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Promenades autour d'un village

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Les eaux lustrales, d'origine hébraïque, païenne, indoue, universelle probablement, reçoivent aussi chaque année des honneurs et de nouvelles consécrations religieuses. Elles guérissent diverses sortes de maux, et principalement les plaies, paralysies et autres estropiaisons. Les infirmes y plongent leurs membres malades au moment de la bénédiction du prêtre; les fiévreux boivent volontiers au même courant. La foi purifie tout.

Cette tolérance du clergé rustique pour les anciennes superstitions païennes ne devrait pas être trop encouragée par le haut clergé. Elle est contraire à l'esprit du véritable christianisme, et beaucoup d'excellents prêtres, très-orthodoxes, souffrent de voir leurs paroissiens matérialiser à ce point l'effet des bénédictions de l'Église. J'en causais, il y a quelques années, avec un curé méridional qui ne se plaisait pas autant que moi à retrouver et à ressaisir dans les coutumes religieuses de notre époque les traces mal effacées des religions antiques. «Quand j'entrai dans ma première cure, me disait-il, je vis le sacristain tirer d'un bahut de petits monstres fort indécents, en bois grossièrement équarri, qu'il prétendait me faire bénir. C'était l'ouvrage d'un charron de la paroisse, qui les avait fabriqués à l'instar d'anciens prétendus bons saints réputés souverains pour toute sorte de maux physiques. Ces modèles avaient été certainement des figures de démons du moyen âge, qui eux-mêmes n'étaient que le souvenir traditionnel des dieux obscènes du paganisme. Mon prédécesseur avait eu le courage de les jeter dans le feu de sa cuisine; mais, depuis ce moment, une maladie endémique avait décimé la commune, et, sans nul doute, selon mes ouailles crédules, la destruction des idoles était la cause du fléau; aussi le charron s'était-il fait fort d'en tailler de tout pareils qui seraient aussi bons quand on les aurait bénits et promenés à la suite du saint sacrement. Je me refusai absolument à commettre cette profanation, et, prenant les nouveaux saints, je fis comme mon prédécesseur, je les brûlai; mais je faillis payer cette hardiesse de ma vie: mes paroissiens s'ameutèrent contre moi, et je fus obligé de transiger. Je fis venir de nouveaux saints, des figures quelconques, un peu moins laides et beaucoup plus honnêtes, que je dus bénir et permettre d'honorer sous les noms des anciens protecteurs de la paroisse; je vis bientôt que le culte des paysans est complètement idolâtrique, et que leur hommage ne s'adresse pas plus à l'Être spirituel dont les figures personnifient le souvenir, que leur croyance n'a pour objet les célestes bienheureux. C'est à la figure même, c'est à la pierre ou au bois façonné qu'ils croient, c'est l'idole qu'ils saluent et qu'ils prient. Mes nouveaux saints n'eurent jamais de crédit sur mon troupeau. Ils n'étaient pas bons, ils ne guérissaient pas. Je ne pus jamais faire comprendre qu'aucune image n'est douée de vertu miraculeuse dans le sens matériel que la superstition y attache. Le conseil de fabrique me savait très-mauvais gré de ne pas spéculer sur la crédulité populaire.»

Ce curé n'est pas le seul à qui j'aie vu déplorer le matérialisme de la religion du paysan. Plusieurs défendent d'employer le buis bénit au coin des champs comme préservatif de la grêle, et de faire des pèlerinages pour la guérison des bêtes; mais on ne les écoute guère, on les trompe même. On extorque leurs bénédictions comme douées d'un charme magique, en leur signalant un but qui n'est pas le véritable. On mêle volontiers des objets bénits aux maléfices, où, sous des noms mystérieux, des divinités étrangères au christianisme sont invoquées tout bas. Le sorcier des campagnes a, dans l'esprit, un singulier mélange de crainte de Dieu et de soumission au diable, dont nous parlerons peut-être dans l'occasion.

