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LXIX. White-Hall

Le parlement condamna Charles Stuart à mort, comme il était facile de le prévoir. Les jugements politiques sont toujours de vaines formalités, car les mêmes passions qui font accuser font condamner aussi. Telle est la terrible logique des révolutions.

Quoique nos amis s'attendissent à cette condamnation, elle les remplit de douleur. D'Artagnan, dont l'esprit n'avait jamais plus de ressources que dans les moments extrêmes, jura de nouveau qu'il tenterait tout au monde pour empêcher le dénouement de la sanglante tragédie. Mais par quels moyens? C'est ce qu'il n'entrevoyait que vaguement encore. Tout dépendrait de la nature des circonstances. En attendant qu'un plan complet pût être arrêté, il fallait à tout prix, pour gagner du temps, mettre obstacle à ce que l'exécution eût lieu le lendemain ainsi que les juges en avaient décidé. Le seul moyen, c'était de faire disparaître le bourreau de Londres.

Le bourreau disparu, la sentence ne pouvait être exécutée. Sans doute on enverrait chercher celui de la ville la plus voisine de Londres, mais cela faisait gagner au moins un jour, et un jour en pareil cas, c'est le salut peut-être! D'Artagnan se chargea de cette tâche plus que difficile.

Une chose non moins essentielle, c'était de prévenir Charles Stuart qu'on allait tenter de le sauver, afin qu'il secondât autant que possible ses défenseurs, ou que du moins il ne fit rien qui pût contrarier leurs efforts. Aramis se chargea de ce soin périlleux. Charles Stuart avait demandé qu'il fût permis à l'évêque Juxon de le visiter dans sa prison de White-Hall. Mordaunt était venu chez l'évêque ce soir-là même pour lui faire connaître le désir religieux exprimé par le roi, ainsi que l'autorisation de Cromwell. Aramis résolut d'obtenir de l'évêque, soit par la terreur, soit par la persuasion, qu'il le laissât pénétrer à sa place et revêtu de ses insignes sacerdotaux, dans le palais de White-Hall.

Enfin, Athos se chargea de préparer, à tout événement, les moyens de quitter l'Angleterre en cas d'insuccès comme en cas de réussite.

La nuit étant venue, on se donna rendez-vous à l'hôtel à onze heures, et chacun se mit en route pour exécuter sa dangereuse mission.

Le palais de White-Hall était gardé par trois régiments de cavalerie et surtout par les inquiétudes incessantes de Cromwell, qui allait, venait, envoyait ses généraux ou ses agents.

Seul et dans sa chambre habituelle, éclairée par la lueur de deux bougies, le monarque condamné à mort regardait tristement le luxe de sa grandeur passée, comme on voit à la dernière heure l'image de la vie plus brillante et plus suave que jamais.

Parry n'avait point quitté son maître, et depuis sa condamnation n'avait point cessé de pleurer.

Charles Stuart, accoudé sur une table, regardait un médaillon sur lequel étaient, près l'un de l'autre, les portraits de sa femme et de sa fille. Il attendait d'abord Juxon; puis après Juxon, le martyre.

Quelquefois sa pensée s'arrêtait sur ces braves gentilshommes français qui déjà lui paraissaient éloignés de cent lieues, fabuleux, chimériques, et pareils à ces figures que l'on voit en rêve et qui disparaissent au réveil.

C'est qu'en effet parfois Charles se demandait si tout ce qui venait de lui arriver n'était pas un rêve ou tout au moins le délire de la fièvre.

À cette pensée, il se levait, faisait quelques pas comme pour sortir de sa torpeur, allait jusqu'à la fenêtre; mais aussitôt au- dessous de la fenêtre il voyait reluire les mousquets des gardes. Alors il était forcé de s'avouer qu'il était bien réveillé et que son rêve sanglant était bien réel.

Charles revenait silencieux à son fauteuil, s'accoudait de nouveau à la table, laissait retomber sa tête sur sa main, et songeait.

