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Journal d'un voyageur pendant la guerre

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30.

Les dépêches sont plus affirmatives que jamais. L'ennemi paraît reculer; je crois qu'il se concentre sur Paris. Il est évident que, sur plusieurs points, malgré nos atroces souffrances, nous nous battons bien. Là où le courage peut quelque chose, nous pouvons beaucoup; mais en dehors des nouvelles officielles il y a l'histoire intime qui se communique de bouche en bouche, et qui nous révèle des dilapidations épouvantables au préjudice de nos troupes. Il est impossible que nous triomphions, impossible!

Savoir cela, le sentir jusqu'à l'évidence, et apprendre que les Prussiens vont peut-être bombarder Paris! Ils ont, dit-on, démasqué des batteries sur l'enceinte —avec pertes considérables, dit succinctement la dépêche. Pertes pour qui?

31 décembre 1870.

Toujours froid glacial. Nous sommes surpris par la visite de notre ami Sigismond avec son fils. Ils n'ont pas plus d'illusions que nous, et nous nous quittons en disant:

– Tout est perdu!

A minuit, j'embrasse mes enfants. Nous sommes encore vivants, encore ensemble. L'exécrable année est finie; mais, selon toute apparence, nous entrons dans une pire.

Il est pourtant impossible que tant de malheur ne nous laisse pas quelque profit moral. Pour mon compte, je sens que mon esprit a fait un immense voyage. J'ignore encore ce qu'il y aura gagné; mais je ne crois pas qu'il y ait perdu absolument son temps. Il a été obligé de faire de grands efforts pour se déprendre de certaines ardeurs d'espérance; il en a eu de plus grands encore à faire pour conserver des croyances dont l'application était un cruel démenti à la vérité. Il n'érigera point en système à son usage ce qu'il a senti se dégager de vrai au milieu de ses angoisses. Il voyagera au jour le jour, comme il a toujours fait. Il regardera toujours avidement, peut-être verra-t-il mieux.

Il m'en a coûté des larmes, je l'avoue, pour reconnaître que, dans cet élan républicain qui nous avait enivrés, il n'y avait pas assez d'éléments d'ordre et de force. Il eût fallu le savoir, consentir à se juger soi-même et demander la paix avec moins de confiance dans la guerre. L'erreur funeste a été de croire que notre courage et notre dévouement suffiraient là où il fallait le sens profond de la vie pratique. Nous ne l'avons pas eu, le gouvernement de Paris n'a pas pu diriger la France; ses délégués ne l'ont pas su. La France est devenue la proie de spéculations monstrueuses en même temps que l'armée en est la victime. Toute la science politique consistait à distinguer, entre tant de dévouements qui s'offraient, les boucs d'avec les brebis. Ceci dépassait les forces de deux vieillards, – hommes d'honneur à coup sûr, mais débordés et abusés dès les premiers jours, – et celles d'un jeune homme sans expérience de la vie politique et sans sagesse suffisante pour se méfier de lui-même.

Tout serait pardonnable et déjà pardonné, malgré ce qu'il nous en coûte, si la résolution de n'en pas appeler à la France n'avait prévalu. Il s'est produit sourdement et il se produit aujourd'hui ouvertement une résistance à notre consentement qui nous autorise à de suprêmes exigences. Nous voulons qu'on s'avoue incapable ou qu'on nous sauve. Nous continuons nos sacrifices, nous étouffons nos indignations contre une multitude d'infamies autorisées ou tolérées, nous engageons le peuple à attendre, à subir, à espérer encore; mais tout empire, et le ton du parti qui s'impose devient rogue et menaçant.

C'est le commencement d'une fin misérable dont nous payerons le dommage. La délégation dictatoriale va finir comme a fini celle de l'Empire. La vraie république sauvera-t-elle son principe à travers ce cataclysme? – Je le sauve dans ma conscience et dans mon âme; mais je ne puis répondre que de moi.