Disons, en passant, que le remégeux et la remégeuse sont parfois des êtres fort extraordinaires, soit par la puissance magnétique dont les investit la foi de leur clientèle, soit par la connaissance de certains remèdes fort simples que le paysan accepte d'eux, et qu'il ne croirait pas efficaces venant d'un médecin véritable. La science toute nue ne persuade pas ces esprits avides de merveilles; ils méprisent ce qui est acquis par l'étude et l'expérience; il leur faut du fantastique, des paroles incompréhensibles, de la mise en scène. Certaine vieille sibylle, prononçant ses formules d'un air inspiré, frappe l'imagination du malade, et, pour peu qu'elle explique avec bonheur une médication rationnelle, elle obtient des parents et des amis qui le soignent ce que le médecin n'obtient presque jamais: que ses prescriptions soient observées.

Sans doute, la surveillance de l'État fait bien de proscrire et de poursuivre l'exercice de la médecine illégale, car, dans un nombre infini de cas, les remégeux administrent de véritables poisons. Quelques-uns cependant opèrent des cures trop nombreuses et trop certaines pour qu'il ne soit pas à désirer de voir l'État leur accorder quelque attention. La tradition, le hasard de certaines aptitudes naturelles, peuvent les rendre possesseurs de découvertes qui échappent à la science, et qui meurent avec eux. Les empêcher d'exercer n'est que sagesse et justice, mais éprouver la vertu de leurs prétendus secrets et les leur acheter, s'il y a lieu, ce ne serait pas là une recherche oiseuse ni une largesse inutile.

En dehors de la superstition, le paysan a partout des coutumes locales dont l'origine est fort difficile à retrouver. Le nombre en est si grand, que nous ne saurions les classer avec ordre; nous en prendrons quelques-unes au hasard.

Une des plus curieuses est la cérémonie des livrées de noces, qui varie en France selon les provinces, et qui a été supprimée en Berry depuis une dizaine d'années, à la suite d'accidents graves. Dans un endroit précédent, nous avons raconté la cérémonie toute païenne du chou, qui est encore en vigueur dans notre vallée Noire: c'est la consécration du lendemain des noces. Celle des livrées était la consécration de la veille; elle est fort longue et compliquée, c'est tout un drame poétique et naïf qui se jouait autour et au sein de la demeure de l'épousée.

C'est le soir, à l'heure du souper de la famille. Mais il n'y a point de souper préparé; ce soir-là, chez la fiancée. Les tables sont rangées contre le mur, la nappe est cachée, le foyer est vide et glacé, quelque temps qu'il fasse. On a fermé avec un soin extrême et barricadé d'une manière formidable à l'intérieur toutes les huisseries, portes, fenêtres, lucarne de grenier, soupirail de cave, quand, par hasard, la maison a une cave. Personne n'entrera sans la volonté de la fiancée, ou sans une lutte sérieuse, un véritable siége; ses parents, ses amis, ses voisins, tout son parti est autour d'elle; on attend la prière ou l'assaut du fiancé.

Le jeune marié, – on ne dit jamais autrement, quel que soit son âge, et, en fait, c'est, chez nous, presque toujours un garçonnet à qui le poil follet voltige encore au menton, – vient là avec son monde, ses amis, parents et voisins, son parti en un mot. Près de lui, ce porteur de thyrse fleuri et enrubané, c'est un expert porte-broche, car, sous ces feuillages, il y a une oie embrochée qui fait tout l'objet de la cérémonie; autour de lui sont les porteurs de présents et les chanteurs fins, c'est-à-dire habiles et savants, qui vont avoir maille à partir avec ceux de la mariée.

Le marié s'annonce par une décharge de coups de feu; puis, après qu'on a bien cherché, mais inutilement, un moyen de s'introduire dans la place par surprise, on frappe. – Qui va là? – Ce sont de pauvres pèlerins bien fatigués ou des chasseurs égarés qui demandent place au foyer de la maison. – On leur répond que le foyer est éteint, et qu'il n'y a pas place pour eux à table; on les injure, on les traite de malfaiteurs et de mauvaises gens, sans feu ni lieu; on parlemente longtemps; le dialogue, toujours pittoresque, est parfois rempli d'esprit et même de poésie; enfin on leur conseille de chanter pour se désennuyer, ou pour se réchauffer si c'est une nuit d'hiver, mais à condition qu'on chantera quelque chose d'inconnu à la compagnie qui, du dedans, les écoute.