– Hélas! disait-il en lui-même, si j'avais au moins pour confesseur une de ces lumières de Église dont l'âme a sondé tous les mystères de la vie, toutes les petitesses de la grandeur, peut-être sa voix étoufferait-elle la voix qui se lamente dans mon âme! Mais j'aurai un prêtre à l'esprit vulgaire, dont j'ai brisé, par mon malheur, la carrière et la fortune. Il me parlera de Dieu et de la mort comme il en a parlé à d'autres mourants, sans comprendre que ce mourant royal laisse un trône à l'usurpateur quand ses enfants n'ont plus de pain.

Puis, approchant le portrait de ses lèvres, il murmurait tour à tour et l'un après l'autre le nom de chacun de ses enfants.

Il faisait, comme nous l'avons dit, une nuit brumeuse et sombre. L'heure sonnait lentement à l'horloge de l'église voisine. Les pâles clartés des deux bougies semaient dans cette grande et haute chambre des fantômes éclairés d'étranges reflets. Ces fantômes c'étaient les aïeux du roi Charles qui se détachaient de leurs cadres d'or; ces reflets c'étaient les dernières lueurs bleuâtres et miroitantes d'un feu de charbon qui s'éteignait.

Une immense tristesse s'empara de Charles. Il ensevelit son front entre ses deux mains, songea au monde si beau lorsqu'on le quitte ou plutôt lorsqu'il nous quitte, aux caresses des enfants si suaves et si douces, surtout quand on est séparé de ses enfants pour ne plus les revoir; puis à sa femme, noble et courageuse créature qui l'avait soutenu jusqu'au dernier moment. Il tira de sa poitrine la croix de diamants et la plaque de la Jarretière qu'elle lui avait envoyées par ces généreux Français, et les baisa; puis, songeant qu'elle ne reverrait ces objets que lorsqu'il serait couché froid et mutilé dans une tombe, il sentit passer en lui un de ces frissons glacés que la mort nous jette comme son premier manteau.

Alors dans cette chambre qui lui rappelait tant de souvenirs royaux, où avaient passé tant de courtisans et tant de flatteries, seul avec un serviteur désolé dont l'âme faible ne pouvait soutenir son âme, le roi laissa tomber son courage au niveau de cette faiblesse, de ces ténèbres, de ce froid d'hiver; et, le dira-t-on, ce roi qui mourut si grand, si sublime, avec le sourire de la résignation sur les lèvres, essuya dans l'ombre une larme qui était tombée sur la table et qui tremblait sur le tapis brodé d'or.

Soudain on entendit des pas dans les corridors, la porte s'ouvrit, des torches emplirent la chambre d'une lumière fumeuse, et un ecclésiastique, revêtu des habits épiscopaux, entra suivi de deux gardes auxquels Charles fit de la main un geste impérieux.

Ces deux gardes se retirèrent; la chambre rentra dans son obscurité.

– Juxon! s'écria Charles, Juxon! Merci, mon dernier ami, vous arrivez à propos.

L'évêque jeta un regard oblique et inquiet sur cet homme qui sanglotait dans l'angle du foyer.

– Allons, Parry, dit le roi, ne pleure plus, voici Dieu qui vient à nous.

– Si c'est Parry, dit l'évêque, je n'ai plus rien à craindre; mais, sire, permettez-moi de saluer Votre Majesté et de lui dire qui je suis et pour quelle chose je viens.

À cette vue, à cette voix, Charles allait s'écrier sans doute, mais Aramis mit un doigt sur ses lèvres, et salua profondément le roi d'Angleterre.

– Le chevalier, murmura Charles.

– Oui, sire, interrompit Aramis en élevant la voix, oui, l'évêque

Juxon, fidèle chevalier du Christ, et qui se rend aux voeux de

Votre Majesté.

Charles joignit les mains; il avait reconnu d'Herblay, il restait stupéfait, anéanti, devant ces hommes qui, étrangers, sans aucun mobile qu'un devoir imposé par leur propre conscience, luttaient ainsi contre la volonté d'un peuple et contre la destinée d'un roi.

– Vous, dit-il, vous! comment êtes-vous parvenu jusqu'ici? Mon

Dieu, s'ils vous reconnaissaient, vous seriez perdu.

Parry était debout, toute sa personne exprimait le sentiment d'une naïve et profonde admiration.

