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Le canon du sommeil

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X. X. 323 SUCCOMBE AU CHOC

– Que faire? Que faire? le comte… non le prince Strezzi, n’a pas prévu le cas. Je n’ai pas d’instructions.

– Cela est «une» désastre, gémit Amalia qui, on n’a jamais su pourquoi, s’obstinait à considérer le mot désastre comme une féminité.

Les deux époux venaient de nous rejoindre au jardin.

Leurs grosses figures exprimaient le bouleversement intime, et au-dessus de leurs gros corps, leurs gros bras se levaient désespérément vers le ciel.

Le désespoir des êtres gras abonde en gesticulations grotesques.

Certes, nous aurions ri, discrètement s’entend, si nous-mêmes n’avions été bouleversés par ce qu’ils venaient de nous apprendre.

Après le déjeuner, Herr Logrest s’était rendu dans le cachot de notre frère pour lui faire part des résolutions adoptées à Vienne, sur la prière du prince Strezzi.

– Oh! gémissait le gouverneur, j’ai pris toutes les précautions. Je lui ai dit que ces dames avaient supporté l’épreuve avec un courage digne d’admiration, que miss Ellen pensait qu’il montrerait le même stoïcisme, car elle m’avait encouragé à le venir voir… Ah! tout cela n’a servi de rien. Il m’a écouté jusqu’au bout, le sourcils froncés, les yeux fixes… Et quand j’ai eu terminé, il est tombé raide, sans connaissance, comme s’il avait attendu que j’eusse tout dit pour s’évanouir.

Tanagra, moi-même, avions pâli étreints par une horrible appréhension. Mais miss Ellen décidément possédait un invraisemblable empire sur ses nerfs, car tout en épongeant ses yeux vraisemblablement obscurcis par les larmes, elle murmura:

– Alors, qu’avez-vous fait, mon bon et cher M. Logrest?

Le cher M. Logrest se redressa sous la câlinerie de la voix.

– Eh bien! Fräulein, j’ai appelé. Les gardiens sont accourus, nous avons jeté de l’eau froide au visage du pauvre malade… Il a rouvert les yeux, mais il ne nous reconnaissait plus, nous avons tenté de le remettre sur ses pieds, mais ses jambes refusaient de le porter. Nous l’avons étendu sur sa couchette où il marmonne des histoires embrouillées, incompréhensibles… Je crois que cela est du délire. Certainement, il a subi une commotion terrible, de grands soins lui seraient nécessaires, on ne peut les lui donner dans le cachot…; et le diriger sur l’infirmerie, cela est grave pour un prisonnier qui est condamné au secret le plus absolu.

– Eh bien, télégraphiez à M. le prince Strezzi.

– Télégraphier! Ah! Fräulein, les séraphins sourient à votre âme candide! Tout le monde ignore où est détenu votre frère. Le confier au télégraphe, c’est l’enseigner à tout le pays.

J’étais en proie évidemment à une illusion… Il me sembla qu’une lueur joyeuse s’allumait un moment dans les grands yeux de miss Ellen.

Une illusion, je le répète, car un second regard me la montra grave et triste, disant d’un ton pénétré:

– Alors, cher M. Logrest, consultez votre bon cœur.

Le poussah s’agita plus désespérément encore.

– Mon bon cœur… Que voulez-vous que mon bon cœur me conseille dans une extrémité aussi fâcheusement imprévue?

Avait-il pensé embarrasser son interlocutrice? Peut-être.

Elle ne parut pas le soupçonner, car elle adressa son plus gentil sourire à l’épouse du gouverneur et elle modula doucement:

– Par votre bon cœur, j’entendais désigner votre bonne et respectable compagne. En face de la souffrance, les femmes savent mieux que les hommes ce que l’humanité commande impérieusement.

Et les deux époux se renvoyant des mines attendries et satisfaites. (On est toujours content de se voir rendre justice), la jeune fille continua:

– Dites, Frau Amalia. Ne pensez-vous pas qu’aucun «secret» ne peut empêcher de transférer à l’infirmerie un prisonnier dangereusement malade…; à l’infirmerie, on n’est pas plus libre qu’en cellule… Je pense du moins…; mais ma pensée n’est rien, c’est la vôtre qui doit faire autorité. Depuis que je vous connais, j’ai appris à vous aimer, à apprécier la rectitude de votre jugement, et je m’inclinerai devant la décision que dictera votre sagesse.

