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Moll Flanders

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PRÉFACE DU TRADUCTEUR

La fortune littéraire de Robinson Crusoé a été si prodigieuse que le nom de l'auteur, aux yeux du public, a presque disparu sous sa gloire. Si Daniel de Foë avait eu la précaution de faire suivre sa signature du titre qu'il avait à la célébrité, la Peste de Londres, Roxana, le Colonel Jacques, le Capitaine Singleton et Moll Flanders auraient fait leur chemin dans le monde. Mais il n'en a pas été ainsi. Pareille aventure était arrivée à Cervantes, après avoir écrit Don Quichotte. Car on ne lut guère ses admirables nouvelles, son théâtre, sans compter Galathée et Persiles y Sigismunde.

Cervantes et Daniel de Foë ne composèrent leurs grandes œuvres qu'après avoir dépassé l'âge mûr. Tous deux avaient mené auparavant une vie très active: Cervantes, longtemps prisonnier, ayant vu les hommes et les choses, la guerre et la paix, mutilé d'une main. De Foë, prisonnier aussi à Newgate, exposé au pilori, mêlé au brassage des affaires politiques au milieu d'une révolution; l'un et l'autre harcelés par des ennuis d'argent, l'un par des dettes, l'autre par des faillites successives; l'un et l'autre énergiques, résistants, doués d'une extraordinaire force de travail. Et, ainsi que Don Quichotte contient l'histoire idéale de Cervantes transposée dans la fiction, Robinson Crusoé est l'histoire de Daniel de Foë au milieu des difficultés de la vie.

C'est de Foë lui-même qui l'a déclaré dans la préface au troisième volume de Robinson: Sérieuses réflexions durant la vie et les surprenantes aventures de Robinson Crusoé. «Ce roman, écrit de Foë, bien qu'allégorique est aussi historique. De plus, il existe un homme bien connu dont la vie et les actions forment le sujet de ce volume, et auquel presque toutes les parties de l'histoire font directement allusion. Ceci est la pure vérité… Il n'y a pas une circonstance de l'histoire imaginaire qui ne soit calquée sur l'histoire réelle… C'est l'exposition d'une scène entière de vie réelle durant vingt-huit années passées dans les circonstances les plus errantes, affligeantes et désolées que jamais homme ait traversées; et où j'ai vécu si longtemps d'une vie d'étranges merveilles, parmi de continuelles tempêtes; où je me suis battu avec la pire espèce de sauvages et de cannibales, en d'innombrables et surprenants incidents; où j'ai été nourri par des miracles plus grands que celui des corbeaux; où j'ai souffert toute manière de violences et d'oppressions, d'injures, de reproches, de mépris des humains, d'attaques de démons, de corrections du ciel et d'oppositions sur terre…» Puis, traitant de la représentation fictive de l'emprisonnement forcé de Robinson dans son île, de Foë ajoute: «Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d'emprisonnement par une autre, que de représenter n'importe quelle chose qui existe réellement par une autre qui n'existe pas. Si j'avais adopté la façon ordinaire d'écrire l'histoire privée d'un homme, en vous exposant la conduite ou la vie que vous connaissiez, et sur les malheurs ou défaillances de laquelle vous aviez parfois injustement triomphé, tout ce que j'aurais dit ne vous aurait donné aucune diversion, aurait obtenu à peine l'honneur d'une lecture, ou mieux point d'attention.»

Nous devons donc considérer Robinson Crusoé comme une allégorie, un symbole (emblem) qui enveloppe un livre dont le fond eût été peut-être assez analogue aux Mémoires de Beaumarchais, mais que de Foë ne voulut pas écrire directement. Tous les autres romans de de Foë doivent être semblablement interprétés. Ayant réduit sa propre vie par la pensée à la simplicité absolue afin de la représenter en art, il transforma plusieurs fois les symboles et les appliqua à diverses sortes d'êtres humains. C'est l'existence matérielle de l'homme, et sa difficulté, qui a le plus puissamment frappé l'esprit de de Foë. Il y avait de bonnes raisons pour cela. Et ainsi que lui-même a lutté, solitaire, pour obtenir une petite aisance et une protection contre les intempéries du monde, ses héros et héroïnes sont des solitaires qui essayent de vivre en dépit de la nature et des hommes.