Alors, une lutte lyrique commence entre les chanteurs du marié et ceux de la mariée, car elle aussi a ses chanteux fins, et, de plus, ses chanteuses expertes, matrones à la voix chevrotante, à qui l'on n'en impose point en donnant du vieux pour du neuf. Si l'on connaît, au dedans, la chanson du dehors, on l'interrompt dès le premier vers en chantant la second, et vite, il faut passer à une autre. Trois heures peuvent fort bien s'écouler, au vent et à la pluie, avant que le parti du marié ait pu achever un seul couplet, tant est riche le répertoire des chansons berrichonnes, tant la mémoire des beaux chanteurs est ornée; chaque réplique victorieuse du dedans est accompagnée de grands éclats de rire d'un côté, de malédictions de l'autre. Enfin l'un des partis est vaincu, et l'on passe à la chanson des noces:

 
Ouvrez la porte, ouvrez,
Mariée, ma mignonne!
J'ons de beaux rubans à vous présenter.
Hélas! ma mie, laissez-nous entrer.
 

À quoi les femmes répondent en fausset:

 
Mon père est en chagrin,
Ma mère en grand' tristesse;
Moi, je suis une fille de trop grand prix
Pour ouvrir ma porte à ces heures-ci.
 

Si les paroles sont naïves et la versification par trop libre, en revanche l'air est magnifique dans sa solennité simple et large. Il faut chanter dehors autant de couplets, et nommer chaque fois autant d'objets différents, au troisième vers, qu'il y a de cadeaux de noces.

Ces cadeaux du marié sont ce qu'on appelle les livrées. Il faut annoncer jusqu'au cent d'épingles obligé qui fait partie de cette modeste corbeille de mariage à quoi la mariée incorruptible fait répondre invariablement que son père est en chagrin, sa mère en grande tristesse, et qu'elle n'ouvre point sa porte à pareille heure.

 

Enfin arrive le couplet final, où il est dit: J'ons un beau mari à vous présenter, et la porte s'ouvre; mais c'est le signal d'une mêlée étrange: le marié doit prendre possession du foyer domestique; il doit planter la broche et allumer le feu; le parti de la mariée s'y oppose, et ne cédera qu'à la force; les femmes se réfugient avec les vieillards sur les bancs et sur les tables; les enfants, effrayés, se cachent dessous, les chiens hurlent, les fusils partent, c'est un combat sans colère, sans coups ni blessures volontaires, mais où le point d'honneur est pris assez au sérieux pour que chacun y déploie toute sa vigueur et toute sa volonté, si bien qu'à force de se pousser, de s'étreindre, de se tordre la broche entre les mains, j'ai vu peu de noces où il n'y eût quelqu'un d'écloppé, au moment où le marié réussissait à allumer une poignée de paille dans la cheminée, où l'oie, déchiquetée dans le combat, prenait enfin possession de l'âtre.

Un jour, la scène fut ensanglantée par un accident sérieux. Un des conviés fut littéralement embroché dans la bataille. Dès lors, la cérémonie tomba en désuétude; on fut d'accord sur tous les points de la supprimer, et nous avons vu la dernière il y a dix ans. On eût pu se borner à supprimer la bataille; mais, la conquête du foyer étant le but symbolique de l'affaire, on jugea que le reste n'aurait plus de sens. Je regrette pourtant les chansons à la porte, et la belle mélodie de: Ouvrez la porte, ouvrez! qui, n'ayant plus d'emploi, se perdra.