Le roi Guillaume va sans doute écrire une belle lettre de jour de l'an à sa femme. Rien de mieux; mais pourquoi les journaux allemands reproduisent-ils avec enthousiasme ce que le roi dit à la reine, ce que la reine dit au roi? C'est pour l'édification de la chrétienté sans doute, les rois sont si pieux! Ils remercient Dieu si humblement de tout le sang qu'ils font répandre, de toutes les villes qu'ils brûlent ou bombardent, de tous les pillages commis en leur nom! Ils vont rétablir en Allemagne le culte des saints. J'imagine que saint Shylock et saint Mandrin seront destinés à fêter la campagne de France et le bombardement de Paris.

Nohant, 1er janvier 1871.

Pas trop battus aujourd'hui; on se défend bien autour de Paris, Chanzy tient bon et fera, dit-on, sa jonction avec Faidherbe, que je sais être un homme de grand mérite. Bourbaki dispose de forces considérables. On se permet un jour d'espérance! C'est peut-être le besoin qu'on a de respirer; mais que peuvent d'héroïques efforts, si les causes profondes d'insuccès que personne n'ignore et que nul n'ose dire augmentent chaque jour? – Et elles augmentent!

Pour mes étrennes, Aurore me fait une surprise; elle me chante une romance que sa mère lui accompagne au piano, et elle la chante très-bien. Que c'est joli, cette voix de cinq ans!

2 janvier.

On nous dit ce matin qu'une dépêche de M. Gambetta est dans les mains de l'imprimeur, qu'elle est très-longue et contient des nouvelles importantes. Nous l'attendons avec impatience, lui faisant grâce de beaucoup de lieux communs, pourvu qu'il nous annonce une victoire ou d'utiles réformes. Hélas! c'est un discours qu'il a prononcé à Bordeaux et qu'il nous envoie comme étrennes. Ce discours est vide et froid. Il y a bien peu d'orateurs qui supportent la lecture. L'avocat est comme le comédien, il peut vous émouvoir, vous exalter même avec un texte banal. Il faut croire que M. Gambetta est un grand acteur, car il est un écrivain bien médiocre.

Les nouvelles verbales ou par lettres sont déplorables.

4 janvier.

Lettre de Paris. —Nous voulons bien mourir, surtout mourir, disent-ils. Ce peu de mots en dit beaucoup: ils sont désespérés!.. comme nous.

5 janvier.

Plus de nouvelles du tout. On nous annonce que pendant douze jours il n'y aura plus de communications à cause d'un grand mouvement de troupes. Nous allons donc voir des prodiges d'activité bien entendue? Il serait temps. – Histoire non officielle, c'est maintenant la seule qui soit vraie: le général Bourbaki a refusé la direction militaire de la dictature et déclaré qu'il voulait agir librement ou se retirer.

6 janvier.

Échec à Bourgtheroulde. C'est près de Jumiéges. Ont-ils ravagé l'intéressante demeure et le musée de nos amis Cointet? Les barbares respecteront-ils les ruines historiques?

7.

Depuis douze jours, on bombarde Paris. Le sacrilége s'accomplit. La barbarie poursuit son oeuvre: jusqu'ici elle est impuissante; mais ils se rapprocheront du but. Ils sont les plus forts, et la France est ruinée, pillée, ravagée à la fois par l'ennemi implacable et les amis funestes.

8.

Tempête de neige qui nous force d'allumer à deux heures pour travailler. Toujours des combats partiels; l'ennemi ne s'étend pas impunément. Les soldats que les blessures ou les maladies nous ramènent nous disent que le Prussien en personne n'est pas solide et ne leur cause aucune crainte. On court sur lui sans armes, il se laisse prendre armé. Ce qui démoralise nos pauvres hommes, c'est la pluie de projectiles venant de si loin qu'on ne peut ni l'éviter ni la prévoir. Notre artillerie, à nous, ne peut atteindre à grande distance et ne peut tenir de près. Il résulte de tout ce qu'on apprend que la guerre était impossible dès le début, que depuis tout s'est aggravé effroyablement, et qu'aujourd'hui le mal est irréparable. – Pauvre France! il faudrait pourtant ouvrir les yeux et sauver ce qui reste de toi!

