Бесплатно

Le canon du sommeil

Текст
Автор:
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

J’incline la tête. Mais l’explication ne satisfait pas X.323.

– La phototélégraphie transmet et reproduit les images à grande distance, monsieur le comte, seulement, elle ne les transmet que si elles sont éclairées.

– Très juste, d’où vous inférez…

– Que ce que nous voyons étant sans doute le pays sur lequel nous planons…

– Sur lequel nous stationnons, rectifia Strezzi.

– Soit… planer ou stationner peu importe. Le pays est dans la nuit…

– Et vous ne songez pas aux rayons N, à ces rayons obscurs dont l’illustre savant français Curie avait deviné la transformation possible en rayons lumineux. J’ai réalisé ce qu’il avait soupçonné, voilà tout, et dès lors, je fais du jour avec des ténèbres.

Dire l’orgueil de cette affirmation est impossible. Mais ceci n’eut que la durée d’un éclair, et s’évapora comme la bouffée bleuâtre s’échappant d’une cigarette. Le comte redevint maître de lui, puis du ton froid qui lui était habituel:

– Ces renseignements vous suffisent-ils? questionna-t-il.

Et X. 323 s’étant incliné, il reprit, l’index pointé vers le plafond:

– Vous discernez cette maison plus importante que ses voisines, située à peu près au milieu du village, à côté de l’intersection des deux routes coupant l’agglomération; c’est la demeure qu’a choisie celui dont nous allons débarrasser le monde. Un dispositif ingénieux va nous permettre de pointer avec une certitude absolue.

De nouveau le cliquetis des manettes tapote mon tympan.

L’image du plafond semble se déplacer lentement. La maison désignée tout à l’heure par le comte, se rapproche du centre de l’écran où se dessine un petit disque rouge immobile. Maison et disque coïncident à présent.

– L’image et l’objet visé, murmure Strezzi, occupent les deux extrémités de l’axe de la pièce. Il me reste à charger.

Le support de bois de l’étrange canon, soutient des croisillons formant planchettes.

Sur les lames sont alignés des cylindres hauts d’une dizaine de centimètres. Ils sont recouverts d’une enveloppe blanche que l’on croirait être du papier. Je les ai pris un instant pour ces étuis de pastilles de menthe que débitent les pharmaciens.

– Voici les projectiles, énonce lentement le comte, qui en choisit un, le glisse dans le canon, puis referme méthodiquement la culasse.

Après quoi, il a encore un regard vers le point rouge de l’écran. Un sourire grimace sur son visage. Il désigne un levier qui dépasse l’affût et actionne à l’intérieur un invisible mécanisme.

– Mon cher X. 323, veuillez rabattre cette tige. Oh! le mouvement est très doux, un enfant n’aurait point à faire d’effort.

Je tourne les yeux vers mes «amis». Il me semble que X. 323 est très pâle, que ses lèvres tremblent, mais ses yeux dardent un éclair. Ma malheureuse Tanagra s’est appliqué les mains sur les yeux.

Oh! le geste tragique et enfantin! Elle craint de voir son frère devenir meurtrier!

Elle craint de me montrer son cher visage désolé.

Le comte lui aussi, les observe. Il y a une joie sinistre en lui. Ce n’est pas seulement la satisfaction d’annihiler des ennemis; non, c’est autre chose de plus vil, de plus bas. Au fond de ce grand coupable, il y a une imagination détraquée; il est heureux d’abaisser des êtres de noblesse, de courage, de bonté… Il est de la race de ces individus qui cueillent des roses pour les traîner dans la boue.

Mais le drame s’accomplit avec une rapidité étonnante.

X. 323 s’est ressaisi: Il s’est approché de l’affût. Il a saisi le levier que lui a montré Strezzi, et d’un mouvement brusque, net, décidé, il l’a abaissé vers le plancher.

Il se produit un petit crépitement. Ceci ressemble au choc contre les vitres du grésil poussé par le vent. C’est tout.

Instinctivement, nous levons les yeux vers l’écran. Rien n’a bougé. Rien n’est changé.

– Le «rire» est parvenu à son adresse, plaisante le comte. Ceci le prouve.

Et comme Tanagra, les traits toujours voilés de ses mains tremblantes, fait un pas vers la porte, il la retient par ces paroles dont mon cœur se serre affreusement.

– Inutile de vous éloigner, dans dix minutes, ce sera votre tour.

L’écran est redevenu blanc. La sourde trépidation de l’hélice nous avertit que le navire aérien s’est remis en marche.