– Ne songez pas à moi, sire, dit Aramis en recommandant toujours du geste le silence au roi, ne songez qu'à vous; vos amis veillent, vous le voyez; ce que nous ferons, je ne sais pas encore; mais quatre hommes déterminés peuvent faire beaucoup. En attendant, ne fermez pas l'oeil de la nuit, ne vous étonnez de lien et attendez-vous à tout.

Charles secoua la tête.

– Ami, dit-il, savez-vous que vous n'avez pas de temps à perdre et que si vous voulez agir, il faut vous presser? Savez-vous que c'est demain à dix heures que je dois mourir?

– Sire, quelque chose se passera d'ici là qui rendra l'exécution impossible.

Le roi regarda Aramis avec étonnement.

En ce moment même il se fit, au-dessous de la fenêtre du roi, un bruit étrange et comme ferait celui d'une charrette de bois qu'on décharge.

– Entendez-vous? dit le roi.

Ce bruit fut suivi d'un cri de douleur.

– J'écoute, dit Aramis, mais je ne comprends pas quel est ce bruit, et surtout ce cri.

– Ce cri, j'ignore qui a pu le pousser, dit le roi, mais ce bruit, je vais vous en rendre compte. Savez-vous que je dois être exécuté en dehors de cette fenêtre? ajouta Charles en étendant la main vers la place sombre et déserte, peuplée seulement de soldats et de sentinelles.

– Oui, sire, dit Aramis, je le sais.

– Eh bien! ces bois qu'on apporte sont les poutres et les charpentes avec lesquelles on va construire mon échafaud. Quelque ouvrier se sera blessé en les déchargeant.

Aramis frissonna malgré lui.

– Vous voyez bien, dit Charles, qu'il est inutile que vous vous obstiniez davantage; je suis condamné, laissez-moi subir mon sort.

– Sire, dit Aramis en reprenant sa tranquillité un instant troublée, ils peuvent bien dresser un échafaud, mais ils ne pourront pas trouver un exécuteur.

– Que voulez-vous dire? demanda le roi.

– Je veux dire qu'à cette heure, sire, le bourreau est enlevé ou séduit; demain, l'échafaud sera prêt, mais le bourreau manquera, on remettra alors l'exécution à après-demain.

– Eh bien? dit le roi.

– Eh bien? dit Aramis, demain dans la nuit nous vous enlevons.

 

– Comment cela? s'écria le roi, dont le visage s'illumina malgré lui d'un éclair de joie.

– Oh! monsieur, murmura Parry les mains jointes, soyez bénis, vous et les vôtres.

– Comment cela? répéta le roi; il faut que je le sache, afin que je vous seconde s'il en est besoin.

– Je n'en sais rien, sire, dit Aramis; mais le plus adroit, le plus brave, le plus dévoué de nous quatre m'a dit en me quittant: «Chevalier, dites au roi que demain à dix heures du soir nous l'enlevons.» Puisqu'il l'a dit, il le fera.

– Dites-moi le nom de ce généreux ami, dit le roi, pour que je lui en garde une reconnaissance éternelle, qu'il réussisse ou non.

– D'Artagnan, sire, le même qui a failli vous sauver quand le colonel Harrison est entré si mal à propos.

– Vous êtes en vérité des hommes merveilleux! dit le roi, et l'on m'eût raconté de pareilles choses que je ne les eusse pas crues.

– Maintenant, sire, reprit Aramis, écoutez-moi. N'oubliez pas un seul instant que nous veillons pour votre salut; le moindre geste, le moindre chant, le moindre signe de ceux qui s'approcheront de vous, épiez tout, écoutez tout, commentez tout.

– Oh! chevalier! s'écria le roi, que puis-je vous dire? aucune parole, vînt-elle du plus profond de mon coeur, n'exprimerait ma reconnaissance. Si vous réussissez, je ne vous dirai pas que vous sauvez un roi; non, vue de l'échafaud comme je la vois, la royauté, je vous le jure, est bien peu de chose; mais vous conserverez un mari à sa femme, un père à ses enfants. Chevalier, touchez ma main, c'est celle d'un ami qui vous aimera jusqu'au dernier soupir.