Lundi 9.

Neige épaisse, blanche, cristallisée, admirable. Les arbres, les buissons, les moindres broussailles sont des bouquets de diamants: à un moment, tout est bleu. Chère nature, tu es belle en vain! Je te regarde comme te regardent les oiseaux, qui sont tristes parce qu'ils ont froid. Moi, j'ai encore un bon feu qui m'attend dans ma chambre, mais j'ai froid dans le coeur pour ceux qui n'ont pas de feu, et, chose bizarre, mon corps ne se réchauffe pas. Je me brûle les mains en me demandant si je suis morte, et si l'on peut penser et souffrir étant mort.

Rouen se justifie et donne un démenti formel à ceux qui l'ont accusé de s'être vendu. J'en étais sûre!

10 janvier.

C'est l'anniversaire d'Aurore. Sa soeur vient à bout de lui faire un bouquet avec trois fleurettes épargnées par la gelée dans la serre abandonnée. Triste bouquet dans les petites mains roses de Gabrielle! Elles s'embrassent follement, elles s'aiment, elles ne savent pas qu'on peut être malheureux. Nos pauvres enfants! nous tâcherons de vivre pour elles; mais nous ne pourrions plus le leur promettre. Maurice ne veut à aucun prix s'éloigner du danger. Nous y resterons, lui et moi, car je ne veux pas le quitter. Je le lui promets pourtant, mais je ne m'en irai pas. Du moment que cela est décidé avec moi-même, je suis très-calme.

On annonce des victoires sur tous les points. Faut-il encore espérer? Nous le voulons bien, mon Dieu!

 
Mercredi 11.

La neige est toujours plus belle. Aurore en est très-frappée et voudrait se coucher dedans! Elle dit qu'elle irait bien avec les soldats pour jouir de ce plaisir-là. Comme l'enfance a des idées cruelles sans le savoir!

Elle entend dire qu'il faudrait cacher ce que l'on a de précieux; elle passe la journée à cacher ses poupées. Cela devient un jeu qui la passionne.

Jeudi 12.

A présent ils bombardent réellement Paris. Les bombes y arrivent en plein. – Des malades, des femmes, des enfants tués. – Deux mille obus dans la nuit du 9 au 10, —sans sommation!

Vendredi 13.

Mauvaises nouvelles de Chanzy. Il a été héroïque et habile, tout l'affirme; mais il est forcé de battre en retraite.

14.

Un ballon est tombé près de Châteauroux; les aéronautes ont dit que hier le bombardement s'était ralenti. – Chanzy continue sa retraite.

15 janvier.

Rien, qu'une angoisse à rendre fou!

16.

La peste bovine nous arrive. Plus de marchés. Beaucoup de gens aisés ne savent avec quoi payer les impôts. Les banquiers ne prêtent plus, et les ressources s'épuisent rapidement. La gêne ou la misère est partout. Un de nos amis qu'blâme les retardataires finit par nous avouer que ses fermiers ne le payent pas, que ses terres lui coûtent au lieu de lui rapporter, et que s'il n'eût fait durant la guerre un petit héritage, dont il mange le capital, il ne pourrait payer le percepteur. Tout le monde n'a pas un héritage à point nommé. Comme on le mangerait de bon coeur en ce moment où tant de gens ne mangent pas!

On admire la belle retraite de Chanzy, mais c'est une retraite!

17 janvier.

Notre ami Girord, préfet de Nevers, est destitué pour n'avoir pas approuvé la dissolution des conseils généraux. Il avait demandé au conseil de son département un concours qui lui a été donné par les hommes de toute opinion avec un patriotisme inépuisable. Il n'a pas compris pourquoi il fallait faire un outrage public à des gens si dévoués et si confiants. On lui a envoyé sa destitution par télégramme. Il a répondu par télégramme avec beaucoup de douceur et d'esprit:

– Mille remercîments!