– Ah! petites filles, petites filles, me confiai-je, combien vous êtes malignes quand vous désirez obtenir quelque chose!

La réponse de la bonne dame, provoquée en ces termes, n’était pas douteuse. Elle déclara qu’à son sentiment de faible femme (se connaître soi-même est, paraît-il, le summum de la sapience), il lui apparaissait évident qu’un tonneau de bière devait être descendu à la cave, et un malade porté à l’infirmerie.

En suite de quoi, Ellen se jeta à son cou, et le gouverneur, entraîné par l’assentiment général, nous quitta pour donner les ordres utiles au transfert du prisonnier dans la partie du château réservée aux soins médicaux.

Le soir, à dîner, miss Ellen fut absorbée… Elle s’informa à diverses reprises de l’état de son frère.

Les renseignements n’étaient pas encourageants.

Des accès de délire alternaient avec des périodes de lourd sommeil. Krisail, un vieux caporal infirmier du 5e régiment de chasseurs tyroliens, admis sur sa retraite aux fonctions d’infirmier-major au château de Gremnitz, affirmait que le malade devait avoir une fièvre violente.

Seulement, aucun docteur n’est attaché à la forteresse.

À l’ordinaire, on requiert les soins de Herr Volsky, le médecin civil du bourg de Gremnitz… Mais là encore le fameux «secret» emplissait le gouverneur de perplexité.

Le secret pouvait-il admettre la présence du disciple d’Esculape?

Miss Ellen, assise auprès de Mme Amalia, lui parla à voix basse, et la grosse dame s’écria tout à coup:

– Ce que me dit cette gentille Fräulein me paraît tout à fait juste.

– Et que dit-elle?

– Que pour le médecin, on pourrait attendre à demain, que peut-être le prisonnier ira mieux.

– Cela est possible, approuva le gouverneur enchanté de n’avoir pas à prendre une décision immédiate.

– N’est-ce pas, cette enfant est la raison même. Jugez-en. Elle ajoute que le malade aura d’autant plus de chances de voir son état s’améliorer, qu’il sera mieux soigné… Or, dit-elle, un vieux soldat n’est peut-être pas l’infirmier rêvé… Je suis tout à fait de son avis, ce n’est pas à lui que je confierais votre garde, mon cher mari, si le mal, ce dont je prie le ciel de nous préserver, moissonnait votre précieuse santé.

Les tourtereaux obèses échangèrent de petites mines tendres.

– Je ne puis cependant autoriser la Frau princesse Strezzi ou l’aimable Fräulein à assumer la tâche de garde-malade… Ceci serait en opposition directe avec mes instructions.

– Non, non, la pauvre chère petite fleurette ne demande pas une aussi impossible chose.

– Que demande-t-elle donc en ce cas, je ne sais aucunement.

– Elle demande tout simplement que Martza, ma domestique, passe la nuit à l’infirmerie. Bien stylée par nous, Martza, c’est une bonne personne, vous savez, nous offrira plus de garanties qu’un vieux soldat comme Krisail… N’oubliez pas qu’on a dû mettre sous clef l’alcool destiné aux pansements… Cet alcool s’évaporait dans la pharmacie avec une trop grande rapidité, et Krisail prenait l’habitude de marcher de travers, ce qui n’avait rien de martial. Si vous y consentez, moi je me priverai du service de Martza.

Et conciliante:

– Voyons, Logrest, on ne peut refuser de faire un peu de bien, quand il n’impose pas un lourd sacrifice.

– Vous êtes véritablement, s’écria le gouverneur avec enthousiasme, un ange qui a descendu l’escalier du Paradis.

Quelles ailes il aurait fallu pour enlever cet ange!

– Ce qui veut dire, minauda la ronde personne?

– Que je nomme Martza infirmière, aussi longtemps que vous le souhaiterez.

Ce fut un concert de remerciements auxquels, sur un regard de miss Ellen, regard que je jugeai impérieux (je me trompais peut-être), je joignis ma voix.

À partir de ce moment, j’eus l’impression qu’il se passait autour de moi quelque chose de mystérieux.

Mais quoi?

Voilà ce que le «perspicace reporter» Max Trelam, comme me désigne le patron, au Times, ne discernait pas du tout.