Robinson, jeté sur une île déserte, arrache à la terre ce qu'il lui faut pour manger son pain quotidien; le pauvre Jacques, né parmi des voleurs, vit à sa manière pour l'amour seul de l'existence, et sans rien posséder, tremblant seulement le jour où il a trouvé une bourse pleine d'or; Bob Singleton, le petit pirate, abandonné sur mer, conquiert de ses seules mains son droit à vivre avec des moyens criminels; la courtisane Roxana parvient péniblement, après une vie honteuse, à obtenir le respect de gens qui ignorent son passé; le malheureux sellier, resté à Londres au milieu de la peste, arrange sa vie et se protège du mieux qu'il peut en dépit de l'affreuse épidémie; enfin Moll Flanders, après une vie de prostitution de calcul, ruinée, ayant quarante-huit ans déjà, et ne pouvant plus trafiquer de rien, aussi solitaire au milieu de la populeuse cité de Londres qu'Alexandre Selkirk dans l'île de Juan-Hernandez, se fait voleuse isolée pour manger à sa faim, et chaque vol successif semblant l'accroissement de bien-être que Robinson découvre dans ses travaux, parvient dans un âge reculé, malgré l'emprisonnement et la déportation, à une sorte de sécurité.

Les «Heurs et Malheurs de la Fameuse Moll Flanders, etc., qui naquit à Newgate, et, durant une vie continuellement variée de trois fois vingt ans, outre son enfance, fut douze ans prostituée, cinq fois mariée (dont l'une à son propre frère), douze ans voleuse, huit ans félonne déportée en Virginie, finalement devint riche, vécut honnête, et mourut repentante; écrits d'après ces propres mémoires», ils parurent le 27 Janvier 1722.

De Foë avait soixante et un ans. Trois ans auparavant, il avait débuté dans le roman par Robinson Crusoé. En juin 1720, il avait publié le Capitaine Singleton. Moins de deux mois après Moll Flanders (17 mars 1722), il donnait un nouveau chef-d'œuvre, le Journal de la peste de Londres, son deux cent treizième ouvrage (on en connaît deux cent cinquante-quatre) depuis 1687.

Les biographes de de Foë ignorent quelle fut l'origine du roman Moll Flanders. Sans doute l'idée lui en vint pendant son emprisonnement d'un an et demi à Newgate en 1704. On en est réduit, pour expliquer le nom de l'héroïne, à noter cette coïncidence: dans le Post-Boy du 9 janvier 1722, et aux numéros précédents, figure, l'annonce des livres en vente chez John Darby, et entre autres l'Histoire des Flandres avec une carte par Moll.

D'autre part, M. William Lee a retrouvé dans Applebee's Journal, dont de Foë était le principal rédacteur, une lettre signée Moll, écrite de la Foire aux Chiffons, à la date du 16 juillet 1720. Cette femme est supposée s'adresser à de Foë pour lui demander conseil. Elle s'exprime dans un singulier mélange de slang et d'anglais. Elle a été voleuse et déportée. Mais, ayant amassé un peu d'argent, elle a trouvé le moyen de revenir en Angleterre où elle est en rupture de ban. Le malheur veut qu'elle ait rencontré un ancien camarade. «Il me salue publiquement dans la rue, avec un cri prolongé: – Ô excellente Moll, es-tu donc sortie de la tombe? n'étais-tu pas déportée? – Tais-toi Jack, dis-je, pour l'amour de Dieu! quoi, veux-tu donc me perdre? – Moi? dit-il, allons coquine, donne-moi une pièce de douze, ou je cours te dénoncer sur-le-champ… J'ai été forcée de céder et le misérable va me traiter comme une vache à lait tout le reste de mes jours.»Ainsi, dès le mois de juillet 1720, de Foë se préoccupait du cas matériel et moral d'une voleuse en rupture de ban, exposée au chantage, et imaginait de le faire raconter par Moll elle-même.

