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Han d'Islande

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VIII

Il faut absolument que tu l'aies massacré; tu as le regard d'un meurtrier, un air sinistre et farouche.

SHAKESPEARE, le Songe d'été.

– En honneur, vieillard, dit Ordener à Spiagudry, je commençais à croire que c'étaient les cadavres logés dans cet édifice qui étaient chargés d'en ouvrir la porte.

– Pardonnez, seigneur, répondit le concierge ayant encore dans l'oreille les noms du roi et du vice-roi et répétant son excuse banale, je… je dormais profondément.

– En ce cas, il paraît que vos morts ne dorment pas, car c'étaient eux sans doute que j'entendais tout à l'heure causer distinctement.

Spiagudry se troubla.

– Vous avez, seigneur étranger, vous avez entendu?....

– Eh! mon Dieu, oui; mais qu'importe? je ne suis pas venu ici pour m'occuper de vos affaires, mais pour vous occuper des miennes. Entrons.

Spiagudry ne se souciait guère d'introduire le nouveau venu près du corps de Gill; mais ces dernières paroles le rassurèrent un peu, et d'ailleurs, pouvait-il résister?

Il laissa donc passer le jeune homme, et, refermant la porte:

– Benignus Spiagudry, dit-il, est à votre service pour tout ce qui concerne les sciences humaines. Cependant, si, comme votre visite nocturne semble l'annoncer, vous croyez parler à un sorcier, vous avez tort; ne famam credas; je ne suis qu'un savant.– Entrons, seigneur étranger, dans mon laboratoire.

– Non pas, dit Ordener, c'est à ces cadavres qu'il faut nous arrêter.

– À ces cadavres! s'écria Spiagudry, recommençant à trembler. Mais, seigneur, vous ne pouvez les voir.

– Comment, je ne puis voir des corps qui ne sont déposés là que pour être vus! Je vous répète que j'ai des renseignements à vous demander sur l'un d'eux; votre devoir est de me les donner. Obéissez de gré, vieillard, ou vous obéirez de force.

Spiagudry avait un profond respect pour les sabres, et il en voyait briller un au côté d'Ordener.

– Nihil non arrogat armis, murmura-t-il; et, fouillant dans le trousseau de ses clefs, il ouvrit la grille à hauteur d'appui, et introduisit l'étranger dans la seconde section de la salle.

– Montrez-moi les vêtements du capitaine, dit celui-ci.

En ce moment, un rayon de la lampe tomba sur la tête sanglante de Gill Stadt.

– Juste Dieu! s'écria Ordener, quelle abominable profanation!

– Grand saint Hospice, ayez pitié de moi! dit à voix basse le vieux concierge.

– Vieillard, poursuivit Ordener d'une voix menaçante, êtes-vous si loin de la tombe, pour violer le respect qu'on lui voue, et ne craignez-vous pas, malheureux, que les vivants ne vous apprennent ce que l'on doit aux morts?

– Oh! s'écria le pauvre concierge, grâce, ce n'est pas moi! Si vous saviez!.... Et il s'arrêta, car il se rappela ces mots du petit homme: Sois fidèle et muet.

– Avez-vous vu quelqu'un sortir par cette ouverture? demanda-t-il d'une voix éteinte.

– Oui. Est-ce ton complice?

– Non, c'est le coupable, le seul coupable! j'en, jure par toutes les réprobations infernales, par toutes les bénédictions célestes, par ce corps même si indignement profané!– Et il s'était prosterné sur la pierre devant Ordener.

Tout hideux qu'était Spiagudry, il y avait cependant dans son désespoir, dans ses protestations, un accent de vérité qui persuada le jeune homme.

– Vieillard, dit-il, relève-toi, et si tu n'as point outragé la mort, n'avilis point la vieillesse.

Le concierge se releva. Ordener continua:

– Quel est le coupable?

– Oh! silence, noble jeune seigneur, vous ignorez de qui vous parlez. Silence!

Et Spiagudry se répétait intérieurement: Sois fidèle et muet.

Ordener reprit froidement:

– Quel est le coupable? Je veux le connaître.

– Au nom du ciel, seigneur! ne parlez pas ainsi, taisez-vous, de peur....

– La peur ne me fera point taire et te fera parler.

– Excusez-moi, pardon, mon jeune maître! dit le désolé Spiagudry, je ne puis.

– Tu le peux, car je le veux. Tu nommeras le profanateur!

Spiagudry chercha encore à tergiverser.