Après la broche plantée, venait pour le marié une dernière épreuve: on asseyait trois jeunes filles avec la mariée sur un banc, on les couvrait d'un drap, et, sans les toucher autrement qu'avec une petite baguette, le marié devait, du premier coup d'oeil, deviner et désigner sa femme; lorsqu'il se trompait, il était condamné à ne pas danser avec elle de toute la soirée; car, ensuite, venaient le bal, le souper, et des chansons jusqu'au jour. Une noce comportait trois jours et trois nuits de joie et bombance, sans désemparer d'une heure.

La gerbaude est une cérémonie agricole que l'auteur de cet article a mise sur la scène très-fidèlement; mais ce que le théâtre ne saurait reproduire, c'est la majesté du cadre, c'est la montagne de gerbes qui arrive solennellement, traînée par trois paires de boeufs énormes, tout ornée de fleurs, de fruits et de beaux enfants perchés au sommet des dernières gerbes. C'est parfois un tableau qui se compose comme pour l'oeil des artistes. Tout cela est si beau par soi-même: les grands ruminants à l'oeil fier et calme, la moisson ruisselante, les fleurs souriant sur les épis, et, plus que tout cela, les enfants blonds comme les gerbes, comme les boeufs, comme la terre couverte de son chaume, car tout est coloré harmonieusement dans ces chaudes journées où le ciel lui-même est tout d'or et d'ambre à l'approche du soir.

Avant le départ du charroi de gerbaude, on entend planer d'horizon en horizon une grande clameur dont le voyageur s'étonne. Il regarde, il voit des bandes de moissonneurs et de glaneuses s'élancer, les bras levés vers le ciel et rugissant de triomphe, vers le chargeur qui lève vers le ciel aussi la dernière gerbe avant de la placer sur le faite du char. Il semble que cette population de travailleurs se rue sur lui pour lui arracher la gerbe; on croit qu'on va assister à une bataille furieuse, inique, de tous contre un seul; mais loin de là! c'est une acclamation de joie et d'amitié; c'est une bénédiction enthousiaste et fraternelle.

Pauvres paysans, vous avez du beau et du bon quand même!

II
LES VISIONS DE LA NUIT DANS LES CAMPAGNES

Vous dire que je m'en moque serait mentir. Je n'en ai jamais eu, c'est vrai: j'ai parcouru la campagne à toutes les heures de la nuit, seul ou en compagnie de grands poltrons, et, sauf quelques météores inoffensifs, quelques vieux arbres phosphorescents et autres phénomènes qui ne rendaient pas fort lugubre l'aspect de la nature, je n'ai jamais eu le plaisir de rencontrer un objet fantastique et de pouvoir raconter à personne, comme témoin oculaire, la moindre histoire de revenant.

Eh bien, cependant je ne suis pas de ceux qui disent en présence des superstitions rustiques: mensonge, imbécillité, vision de la peur; je dis phénomène de vision, ou phénomène extérieur insolite et incompris. Je ne crois pour cela ni aux sorciers ni aux prodiges. Ces contes de sorciers, ces explications fantastiques données aux prétendus prodiges de la nuit, c'est le poëme des imaginations champêtres. Mais le fait existe, le fait s'accomplit, qu'il soit un fantôme dans l'air ou seulement dans l'oeil qui le perçoit, c'est un objet tout aussi réellement et logiquement produit que la réflexion d'une figure dans un miroir.

Les aberrations des sens sont-elles explicables? ont-elles été expliquées? Je sais qu'elles ont été constatées, voilà tout: mais il est très-faux de dire et de croire qu'elles sont uniquement l'ouvrage de la peur. Cela peut être vrai en beaucoup d'occasions; mais il y a des exceptions irrécusables. Des hommes de sang-froid, d'un courage naturel éprouvé, et placés dans des circonstances où rien ne semblait agir sur leur imagination, même des hommes éclairés, savants, illustres, ont eu des apparitions qui n'ont troublé ni leur jugement ni leur santé, et dont cependant il n'a pas dépendu d'eux tous de ne pas se sentir affectés plus ou moins après coup.