Mais ceux qui ont étudié de Foë ne semblent pas avoir attaché assez d'importance à un fait bien significatif. De Foë explique, dans sa préface, qu'il se borne à publier un manuscrit de Mémoires corrigé et un peu expurgé. «Nous ne pouvons dire que cette histoire contienne la fin de la vie de cette fameuse Moll Flanders, car personne ne saurait écrire sa propre vie jusqu'à la fin, à moins de l'écrire après la mort; mais la vie de son mari, écrite par une troisième main, expose en détail comment ils vécurent ensemble en Amérique, puis revinrent tous deux en Angleterre, au bout de huit ans, étant devenus très riches, où elle vécut, dit-on, jusqu'à un âge très avancé, mais ne parut point extraordinairement repentante, sauf qu'en vérité elle parlait toujours avec répugnance de sa vie d'autrefois.» Et de Foë termine le livre par cette mention: Écrit en 1683.

C'est ainsi que, pour le Journal de la Peste, de Foë a tenu à indiquer, par une note, l'endroit où est enterré l'auteur, qu'il supposait mort depuis longtemps. En effet, de Foë avait quatre ans au moment de l'épidémie (1665), et il n'en écrivit le Journal qu'en 1722 – cinquante-sept ans plus tard. – Mais il voulait que l'on considérât son œuvre comme les notes d'un témoin. Il paraîtrait y avoir eu moins de nécessité de dater les mémoires de Moll Flanders en reculant l'année jusqu'en 1683, si toutefois l'existence d'une véritable Moll, vers cette époque, ne venait pas appuyer la fiction de Foë.

Or, une certaine Mary Frith, ou Moll la Coupeuse de bourses, resta célèbre au moins jusqu'en 1668. Elle mourut extrêmement âgée. Elle avait connu les contemporains de Shakespeare, peut-être Shakespeare lui-même. Voici ce qu'en rapporte Granger (Supplément à l'histoire biographique, p. 256):

«Mary Frith, ou Moll la Coupeuse de bourses, nom sous lequel on la désignait généralement, était une femme d'esprit masculin qui commit, soit en personne, soit comme complice, presque tous les crimes et folies notoires chez les pires excentriques des deux sexes. Elle fut infâme comme prostituée et proxénète, diseuse de bonne aventure, pickpocket, voleuse et receleuse; elle fut aussi la complice d'un adroit faussaire. Son exploit le plus signalé fut de dépouiller le général Fairfax sur la bruyère de Hounslow, ce qui la fit envoyer à la prison de Newgate; mais grâce à une forte somme d'argent, elle fut remise en liberté. Elle mourut d'hydropisie, à l'âge de soixante-quinze ans, mais serait probablement morte auparavant, si elle n'avait eu l'habitude de fumer du tabac depuis de longues années.»

 

M. Dodsley (Old Plays, vol. VI) a copié la note suivante dans un manuscrit du British Muséum:

«Mme Mary Friths, alias Moll la Coupeuse de bourses, née dans Barbican, fille d'un cordonnier, mourut en sa maison de Fleet Street, près de la Taverne du Globe, le 26 juillet 1659, et fut enterrée à l'église de Sainte-Brigitte. Elle laissa par testament vingt livres à l'effet de faire couler du vin par les conduites d'eau lors du retour de Charles II, qui survint peu après.»

M. Steevens, dans ses commentaires sur Shakespeare (Twelfth Night, A. I, Sc. III) note, sur les registres de la Stationer's Company, pour août 1610, l'entrée «d'un livre nommé les Folies de la joyeuse Moll de Bankside, avec ses promenades en vêtements d'homme et leur explication, par John Day».

En 1611, Thomas Middleton et Dekkar écrivirent sur Moll leur célèbre comédie The Roaring Girl ou Moll la coupeuse de bourses… Le frontispice la représente vêtue en homme, l'œil oblique, la bouche tordue, avec ces mots en légende:

«Mon cas est changé: il faut que je travaille pour vivre.»