– Eh bien! noble maître, le profanateur de ce cadavre est l'assassin de cet officier.

– Cet officier est donc mort assassiné? demanda Ordener, ramené par cette transition au but de sa recherche.

– Oui, sans doute, seigneur.

– Et par qui? par qui?

– Au nom de la sainte que votre mère invoquait en vous donnant le jour, ne cherchez pas à savoir ce nom, mon jeune maître, ne me forcez pas à le révéler.

– Si l'intérêt que j'ai à le savoir avait besoin d'être accru, vous y ajouteriez, vieillard, l'intérêt de la curiosité. Je vous commande de me nommer ce meurtrier.

– Eh bien, dit Spiagudry, remarquez ces profondes déchirures produites par des ongles longs et tranchants sur le corps de ce malheureux. Elles vous nomment l'assassin.

Et le vieillard montrait à Ordener de longues et fortes égratignures sur le cadavre nu et lavé.

– Comment? dit Ordener, est-ce quelque bête fauve?

– Non, mon jeune seigneur.

– Mais, à moins que ce ne soit le diable....

– Chut! prenez garde de trop bien deviner. N'avez-vous jamais entendu parler, poursuivit le concierge à voix basse, d'un homme ou d'un monstre à face humaine, dont les ongles sont aussi longs que ceux d'Astaroth qui nous a perdus, ou de l'Antéchrist qui nous perdra?

– Parlez plus clairement.

– Malheur! dit l'Apocalypse....

– C'est le nom de l'assassin que je vous demande.

– L'assassin… le nom?.... Seigneur, ayez pitié de moi, ayez pitié de vous.

– La seconde de ces prières détruirait la première, quand bien même des motifs graves ne me forceraient pas à t'arracher ce nom. N'abuse pas plus longtemps....

– Eh bien, vous le voulez, jeune homme, dit Spiagudry se redressant et d'une voix haute, ce meurtrier, ce profanateur est Han d'Islande.

Ce nom redoutable n'était pas ignoré d'Ordener.

– Comment! reprit-il, Han! cet exécrable bandit!

– Ne l'appelez pas bandit, car il vit toujours seul.

– Alors, misérable, comment le connaissez-vous? Quels crimes communs vous ont donc rapprochés?

– Oh! noble maître, daignez ne pas croire aux apparences. Le tronc de chêne est-il vénéneux parce que le serpent s'y abrite?

– Point de vaines paroles! un scélérat ne peut avoir d'ami qu'un complice.

– Je ne suis point son ami, et moins encore son complice; et si mes serments ne vous ont pas persuadé, seigneur, veuillez de grâce remarquer que cette profanation détestable m'expose, dans vingt-quatre heures, quand on viendra relever le corps de Gill Stadt, au supplice des sacrilèges, et me jette ainsi dans la plus effroyable inquiétude où innocent se soit jamais trouvé.

Ces considérations d'intérêt personnel firent encore plus sur Ordener que la voix suppliante du pauvre gardien, auquel elles avaient probablement inspiré en bonne partie sa pathétique, quoique inutile résistance au sacrilège du petit homme. Ordener parut méditer un moment, pendant lequel Spiagudry cherchait à lire sur son visage si ce repos déciderait la paix ou ramènerait la tempête.

Enfin il dit d'un ton sévère, mais calme:

– Vieillard, soyez véridique. Ayez-vous trouvé des papiers sur cet officier?

– Aucun, sur mon honneur.

– Savez-vous si Han d'Islande en a trouvé?

– Je vous jure par saint Hospice que je l'ignore.

– Vous l'ignorez? savez-vous où se cache ce Han d'Islande?

– Il ne se cache jamais, il erre toujours.

– Soit; mais enfin quelles sont ses retraites?

– Ce païen, répondit le vieillard à voix basse, a autant de retraites que l'île de Hitteren a de récifs, que l'étoile Sirius a de rayons.

– Je vous engage de nouveau, interrompit Ordener, à parler en termes positifs. Je vais vous donner l'exemple; écoutez. Vous êtes mystérieusement lié avec un brigand dont vous soutenez ne pas être le complice. Si vous le connaissez, vous devez savoir où il s'est maintenant retiré.– Ne m'interrompez pas.– Si vous n'êtes pas son complice, vous n'hésiterez pas à me conduire à sa recherche.

Spiagudry ne put contenir son effroi.

