Non, ne parle pas ainsi, Ellen.

– Pourquoi donc?

– Parce que quoi qu’il arrive, je n’épouserai jamais sir Max Trelam.

Je subis une commotion. La jeune fille regarda sa sœur d’un air questionneur. Évidemment, le sens de cette phrase lui échappait.

Oh! elle ne doutait pas de sa sincérité.

Le ton dont Tanagra avait parlé annonçait la résolution irrévocable.

J’avais senti passer la fatalité à laquelle on ne résiste pas.

– Ce qui vient d’arriver, reprit la malheureuse, m’a dessillé les yeux. Je suis comtesse Strezzi alors que j’aurais donné mon sang pour être la digne et dévouée mistress Trelam. Je ne suis donc pas libre de moi; je ne puis donc donner ma vie à ce loyal gentleman… Il mérite la compagne qui soit toute à lui… Vois-tu, petite sœur, la seule joie que tu sois à même de me donner aujourd’hui, c’est de ne pas rendre inutile ma longue et inquiète tendresse pour toi, c’est de permettre que je sois seule à souffrir et que, lui au moins, soit consolé.

Et comme nous restions sans voix devant cette abnégation de soi-même, si simplement exprimée, miss Tanagra ajouta doucement:

– Être triste, je suis accoutumée à cela. Va, c’est moins dur pour moi que pour une autre… Ce qui me torture, c’est de penser que toi tu éprouveras les mêmes déceptions… Et puis, tu sais à présent que tu es sœur d’espions. Trop loyale pour le cacher…

 

– Trop loyale et trop fière de vous, interrompit la jeune fille avec éclat.

– Si tu le veux… Et alors, tu te heurteras aux préjugés humains, stupides, barbares, mais indéracinables…

Elle appuya la main sur mon épaule.

– Lui est plus haut que ces conventions mensongères… Petite sœur, fais qu’il m’aime en toi.

Je ne pense pas qu’un gentleman se trouve souvent en pareille posture.

J’étais là, entre ces deux femmes, si identiques que, si elles l’avaient quelque peu souhaité, je n’aurais pu les distinguer l’une de l’autre.

Et elles disposaient de mon cœur, de ma main, absolument comme si mon avis eût été indifférent.

Et elles avaient raison d’agir ainsi, car je n’avais aucune velléité de révolte, de résistance.

Je me laissais entraîner par la situation véritablement fantastique, et dans mon trouble, il ne me semblait plus qu’il y eût une miss Tanagra et une miss Ellen.

Non… il n’y avait plus en moi qu’une miss Tanagra dédoublée. Celle-ci était Tanagra, comtesse de Graben, marquise de Almaceda, et celle-là l’était encore.

Oh! je sens combien il est difficile de rendre perceptible, avec un peu d’encre, l’état tout à fait curieux dont j’étais envahi.

La chose est si en dehors des incidents courants, que les mots, destinés à exposer ces incidents, manquent de la force, de l’originalité nécessaires.

Et pourtant, je voudrais donner une impression, si vague fût-elle, du mouvement de la pensée d’un homme qui croit dormir alors qu’il est en état de veille, ou bien qui pense veiller, alors qu’il dort à poings fermés.

Et les deux sœurs continuaient l’inoubliable entretien.

Elles s’étaient étreintes; face à face, les yeux dans les yeux, leurs haleines se confondant, aussi semblables que deux répliques d’une même statue, elles échangeaient ces phrases:

– Ainsi, sœur chérie, ta résolution ne saurait changer?

– Non, mon Ellen aimée.

– Et la solution que tu indiquais…

– Est la seule qui puisse me donner encore une joie.

– Alors, qu’il soit fait ainsi que tu en as décidé.

Et brusquement, les quatre yeux vert bleu des deux Tanagra se posèrent sur moi, tous quatre distillant en leurs rayons la même prière. Chacune semblait me dire:

– Aimez-moi en ma sœur.