Aramis voulut baiser la main du roi, mais le roi saisit la sienne et l'appuya contre son coeur.

En ce moment un homme entra sans même frapper à la porte; Aramis voulut retirer sa main, le roi la retint.

Celui qui entrait était un de ces puritains demi-prêtres, demi- soldats, comme il en pullulait près de Cromwell.

– Que voulez-vous, monsieur? lui dit le roi.

– Je désire savoir si la confession de Charles Stuart est terminée, dit le nouveau venu.

– Que vous importe? dit le roi, nous ne sommes pas de la même religion.

– Tous les hommes sont frères, dit le puritain. Un de mes frères va mourir, et je viens l'exhorter à la mort.

– Assez, dit Parry, le roi n'a que faire de vos exhortations.

– Sire, dit tout bas Aramis, ménagez-le, c'est sans doute quelque espion.

– Après le révérend docteur évêque, dit le roi, je vous entendrai avec plaisir, monsieur.

L'homme au regard louche se retira, non sans avoir observé Juxon avec une attention qui n'échappa point au roi.

– Chevalier, dit-il quand la porte fut refermée, je crois que vous aviez raison et que cet homme est venu ici avec des intentions mauvaises; prenez garde en vous retirant qu'il ne vous arrive malheur.

– Sire, dit Aramis, je remercie Votre Majesté; mais qu'elle se tranquillise, sous cette robe j'ai une cotte de mailles et un poignard.

– Allez donc, monsieur, et que Dieu vous ait dans sa sainte garde, comme je disais du temps que j'étais roi.

Aramis sortit; Charles le reconduisit jusqu'au seuil. Aramis lança sa bénédiction, qui fit incliner les gardes, passa majestueusement à travers les antichambres pleines de soldats, remonta dans son carrosse, où le suivirent ses deux gardiens, et se fit ramener à l'évêché, où ils le quittèrent.

Juxon attendait avec anxiété.

– Eh bien? dit-il en apercevant Aramis.

– Eh bien! dit celui-ci, tout a réussi selon mes souhaits; espions, gardes, satellites m'ont pris pour vous, et le roi vous bénit en attendant que vous le bénissiez.

– Dieu vous protège, mon fils, car votre exemple m'a donné à la fois espoir et courage.

Aramis reprit ses habits et son manteau, et sortit en prévenant

Juxon qu'il aurait encore une fois recours à lui.

À peine eut-il fait dix pas dans la rue qu'il s'aperçut qu'il était suivi par un homme enveloppé dans un grand manteau; il mit la main sur son poignard et s'arrêta. L'homme vint droit à lui. C'était Porthos.

– Ce cher ami! dit Aramis en lui tendant la main.

– Vous le voyez, mon cher, dit Porthos, chacun de nous avait sa mission; la mienne était de vous garder, et je vous gardais. Avez- vous vu le roi?

– Oui, et tout va bien. Maintenant, nos amis, où sont-ils?

– Nous avons rendez-vous à onze heures à l'hôtel.

– Il n'y a pas de temps à perdre alors, dit Aramis.

En effet, dix heures et demie sonnaient à l'église Saint-Paul.

Cependant, comme les deux amis firent diligence, ils arrivèrent, les premiers.

Après eux, Athos entra.

– Tout va bien, dit-il avant que ses amis eussent eu le temps de l'interroger.

– Qu'avez-vous fait? dit Aramis.

J'ai loué une petite felouque, étroite comme une pirogue, légère comme une hirondelle; elle nous attend à Greenwich, en face de l'île des Chiens; elle est montée d'un patron et de quatre hommes, qui, moyennant cinquante livres sterling, se tiendront tout à notre disposition trois nuits de suite. Une fois à bord avec le roi, nous profitons de la marée, nous descendons la Tamise, et en deux heures nous sommes en pleine mer. Alors, en vrais pirates, nous suivons les côtes, nous nichons sur les falaises, ou si la mer est libre, nous mettons le cap sur Boulogne. Si j'étais tué, le patron se nomme le capitaine Roger, et la felouque l'Éclair. Avec ces renseignements, vous les retrouverez l'un et l'autre. Un mouchoir noué aux quatre coins est le signe de reconnaissance.