X. 323 délirait, Martza ne pourrait établir aucune communication entre lui et ses deux sœurs.

Alors?…

Vous connaissez ma manie des points d’interrogation. Ah! elle sévissait à cette heure avec une énergie sauvage.

Au moment de nous séparer de nos hôtes, pour réintégrer les chambres qui nous servaient de prison nocturne, quelques répliques me donnèrent matière à me creuser la cervelle pendant une partie de la nuit.

Mistress Amalia et miss Ellen adressaient leurs recommandations à la grande Martza, toute prête à aller prendre son poste au chevet de mon… beau-frère futur.

La robuste fille riait bêtement, répétant à chaque instant:

– Soyez paisible, Frau. Ne vous troublez pas, Fräulein. Martza sait ce que parler veut dire. Le Meinherr sera dans les douceurs comme un pigeon dans les petits pois au sucre.

Ce à quoi Ellen répliqua à la fin:

– Oui, mais il faut aussi des «délicatessen» pour la pensée… Promettez-moi, Martza, de vous pencher sur notre cher malade et de lui dire bien haut: «Vos chères sœurs m’envoient pour vous soigner. Elles sont toute affligées de ne pouvoir venir elles-mêmes. Guérissez donc, vite pour les rassurer, car M. le gouverneur, bien qu’il soit la bonté même, hésite encore à appeler un médecin du dehors.

– Mais il ne comprendra pas, s’exclama Mrs. Logrest. Il a le délire.

– Oh! bien chère Frau Amalia, riposta la jeune fille, je pense comme vous. Mais vous êtes trop poétique pour douter que l’âme sent passer la caresse d’une âme aimante, alors même que le cerveau est incapable de formuler effet et cause.

Poétique! ce qualificatif accolé à une phrase empruntée à la métaphysique brumeuse d’outre-Rhin. Il n’en fallait pas tant pour gagner la sphérique beauté.

 

Elle s’évertua donc, avec cette petite miss Ellen, qui décidément suivait obstinément un plan de conduite incompréhensible pour moi, à seriner la phrase destinée au malade.

La grande fille, riant aux éclats, se prêta au jeu, et en quelques minutes, elle parvint à répéter textuellement l’improvisation de ma nouvelle fiancée.

Un quart d’heure après, j’étais bien et dûment enfermé dans ma chambre des Madgyars.

Je m’étais approché de la fenêtre grillée. Je regardais à travers les barreaux la cour sombre du château, avec ses rangées de fenêtres aveuglées par des volets obliques.

Mais spécialement mes yeux se portaient sur la façade de gauche, formant l’angle droit avec celle d’où j’observais.

Tout à l’extrémité, deux degrés accédaient à une porte basse, l’infirmerie. Et je considérais aussi trois croisées du premier étage, obturées comme toutes les autres, mais qui me semblaient avoir une physionomie particulière.

C’étaient les fenêtres éclairant les salles, dans l’une desquelles gisait, inerte, privé de sentiment conscient, X. 323 que j’avais jugé naguère invincible.

XI. LE COURS DE LA MALADIE

Trois jours… Ce furent peut-être les plus longs de ma carrière de reporter.

Au matin du premier, Martza revint de l’infirmerie. Évidemment, miss Ellen guettait son retour, car, au lieu de nous entraîner dans le jardin, où nous avions l’impression d’une liberté relative, elle s’était installée dans le salon du gouverneur, voisin de la salle à manger, et s’était absorbée dans la lecture d’une revue polonaise.

Comme elle parlait assez mal cet idiome, il était permis de supposer que son plaisir de lecture devait être mince.

Mrs. Amalia ne nous gêna pas. L’opulente dame se levait tard, et, comme le dit votre auteur dramatique Donnay, qui a tant d’esprit: Vu sa dimension, Amalia se levait vraisemblablement en plusieurs actes.

Enfin Martza parut. Alors ce fut un interrogatoire en règle. Le mal demeurait stationnaire, mais X. 323 ne reconnaissait personne. Il ne paraissait comprendre aucune des paroles prononcées devant lui.

Pourtant, quand la brave fille lui avait répété, de toute la force de ses poumons, la leçon apprise la veille au soir, elle avait cru un moment qu’il reprenait conscience.

Il avait répété à plusieurs reprises:

– Médecin! Médecin!