III. UN CRIME ANONYME CONTRE ANONYME

Je venais d’assister à la perpétration d’un attentat effroyable, dépassant en horreur tout ce que la tradition nous rapporte au sujet des grandes tueries et je conservais un calme vraiment inexplicable.

Bien plus, j’examinais le Canon du Sommeil avec une attention presque bienveillante. Je me confiais le hip! (cri d’applaudissement) qui retentirait de la Clyde à la Mersey et à la Tamise, lorsque je publierais dans le Times la description du mystérieux engin.

Cela fut si fort, que je m’oubliai jusqu’à dire au comte Strezzi:

– Vous permettez que je prenne un croquis, qui m’apparaît sensationnel.

Ce à quoi il répondit avec un mélange d’ironie et de bienveillance:

– Oh! un croquis à un seul exemplaire. Je serais désolé de vous refuser cela.

Il me sembla qu’un sourire aussitôt effacé, passait sur le visage de X.323. L’homme indéchiffrable avait-il voulu que je fusse en cet état d’esprit?

Je n’oserais certes pas affirmer le contraire.

Je me mis donc à dessiner, tandis que le doux ronflement du moteur m’annonçait que ma «salle de dessin» se déplaçait à pas mal de kilomètres à l’heure.

Cinq, six, dix minutes au plus me permirent d’exécuter un croquis de la salle, avec son canon, l’écran phototélégraphique, les manettes, les projectiles. Oh! dear me, dans un encadrement approprié, quel admirable dessin de première page pour le Times!

Le comte vint jeter un coup d’œil à mon travail. Sans un mot, il m’indiqua même une légère correction. Sans un mot, dis-je, cela est exact, car il se borna à appuyer successivement son index sur un point de mon dessin et sur l’organe correspondant du canon.

Au surplus, la cabine semblait être une succursale des tours du Silence à Bénarès. Tanagra avait laissé retomber ses mains à ses côtés, elle regardait droit devant elle, dans une stupeur épouvantée. X. 323 s’était rapproché; il avait emprisonné le cou de la jeune femme de son bras, et ses lèvres, posées sur ses cheveux bruns et or, il murmurait peut-être des encouragements que je n’entendais pas.

Strezzi, lui, considérait attentivement un instrument, analogue d’aspect à un manomètre, mais muni de trois aiguilles qui tournaient avec des vitesses différentes autour d’un centre commun. On eût cru qu’il nous avait oubliés. Il ne paraissait plus s’occuper de nous, et je me souviens que je m’hypnotisai sur l’appareil dont la vue l’absorbait.

Soudain, les aiguilles cessèrent de se mouvoir. Au même instant, le ronron du moteur se tut. Notre «vainqueur» actionna les boutons et manettes… Et de nouveau l’écran du plafond se peupla d’images, m’apprenant que le dirigeable avait stoppé au-dessus d’une région mamelonnée, couverte de forêts.

Où était situé ce district, à quelle nationalité, à quel groupement politique appartenait-il? Je devais toujours l’ignorer.

Comme tout à l’heure, les images glissaient sur l’écran. Je compris que le comte amenait en contact avec le disque rouge de visée, un point qu’il désirait bombarder d’un projectile de sommeil et de contagion.

Et je suivis curieusement le maniement, intrigué de savoir quel pouvait être l’objectif; dans un pays qui me paraissait un désert forestier.

Je n’attendis pas longtemps. Un ravin profond se dessina sur le plafond. Je ne l’avais pas aperçu plus tôt, parce que les taillis couvrant les hauteurs me le masquaient.

Un petit château mi-féodal, mi-moderne, occupait le fond de la dépression, au bord d’une jolie rivière qui serpentait entre des bouquets de bois, des prairies apparemment disposées en parc.

Était-ce à ce château qu’il allait envoyer un message de mort?

Oui. Le bâtiment coïncide avec le disque rouge, tout mouvement s’arrête.

Lentement Strezzi reprend un projectile, il charge le canon du sommeil.

La culasse se referme. Après quoi, son regard se pose sur Tanagra.

– À votre tour, ma chère femme, de collaborer à mon œuvre… pacifique.

Ma chère femme! Les mots sonnent dans mon crâne comme une atroce plaisanterie. C’est un rire de lutins dans la lande du pays de Galles qui devrait accompagner la voix du comte.

Ma «fiancée» d’hier, aujourd’hui à jamais étrangère, a un grand geste de recul, d’horreur. Ses mains tendues désespérément en avant semblent repousser le crime auquel on la convie.