En même temps, elles mirent leurs mains dans les miennes. Je les réunis toutes deux avec une angoisse bizarre, tenant de l’agonie des ruptures et de la douceur d’un aveu, me sentant au cœur l’ombre sinistre d’un crépuscule et les roses d’une aurore, je murmurai:

– Je suis à vous. Faites de moi ce que vous jugerez convenable.

VIII. TANAGRA DEVIENT PRINCESSE

Les esprits les plus nets, les plus précis, les gens qui, à l’habitude montrent la conception la plus pratique de la vie, sont précisément ceux qui, englobés dans une situation anormale, subissent avec le plus de force, l’emprise de l’inaccoutumé et s’agitent alors désespérément en un brouillard de rêve, tels une mouche que la destinée, cruelle aux insectes autant qu’aux hommes, a fait entrer dans une bouteille.

Les jours suivants devaient encore accentuer cette espèce d’effritement de ma personnalité. Je devenais un fétu dans le vent, un petit bâton flottant au gré de la rivière.

Vous autres, Français, je pense que cela vous amuserait, car vous possédez cette précieuse faculté de rire de tout, même de vous; mais pour nous, Anglais, qui nous critiquons avec gravité, je vous assure que rien n’est plus pénible.

Une semaine s’écoula.

Oh! sans incidents notables. Nous passions, Tanagra, miss Ellen et moi, nos journées dans le jardin. Comme intermèdes, nous avions les repas, pris à la table de Herr Logrest, en sa compagnie, agrémentée de celle de son épouse Amalia.

Une bonne femme, encore qu’elle eût emprunté à notre obèse Falstaff des dimensions véritablement surprenantes.

Ah! si les charmes s’évaluaient en kilos, cette dame eût été reine mondiale de beauté. Quel volume! Quel épanouissement grandiose. On eût dit un monument élevé à la gloire des divinités qui président aux destinées des concours agricoles.

À titre de document, je dirai que sa ceinture… Non, je ne veux pas insister, un chiffre effraierait peut être… Pour encercler sa taille, c’est un chemin de fer de Ceinture qui eût été nécessaire.

Sa conversation se divisait en deux parts: Apprendre quelle nourriture nous convenait le mieux, nous enseigner la confection de «délicatessen» (chatteries) spéciales, affirmait-elle, à la seule Galicie.

C’est ainsi que je fus obligé de noter la formule du sanglier aux pruneaux et pommes de reinette; des crevettes frites et pilées dans de la marmelade d’abricots, et de je ne sais quel poisson du Danube aux mirabelles piquées de clous de girofle.

Miss Ellen, elle, avait trouvé le moyen d’utiliser cette obsession gastronomique.

La jeune fille, décidément, montrait un sang-froid qui me conquérait sans que je pusse m’en défendre.

Grâce à d’adroites flatteries, décochées à la brave «gouverneuse», elle parvenait à se faire renseigner sur notre ami X. 323, toujours au secret dans sa tour.

Il se portait bien, paraissait calme. En récompense de sa sagesse, Herr Logrest avait consenti à lui prêter quelques volumes de sa bibliothèque. Cela était contraire au règlement, mais bah! Quand un prisonnier ne crée pas de tracas à son gardien, celui-ci peut lui consentir une petite distraction.

Et quand, après cela, nous nous retrouvions seuls, tous trois, au fond du jardin, miss Ellen murmurait en pressant les mains de sa sœur.

– Espère, chère aimée. Espère. Notre frère est calme, paisible, mais sa pensée bouillonne… Tu vois bien qu’il a commencé à tromper ses geôliers, puisque l’on enfreint le règlement pour lui. Espère!

J’avoue que l’argument me semblait faible. Un volume prêté n’est pas un acheminement bien marqué vers la liberté, mais je me gardais d’exprimer cette pensée décourageante.