Nathaniel Field la cite, en 1639, dans sa comédie Amends fort Ladies. Sa vie fut publiée en in-12, en 1662, avec son portrait en habits d'homme: elle a près d'elle un singe, un lion et un aigle. Dans la pièce du Faux Astrologue (1668), on la mentionne comme morte.

Ainsi John Day, Nathaniel Field, Thomas Middleton, Thomas Dekkar, compagnons de Shakespeare, firent des pièces sur Moll dès 1610 jusqu'en 1659. Il paraît qu'elle vivait encore lorsqu'on publia sa vie en 1662. Toujours est-il qu'elle resta longtemps célèbre. Le capitaine Hohnson place sa biographie parmi celles des grands voleurs dans son Histoire générale des Assassins, Voleurs et Pirates, etc. (1736) ce qui indique la persistance d'une tradition. Ceux qui donnèrent à Daniel de Foë de si précis détails sur la peste de 1665 durent lui raconter mainte histoire sur l'extraordinaire vie de cette vieille femme, morte riche, après une existence infâme, à soixante-quinze ans. Le frontispice de la pièce de Middleton, avec sa légende, s'appliquerait à Moll Flanders. De Foë insiste dans son livre sur les vêtements d'homme que porte Moll. Ce n'est certes pas là un trait ordinaire. Il a dû voir aussi dans sa jeunesse les nombreuses pièces de théâtre où figurait ce personnage populaire. Le livre de colportage contenant l'histoire de la vie de Moll la Coupeuse de bourses a certainement été feuilleté par lui. Il la fait nommer avec admiration par Moll Flanders. Enfin, la preuve même de l'identité de Mary Frith avec Moll Flanders, c'est la date de 1683 que de Foë assigne aux prétendus Mémoires complétés par une troisième main. La tradition lui permettait de croire que la vieille Mary Frith avait vécu jusqu'aux environs de cette année. Nous n'avons aucune preuve formelle de la date précise de sa mort.

La vie de Mary Frith a donc joué pour Moll Flanders le même rôle que la relation d'Alexandre Selkirk pour Robinson Crusoé. C'est l'embryon réel que de Foë a fait germer en fiction. C'est le point de départ d'un développement qui a une portée bien plus haute. Mais il était nécessaire de montrer que l'imagination de Daniel de Foë construit le plus puissamment sur des réalités, car Daniel de Foë est un écrivain extrêmement réaliste. Si un livre peut être comparé à Moll Flanders, c'est Germinie Lacerteux; mais Moll Flanders n'agit que par passion de vivre, tandis que MM. de Goncourt ont analysé d'autres mobiles chez Germinie. Ici, il semble qu'on entende retentir à chaque page les paroles de la prière: «Mon Dieu, donnez-nous notre pain quotidien!» Par ce seul aiguillon Moll Flanders est excitée au vice, puis au vol, et peu à peu le vol, qui a été terriblement conscient au début, dégénère en habitude, et Moll Flanders vole pour voler.

Et ce n'est pas seulement dans Moll Flanders qu'on entend la prière de la faim. Les livres de Daniel de Foë ne sont que le développement des deux supplications de l'humanité: «Mon Dieu, donnez-nous notre pain quotidien; – mon Dieu, préservez-nous de la tentation!» Ce furent les paroles qui hantèrent sa vie et son imagination, jusqu'à la dernière lettre qu'il écrivit pour sa fille et pour son gendre quelques jours avant sa mort.

Je ne veux point parler ici de la puissance artistique de Daniel de Foë. Il suffira de lire et d'admirer la vérité nue des sentiments et des actions. Ceux qui n'aiment pas seulement Robinson comme le livre de leur enfance trouveront dans Moll Flanders les mêmes plaisirs et les mêmes terreurs.