Quel crime?

Nous l’ignorons. Qui réside dans ce château inconnu? Qui donc, au milieu de cette forêt dont nous apercevons seulement l’ombre, l’image, a été condamné par notre terrible compagnon?

Tout nous est voilé, tout. Sur terre, personne ne saura qui a frappé, aucun de nous ne saura qui fut victime.

Le crime restera anonyme contre anonyme. X. contre X., dirait mon ami Loystin, l’aimable sollicitor de Belgravia.

Pourquoi pensai-je à Loystin à ce moment précis… Je ne vous le dirai pas, car je serais incapable de me le dire à moi-même. Mon imagination, ma folle du logis me transporte une seconde dans Belgravia.

Je vois le square, avec ses maisons toutes semblables, où je reconnais cependant sans peine celle de Loystin… la plaque du sollicitor à droite de la porte, le perron à la deuxième marche usée par les pieds des visiteurs; cette marche qui a doté le brave Loystin d’un tic dont s’amuse le tout Londres judiciaire. Depuis dix ans en effet, le sollicitor se propose de faire remplacer le degré usé par un degré neuf. C’est une obsession véritable qui revient à chaque instant dans sa conversation. Seulement, il faudrait une conférence d’un quart d’heure avec Olscrap, l’entrepreneur, et ce quart d’heure indispensable, mon digne ami ne l’a jamais eu à sa disposition.

 

À quoi s’amuse la pensée. Un mouvement de X. 323 la ramena de Belgravia à bord du dirigeable suspendu dans l’espace noir sur la tête des gens qui vont mourir.

Il a pris Tanagra par la taille. Il l’amène doucement mais irrésistiblement vers le levier du Canon du Sommeil.

Cela est silencieux et atroce. C’est la pantomime d’une épouvante surhumaine. Les deux acteurs semblent des marionnettes tragiques. Leurs gestes sont raides, heurtés; ils me donnent l’impression d’assister à une chose non vécue. Et je sais qu’ils vivent, hélas! et mon cœur se tord en moi éperdument.

Strezzi regarde comme moi. Ah! lui, son cœur est certainement tranquille; à son sourire tragique, à toute son attitude, je jurerais que le spectacle lui est divertissant. Et j’ai peur de sa gaieté… Cet homme est une bête féroce et nous sommes dans sa cage… à mille pieds du sol!

X. 323 a appuyé la main de la jeune femme sur la poignée du levier. Au contact du métal, elle a une plainte dont je frissonne jusqu’aux moelles.

Est-ce de ses lèvres qu’a jailli ce hululement lugubre… Oh! pas fort, ce n’était pas un cri, à peine un murmure… les mots sont bêtes, aucun ne rend les sensations inhabituelles… Enfin, j’ai conscience que je viens d’entendre une déchirure d’âme.

Clac! un choc métallique. Achevant son rôle de guideur au crime, X. 323 a contraint sa sœur d’abaisser le levier de détente.

Le projectile est parti… les condamnés inconnus ont commencé leur éternelle hilarité.

Et comme je me sens glacé, avec ce sentiment que mes muscles se sont soudain durcis, pétrifiés, Strezzi ricane:

– Les noms ne font rien à l’affaire, mais il est bon de pouvoir donner une forme à ses souvenirs… Femme, ô ma chère épouse, je vous ai chargée de punir une femme qui conspirait contre la paix du monde. Une princesse et son enfant sont rayés de la liste des vivants. La paix est assurée.

Pauvre Tanagra! Elle tourna vers lui un regard égaré, puis tomba à genoux.

Oh! l’immonde individu. Faire d’elle la meurtrière d’un petit enfant!

Il eut un haussement d’épaules, puis fit retentir la sonnerie électrique.

La porte du réduit s’ouvrit aussitôt, livrant passage à plusieurs hommes de l’équipage, vêtus de ce costume mi-marin, mi-civil, que le comte avait adopté à son bord.

Celui-ci désigna mes «amis».

– Conduisez les passagers au compartiment n° 2.

Il s’inclina devant X. 323, enlaçant la Tanagra qu’il venait de relever:

– Je vous serai obligé de rester enfermé, avec votre sœur et Max Trelam, jusqu’à l’arrivée au but de notre voyage. Miss Ellen vous recevra au débarquement; ainsi vous verrez que je tiens loyalement mes engagements à l’égard de qui ne se dérobe pas à ses promesses.