Parmi grand nombre d'intéressants ouvrages publiés sur ce sujet, il faut noter celui du docteur Brierre de Boismont, qui analyse aussi bien que possible les causes de l'hallucination. Je n'apporterai après ces travaux sérieux qu'une seule observation utile à enregistrer, c'est que l'homme qui vit le plus près de la nature, le sauvage, et après lui le paysan, sont plus disposés et plus sujets que les hommes des autres classes aux phénomènes de l'hallucination. Sans doute, l'ignorance et la superstition les forcent à prendre pour des prodiges surnaturels ces simples aberrations de leurs sens; mais ce n'est pas toujours l'imagination qui les produit, je le répète; elle ne fait le plus souvent que les expliquer à sa guise.

Dira-t-on que l'éducation première, les contes de la veillée, les récits effrayants de la nourrice et de la grand'mère disposent les enfants et même les hommes à éprouver ce phénomène? Je le veux bien. Dira-t-on encore que les plus simples notions de physique élémentaire et un peu de moquerie voltairienne en purgeraient aisément les campagnes? Cela est moins certain. L'aspect continuel de la campagne, l'air qu'il respire à toute heure, les tableaux variés que la nature déroule sous ses yeux, et qui se modifient à chaque instant dans la succession des variations atmosphériques, ce sont là pour l'homme rustique des conditions particulières d'existence intellectuelle et physiologique; elles font de lui un être plus primitif, plus normal peut-être, plus lié au sol, plus confondu avec les éléments de la création que nous ne le sommes quand la culture des idées nous a séparés, pour ainsi dire, du ciel et de la terre, en nous faisant une vie factice enfermée dans le moellon des habitations bien closes. Même dans sa hutte ou dans sa chaumière, le sauvage ou le paysan vit encore dans le nuage, dans l'éclair et le vent qui enveloppent ces fragiles demeures. Il y a sur l'Adriatique des pêcheurs qui ne connaissent pas l'abri d'un toit; ils dorment dans leur barque, couverts d'une natte, la face éclairée par les étoiles, la barbe caressée par la brise, le corps sans cesse bercé par le flot. Il y a des colporteurs, des bohémiens, des conducteurs de bestiaux qui dorment toujours en plein air, comme les Indiens de l'Amérique du Nord. Certes, le sang de ces hommes-là circule autrement que le nôtre; leurs nerfs ont un équilibre différent; leurs pensées, un autre cours; leurs sensations une autre manière de se produire. Interrogez-les, il n'en est pas un qui n'ait vu des prodiges, des apparitions, des scènes de nuit étranges, inexplicables. Il en est parmi eux de très-braves, de très-raisonnables, de très-sincères, et ce ne sont pas les moins hallucinés. Lisez toutes les observations recueillies à cet égard, vous y verrez, par une foule de faits curieux et bien observés, que l'hallucination est compatible avec le plein exercice de la raison.

C'est un état maladif du cerveau; cependant il est presque toujours possible d'en pressentir la cause physique ou morale dans une perturbation de l'âme ou du corps; mais elle est quelquefois inattendue et mystérieuse au point de surprendre et de troubler un instant les esprits les plus fermes.

Chez les paysans, elle se produit si souvent, qu'elle semble presque une loi régulière de leur organisation. Elle les effraye autrement que nous. Notre grande terreur, à nous autres, quand le cauchemar ou la fièvre nous présentent leurs fantômes, c'est de perdre la raison, et plus nous sommes certains d'être la proie d'un songe, plus nous nous affectons de ne pouvoir nous y soustraire par un simple effort de la volonté. On a vu des gens devenir fous par la crainte de l'être. Les paysans n'ont pas cette angoisse; ils croient avoir vu des objets réels; ils en ont grand'peur; mais la conscience de leur lucidité n'étant point ébranlée, l'hallucination est certainement moins dangereuse pour eux que pour nous. L'hallucination n'est, d'ailleurs, pas la seule cause de mon penchant à admettre, jusqu'à un certain point, les visions de la nuit. Je crois qu'il y a une foule de petits phénomènes nocturnes, explosions ou incandescences de gaz, condensations de vapeurs, bruits souterrains, spectres célestes, petits aérolithes, habitudes bizarres et inobservées, aberrations même chez les animaux, que sais-je? des affinités mystérieuses ou des perturbations brusques des habitudes de la nature, que les savants observent par hasard et que les paysans, dans leur contact perpétuel avec les éléments, signalent à chaque instant sans pouvoir les expliquer.