– Vous, noble seigneur, vous, grand Dieu! plein de jeunesse et de vie, provoquer, rechercher ce démoniaque! Quand Ingiald aux quatre bras combattit le géant Nyctolm, du moins avait-il quatre bras.

– Eh bien, dit Ordener en souriant, s'il faut quatre bras, ne serez-vous pas mon guide?

– Moi! votre guide! Comment pouvez-vous vous railler ainsi d'un pauvre vieillard qui a déjà presque besoin d'un guide lui-même?

– Écoutez, reprit Ordener, n'essayez pas vous-même de vous jouer de moi. Si cette profanation, dont je veux bien vous croire innocent, vous expose au châtiment des sacrilèges, vous ne pouvez rester ici. Il vous faut donc fuir. Je vous offre ma sauvegarde, mais à condition que vous me conduirez à la retraite du brigand. Soyez mon guide, je serai votre protecteur. Je dis plus; si j'atteins Han d'Islande, je l'amènerai ici mort ou vif. Vous pourrez prouver votre innocence, et je vous promets de vous faire rentrer dans votre emploi. Voilà, en attendant, plus d'écus royaux qu'il ne vous en rapporte par an.

Ordener, en gardant la bourse pour la fin, avait observé dans ses arguments la gradation voulue par les saines lois de la logique. Cependant ils étaient par eux-mêmes assez forts pour faire rêver Spiagudry. Il commença par prendre l'argent.

– Noble maître, vous avez raison, dit-il ensuite, et son?il, jusqu'alors indécis, se releva sur Ordener. Si je vous suis, je m'expose quelque jour à la vengeance du formidable Han. Si je reste, je tombe demain entre les mains du bourreau Orugix.– Quel est donc déjà le supplice des sacrilèges? N'importe.– Dans les deux cas, ma pauvre vie est en péril; mais comme, d'après la juste observation de S?mond-Sigfusson, autrement dit le Sage, inter duo pericùla?qualia, minus imminens eligendum est, je vous suis.– Oui, seigneur, je serai votre guide. Veuillez ne pas oublier toutefois que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour vous détourner de votre aventureux dessein.

 

– Soit, dit Ordener. Vous serez donc mon guide. Vieillard, ajouta-t-il avec un regard expressif, je compte sur votre loyauté.

– Ah! maître, répondit le concierge, la foi de Spiagudry est aussi pure que l'or que vous venez de me donner si gracieusement.

– Qu'il n'en soit pas autrement, car je vous prouverais que le fer que je porte n'est pas de moins bon aloi que mon or.– Où pensez-vous que soit Han d'Islande?

– Mais, comme le midi du Drontheimhus est plein de troupes qu'on y a envoyées sur je ne sais quelle réquisition du grand-chancelier, Han doit s'être dirigé vers la grotte de Walderlong ou vers le lac de Smiasen. Notre route est par Skongen.

– Quand pouvez-vous me suivre?

– Après la journée qui commence, quand la nuit sera close et le Spladgest fermé, votre pauvre serviteur commencera près de vous les fonctions de guide, pour lesquelles il privera les morts de ses soins. Nous chercherons un moyen de cacher pendant tout le jour, aux yeux du peuple, la mutilation du mineur.

– Où vous trouverai-je ce soir?

– Sur la grande place de Drontheim, s'il convient au maitre, près la statue de la Justice, qui fut jadis Freya, et qui me protégera sans doute de son ombre en reconnaissance du beau diable que j'ai fait sculpter sous ses pieds.

Spiagudry allait peut-être répéter verbalement à Ordener les considérants de son placet au gouverneur, si celui-ci ne l'eût interrompu.

– Il suffit, vieillard, le traité est conclu.

– Conclu, répéta le concierge.

Il achevait ce mot, lorsqu'une espèce de grondement se fit entendre comme au-dessus d'eux. Le concierge tressaillit.

– Qu'est cela? dit-il.

– N'y a-t-il ici, dit Ordener également surpris, d'autre habitant vivant que vous?

– Vous me rappelez mon vicaire Oglypiglap, reprit Spiagudry rassuré par cette idée; c'est lui sans doute qui dort bruyamment. Un lapon qui dort, selon l'évêque Arngrim, fait autant de bruit qu'une femme qui veille.

En parlant ainsi, ils s'étaient rapprochés de la porte du Spladgest. Spiagudry l'ouvrit doucement.