Un instant après, mes amis et moi-même étions enfermés dans la cabine hermétiquement close. Le moteur renflait de nouveau avec une force indiquant que le dirigeable donnait son maximum de vitesse. Maintenant X. 323, stupéfiant de calme parmi tant d’émotions, consultait sa minuscule boussole, et d’une voix calme, disait:

– Après être descendus vers le Sud, nous remontons droit au Nord.

Ce renseignement n’avait rien de particulièrement émouvant, n’est-ce pas? Eh bien, il provoqua une détente brusque de mes nerfs tendus à se briser. Je m’affalai sur un siège et me pris à sangloter follement, entraînant à pareille manifestation lacrymale la pauvre Tanagra.

Je me souviens que X. 323 nous encouragea. Des mots affectueux bruirent à mes oreilles. Il semblait impassible et cependant, (maintenant que je le connais bien, je sais combien tendre est son âme) il devait souffrir affreusement.

Mais cet homme prodigieux a une volonté poussée jusqu’à l’incroyable.

Il a un cœur d’enfant qu’une volonté de bronze parvient à dissimuler.

Nous nous reconnûmes, tous trois rapprochés, lui entre nous deux, l’une de ses mains étreignant les mains de sa sœur; l’autre emprisonnée dans les miennes. Je crus l’entendre dire:

– Pauvres enfants!

Je compris de travers. – Je crus qu’il faisait allusion à ce petit prince, dont Strezzi nous avait annoncé le trépas.

– Oh, oui! murmurai-je, pauvre petit inconnu!

Mais il frappa du pied, et la voix dure, comme si ma réflexion eût été la goutte d’eau qui fait déborder le verre:

– Celui-ci, je ne le connais pas, ma pitié reste vague… Ceux que je plains, c’est vous!

Son regard allait de sa sœur à moi-même.

Ce coup d’œil jeta dans mon épouvantable tristesse, comme un rayon de soleil.

Je sentis que désormais X. 323 voyait en moi un frère, qu’il m’estimait assez pour m’admettre en sa parenté.

Et je fus délicieusement flatté d’avoir forcé l’estime d’un espion, à qui mon affection, ma sympathie, mon respect étaient allés de suite.

IV. L’ANGOISSE DE VOIR DOUBLE

– Vous voudrez bien vous laisser bander les yeux. Dans cinq minutes, vous serez débarrassés et miss Ellen sera en face de vous.

Voilà ce que prononça le comte Strezzi en nous joignant dans la cabine.

Il est absolument sûr que nous ne protesterons pas, car sans attendre notre réponse, il ajoute:

– Allez!

Les matelots du dirigeable, qui le suivent, s’approchent de nous. Que tiennent-ils donc à la main. Ce ne sont point des «bandeaux», mais des masques qu’ils nous appliquent sur le visage.

Oh! Comme cela, nous sommes bien aveuglés! Quel luxe de précautions! Décidément le comte Strezzi est le diable en personne, ou plutôt le diable légendaire ne serait auprès de lui qu’un naïf petit garçon.

Un bandeau peut glisser, permettre de voir sans que le geôlier s’en doute; mais un masque plein… J’en arrive à douter de X.323. Jamais il ne triomphera d’un pareil ennemi, dont l’astuce exceptionnelle se révèle dans les moindres détails.

– Attention, fait une grosse voix, nous allons débarquer.

Nous sommes donc arrivés? C’est vrai, le moteur ne fonctionne plus. Quand s’est-il arrêté? Tout à l’heure, sans doute. Nos préoccupations nous ont empêché de le remarquer. Et puis cela n’a aucune importance. Nous allons sortir de cet odieux dirigeable; nous allons voir miss Ellen.

Je me sens troublé à cette pensée… pourquoi? C’est l’avenir qui explique toutes choses. Telle est la réponse philosophique aux innombrables questions que le présent est inapte à élucider.

Mais j’ai une confiance robuste dans mon intellect. Aussi je n’hésite pas à me déclarer que mon émoi provient uniquement de ce que je me demande si miss Ellen, en personne, ressemble aussi étonnamment à sa sœur que la photographie vue à Trilny-Dalton-School, avant mon départ de Londres.

On me prend par le bras. Une grosse voix m’avertit paternellement:

– Attention, ne vous heurtez pas au chambranle…; tâtonnez avec le pied, il y a deux degrés à descendre… là, vous voilà sur le pavé de la cour.

C’est vrai. Mes pieds foulent des pavés. Je suis sur la terre ferme.

– Marchez sans crainte, m’ordonne mon guide.