Un instant après, d'Artagnan rentra à son tour.

– Videz vos poches, dit-il, jusqu'à concurrence de cent livres sterling, car, quant aux miennes…

Et d'Artagnan retourna ses poches absolument vides.

La somme fut faite à la seconde; d'Artagnan sortit et rentra un instant après.

– Là! dit-il, c'est fini. Ouf! ce n'est pas sans peine.

– Le bourreau a quitté Londres? demanda Athos.

– Ah bien, oui! ce n'était pas assez sûr, cela. Il pouvait sortir par une porte et rentrer par l'autre.

– Et où est-il? demanda Athos.

– Dans la cave.

– Dans quelle cave?

– Dans la cave de notre hôte! Mousqueton est assis sur le seuil, et voici la clef.

– Bravo! dit Aramis. Mais comment avez-vous décidé cet homme à disparaître?

– Comme on décide tout en ce monde, avec de l'argent; cela m'a coûté cher, mais il y a consenti.

– Et combien cela vous a-t-il coûté, ami? dit Athos; car, vous le comprenez, maintenant que nous ne sommes plus tout à fait de pauvres mousquetaires sans feu ni lieu, toutes dépenses doivent être communes.

– Cela m'a coûté douze mille livres, dit d'Artagnan.

– Et où les avez-vous trouvées? demanda Athos; possédiez-vous donc cette somme?

– Et le fameux diamant de la reine! dit d'Artagnan avec un soupir.

– Ah! c'est vrai, dit Aramis, je l'avais reconnu à votre doigt.

– Vous l'avez donc racheté à M. des Essarts? demanda Porthos.

– Eh! mon Dieu, oui, dit d'Artagnan; mais il est écrit là-haut que je ne pourrai pas le garder. Que voulez-vous! les diamants, à ce qu'il faut croire, ont leurs sympathies et leurs antipathies comme les hommes; il paraît que celui-là me déteste.

– Mais, dit Athos, voilà qui va bien pour le bourreau; malheureusement tout bourreau a son aide, son valet, que sais-je moi.

– Aussi celui-là avait-il le sien; mais nous jouons de bonheur.

– Comment cela?

– Au moment où je croyais que j'allais avoir une seconde affaire à traiter, on a rapporté mon gaillard avec une cuisse cassée. Par excès de zèle, il a accompagné jusque sous les fenêtres du roi la charrette qui portait les poutres et les charpentes; une de ces poutres lui est tombée sur la jambe et la lui a brisée.

– Ah! dit Aramis, c'est donc lui qui a poussé le cri que j'ai entendu de la chambre du roi?

– C'est probable, dit d'Artagnan; mais comme c'est un homme bien pensant, il a promis en se retirant d'envoyer en son lieu et place quatre ouvriers experts et habiles pour aider ceux qui sont déjà à la besogne, et en rentrant chez son patron, tout blessé qu'il était, il a écrit à l'instant même à maître Tom Low, garçon charpentier de ses amis, de se rendre à White-Hall pour accomplir sa promesse. Voici la lettre qu'il envoyait par un exprès qui devait la porter pour dix pence et qui me l'a vendue un louis.

– Et que diable voulez-vous faire de cette lettre? demanda Athos.

– Vous ne devinez pas? dit d'Artagnan avec ses yeux brillants d'intelligence.

– Non, sur mon âme!

– Eh bien! mon cher Athos, vous qui parlez anglais comme John Bull lui-même, vous êtes maître Tom Low, et nous sommes, nous, vos trois compagnons; comprenez-vous maintenant?

Athos poussa un cri de joie et d'admiration, courut à un cabinet, en tira des habits d'ouvrier, que revêtirent aussitôt les quatre amis; après quoi ils sortirent de l'hôtel, Athos portant une scie, Porthos une pince, Aramis une hache, et d'Artagnan un marteau et des clous.

La lettre du valet de l'exécuteur faisait foi près du maître charpentier que c'était bien eux que l'on attendait.

LXX. Les ouvriers

Vers le milieu de la nuit, Charles entendit un grand fracas au- dessous de sa fenêtre: c'étaient des coups de marteau et de hache, des morsures de pince et des cris de scie.