Par exemple, que pensez-vous de cette croyance aux meneurs de loups? Elle est de tous les pays, je crois, et elle est répandue dans toute la France. C'est le dernier vestige de la croyance aux lycanthropes. En Berry, où déjà les contes que l'on fait à nos petits-enfants ne sont plus aussi merveilleux ni aussi terribles que ceux que nous faisaient nos grand'mères, je ne me souviens pas qu'on m'ait jamais parlé des hommes-loups de l'antiquité et du moyen âge. Cependant on s'y sert encore du mot de garou, qui signifie bien homme-loup, mais on en a perdu le vrai sens. Les meneurs de loups ne sont plus les capitaines de ces bandes de sorciers qui se changeaient en loups pour dévorer les enfants: ce sont des hommes savants et mystérieux, de vieux bûcherons, ou de malins gardes-chasse qui possèdent le secret pour charmer, soumettre, apprivoiser et conduire les loups véritables. Je connais plusieurs personnes qui ont rencontré, aux premières clartés de la lune, à la croix des quatre chemins, le père un tel s'en allant tout seul à grands pas, et suivi de plus de trente loups (il y en a toujours plus de trente, jamais moins, dans la légende). Une nuit, deux personnes, qui me l'ont raconté, virent passer dans le bois une grande bande de loups; elles en furent effrayées, et montèrent sur un arbre, d'où elles virent ces animaux s'arrêter à la porte d'une cabane d'un bûcheron réputé sorcier. Ils l'entourèrent en poussant des rugissements épouvantables; le bûcheron sortit, leur parla, se promena au milieu d'eux, et ils se dispersèrent sans lui faire aucun mal. Ceci est une histoire de paysan; mais deux personnes riches, et ayant reçu une assez bonne éducation, gens de beaucoup de sens et d'habileté dans les affaires, vivant dans le voisinage d'une forêt, où elles chassaient fort souvent, m'ont juré, sur l'honneur, avoir vu, étant ensemble, un vieux garde forestier s'arrêter à un carrefour écarté et faire des gestes bizarres. Ces deux personnes se cachèrent pour l'observer, et virent accourir treize loups, dont un énorme alla droit au garde et lui fit des caresses. Celui-ci siffla les autres comme on siffle des chiens, et s'enfonça avec eux dans l'épaisseur du bois. Les deux témoins de cette scène étrange n'osèrent l'y suivre, et se retirèrent aussi surpris qu'effrayés. Avaient-ils été la proie d'une hallucination? Quand l'hallucination s'empare de plusieurs personnes à la fois (et cela arrive fort souvent), elle revêt un caractère difficile à expliquer, je l'avoue: on l'a souvent constatée; on l'appelle hallucination contagieuse. Mais à quoi sert d'en savoir le nom, si on en ignore la cause? Cette certaine disposition des nerfs et de la circulation du sang, qu'on donne pour cause à l'audition ou à la vision d'objets fantastiques, comment est-elle simultanée chez plusieurs individus réunis? Je n'en sais rien du tout.

 

Mais pourquoi ne pas admettre qu'un homme qui vit au sein des forêts, qui peut, à toutes les heures du jour et de la nuit, surprendre et observer les moeurs des animaux sauvages, aurait pu découvrir, par hasard, ou par un certain génie d'induction, le moyen de les soumettre et de s'en faire aimer? J'irai plus loin: pourquoi n'aurait-il pas un certain fluide, sympathique à certaines espèces? Nous avons vu, de nos jours, de si intrépides et de si habiles dompteurs d'animaux féroces en cage, qu'un effort de plus, et on peut admettre la domination de certains hommes sur les animaux sauvages en liberté.