Georges Borrow raconte dans Lavengro qu'il rencontra sur le pont de Londres une vieille femme qui ne lisait qu'un livre. Elle ne voulait le vendre à aucun prix. Elle y trouvait tout son amusement et toute sa consolation. C'était un ancien livre aux pages usées, Borrow en lut quelques lignes: aussitôt il reconnut l'air, le style, l'esprit de l'écrivain du livre où d'abord il avait appris à lire. Il couvrit son visage de ses mains, et pensa à son enfance… Ce livre de la vieille femme était Moll Flanders.

Il me reste à dire quelques mots de ma traduction. Je sens qu'elle est bien imparfaite, mais elle a au moins un mérite: partout où cela a été possible, les phrases ont conservé le mouvement et les coupures de la prose de de Foë. J'ai respecté la couleur du style autant que j'ai pu. Les nonchalances de langage et les redites exquises de la narratrice ont été rendues avec le plus grand soin. Enfin j'ai essayé de mettre sous les yeux du lecteur français l'œuvre même de Daniel de Foë.

Marcel Schwob.

MOLL FLANDERS

Mon véritable nom est si bien connu dans les archives ou registres des prisons de Newgate et de Old Bailey et certaines choses de telle importance en dépendent encore, qui sont relatives à ma conduite particulière, qu'il ne faut pas attendre que je fasse mention ici de mon nom ou de l'origine de ma famille; peut-être après ma mort ceci sera mieux connu; à présent il n'y aurait nulle convenance, non, quand même on donnerait pleine et entière rémission, sans exception de personnes ou de crimes.

Il suffira de vous dire que certaines de mes pires camarades, hors d'état de me faire du mal, car elles sont sorties de ce monde par le chemin de l'échelle et de la corde que moi-même j'ai souvent pensé prendre, m'ayant connue par le nom de Moll Flanders, vous me permettrez de passer sous ce nom jusqu'à ce que j'ose avouer tout ensemble qui j'ai été et qui je suis.

On m'a dit que dans une nation voisine, soit en France, soit ailleurs, je n'en sais rien, il y a un ordre du roi, lorsqu'un criminel est condamné ou à mourir ou aux galères ou à être déporté, et qu'il laisse des enfants (qui sont d'ordinaire sans ressource par la confiscation des biens de leurs parents), pour que ces enfants soient immédiatement placés sous la direction du gouvernement et transportés dans un hôpital qu'on nomme Maison des Orphelins, où ils sont élevés, vêtus, nourris, instruits, et au temps de leur sortie entrent en apprentissage ou en service, tellement qu'ils sont capables de gagner leur vie par une conduite honnête et industrieuse.

Si telle eût été la coutume de notre pays, je n'aurais pas été laissée, pauvre fille désolée, sans amis, sans vêtements, sans aide, sans personne pour m'aider, comme fut mon sort; par quoi je fus non seulement exposée à de très grandes détresses, même avant de pouvoir ou comprendre ma situation ou l'amender, mais encore jetée à une vie scandaleuse en elle-même, et qui par son ordinaire cours amène la destruction de l'âme et du corps.

Mais ici le cas fut différent. Ma mère fut convaincue de félonie pour un petit vol à peine digne d'être rapporté: elle avait emprunté trois pièces de fine Hollande à un certain drapier dans Cheapside; les détails en sont trop longs à répéter, et je les ai entendus raconter de tant de façons que je puis à peine dire quel est le récit exact.

Quoiqu'il en soit, ils s'accordent tous en ceci, que ma mère plaida son ventre, qu'on la trouva grosse, et qu'elle eut sept mois de répit; après quoi on la saisit (comme ils disent) du premier jugement; mais elle obtint ensuite la faveur d'être déportée aux plantations, et me laissa, n'étant pas âgée de la moitié d'un an, et en mauvaises mains, comme vous pouvez croire.

Ceci est trop près des premières heures de ma vie pour que je puisse raconter aucune chose de moi, sinon par ouï-dire; il suffira de mentionner que je naquis dans un si malheureux endroit qu'il n'y avait point de paroisse pour y avoir recours afin de me nourrir dans ma petite enfance, et je ne peux pas expliquer le moins du monde comment on me fit vivre; si ce n'est qu'une parente de ma mère (ainsi qu'on me l'a dit) m'emmena avec elle, mais aux frais de qui, ou par l'ordre de qui, c'est ce dont je ne sais rien.