J’obéis. Je compte trente pas. Je crois que j’ai lu naguère un roman d’Anne Radcliffe, où un prisonnier, ou une prisonnière, je ne souviens pas bien, dans une situation aussi obscure que la mienne, se rend compte de la disposition de sa prison, tout simplement en se livrant à la petite opération que j’indique.

C’est résolument ridicule, je le pense comme vous. Ce qui ne m’a pas empêché de nombrer mes pas. Trente! Alors le sol change. Ce sont des dalles très larges qui me supportent. Et puis la résonnance m’avertit que nous parcourons un vestibule.

Trois marches, puis quarante-trois pas, un couloir sans doute. Je redescends quatre degrés… Tiens nous revoici en plein air. Dans un jardin probablement, car mes pieds foulent un petit gravier qui craquelle sous mon poids.

Décidément, nous traversions un jardin. À deux reprises des branches me caressèrent un peu rudement. Cela était décisif.

Et puis derechef, des degrés au nombre de cinq, et ils sont en bois, avec une double rampe rustique. Cet escalier n’est point large, car mon guide monte derrière moi en me disant:

– Prenez la rampe à droite et à gauche.

Sur la dernière marche, il me reprend le bras.

– Attention, une porte à droite.

Cette fois nous pénétrons dans un salon, un parloir, ou quelque chose d’approchant. Je foule un tapis. On me pousse dans un fauteuil.

On chuchote, on s’agite autour de moi. Enfin je perçois l’organe sec du comte Strezzi.

– Enlevez les masques et laissez nous.

Pffuit! Mon masque cesse d’appliquer son moulage sur ma figure.

Ébloui par le brusque passage de l’obscurité à la lumière, j’entrevois confusément un salon assez luxueux, deux larges fenêtres avec baldaquins et rideaux rouges et or, donnant sur un jardin touffu… et je referme les paupières.

Quand je les relève, je puis regarder mieux… Je reconnais X. 323, mon frère, ma chère bien aimée sœur Tanagra, assis comme moi.

Et en face de nous, debout près d’une tenture qui semble masquer une porte, Strezzi, avec à ses côtés, un gros homme, de tournure militaire, qui lui parle à voix basse, soulignant ses phrases murmurées de gestes obséquieux.

– Eh bien, Herr Logrest, prononce le comte, je crois que le doux instant de la réunion est venu.

– À vos ordres, à vos ordres, bredouille le personnage écartant la tenture. – Entrez, entrez, Fräulein; ceux qui se trouvent là seront heureux de vous voir.

Un tourbillon d’étoffes traverse le salon dans un cri étranglé. C’est Tanagra qui a bondi vers la silhouette féminine, apparue à l’appel de celui que le comte a nommé Herr Logrest… Elle a enlacé la nouvelle venue. Des bruits de baisers, des soupirs, et puis elle entraîne la personne vers X.323.

– Enfant chérie…; notre frère.

Je suis médusé. Mon cerveau ne pense plus, les Ménechmes, Amphitryon, Martin Guerre, Cockwell, Toms et Gil, j’ai lu l’histoire de ces prodigieuses ressemblances, mais lire n’est point voir. Devant la réalité, je me sens déconcerté, flottant dans un brouillard de rêve.

X. 323 est là, entre deux Tanagra, identiques de traits, de taille… et même ce qui m’étonne, de costume.

C’est la même jaquette, la même jupe trotteuse, les mêmes brodequins de cuir fauve… Le chagrin a marqué d’empreintes semblables les deux adorables visages. La rieuse vierge de Trilny-Dalton-School s’est fondue en mélancolie comme sa sœur.

Et à ce moment, Strezzi qui s’est approché de moi sans que je prête attention à son mouvement, se penche à mon oreille.

– Herr Max Trelam, je n’ai pas d’animosité personnelle contre vous. J’ai été désagréablement affecté de devoir barrer votre chemin d’amour…

Et riant sans bruit:

– Avec l’aide d’un couturier, deux robes commandées au lieu d’une, j’ai obtenu cet effet que l’on peut confondre l’une des sœurs avec l’autre… Ceci pour vous démontrer que je souhaite votre contentement, que les niais seuls s’abandonnent au désespoir et qu’une fiancée perdue se remplace. – Si j’étais banquier, je vous dirais: c’est un simple transfert d’amour.

Il ne me vint aucune réplique à l’esprit.

Le fait que cet homme antipathique formulât, en termes semblables, la pensée énoncée par ma sœur Tanagra, me pétrifia littéralement.