Mais pourquoi ces hommes cacheraient-ils leur secret, et ne tireraient-ils pas profit et vanité de leur puissance?

Parce que le paysan, en obtenant d'une cause naturelle un effet tout aussi naturel, ne croit pas lui-même qu'il obéit aux lois de la nature. Donnez-lui un remède dont vous lui démontrerez simplement l'efficacité, il n'y aura aucune confiance; mais joignez-y quelque parole incompréhensible en le lui administrant, il en aura la foi. Confiez-lui le secret de guérir le rhume avec la racine de guimauve, et dites-lui qu'il faut l'administrer après trois signes cabalistiques, ou après avoir mis un de ses bas à l'envers, il se croira sorcier, tous le croiront sorcier à l'endroit du rhume. Il guérira tout le monde par la foi autant que par la guimauve, mais il se gardera bien de dire le nom de la plante vulgaire qui produit ce miracle. Il en fera un mystère; le mystère est son élément.

Je ne parlerai pas ici de ce qu'on appelle chez nous et ailleurs le secret, ce serait une digression qui me mènerait trop loin. Je me bornerai à dire qu'il y a un secret pour tout, et presque tous les paysans un peu graves et expérimentés ont le secret de quelque chose, sont sorciers par conséquent, et croient l'être. Il y a le secret des boeufs, que possèdent tous les bons métayers; le secret des vaches, qui est celui des bonnes métayères; le secret des bergères, pour faire foisonner la laine; le secret des potiers, pour empêcher les pots de se fendre au fond; le secret des curés, qui charment les cloches pour la grêle; le secret du mal de tête, le secret du mal de ventre, le secret de l'entorse et de la foulure; le secret des braconniers, pour faire venir le gibier; le secret du feu, pour arrêter l'incendie; le secret de l'eau, pour retrouver les cadavres des noyés, ou arrêter l'inondation; que sais-je? Il y a autant de secrets que de fléaux dans la nature, et de maladies chez les hommes et les animaux. Le secret passe de père en fils, ou s'achète à prix d'argent. Il n'est jamais trahi. Il ne le sera jamais, tant qu'on y croira. Le secret de meneur de loups en est un comme un autre, peut-être.

Une des scènes de la nuit dont la croyance est la plus répandue, c'est la chasse fantastique; elle a autant de noms qu'il y a de cantons dans l'univers. Chez nous, elle s'appelle la chasse à baudet, et affecte les bruits aigres et grotesques d'une incommensurable croupe d'ânes qui braient. On peut se la représenter à volonté; mais, dans l'esprit de nos paysans, c'est quelque chose que l'on entend et qu'on ne voit pas, c'est une hallucination ou un phénomène d'acoustique. J'ai cru l'entendre plusieurs fois, et pouvoir l'expliquer de la façon la plus vulgaire. Dans les derniers jours de l'automne, quand les grands ouragans dispersent les bandes d'oiseaux voyageurs, on entend, dans la nuit, l'immense clameur mélancolique des grues et des oies sauvages en détresse. Mais les paysans, que l'on croit si crédules et si peu observateurs, ne s'y trompent nullement. Ils savent très-bien le nom et connaissent très-bien le cri des divers oiseaux étrangers à nos climats qui se trouvent perdus et dispersés dans les ténèbres. La chasse à baudet n'est rien de tout cela. Ils l'entendent souvent; moi qui ai longtemps vécu et erré comme eux dans la rafale et dans le nuage, je ne l'ai jamais rencontrée. Quelquefois son passage est signalé par l'apparition de deux lunes. Mais je n'ai pas de chance, car je n'ai jamais vu que la vieille lune que nous connaissons tous.