La première chose dont je puisse me souvenir, ou que j'aie pu jamais apprendre sur moi, c'est que j'arrivai à être mêlée dans une bande de ces gens qu'on nomme Bohémiens ou Égyptiens; mais je pense que je restai bien peu de temps parmi eux, car ils ne décolorèrent point ma peau, comme ils le font à tous les enfants qu'ils emmènent, et je ne puis dire comment je vins parmi eux ni comment je les quittai.

Ce fut à Colchester, en Essex, que ces gens m'abandonnèrent; et j'ai dans la tête la notion que c'est moi qui les abandonnai (c'est-à-dire que je me cachai et ne voulus pas aller plus loin avec eux), mais je ne saurais rien affirmer là-dessus. Je me rappelle seulement qu'ayant été prise par des officiers de la paroisse de Colchester, je leur répondis que j'étais venue en ville avec les Égyptiens, mais que je ne voulais pas aller plus loin avec eux, et qu'ainsi ils m'avaient laissée; mais où ils étaient allés, voilà ce que je ne savais pas; car, ayant envoyé des gens par le pays pour s'enquérir, il paraît qu'on ne put les trouver.

J'étais maintenant en point d'être pourvue; car bien que je ne fusse pas légalement à la charge de la paroisse pour telle au telle partie de la ville, pourtant, dès qu'on connut ma situation et qu'on sut que j'étais trop jeune pour travailler, n'ayant pas plus de trois ans d'âge, la pitié émut les magistrats de la ville, et ils décidèrent de me prendre sous leur garde, et je devins à eux tout comme si je fusse née dans la cité.

Dans la provision qu'ils firent pour moi, j'eus la chance d'être mise en nourrice, comme ils disent, chez une bonne femme qui était pauvre, en vérité, mais qui avait connu de meilleurs jours, et qui gagnait petitement sa vie en élevant des enfants tels qu'on me supposait être, et en les entretenant en toutes choses nécessaires jusqu'à l'âge où l'on pensait qu'ils pourraient entrer en service ou gagner leur propre pain.

Cette bonne femme avait aussi une petite école qu'elle tenait pour enseigner aux enfants à lire et à coudre; et ayant, comme j'ai dit, autrefois vécu en bonne façon, elle élevait les enfants avec beaucoup d'art autant qu'avec beaucoup de soin.

Mais, ce qui valait tout le reste, elle les élevait très religieusement aussi, étant elle-même une femme bien sobre et pieuse, secondement bonne ménagère et propre, et troisièmement de façons et mœurs honnêtes. Si bien qu'à ne point parler de la nourriture commune, du rude logement et des vêtements grossiers, nous étions élevés aussi civilement qu'à la classe d'un maître de danse.

Je continuai là jusqu'à l'âge de huit ans, quand je fus terrifiée par la nouvelle que les magistrats (je crois qu'on les nommait ainsi) avaient donné l'ordre de me mettre en service; je ne pouvais faire que bien peu de chose, où qu'on m'envoyât, sinon aller en course, ou servir de souillon à quelque fille de cuisine; et comme on me le répétait souvent, j'en pris une grande frayeur; car j'avais une extrême aversion à entrer en service, comme ils disaient, bien que je fusse si jeune; et je dis à ma nourrice que je croyais pouvoir gagner ma vie sans entrer en service, si elle voulait bien me le permettre; car elle m'avait appris à travailler de mon aiguille et à filer de la grosse laine, qui est la principale industrie de cette ville, et je lui dis que si elle voulait bien me garder, je travaillerais bien fort.

 

Je lui parlais presque chaque jour de travailler bien fort et, en somme, je ne faisais que travailler et pleurer tout le temps, ce qui affligea tellement l'excellente bonne femme qu'enfin elle se mit à s'inquiéter de moi: car elle m'aimait beaucoup.