Comme il s'était jeté tout habillé sur son lit et qu'il commençait à s'endormir, ce bruit l'éveilla en sursaut; et comme, outre son retentissement matériel, ce bruit avait un écho moral et terrible dans son âme, les pensées affreuses de la veille vinrent l'assaillir de nouveau. Seul en face des ténèbres et de l'isolement, il n'eut pas la force de soutenir cette nouvelle torture, qui n'était pas dans le programme de son supplice, et il envoya Parry dire à la sentinelle de prier les ouvriers de frapper moins fort et d'avoir pitié du dernier sommeil de celui qui avait été leur roi.

La sentinelle ne voulut point quitter son poste, mais laissa passer Parry.

Arrivé près de la fenêtre, après avoir fait le tour du palais, Parry aperçut de plain-pied avec le balcon, dont on avait descellé la grille, un large échafaud inachevé, mais sur lequel on commençait à clouer une tenture de serge noire.

Cet échafaud, élevé à la hauteur de la fenêtre, c'est-à-dire à près de vingt pieds, avait deux étages inférieurs. Parry, si odieuse que lui fût cette vue, chercha parmi huit ou dix ouvriers qui bâtissaient la sombre machine ceux dont le bruit devait être le plus fatigant pour le roi, et sur le second plancher il aperçut deux hommes qui descellaient à l'aide d'une pince les dernières fiches du balcon de fer; l'un d'eux, véritable colosse, faisait l'office du bélier antique chargé de renverser les murailles. À chaque coup de son instrument la pierre volait en éclats. L'autre, qui se tenait à genoux tirait à lui les pierres ébranlées.

Il était évident que c'étaient ceux-là qui faisaient le bruit dont se plaignait le roi.

Parry monta à l'échelle et vint à eux.

– Mes amis, dit-il, voulez-vous travailler un peu plus doucement, je vous prie? Le roi dort, et il a besoin de sommeil.

L'homme qui frappait avec sa pince arrêta son mouvement et se tourna à demi; mais comme il était debout, Parry ne put voir son visage perdu dans les ténèbres qui s'épaississaient près du plancher.

L'homme qui était à genoux se retourna aussi; et comme, plus bas que son compagnon, il avait le visage éclairé par la lanterne, Parry put le voir.

Cet homme le regarda fixement et porta un doigt à sa bouche.

Parry recula stupéfait.

– C'est bien, c'est bien, dit l'ouvrier en excellent anglais, retourne dire au roi que s'il dort mal cette nuit-ci, il dormira mieux la nuit prochaine.

Ces rudes paroles, qui, en les prenant au pied de la lettre, avaient un sens si terrible, furent accueillies des ouvriers qui travaillaient sur les côtés et à l'étage inférieur avec une explosion d'affreuse joie.

Parry se retira, croyant qu'il faisait un rêve.

Charles l'attendait avec impatience.

Au moment où il rentra, la sentinelle qui veillait à la porte passa curieusement sa tête par l'ouverture pour voir ce que faisait le roi.

Le roi était accoudé sur son lit.

Parry ferma la porte, et, allant au roi le visage rayonnant de joie:

– Sire, dit-il à voix basse, savez-vous quels sont ces ouvriers qui font tant de bruit?

– Non, dit Charles en secouant mélancoliquement la tête; comment veux-tu que je sache cela? est-ce que je connais ces hommes?

– Sire, dit Parry plus bas encore et en se penchant vers le lit de son maître, sire, c'est le comte de La Fère et son compagnon.

 

– Qui dressent mon échafaud? dit le roi étonné.

– Oui, et qui en le dressant font un trou à la muraille.

– Chut! dit le roi en regardant avec terreur autour de lui. Tu les as vus?

– Je leur ai parlé.

Le roi joignit les mains et leva les yeux au ciel; puis, après une courte et fervente prière, il se jeta à bas de son lit et alla à la fenêtre, dont il écarta les rideaux; les sentinelles du balcon y étaient toujours; puis au-delà du balcon s'étendait une sombre plate-forme sur laquelle elles passaient comme des ombres.