Le taureau blanc, le veau d'or, le dragon, l'oie, la poule noire, la truie blanche, et je ne sais combien d'autres animaux fantastiques, gardent, comme l'on sait, en tous pays les trésors cachés. À l'heure de minuit, le jour de Noël, aussitôt que sonne la messe, ces gardiens infernaux perdent leur puissance jusqu'au dernier son de la cloche qui en annonce la fin. C'est la seule heure dans toute l'année où la conquête du trésor soit possible. Mais il faut savoir où il est, et avoir le temps d'y creuser et de s'en saisir. Si vous êtes surpris dans le gouffre à l'Ite missa est, il se referme à jamais sur vous; de même que si, en ce moment, vous avez réussi à rencontrer l'animal fantastique, la soumission qu'il vous a montrée pendant le temps de la messe fait place à la fureur, et c'est fait de vous.

Cette tradition est universelle. Il y a peu de ruines, châteaux ou monastères, peu de monuments celtiques qui ne recèlent leur trésor. Tous sont gardés par un animal diabolique. M. Jules Canougo, dans un charmant recueil de contes méridionaux, a rendu gracieuse et bienfaisante la poétique apparition de la chèvre d'or, gardienne des richesses cachées au sein de la terre.

Dans nos climats moins riants, autour des dolmens qui couronnent les collines pelées de la Marche, c'est un boeuf blanc, ou un veau d'or, ou une génisse d'argent qui font rêver les imaginations avides; mais ces animaux sont méchants et terribles à rencontrer. On y court tant de risques, que personne encore n'a osé les saisir par les cornes. Et cependant il y a des siècles que les grosses pierres druidiques dansent et grincent sur leurs frêles supports pendant la messe de minuit, pour éveiller la convoitise des passants.

Dans nos vallées ombragées, coupées de grandes plaines fertiles, un animal indéfinissable se promène la nuit à certaines époques indéterminées, va tourmenter les boeufs aux pâturages et rôder autour des métairies qu'il met en grand émoi. Les chiens hurlent et fuient à son approche, les balles ne l'atteignent pas. Cette apparition et la terreur qu'elle inspire n'ont encore presque rien perdu dans nos alentours. Tous nos fermiers, tous nos domestiques y croient et ont vu la bête. On l'appelle la grand'-bête, par tradition, quoique bien souvent elle paraisse de la taille et de la forme d'un blaireau. Les uns l'ont vue en forme de chien de la grandeur d'un boeuf énorme, d'autres en levrette blanche haute comme un cheval, d'autres encore en simple lièvre ou en simple brebis. Ceux qui en parlent avec le plus de sang-froid l'ont poursuivie sans succès, sans trop de frayeur, ne lui attribuant aucun pouvoir fantastique, la décrivant avec peine, parce qu'elle appartient à une espèce inconnue dans le pays, disent-ils, et assurant que ce n'est précisément ni une chienne, ni une vache, ni un blaireau, ni un cheval, mais quelque chose comme tout cela: arrangez-vous! Cependant cette bête apparaît, j'en suis certain, soit à l'état d'hallucination, soit à l'état de vapeur flottante, et condensée sous de certaines formes. Des gens trop sincères et trop raisonnables l'ont vue pour que j'ose dire qu'il n'y a aucune cause à leur vision. Les chiens l'annoncent par des hurlements désespérés et s'enfuient dès qu'elle paraît; cela est certain. Les chiens sont-ils hallucinés aussi? Pourquoi non? Sont-ce des voleurs qui s'introduisent sous ce déguisement? Jamais la bête n'a rien dérobé, que l'on sache. Sont-ce de mauvais plaisants? On a tiré tant de coups de fusil sur la bête, qu'on aurait bien, par hasard, et en dépit de la peur qui fait trembler la main, réussi à tuer ou à blesser quelqu'un de ces prétendus fantômes. Enfin, ce genre d'apparition, s'il n'est que le résultat de l'hallucination, est éminemment contagieux. Pendant quinze ou vingt nuits, les vingt ou trente habitants d'une métairie le voient et le poursuivent; il passe à une autre petite colonie qui le voit absolument de même, et il fait le tour du pays, ayant produit cette contagion sur un très-grand nombre d'habitants.

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