Du reste, Strezzi n’avait pas attendu ma réponse. De même qu’un corsaire qui, après avoir craché sa bordée d’obus à l’ennemi, s’empresse de se mettre hors de portée, il avait rejoint le gros homme, Herr Logrest, lequel, la face épanouie, assistait à la scène en personnage philosophe que le triomphe des coquins n’empêche pas de dormir.

Et puis, by Jove, on eût cru qu’il agissait de concert avec ma chère Tanagra.

Je n’avais pas encore repris mon équilibre moral, que celle-ci venait à moi, tenant sa sœur par la main, et elle disait, me présentant à sa vivante image:

– Ellen, sir Max Trelam… Un loyal gentleman à qui notre frère et moi serions heureux de confier ce que nous avons de plus cher au monde. Tu sauras plus tard quelles preuves d’affection, de confiance, de dévouement, il nous a données.

La main de miss Ellen se tendit. La prendre, c’était acquiescer aux paroles de Tanagra, dont le double sens ne pouvait m’échapper.

Cela est exact; mais la refuser eût constitué une injure imméritée.

Et je pris la main de la jeune fille, avec l’impression que mes doigts pressaient la main de Tanagra. C’était la même peau satinée, la même forme élégante, longue sans être grande, mince sans être menue.

Et je baissai les paupières sous le regard que miss Ellen fit peser sur moi.

Quel étrange regard. Je pensai y lire la prière, la gratitude, une sorte de foi admirative. Pourquoi tout cela? Bien certainement, les événements m’avaient accordé le «coup de marteau», grâce auquel les sages expliquent toutes les actions des fous.

 

Car quelle apparence que la jeune personne songeât à m’implorer ou à m’admirer. À la rigueur, je pouvais admettre sa reconnaissance indéfinie, puisque sa sœur venait de rendre témoignage à mon amitié dévouée. Et encore une toute petite reconnaissance, une petite reconnaissance à bouton de stuc, comme disent les Chinois pour exprimer qu’un homme n’est pas même mandarin de dernière classe.

Et cependant, elle disait, cette copie troublante de la Tanagra:

– Je vous remercie, sir Max Trelam. Déjà, ma sœur m’avait dit votre bonté.

Je fis un geste de dénégation modeste. Cela me paraissait incomparablement plus facile que de prononcer une parole. Ma langue, positivement, s’était collée à mon palais. Et puis mes yeux communiquèrent à mon cerveau une impression de vertige. Je ne pouvais me défendre de penser que je voyais double.

Cette Tanagra qui parlait auprès de cette Tanagra, l’écoutant avec un mélancolique sourire, me plongeait dans une atmosphère d’irréel.

Si la scène s’était prolongée, je crois que je serais tombé dans la folie.

Mais le comte Strezzi veillait. Il s’était avancé vers nous.

– Après ce voyage nocturne, fit-il du ton paisible d’un hôte, soucieux du bien-être de ses invités, j’estime que vous aurez plaisir à réparer les outrages de la route. Si vous le permettez, je vais vous faire conduire aux chambres préparées pour vous recevoir.

– Je ne quitterai pas ma sœur, questionna Tanagra?

– Miss Ellen vous accompagnera, puisque vous le désirez, chère comtesse. Il n’est jamais entré dans mes vues de séparer deux sœurs aussi tendrement unies.

Sur les lèvres de X. 323, je crus voir passer un sourire.

Qu’est-ce qui amenait ce sourire; impossible de le savoir. Je m’accoutumais d’ailleurs aux interrogations, non suivies de conclusions et je n’insistai pas.

Au surplus, une fille de service, et un grand garçon blond que je jugeai être un valet de chambre, paraissaient, appelés sans doute par une sonnerie que je n’avais pas entendue.

– Martza, ma fille, ordonna Logrest, vous allez guider ces dames vers les chambres bleue et rouge. En passant, vous indiquerez la salle du Madgyar à cet honorable monsieur.

L’honorable monsieur, c’était moi.

Il s’adressait déjà à l’homme arrivé en même temps que la servante Martza.

– Frickel, je vous charge du seigneur que voici. – Son index touchait presque la poitrine de X.323. – Vous savez l’appartement désigné?

X. 323 sur les pas de Frickel; moi, suivant les deux Tanagra enlacées, lesquelles marchaient derrière la servante Martza, nous quittâmes le salon tandis que Herr Logrest se frottait les mains d’un air satisfait, sans que je pusse percevoir le motif de sa satisfaction.

Другие книги автора

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»