Il n'a pas fait d'autre bruit, mais l'opinion lui tiendra compte de la dignité de sa conduite; ces mesures révolutionnaires sont bien intempestives, et dans l'espèce parfaitement injustes. La délégation est malade, elle entre dans la phase de la méfiance.

Dégel, vent et pluie. Tous les arbustes d'ornement sont gelés. Les blés, si beaux naguère, ont l'air d'être perdus. Encore cela? Pauvre paysan, pauvres nous tous!

Nous avons des nouvelles du camp de Nevers, qui a coûté tant de travail et d'argent. Il n'a qu'un défaut, c'est qu'il n'existe pas. Comme celui d'Orléans, il était dans une situation impossible. On en fait un nouveau, on dépense, encore vingt-cinq millions pour acheter un terrain, le plus cher et le plus productif du pays. Le général, l'état-major, les médecins sont là, logés dans les châteaux du pays; mais il n'y a pas de soldats, ou il y en a si peu qu'on se demande à quoi sert ce camp. Les officiers sont dévorés d'ennui et d'impatience. Il y a tantôt trois mois que cela dure.

18.

Le bombardement de Paris continue; on a le coeur si serré qu'on n'en parle pas, même en famille. Il y a de ces douleurs qui ne laissent pas de place à la réflexion, et qu'aucune parole ne saurait exprimer.

Jules Favre, assistant à l'enterrement de pauvres enfants tués dans Paris par les obus, a dit:

«Nous touchons à la fin de nos épreuves.»

Cette parole n'a pas été dite à la légère par un homme dont la profonde sensibilité nous a frappés depuis le commencement de nos malheurs. Croit-il que Paris peut-être délivré? Qui donc le tromperait avec cette illusion féroce? ignore-t-il que Chanzy a honorablement perdu la partie, et que Bourbaki, plus près de l'Allemagne que de Paris, se heurte bravement contre l'ennemi et ne l'entame pas? Je crois plutôt que Jules Favre voit la prochaine nécessité de capituler, et qu'il espère encore une paix honorable.

Ce mot honorable, qui est dans toutes les bouches, est, comme dans toutes les circonstances où un mot prend le dessus sur les idées, celui qui a le moins de sens. Nous ne pouvons pas faire une paix qui nous déshonore après une guerre d'extermination acceptée et subie si courageusement depuis cinq mois. Paris bombardé depuis tant de jours et ne voulant pas encore se rendre ne peut pas être déshonoré. Quand même le Prussien cynique y entrerait, la honte serait pour lui seul. La paix, quelle qu'elle soit, sera toujours un hommage rendu à la France, et plus elle sera dure, plus elle marquera la crainte que la France vaincue inspire encore à l'ennemi.

C'est ruineuse qu'il faut dire. Ils nous demanderont surtout de l'argent, ils l'aiment avec passion. On parle de trois, de cinq, de sept milliards. Nous aimerions mieux en donner dix que de céder des provinces qui sont devenues notre chair et notre sang. C'est là où l'on sent qu'une immense douleur peut nous atteindre. C'est pour cela que nous n'avons pas reculé devant une lutte que nous savions impossible, avec un gouvernement captif et une délégation débordée; mais, fallût-il nous voir arracher ces provinces à la dernière extrémité, nous ne serions pas plus déshonorés que ne l'est le blessé à qui un boulet a emporté un membre.

Non, à l'heure qu'il est, notre honneur national est sauvé. Que l'on essaye encore pour l'honneur de perdre de nouvelles provinces, que les généraux continuent le duel pour l'honneur, c'est une obstination héroïque peut-être, mais que nous ne pouvons plus approuver, nous qui savons que tout est perdu. La partie ardente et généreuse de la France consent encore à souffrir, mais ceux qui répondent de ses destinées ne peuvent plus ignorer que la désorganisation est complète, qu'ils ne peuvent plus compter sur rien. Il le reconnaissent entre eux, à ce qu'on assure.