Là-dessus, un jour, comme elle entrait dans la chambre où tous les pauvres enfants étaient au travail, elle s'assit juste en face de moi; non pas à sa place habituelle de maîtresse mais comme si elle se disposait à dessein pour m'observer et me regarder travailler; j'étais en train de faire un ouvrage auquel elle m'avait mise, et je me souviens que c'était à marquer des chemises; et après un temps elle commença de me parler:

– Petite sotte, dit-elle, tu es toujours à pleurer (et je pleurais alors), dis-moi pourquoi tu pleures.

– Parce qu'ils vont m'emmener, dis-je, et me mettre en service, et je ne peux pas faire le travail de ménage.

– Eh bien, mon enfant, dit-elle, il est possible que tu ne puisses pas faire le travail de ménage, mais tu l'apprendras plus tard, et on ne te mettra pas au gros ouvrage tout de suite.

– Si, on m'y mettra, dis-je, et si je ne peux pas le faire, on me battra, et les servantes me battront pour me faire faire le gros ouvrage, et je ne suis qu'une petite fille, et je ne peux pas le faire!

Et je me remis à pleurer jusqu'à ne plus pouvoir parler.

Ceci émut ma bonne nourrice maternelle; si bien qu'elle résolut que je n'entrerais pas encore en condition; et elle me dit de ne pas pleurer, et qu'elle parlerait à M. le maire et que je n'entrerais en service que quand je serais plus grande.

Eh bien, ceci ne me satisfit pas; car la seule idée d'entrer en condition était pour moi une chose si terrible que si elle m'avait assuré que je n'y entrerais pas avant l'âge de vingt ans, cela aurait été entièrement pareil pour moi; j'aurais pleuré tout le temps, rien qu'à l'appréhension que la chose finirait par arriver.

Quand elle vit que je n'étais pas apaisée, elle se mit en colère avec moi:

– Et que veux-tu donc de plus, dit-elle, puisque je te dis que tu n'entreras en service que quand tu seras plus grande?

– Oui, dis-je, mais il faudra tout de même que j'y entre, à la fin.

– Mais quoi, dit-elle, est-ce que cette fille est folle? Quoi, tu veux donc être une dame de qualité?

– Oui, dis-je, et je pleurai de tout mon cœur, jusqu'à éclater encore en sanglots.

Ceci fit rire la vieille demoiselle, comme vous pouvez bien penser.

– Eh bien, madame, en vérité, dit-elle, en se moquant de moi, vous voulez donc être une dame de qualité, et comment ferez-vous pour devenir dame de qualité? est-ce avec le bout de vos doigts?

– Oui, dis-je encore innocemment.

– Mais voyons, qu'est-ce que tu peux gagner, dit-elle; qu'est-ce que tu peux gagner par jour en travaillant?

– Six sous, dis-je, quand je file, et huit sous quand je couds du gros linge.

– Hélas! pauvre dame de qualité, dit-elle encore en riant, cela ne te mènera pas loin.

– Cela me suffira, dis-je, si vous voulez bien me laisser vivre avec vous.

Et je parlais d'un si pauvre ton suppliant que j'étreignis le cœur de la bonne femme, comme elle me dit plus tard.

– Mais, dit-elle, cela ne suffira pas à te nourrir et à t'acheter des vêtements; et qui donc achètera des robes pour la petite dame de qualité? dit-elle.

Et elle me souriait tout le temps.

– Alors je travaillerai plus dur, dis-je, et je vous donnerai tout l'argent.

– Mais, mon pauvre enfant, cela ne suffira pas, dit-elle; il y aura à peine de quoi te fournir d'aliments.

– Alors vous ne me donnerez pas d'aliments, dis-je encore, innocemment; mais vous me laisserez vivre avec vous.

– Et tu pourras vivre sans aliments? dit-elle.

– Oui, dis-je encore, comme un enfant, vous pouvez bien penser, et je pleurai encore de tout mon cœur.