Mais ce n’était qu’une illusion. Sa bouche avait prononcé machinalement un mot qui l’avait frappé. Peut-être Martza avait-elle élevé la voix sur ces syllabes.

Miss Ellen écouta ce rapport avec un visage impénétrable.

Elle força la servante à accepter une gratification, accompagnée de remerciements chaleureux et de l’espoir qu’elle consentirait, pour tranquilliser une pauvre petite sœur bien chagrine, à s’imposer encore la fatigante veillée.

Cette grande Martza n’était pas méchante. Et puis il est toujours flatteur d’entendre priser haut ses services. Je crois qu’elle eut les larmes aux yeux en promettant de se décarcasser pour faire plaisir à la Fräulein, gentille et bonne comme un frais oiseau blanc.

Sur quoi la jeune fille demanda qu’on l’avertît dès que Frau Amalia serait visible, et, prenant le bras de Tanagra, qui assistait à l’entretien, elle nous entraîna dans le jardin aux petits sentiers couverts de gravier.

J’ai su depuis que Tanagra assistait avec un étonnement égal au mien, aux évolutions de sa jeune sœur.

Celle-ci du reste, montrait à présent un pessimisme outrancier. Elle redisait toutes les paroles de Martza, les commentant dans le sens le plus défavorable à la guérison de ce pauvre X.323.

Nous nous efforcions de la rassurer.

Mrs. Amalia nous surprit au milieu de nos discussions peu folâtres.

La grosse personne était tout essoufflée; habillée à la diable, ce qui d’ailleurs ne l’amincissait aucunement, elle s’était hâtée en apprenant que la chère petite fille Ellen avait du chagrin.

Véritablement, elle était excellente cette monumentale épouse du gouverneur. Et de la sentir si désireuse d’adoucir les peines de ses hôtes, on se prenait à l’aimer, à ne plus voir le côté caricatural de sa silhouette.

Et quand, avec une émotion communicative, miss Ellen eut gémi:

– Seul, sans médecin, mon frère va-t-il mourir ainsi qu’un être abandonné de tous?

Amalia jura par la Couronne et par le Sceptre, par la Croix de Pologne et l’Aigle bicéphale d’Autriche, que le prince Strezzi, dût-il cracher le feu comme le madgyar Satanas lui-même, elle obtiendrait de son cher époux que l’on appelât en consultation le docteur Volsky du bourg de Gremnitz, ce qui parut remplir Ellen d’espérance.

Elle baisa les mains de Mrs. Amalia Logrest, qui s’en défendait de son mieux. Elle eut de ces cris du cœur qui bouleversèrent la grosse dame:

– Je vous dis qu’il sera sauvé, sauvé grâce à vous… Ah! Frau Amalia, je vous aimerai comme une sœur nouvelle.

Tant et si bien qu’à midi, durant le déjeuner, entre un plat de morue au gingembre et un goulache, ragoûts nationaux, le gouverneur, pressé par sa chère moitié, supplié par ses hôtes, décida d’envoyer Martza à Gremnitz, au logis du médecin, afin de prier ce dernier de venir donner ses soins à l’infortuné X.323.

Et même, miss Ellen obtint sans discussion que le praticien, après l’auscultation du malade, serait invité à passer au logis Logrest afin de faire connaître son avis aux sœurs éplorées de son client.

Ladite visite m’apporta, à moi personnellement, le tracas d’un dialogue, dont la conclusion, je le sentis, importait vivement à miss Ellen, et dont malheureusement je ne comprenais pas du tout le but.

Au surplus, je rapporte les répliques échangées.

M. Volsky, un homme sec, petit, grisonnant, de mouvements prestes autant qu’une souris, dont il avait les yeux noirs et vifs et l’air futé, en dépit de la redingote noire, de la cravate blanche, sans lesquelles on ne saurait administrer un julep en Galicie, M. Volsky donc, raconta en termes médico-techniques ce que l’auscultation lui avait révélé.

En langage clair, l’Esculape n’avait absolument rien deviné en ce qui concernait la nature du mal. Tout au plus lui avait-il donné à tout hasard un nom. Il diagnostiquait gravement une atonie du réseau nerveux, intéressant le cérébro-spinal moteur et le grand sympathique circulatoire.

Sous le roi de France, Louis le quatorzième, les médecins de Molière discouraient déjà dans ce genre.