J’aurais craint d’attrister l’une ou l’autre de mes compagnes.

Elles s’étaient en quelque sorte fusionnées dans mon cerveau.

Mon aimée s’y était cristallisée en forme double et quand, le soir, enfermé dans ma chambre, car on nous enfermait dans les salles Rouge, Verte et des Madgyars; quand, dis-je, je songeais à mes compagnes de captivité, j’en arrivais à me confier des choses ahurissantes, celle-ci par exemple:

– J’épouserai miss Ellen, cela est sûr. Elles le veulent toutes deux et je me sens incapable de résister à une seule. Donc mon mariage est chose virtuellement faite. Alors, ce sera terrible. Certainement Tanagra s’en ira. Que deviendrai-je en face d’un seul exemplaire de sa figure si douce?…

Cependant miss Ellen semblait, elle, rapprocher son cœur du mien.

Durant ces journées, les deux sœurs avaient causé longuement entre elles, et je crois bien que le soir, les chambres qui leur servaient de prison communiquant entre elles, elles poursuivaient leurs confidences.

En ce qui me concerne, la jeune fille savait comment j’étais entré en relations avec X. 323, la sympathie subite, démontrée depuis par tous mes actes. Elle prenait plaisir à m’interroger, à me faire préciser les détails même insignifiants.

Le huitième jour, un dimanche, nous avions assisté à la messe, dans la chapelle du château. De fort beaux vitraux anciens m’avaient procuré une réelle satisfaction, bien que l’espoir exprimé par miss Ellen, la veille, ne se fût pas réalisé.

Elle avait supposé, la chère courageuse enfant, que X. 323 demanderait de son côté à être conduit à la chapelle et que nous l’apercevrions aussi.

L’avait-il fait? Lui avait-on refusé l’autorisation? Nous n’en sûmes rien, et l’office terminé, nous regagnâmes notre jardin passablement déconfits.

C’est si ennuyeux de ne pas jouer ses geôliers, quand on se l’est promis.

Notre conversation s’en ressentait et ma foi, si nous n’avions craint de mécontenter Mrs. Amalia Logrest, nous n’aurions pas répondu à l’appel de la cloche sonnant le déjeuner.

Mais en arrivant dans la salle à manger, une surprise nous attendait.

La grosse dame, habituellement assise, car ses jambes s’indignaient sans doute de supporter son poids exorbitant, se montra debout, appuyée, dans un mouvement de très grasse grâce, au bras de Herr Logrest, gouverneur.

Tous deux nous saluèrent cérémonieusement, et le fonctionnaire s’adressant à notre pauvre Tanagra, murmura avec un mélange de respect et d’ennui:

– Je dois, je suis obligé…, enfin, je vais faire une communication qu’il m’est ordonné de ne pas différer. Je vous prie de ne voir en moi qu’un porte-paroles indispensable, que je suis heureux, certes, de votre compagnie, mais que je me rends compte que vous ne sentez pas au même degré le plaisir de la mienne.

Et comme nous le considérions, surpris par ce préambule.

– Princesse, dit-il, princesse, voici la dépêche que je reçois et les pièces que je dois vous lire.

Il montrait un télégramme et des coupures de journaux.

Mais ce ne fut pas là ce qui frappa Tanagra, ce fut le titre dont son interlocuteur la saluait:

– Princesse… Ce n’est pas à moi que s’applique ce titre, auquel je n’ai aucun droit.

– Pardon, pardon, je ne saurais vous désigner désormais autrement. Un décret de Sa Majesté l’empereur François-Joseph a conféré le titre princier à S. E. le comte Strezzi.

La jeune femme eut un faible cri, une rougeur ardente envahit son visage, et d’une voix dont le tremblement m’étonna, car je n’en devinai pas la cause, elle murmura:

– L’empereur l’a nommé prince!