Charles ne put rien distinguer, mais il sentit sous ses pieds la commotion des coups que frappaient ses amis. Et chacun de ces coups maintenant lui répondait au coeur.

Parry ne s'était pas trompé, et il avait bien reconnu Athos. C'était lui, en effet, qui, aidé de Porthos, creusait un trou sur lequel devait poser une des charpentes transversales.

Ce trou communiquait dans une espèce de tambour pratiqué sous le plancher même de la chambre royale. Une fois dans ce tambour, qui ressemblait à un entre-sol fort bas, on pouvait, avec une pince et de bonnes épaules, et cela regardait Porthos, faire sauter une lame du parquet; le roi alors se glissait par cette ouverture, regagnait avec ses sauveurs un des compartiments de l'échafaud entièrement recouvert de drap noir, s'affublait à son tour d'un habit d'ouvrier qu'on lui avait préparé, et, sans affectation, sans crainte, il descendait avec les quatre compagnons.

Les sentinelles, sans soupçon, voyant des ouvriers qui venaient de travailler à l'échafaud, laissaient passer.

Comme nous l'avons dit, la felouque était toute prête.

Ce plan était large, simple et facile, comme toutes les choses qui naissent d'une résolution hardie.

Donc Athos déchirait ses belles mains si blanches et si fines à lever les pierres arrachées de leur base par Porthos. Déjà il pouvait passer la tête sous les ornements qui décoraient la crédence du balcon. Deux heures encore, il y passerait tout le corps. Avant le jour, le trou serait achevé et disparaîtrait sous les plis d'une tenture intérieure que poserait d'Artagnan. D'Artagnan s'était fait passer pour un ouvrier français et posait les clous avec la régularité du plus habile tapissier. Aramis coupait l'excédent de la serge, qui pendait jusqu'à terre et derrière laquelle se levait la charpente de l'échafaud.

Le jour parut au sommet des maisons. Un grand feu de tourbe et de charbon avait aidé les ouvriers à passer cette nuit si froide du 29 au 30 janvier; à tout moment les plus acharnés à leur ouvrage s'interrompaient pour aller se réchauffer. Athos et Porthos seuls n'avaient point quitté leur oeuvre. Aussi, aux premières lueurs du matin, le trou était-il achevé. Athos y entra, emportant avec lui les habits destinés au roi, enveloppés dans un coupon de serge noire. Porthos lui passa une pince; et d'Artagnan cloua, luxe bien grand mais fort utile, une tenture de serge intérieure, derrière laquelle le trou et celui qu'il cachait disparurent.

Athos n'avait plus que deux heures de travail pour pouvoir communiquer avec le roi; et, selon la prévision des quatre amis, ils avaient toute la journée devant eux, puisque, le bourreau manquant, on serait forcé d'aller chercher celui de Bristol.

D'Artagnan alla reprendre son habit marron, et Porthos son pourpoint rouge; quant à Aramis, il se rendit chez Juxon, afin de pénétrer, s'il était possible, avec lui jusqu'auprès du roi.

Tous trois avaient rendez-vous à midi sur la place de White-Hall pour voir ce qui s'y passerait.

Avant de quitter l'échafaud, Aramis s'était approché de l'ouverture où était caché Athos, afin de lui annoncer qu'il allait tâcher de revoir Charles.

– Adieu donc et bon courage, dit Athos; rapportez au roi où en sont les choses; dites-lui que lorsqu'il sera seul il frappe au parquet, afin que je puisse continuer sûrement ma besogne. Si Parry pouvait m'aider en détachant d'avance la plaque inférieure de la cheminée, qui sans doute est une dalle de marbre, ce serait autant de fait. Vous, Aramis, tâchez de ne pas quitter le roi. Parlez haut, très haut, car on vous écoutera de la porte. S'il y a une sentinelle dans l'intérieur de l'appartement, tuez-la sans marchander; s'il y en a deux, que Parry en tue une et vous l'autre; s'il y en a trois, faites-vous tuer, mais sauvez le roi.

– Soyez tranquille, dit Aramis, je prendrai deux poignards, afin d'en donner un à Parry. Est-ce tout?