Mais personne ne parut mettre en doute la sagacité du brave et important morticole. Et c’est ici que se placent les questions de miss Ellen auxquelles je faisais allusion tout à l’heure. Les voici:

Miss ELLEN. – N’a-t-il pas prononcé une parole indiquant où siège plus spécialement la souffrance?

LE DOCTEUR. – Non, non, aimable Fräulein. Durant toute ma visite, il n’a cessé de répéter un mot.

Miss ELLEN. – Est-il indiscret de vous demander lequel?

LE DOCTEUR. – Pas du tout. Il disait: Froid! Froid!

Miss ELLEN. – Cela n’indiquait-il pas chez lui l’impression inconsciente de la fièvre froide?

LE DOCTEUR. – Peut-être. Mais on ne saurait l’affirmer vu l’état délirant du malade… Qui sait même si, par un phénomène d’amnésie ou d’aphasie, le malheureux ne dit pas des mots traduisant une pensée toute différente.

Miss ELLEN. – Mais à l’examen vous avez pu constater sa température?

LE DOCTEUR. – Je l’ai fait… Elle m’a paru sensiblement normale.

Miss ELLEN. – Alors, ne pensez-vous pas…, pardonnez-moi, monsieur le docteur. J’ai l’air de vous conseiller. Telle n’est pas mon intention, je sollicite humblement l’avis d’un homme que ses lumières scientifiques désignent comme devant statuer sans appel.

LE DOCTEUR (visiblement flatté). – Parlez, parlez sans crainte, Fräulein.

Miss ELLEN. – Si par hasard il souffre d’une sensation de froid, sa température étant normale, il n’y aurait aucun danger à l’élever un peu.

LE DOCTEUR. – Aucun, si l’on procédait par révulsifs… Et même l’action réflexe de la révulsion pourrait être bienfaisante pour le système nerveux.

Miss ELLEN (très candide). – Qu’appelez-vous révulsif, monsieur le docteur. J’avoue mon ignorance, car je souhaite tout comprendre.

LE DOCTEUR (tout à fait paternel). – Le révulsif est le corps qui amène une réaction subite dans les tissus organiques.

Miss ELLEN. – Ah! comme les compresses d’alcool lorsqu’on a la migraine.

LE DOCTEUR (souriant). – Justement, Fräulein, vous comprenez très bien.

Miss ELLEN. – Alors, vous seriez d’avis que des lotions d’alcool sur tout le corps…

LE DOCTEUR. – Seraient évidemment toniques. En tout cas, elles ne sauraient faire de mal.

Miss ELLEN. – Ah! si j’étais auprès de mon cher frère, j’essaierais… C’est affreux de se dire que l’on ne lutte pas corps à corps contre la maladie.

LE DOCTEUR (conciliant). – Je veux vous donner le plaisir de la lutte… j’ordonne donc trois lotions alcoolisées par jour.

Sur ce, Volsky se répandit en compendieuses explications sur l’art de lotionner un être humain; Herr Logrest et Mrs. Amalia se mirent de la partie… Confier l’alcool au vieil infirmier Krisail, un ivrogne invétéré, leur semblait imprudent. Ce soudard évidemment en profiterait pour lotionner son propre gosier.

Mais alors Ellen proposa de donner à Martza la garde des clefs de l’armoire aux alcools et éthers de la pharmacie de l’infirmerie.

La solution, conciliant tous les intérêts, fut adoptée, et le docteur se retira en promettant de revenir le lendemain. Il ne manquerait pas du reste, ajouta-t-il aimablement, de se rendre, après sa visite, dans cet honorable logis du non moins honorable gouverneur du château fort de Gremnitz, pour rassurer ces gracieuses dames…

Le soir donc, Martza, très flattée de la confiance qu’on lui marquait, reçut la clef de l’armoire aux alcools, jura que Krisail n’en distrairait pas une goutte, et s’en fut occuper son poste de garde-malade.

La grande fille, tout à la joie d’être dans les honneurs, ne songeait plus au surcroît de fatigue qui en résultait pour elle.

Et, ainsi qu’elle nous le raconta le lendemain matin, elle avait mené la vie dure au vieux soldat Krisail, ce guerrier altéré qui rôdait sans cesse autour de la bonbonne à alcool, comme un furet autour d’un petit lapin sans défense.