Les optimistes sont irritants. Ils disent que la guerre commence, que dans six mois nous serons à Berlin; peut-être s'imaginent-ils que nous y sommes déjà. Pourtant, comme ils disent tous la même chose, dans les mêmes termes, cela ressemble à un mot d'ordre de parti plus qu'à une illusion. Ériger l'illusion en devoir, c'est entendre singulièrement le patriotisme et l'amour de l'humanité. Je ne me crois pas forcée de jouer la comédie de l'espérance, et je plains ceux qui la jouent de bonne foi; ils auront un dur réveil.

Il serait curieux de savoir par quelle fraction du parti républicain nous sommes gouvernés en ce moment, en d'autres termes à quel parti appartient la dictature des provinces. MM. Crémieux et Glais-Bizoin se sont renfermés jusqu'à présent dans leur rôle de ministres; je ne les crois pas disposés à d'autres usurpations de pouvoir que celles qui leur seraient imposées par le gouvernement de Paris. Or le gouvernement de Paris paraît très-pressé de se débarrasser de son autorité pour en appeler à celle du pays. Malgré les fautes commises, – l'abandon téméraire des négociations de paix en temps utile, le timide ajournement des élections à l'heure favorable, – on voit percer dans tout ce que l'on sait de sa conduite le sentiment du désintéressement personnel, la crainte de s'ériger en dictature et d'engager l'avenir. La faiblesse que semblent lui reprocher les Parisiens, exaltés par le malheur, est probablement la forme que revêt le profond dégoût d'une trop lourde responsabilité, peut-être aussi une terreur scrupuleuse en face des déchirements que pourrait provoquer une autorité plus accusée. A Bordeaux, il n'en est plus de même. Un homme sans lassitude et sans scrupule dispose de la France. C'est un honnête homme et un homme convaincu, nous le croyons; mais il est jeune, sans expérience, sans aucune science politique ou militaire: l'activité ne supplée pas à la science de l'organisation. On ne peut mieux le définir qu'en disant que c'est un tempérament révolutionnaire. Ce n'est pas assez; toutes les mesures prises par lui sont la preuve d'un manque de jugement qui fait avorter ses efforts et ses intentions.

Ce manque de jugement explique l'absence d'appréciation de soi-même. C'est un grand malheur de se croire propre à une tâche démesurée, quand on eût pu remplir d'une manière utile et brillante un moindre rôle. Il y a eu là un de ces enivrements subits que produisent les crises révolutionnaires, un de ces funestes hasards de situation que subissent les nations mortellement frappées, et qui leur portent le dernier coup; mais à quel parti se rattache ce jeune aventurier politique? Si je ne me trompe, il n'appartient à aucun, ce qui est une preuve d'intelligence et aussi une preuve d'ambition. Il a donné sa confiance, les fonctions publiques et, ce qui est plus grave, les affaires du pays à tous ceux qui sont venus s'offrir, les uns par dévouement sincère, les autres pour satisfaire leurs mauvaises passions ou pour faire de scandaleux profits. Il a tout pris au hasard, pensant que tous les moyens étaient bons pour agiter et réveiller la France, et qu'il fallait des hommes et de l'argent à tout prix. Il n'a eu aucun discernement dans ses choix, aucun respect de l'opinion publique, et cela involontairement, j'aime à le croire, mais aveuglé par le principe «qui veut la fin veut les moyens.» Il faut être bien enfant pour ne pas savoir, après tant d'expériences récentes, que les mauvais moyens ne conduisent jamais qu'à une mauvaise fin. Comme il a cherché à se constituer un parti avec tout ce qui s'est offert, il serait difficile de dire quelle est la règle, quel est le système de celui qu'il a réussi à se faire; mais ce parti existe et fait très-bon marché des sympathies et de la confiance du pays. Il y a un parti Gambetta, et ceci est la plus douloureuse critique qu'on puisse faire d'une dictature qui n'a réussi qu'à se constituer un parti très-restreint, quand il fallait obtenir l'adhésion d'un peuple. On ne fera plus rien en France avec cette étroitesse de moyens. Quand tous les sentiments sont en effervescence et tous les intérêts en péril, on veut une large application de principes et non le détail journalier d'essais irréfléchis et contradictoires qui caractérise la petite politique. J'espère encore, j'espère pour ma dernière consolation en cette vie que mon pays, en présence de tant de factions qui le divisent, prendra la résolution de n'appartenir à aucune et de rester libre, c'est-à-dire républicain. Il faudra donc que le parti Gambetta se range, comme les autres, à la légalité, au consentement général, ou bien c'est la guerre civile sans frein et sans issue, une série d'agitations et de luttes qui seront très-difficiles à comprendre, car chaque parti a son but personnel, qu'il n'avoue qu'après le succès. Les gens de bonne foi qui ont des principes sincères sont ceux qui comprennent le moins des événements atroces comme ceux des journées de juin. Plus ils sont sages, plus le spectacle de ces délires les déconcerte.