IX. LE «COUP FINAL» DE STREZZI

– Voici la dépêche du très puissant seigneur Strezzi:

Et sans tenir compte des mines éplorées de son honorable épouse Amalia, le gouverneur lut:

«Mon cher Logrest, des coupures de journaux vous parviendront presqu’en même temps que cette dépêche. Veuillez en donner connaissance complète, sans retard, aux hôtes que je vous ai confiés. Ils verront que Sa Majesté a étendu sur eux la plus large clémence. Signé: Prince STREZZI.»

Le poussah nous regarda, souffla, glissa le télégramme dans une poche de côté de son veston-dolman, puis prenant une des coupures de journaux, il reprit sa lecture.

Voici ce que disaient mes confrères de la presse viennoise:

«La foudre frappe aux sommets. L’un des plus grands de l’entourage de notre Empereur vénéré, vient d’en faire la cruelle expérience.

«On se souvient de l’ascension du dirigeable Strezzi, emportant à son bord, le comte, son adorable épouse, la comtesse de Graben-Sulzbach. Le navire aérien partait pour une croisière de lune de miel, le voyage de noces traditionnel. Hélas! Il devait aborder dans les déserts lugubres du drame.

«Comment, par suite de quel enchaînement de faits, cela s’est-il produit? Nous n’avons pu le découvrir.

«Au résumé, le comte apprit, à n’en pouvoir douter, que celle qui portait son nom, et son frère dont la physionomie slave était si connue dans le monde élégant, avaient une part dans les crimes horribles qui bouleversent l’Europe depuis plusieurs mois… Ils étaient affiliés à ces bandits sinistres qui tuent par le rire.

«Une pareille révélation pourrait jeter un homme dans la folie. Le comte se domina. Une idée survivant au cataclysme sauva sans doute sa raison.

«Il songea que tout étant perdu, il fallait sauver l’honneur de son nom.

«Et prenant le gouvernail de son dirigeable, de cet admirable engin, fruit d’années d’opiniâtre, de patriotique labeur, il conduisit les coupables dans une de nos forteresses d’État, les confia au gouverneur de ladite, puis revenant à Vienne, se jeta aux pieds de l’Empereur, le suppliant de faire que le nom de Strezzi ne fût pas traîné devant une Cour criminelle, que ce nom n’éveillât pas les échos du prétoire.

«L’Empereur consentit à ce que les coupables fussent oubliés dans la prison choisie par l’époux outragé.

«Et pour marquer son affection à son serviteur fidèle, dont les loyaux et exceptionnels services sont connus de tous les Autrichiens aimant leur patrie, il le créa prince et Altesse.

«Ah! aux jours de deuil, le devoir accompli apporte sa récompense aux hommes d’élite qui ont su préférer la voie âpre et difficile, aux sentiers fleuris des inutiles plaisirs.

«S. M. l’Empereur d’Allemagne, informé, a voulu, lui aussi, marquer sa haute estime pour l’homme qui, en matière d’aérostation militaire, a tant fait pour la Triplice, rempart indestructible de la Paix.

«Nous apprenons que le comte, ou plutôt le prince Strezzi, car il a droit à ce titre désormais, est appelé à Postdam aux environs de Berlin, où S. M. prussienne villégiature en ce moment.

 

«On prête au souverain l’intention d’offrir au nouveau prince le grade de colonel honoraire d’un des régiments de la garde, (honneur réservé jusqu’ici aux seuls souverains) et, d’y adjoindre un présent évalué à un million de marks (un million deux cent cinquante mille francs).

«S. A. le prince Strezzi quittera Vienne sous trois jours, son arrivée à Berlin devant coïncider avec la présence dans cette ville, de S. M. I. l’Empereur d’Allemagne, venant présider une session extraordinaire de la diète des Seigneurs.»

Herr Logrest se tut, et demeura les yeux baissés, évidemment très embarrassé par la communication qu’il venait de nous faire par ordre.