Toutefois, à une question de miss Ellen, demandant à la robuste fille comment elle pouvait supporter ainsi la privation de sommeil, les coquelicots, fleurissant soudain ses joues, me donnèrent à penser qu’elle avait bien pu ne pas être éveillée constamment.

Cela me rassura au sujet de Krisail… Le pauvre militaire avait sans doute pu se permettre une accolade amicale avec le récipient d’alcool.

Le malade répétait toujours: Froid! Froid!

Quand le docteur Volsky arriva à son tour, le délire de X. 323 s’était fait différent.

Ne se figurait-il pas à présent qu’il était le médecin et que ceux qui entouraient son lit étaient des malades confiés à ses soins.

Il leur tâtait le pouls, décrivant tous les symptômes de sa propre affection, et invariablement ordonnait des grogs froids.

Miss Ellen écoutait pensive, sans doute aussi désolée que miss Tanagra qui, depuis le commencement de la maladie de son frère, vivait un songe éveillé, ne prenant plus part aux conversations, séparée du monde extérieur par une atroce angoisse que je lisais sur son visage défait.

Sa jeune sœur avait décidément un impérieux désir de s’instruire.

– Docteur, dit-elle, ne croiriez-vous pas qu’il se produit un phénomène de lucidité délirante. J’ai ouï dire que certaines personnes, en état d’excitation nerveuse, peuvent exprimer avec précision ce qui les sauverait. Ce grog froid, ne serait-ce pas le salut? Je vous questionne, enseignez une ignorante… Mais cette intuition si remarquable qui vous a fait appliquer les lotions révulsives comme vous dites, n’est-ce pas, ont amené une telle transformation… Peut-être que le grog…

À ma grande surprise, M. Volsky accepta sans sourciller «l’intuition remarquable» dont la jeune fille le gratifiait.

Véritablement, cette petite miss Ellen semblait connaître à fond les méandres de la vanité humaine.

Et il fut entendu qu’il ordonnait les grogs froids.

Le lendemain, nouvelle complication. X. 323, toujours médecin imaginaire, refusait obstinément de boire le grog préparé par Martza.

– Je ne puis pourtant absorber tous les remèdes que j’ordonne à mes clients, exposait-il gravement… Pour un grog, je veux bien faire une exception; mais je veux que mes trois malades soient réunis et qu’ils absorbent le remède en même temps.

Les trois malades, pour le pauvre délirant, étaient, on le devine, le docteur Volsky, Martza et l’infirmier Krisail.

 

Très patiemment, dans son désir d’être agréable à la chère attristée jeune Fräulein, le médecin, lors de sa visite, avait consenti à se prêter à la fantaisie de l’hôte de l’infirmerie.

Alors X. 323 avait été pris d’une nouvelle lubie:

La lune, avait-il déclaré, joue un rôle prépondérant dans les phases morbides. Il convoquait donc les trois malades pour minuit exactement, l’influence sélénitique devant, à cette heure, se combiner à celle de l’esprit alcoolique pour atteindre au maximum de résolution morbide.

Alors, Ellen eut les larmes aux yeux.

– Oh! docteur, docteur, supplia-t-elle, comme je l’ai compris à votre physionomie, miroir si expressif de votre pensée, ce grog sauvera mon frère. Oh! je vous en supplie, vous avez été si bon déjà pour nous…

M. Volsky se défendit; mais on se défend mal contre une adorable petite miss Ellen qui vous implore (moi-même je la trouvais adorable maintenant) et le médecin céda.

Il viendrait donc à minuit, mais à une heure du matin, que le malade eût bu ou non, il repartirait, car il avait le lendemain une opération chirurgicale à pratiquer, et en pareille occurrence, il importe de dormir pour avoir l’œil clair et la main sûre.

L’expression de la gratitude de la jeune fille fut particulièrement abondante. Les paroles louangeuses coulaient de ses lèvres sans arrêt. C’était un fleuve de reconnaissance qu’elle faisait défiler devant le docteur qui, de toute évidence, ne s’était jamais vu à pareille fête.

Et miss Ellen devait être bien heureuse de penser que son cher frère boirait enfin son grog froid, car un quart d’heure après, je la surpris sur le chemin de ronde du mur crénelé où, quelques jours plus tôt, elle avait décidé de ma vie… Elle regardait la campagne environnante d’un œil avide, si absorbée qu’elle ne m’avait pas entendu venir.

Et miss Ellen fredonnait un air de rythme joyeux!

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