L'opinion républicaine est celle qui compte le plus de partis, ce qui prouve qu'elle est l'opinion la plus générale. Comment faire, quel miracle invoquer pour que ces partis ne se dévorent pas entre eux, et ne provoquent pas des réactions qui tueraient la liberté? Quel est celui qui a le plus d'avenir et qui pourrait espérer se rallier tous les autres? C'est celui qui aura la meilleure philosophie, les principes les plus sûrs, les plus humains, les plus larges; mais le succès lui est promis à une condition, c'est qu'il sera le moins ambitieux de pouvoir personnel, et que nul ne pourra l'accuser de travailler pour lui et ses amis.

Le parti Gambetta ne présente pas ces chances d'avenir, d'abord parce qu'il ne se rattache à aucun corps de doctrines, ensuite parce qu'il s'est recruté indifféremment parmi ce qu'il y a de plus pur et ce qu'il y a de plus taré, et que dès lors les honnêtes gens auront hâte de se séparer des bandits et des escrocs. Ceux-ci disparaîtront quand l'ordre se fera, mais pour reparaître dans les jours d'agitation et se retrouver coude à coude avec les hommes d'honneur, qu'ils traiteront de frères et d'amis, au grand déplaisir de ces derniers. Ces éléments antipathiques que réunissent les situations violentes sont une prompte cause de dégoût et de lassitude pour les hommes qui se respectent. M. Gambetta, honnête homme lui-même, éclairé plus tard par l'expérience de la vie, sera tellement mortifié du noyau qui lui restera, qu'il aura peut-être autant de soif de l'obscurité qu'il en a maintenant de la lumière. En attendant, nous qui subissons le poids de ses fautes et qui le voyons aussi mal renseigné sur les chances d'une guerre à outrance que l'était Napoléon III en déclarant cette guerre insensée, nous ne sourions pas à sa fortune présente, et, n'était la politesse, nous ririons au nez de ceux qui s'en font les adorateurs intéressés ou aveugles.

 

C'est un grand malheur que ce Gambetta ne soit pas un homme pratique, il eût pu acquérir une immense popularité et réunir dans un même sentiment toutes les nuances si tranchées, si hostiles les unes aux autres, des partisans de la république. Au début, nous l'avons tous accueilli avec cette ingénuité qui caractérise le tempérament national. C'était un homme nouveau, personne ne lui en voulait. On avait besoin de croire en lui. Il est descendu d'un ballon frisant les balles ennemies, incident très-dramatique, propre à frapper l'imagination des paysans. Dans nos contrées, ils voulaient à peine y croire, tant ce voyage leur paraissait fantastique; à présent, le prestige est évanoui. Ils ont ouï dire qu'une quantité de ballons tombaient de tous côtés, ils ont reçu par cette voie des nouvelles de leurs absents, ils ont vu passer dans les airs ces étranges messagers. Ils se sont dit que beaucoup de Parisiens étaient aussi hardis et aussi savants que M. Gambetta, ils ont demandé avec une malignité ingénue s'ils venaient pour le remplacer. Au début, ils n'ont fait aucune objection contre lui. Tout le monde croyait à une éclatante revanche; tout le monde a tout donné. De son côté le dictateur semblait donner des preuves de savoir-faire en étouffant avec une prudence apparente les insurrections du Midi; les modérés se réjouissaient, car les modérés ont la haine et la peur des rouges dans des proportions maladives et tant soit peu furieuses. C'est à eux que le vieux Lafayette disait autrefois:

– Messieurs, je vous trouve enragés de modération.

Les modérés gambettistes sont un peu embarrassés aujourd'hui que la dictature commence à casser leurs vitres, le moment étant venu où il faut faire flèche de tout bois. Les rouges d'ailleurs sont dans l'armée comme les légitimistes, comme les cléricaux, comme les orléanistes. Évidemment les rouges sont des hommes comme les autres, ils se battent comme les autres, et il faudra compter avec leur opinion comme avec celle des autres. Ce serait même le moment d'une belle fusion, si, par tempérament, les rouges n'étaient pas irréconciliables avec tout ce qui n'est pas eux-mêmes; c'est le parti de l'orgueil et de l'infaillibilité. A cet effet, ils ont inventé le mandat impératif que des hommes d'intelligence, Rochefort entre autres, ont cru devoir subir, sans s'apercevoir que c'était la fin de la liberté et l'assassinat de l'intelligence!

Les rouges! c'est encore un mot vide de sens. Il faut le prendre pour ce qu'il est: un drapeau d'insurrection; mais dans les rangs de ce parti il y a des hommes de mérite et de talent qui devraient être à sa tête et le contenir pour lui conserver l'avenir, car ce parti en a, n'en déplaise aux modérés, c'est même probablement celui qui en a le plus, puisqu'il se préoccupe de l'avenir avec passion, sans tenir compte du présent. Qu'on fasse entrer dans ses convictions et dans ses moeurs, un peu trop sauvages, le respect matériel de la vraie légalité, et, de la confusion d'idées folles ou généreuses qu'il exhale pêle-mêle, sortiront des vérités qui sont déjà reconnues par beaucoup d'adhérents silencieux, ennemis, non de leurs doctrines, mais de leurs façons d'agir. Une société fondée sur le respect inviolable du principe d'égalité, représenté par le suffrage universel et par la liberté de la presse, n'aurait jamais rien à craindre des impatients, puisque leur devise est liberté, égalité: je ne sais s'ils ajoutent fraternité: dans ces derniers temps, ils ont perdu par la violence, la haine et l'injure, le droit de se dire nos frères.

N'importe! une société parfaitement soumise au régime de l'égalité et préservée des excès par la liberté de parler, d'écrire et de voter, aurait dès lors le droit de repousser l'agression de ceux qui ne se contenteraient pas de pareilles institutions, et qui revendiqueraient le droit monstrueux de guerre civile. Il faut que les modérés y prennent garde; si les insurrections éclatent parfois sans autre cause que l'ambition de quelques-uns ou le malaise de plusieurs, il n'en est pas de même des révolutions, et les révolutions ont toujours pour cause la restriction apportée à une liberté légitime. Si, par crainte des émeutes, la société républicaine laisse porter atteinte à la liberté de la parole et de l'association, elle fermera la soupape de sûreté, elle ouvrira la carrière à de continuelles révolutions. M. Gambetta paraît l'avoir compris en prononçant quelques bonnes paroles à propos de la liberté des journaux dans ce trop long et trop vague discours du 1er janvier, dont je me plaignais peut-être trop vivement l'autre jour. S'il a cette ferme conviction que la liberté de la presse doit être respectée jusque dans ses excès, s'il désavoue les actes arbitraires de quelques-uns de ses préfets, il respectera sans doute également le suffrage universel. Ceci ne fera pas le compte de tous ses partisans, mais j'imagine qu'il n'est pas homme à sacrifier les principes aux circonstances.