Je n'avais aucun calcul en tout ceci; vous pouvez facilement voir que tout était de nature; mais c'était joint à tant d'innocence et à tant de passion qu'en somme la bonne créature maternelle se mit à pleurer aussi, et enfin sanglota aussi fort que moi, et me prit et me mena hors de la salle d'école: «Viens, dit-elle, tu n'iras pas en service, tu vivras avec moi»; et ceci me consola pour le moment.

Là-dessus, elle alla faire visite au maire, mon affaire vint dans la conversation, et ma bonne nourrice raconta à M. le maire toute l'histoire; il en fut si charmé qu'il alla appeler sa femme et ses deux filles pour l'entendre, et ils s'en amusèrent assez entre eux, comme vous pouvez bien penser.

Enfin, une semaine ne s'était pas écoulée, que voici tout à coup madame la femme du maire et ses deux filles qui arrivent à la maison pour voir ma vieille nourrice, et visiter son école et les enfants. Après qu'elles les eurent regardés un peu de temps:

– Eh bien, madame, dit la femme du maire à ma nourrice, et quelle est donc, je vous prie, la petite fille qui veut être dame de qualité?

Je l'entendis et je fus affreusement effrayée, quoique sans savoir pourquoi non plus; mais madame la femme du maire vient jusqu'à moi:

– Eh bien, mademoiselle, dit-elle, et quel ouvrage faites-vous en ce moment?

Le mot mademoiselle était un langage qu'on n'avait guère entendu parler dans notre école, et je m'étonnai de quel triste nom elle m'appelait; néanmoins je me levai, fis une révérence, et elle me prit mon ouvrage dans les mains, le regarda, et dit que c'était très bien; puis elle regarda une de mes mains:

– Ma foi, dit-elle, elle pourra devenir dame de qualité, après tout; elle a une main de dame, je vous assure.

Ceci me fit un immense plaisir; mais madame la femme du maire ne s'en tint pas là, mais elle mit sa main dans sa poche et me donna un shilling, et me recommanda d'être bien attentive à mon ouvrage et d'apprendre à bien travailler, et peut-être je pourrais devenir une dame de qualité, après tout.

Et tout ce temps ma bonne vieille nourrice, et madame la femme du maire et tous les autres gens, ne me comprenaient nullement: car eux voulaient dire une sorte de chose par le mot dame de qualité et moi j'en voulais dire une toute différente; car hélas! tout ce que je comprenais en disant dame de qualité, c'est que je pourrais travailler pour moi et gagner assez pour vivre sans entrer en service; tandis que pour eux cela signifiait vivre dans une grande et haute position et je ne sais quoi.

Eh bien, après que madame la femme du maire fut partie, ses deux filles arrivèrent et demandèrent aussi à voir la dame de qualité, et elles me parlèrent longtemps, et je leur répondis à ma guise innocente; mais toujours lorsqu'elles me demandaient si j'avais résolu de devenir une dame de qualité, je répondais «oui»: enfin elles me demandèrent ce que c'était qu'une dame de qualité. Ceci me troubla fort: toutefois j'expliquai négativement que c'était une personne qui n'entrait pas en service pour faire le ménage; elles en furent extrêmement charmées, et mon petit babillage leur plut et leur sembla assez agréable, et elles me donnèrent aussi de l'argent.

Pour mon argent, je le donnai tout à ma nourrice-maîtresse comme je l'appelais, et lui promis qu'elle aurait tout ce que je gagnerais quand je serais dame de qualité, aussi bien que maintenant; par ceci et d'autres choses que je disais, ma vieille gouvernante commença de comprendre ce que je voulais dire par dame de qualité, et que ce n'était pas plus que d'être capable de gagner mon pain par mon propre travail et enfin elle me demanda si ce n'était pas cela.

Je lui dis que oui, et j'insistai pour lui expliquer que vivre ainsi, c'était être dame de qualité; car, dis-je, il y a une telle, nommant une femme qui raccommodait de la dentelle et lavait les coiffes de dentelle des dames; elle, dis-je, c'est une dame de qualité, et on l'appelle madame.

– Pauvre enfant, dit ma bonne vieille nourrice, tu pourras bientôt être une personne mal famée, et qui a eu deux bâtards.

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