Maintenant je comprenais l’émotion de Tanagra. Elle s’était souvenue de suite des paroles cyniques de l’immonde Strezzi:

– X. 323 réduit à l’impuissance, je suis prince, et je vends un million de marks pour commencer, mes services à l’Allemagne.

Ah! le misérable! On le couvrait de fleurs! On lui tressait des couronnes!

Il faut reconnaître qu’il avait magistralement mené son affaire. X. 323, la comtesse de Graben, déshonorés aux yeux de la foule stupide, seraient oubliés dans le château de Gremnitz.

Miss Ellen et moi-même, je n’en parle pas. Nous étions plus oubliés encore, puisque dans l’article, évidemment inspiré par le traître, on ne mentionnait même pas notre présence.

Certes, vis-à-vis des deux premiers, sa conduite était atroce. Mais enfin, eux, avaient été ses adversaires. Il avait la vague excuse des représailles. Miss Ellen n’avait point fait, elle, d’hostilité. Il l’avait arrachée brutalement au pensionnat paisible où elle attendait le retour de ceux qu’elle aimait.

Et cette innocente enfant finirait ses jours en captivité.

Je m’arrêtai net dans mes considérations rageuses.

Celle qui me troublait ainsi, avait conservé son sang-froid, car elle demanda d’un ton admirablement calme:

– Est-ce que vous avez déjà entretenu mon frère de cette bizarre communication? Je dis bizarre, pour ne pas employer une épithète plus juste, que vos fonctions vous défendraient d’entendre.

– Oh! Fräulein, s’exclama l’énorme Amalia Logrest. Mon mari est fonctionnaire. Il ne peut évidemment blâmer les décisions de ses supérieurs; mais on peut les blâmer devant lui. Écouter n’est point manifester une opinion, c’est simplement exercer une fonction naturelle… Ah! s’il était sourd, et s’il se servait d’un cornet acoustique pour percevoir vos paroles critiques, il ferait acte de volonté, il deviendrait blâmable. Mais il n’est point atteint de surdité, le ciel en soit remercié, on ne saurait en aucune façon l’inculper de lèse-majesté.

Et l’énorme unité d’un sexe généralement moins majestueux, se prit à rire, gloussant ainsi que poule d’Inde appelant le regard d’un coq de même espèce. Elle était apparemment très satisfaite du remarquable esprit de conciliation dont elle venait de faire étalage.

Miss Ellen fit écho à son hilarité. Courageuse jeune fille. Elle devait pourtant souffrir autant que nous-mêmes en ce moment.

Et puis elle réitéra la question demeurée sans réponse.

– Avez-vous déjà entretenu mon frère à ce sujet?

Herr Logrest secoua la tête.

– Non, bien certainement, Fräulein Ellen. Je me propose de remplir ce devoir après le déjeuner, que je vous prie humblement, comme chaque jour, de partager avec mon Amalia et moi-même.

Il décocha un regard attendri à sa compagne, dont la silhouette rappelait plutôt la silhouette d’une coupole, que celle d’une frêle créature féminine.

Ceci l’empêcha de remarquer le sourire fugitif qui se posa sur la bouche de la jeune fille. Il est vrai que s’il l’avait vu, il n’en aurait pas été plus avancé pour cela, Je le voyais, moi, et ma tête eût-elle été en jeu, il m’eût été impossible d’en déterminer le sens.

– Dans les jours d’épreuves, psalmodia avec une étonnante conviction Miss Ellen, il est doux de s’appuyer sur des amis pitoyables et bons. C’est vous dire combien nous serons heureux de nous trouver en compagnie de Frau Amalia Logrest et de vous-même.

Les deux obèses personnages s’inclinèrent, évidemment ravis, et le déjeuner commença. Il m’a laissé le souvenir d’un certain poisson fumé, genre haddock, à la gelée de groseilles, qui me tourmenta depuis, apparition horrifique, dans mes nuits de cauchemars.

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