Je lui souhaite de ne pas perdre la tête à l'heure décisive, et je regrette de le voir passer à l'état de fétiche, ce qui est le danger mortel pour tous les souverains de ce monde.

19 janvier.

On a des nouvelles de Paris du 16. Le bombardement nocturne continue. —Nocturne est un raffinement. On veut être sûr que les gens seront écrasés sous leurs maisons. On assure pourtant que le mal n'est pas grand. Lisez qu'il n'est peut-être pas proportionné à la quantité de projectiles lancés et à la soif de destruction qui dévore le saint empereur d'Allemagne; mais il est impossible que Paris résiste longtemps ainsi, et il est monstrueux que nous le laissions résister, quand nous savons que nos armées reculent au lieu d'avancer.

Du côté de Bourbaki, l'espoir s'en va complètement malgré de brillants faits d'armes qui tournent contre nous chaque fois.

20.

Nos généraux ne combattent plus que pour joûter. Ils n'ont pas la franchise de d'Aurelle de Paladines, qui a osé dire la vérité pour sauver son armée. Ils craignent qu'on ne les accuse de lâcheté ou de trahison. La situation est horrible, et elle n'est pas sincère!

Le temps est doux, on souffre moins à Paris; mais les pauvres ont-ils du charbon pour cuire leurs aliments? – On est surpris qu'ils aient encore des aliments. Pourquoi donc a-t-on ajourné l'appel au pays il y a trois mois, sous prétexte que Paris ne pouvait supporter vingt et un jours d'armistice sans ravitaillement? Le gouvernement ne savait donc pas ce que Paris possédait de vivres à cette époque? Que de questions on se fait, qui restent forcément sans réponse!

21.

Tours est pris par les Prussiens.

22 et 23.

Toujours plus triste, toujours plus noir, Paris toujours bombardé! on a le coeur dans un étau. Quelle morne désespérance! on aurait envie de prendre une forte dose d'opium pour se rendre indifférent par idiotisme. – Non! on n'a pas le droit de ne pas souffrir. Il faut savoir, il faudra se souvenir. Il faut tâcher de comprendre à travers les ténèbres dont on nous enveloppe systématiquement. A en croire les dépêches officielles, nous serions victorieux tous les jours et sur tous les points. Si nous avions tué tous les morts qu'on nous signale, il y a longtemps que l'armée prussienne serait détruite; mais, à la fin de toutes les dépêches, on nous glisse comme un détail sans importance que nous avons perdu encore du terrain. Quel régime moral que le compte rendu journalier de cette tuerie réciproque! Il y a des mots atroces qui sont passés dans le style officiel:

– Nos pertes sont insignifiantes, – nos pertes sont peu considérables.

Les jours de désastre, on nous dit avec une touchante émotion:

– Nos pertes sont sensibles.

Mais pour nous consoler on ajoute que celles de l'ennemi sont sérieuses, et le pauvre monde à l'affût des nouvelles, va se coucher content, l'imagination calmée par le rêve de ces cadavres qui jonchent la terre de France!

24 janvier.

Nos trois corps d'armée sont en retraite. Les Prussiens ont Tours, Le Mans; ils auront bientôt toute la Loire. Ils payent cher leurs avantages, ils perdent beaucoup d'hommes. Qu'importe au roi Guillaume? l'Allemagne lui en donnera d'autres. Il la consolera de tout avec le butin, l'Allemand est positif; on y perd un frère, un fils, mais on reçoit une pendule, c'est une consolation.

Paris se bat, sorties héroïques, désespérées. – Mon Dieu, mon Dieu! nous assistons à cela. Nous avons donné, nous aussi, nos enfants et nos frères. Varus, qu'as-tu fait de nos légions?

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