– Oui, allez; mais recommandez bien au roi de ne pas faire de fausse générosité. Pendant que vous vous battrez, s'il y a combat, qu'il fuie; la plaque une fois replacée sur sa tête, vous, mort ou vivant sur cette plaque, on sera dix minutes au moins à retrouver le trou par lequel il aura fui. Pendant ces dix minutes nous aurons fait du chemin et le roi sera sauvé.

– Il sera fait comme vous le dites, Athos. Votre main, car peut- être ne nous reverrons-nous plus.

Athos passa ses bras autour du cou d'Aramis et l'embrassa:

– Pour vous, dit-il. Maintenant, si je meurs, dites à d'Artagnan que je l'aime comme un enfant, et embrassez-le pour moi. Embrassez aussi notre bon et brave Porthos. Adieu.

– Adieu, dit Aramis. Je suis aussi sûr maintenant que le roi se sauvera que je suis sûr de tenir et de serrer la plus loyale main qui soit au monde.

Aramis quitta Athos, descendit de l'échafaud à son tour et regagna l'hôtel en sifflotant l'air d'une chanson à la louange de Cromwell. Il trouva ses deux autres amis attablés près d'un bon feu, buvant une bouteille de vin de Porto et dévorant un poulet froid. Porthos mangeait, tout en maugréant force injures sur ces infâmes parlementaires; d'Artagnan mangeait en silence, mais en bâtissant dans sa pensée les plans les plus audacieux.

Aramis lui conta tout ce qui était convenu; d'Artagnan approuva de la tête et Porthos de la voix.

– Bravo! dit-il; d'ailleurs nous serons là au moment de sa fuite: on est très bien caché sous cet échafaud, et nous pouvons nous y tenir. Entre d'Artagnan, moi, Grimaud et Mousqueton, nous en tuerons bien huit: je ne parle pas de Blaisois, il n'est bon qu'à garder les chevaux. À deux minutes par homme, c'est quatre minutes; Mousqueton en perdra une, c'est cinq, pendant ces cinq minutes-là vous pouvez avoir fait un quart de lieue.

Aramis mangea rapidement un morceau, but un verre de vin et changea d'habits.

– Maintenant, dit-il, je, me rends chez Sa Grandeur. Chargez-vous de préparer les armes, Porthos; surveillez bien votre bourreau, d'Artagnan.

– Soyez tranquille, Grimaud a relevé Mousqueton, et il a le pied dessus.

– N'importe, redoublez de surveillance et ne demeurez pas un instant inactif.

– Inactif! Mon cher, demandez à Porthos: je ne vis pas, je suis sans cesse sur mes jambes, j'ai l'air d'un danseur. Mordioux! que j'aime la France en ce moment, et qu'il est bon d'avoir une patrie à soi, quand on est si mal dans celle des autres.

Aramis les quitta comme il avait quitté Athos, c'est-à-dire en les embrassant; puis il se rendit chez l'évêque Juxon, auquel il transmit sa requête. Juxon consentit d'autant plus facilement à emmener Aramis, qu'il avait déjà prévenu qu'il aurait besoin d'un prêtre, au cas certain où le roi voudrait communier, et surtout au cas probable où le roi désirerait entendre une messe.

Vêtu comme Aramis l'était la veille, l'évêque monta dans sa voiture. Aramis, plus déguisé encore par sa pâleur et sa tristesse que par son costume de diacre, monta près de lui. La voiture s'arrêta à la porte de White-Hall; il était neuf heures du matin à peu près. Rien ne semblait changé; les antichambres et les corridors, comme la veille, étaient pleins de gardes. Deux sentinelles veillaient à la porte du roi, deux autres se promenaient devant le balcon sur la plate-forme de l'échafaud, où le billot était déjà posé.

Le roi était plein d'espérance; en revoyant Aramis, cette espérance se changea en joie. Il embrassa Juxon, il serra la main d'Aramis. L'évêque affecta de parler haut et devant tout le monde de leur entrevue de la veille. Le roi lui répondit que les paroles qu'il lui avait dites dans cette entrevue avaient porté leur fruit, et qu'il désirait encore un entretien pareil. Juxon se retourna vers les assistants et les pria de le laisser seul avec le roi. Tout le monde se retira.

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