– Adieu, mon jeune seigneur, dit-il à Ordener, le ciel vous mette en joie. À ce soir. Si votre chemin vous conduit devant la croix de saint Hospice, daignez prier pour votre misérable serviteur Benignus Spiagudry.

Alors refermant en hâte la porte, autant de crainte d'être aperçu que pour garantir sa lampe des premières brises du matin, il revint près du cadavre de Gill, et s'occupa d'en tourner la tête de manière à en cacher la blessure.

Il avait fallu bien des raisons pour décider le timide concierge à accepter l'offre aventureuse de l'étranger. Dans les motifs de sa téméraire détermination entraient: 1° la crainte d'Ordener présent; 2° celle du bourreau Orugix; 3° une vieille haine pour Han d'Islande, haine qu'il osait à peine s'avouer à lui-même, tant la terreur la comprimait; 4° l'amour pour les sciences, auxquelles son voyage serait si utile; 5° la confiance en son esprit rusé, pour se dérober aux regards de Han; 6° un attrait tout spéculatif pour certain métal que renfermait la bourse du jeune aventurier, et dont paraissait aussi remplie la boîte de fer volée au capitaine et destinée à la veuve Stadt, message qui maintenant courait grand risque de ne jamais quitter le messager.

Une dernière raison enfin, c'était l'espérance bien ou mal fondée de rentrer tôt ou tard dans la place qu'il allait abandonner. Que lui importait d'ailleurs que le brigand tuât le voyageur ou le voyageur le brigand? A ce point de sa rêverie, il ne put s'empêcher de dire à haute voix:

– Cela me fera toujours un cadavre.

Un nouveau grondement se fit encore entendre, et le malheureux concierge frissonna.

– Ce ne sont vraiment point là les ronflements d'Oglypiglap, se dit-il; ce bruit vient du dehors.

Puis, après un moment de réflexion:

– Je suis bien simple de m'effrayer ainsi, c'est sans doute le dogue du port qui se réveille et qui aboie.

Alors il acheva de disposer les membres défigurés de Gill; puis, refermant toutes les portes, vint se délasser sur son grabat des fatigues de la nuit qui s'achevait, et prendre des forces pour celle qui se préparait.

IX

JULIETTE.

Ah! crois-tu que nous nous revoyions jamais?

ROMÉO.

Je n'en doute point; et toutes ces peines deviendront le doux entretien de nos jours à venir.

SHAKESPEARE.

Le fanal du château de Munckholm venait de s'éteindre, et, à sa place, le matelot entrant dans le golfe de Drontheim voyait le casque du soldat de garde briller de loin, comme une étoile mobile, aux rayons du soleil levant, quand Schumacker, appuyé sur le bras de sa fille, descendit comme de coutume dans le jardin circulaire qui environnait sa prison. Tous deux avaient eu une nuit agitée, le vieillard par l'insomnie, la jeune fille par des rêves délicieux. Ils se promenaient depuis quelque temps en silence, quand le vieux prisonnier attacha sur la belle jeune fille un regard triste et grave:

– Vous rougissez et souriez toute seule, Éthel; vous êtes heureuse, car vous ne rougissez pas du passé, et vous souriez à l'avenir.

Éthel rougit plus fort, et cessa de sourire.

– Mon seigneur et père, dit-elle, embarrassée et confuse, j'ai apporté le livre de l'Edda.

– Eh bien, lisez, ma fille, dit Schumacker; et il retomba dans sa rêverie.

Alors le sombre captif, assis sur un rocher noirâtre ombragé d'un sapin noir, écouta la douce voix de sa fille, sans entendre sa lecture, comme un voyageur altéré se plaît au murmure de la source où il puise la vie.

Éthel lui lut l'histoire de la bergère Allanga, qui refusa un roi jusqu'à ce qu'il eût prouvé qu'il était un guerrier. Le prince Regner Lodbrog n'obtint la bergère qu'en revenant vainqueur du brigand de Klipstadur, Ingolphe l'Exterminateur.

Soudain un bruit de pas et de feuillage froissé vint interrompre sa lecture et arracher Schumacker à sa méditation. Le lieutenant d'Ahlefeld sortit de derrière le rocher où ils étaient assis. Éthel baissa la tête en reconnaissant l'interrupteur éternel, et l'officier s'écria:

– Sur ma foi, ma belle damoiselle, le nom d'Ingolphe l'Exterminateur vient d'être prononcé par votre charmante bouche. Je l'ai entendu, et je présume que c'est en parlant de son petit-fils, Han d'Islande, que vous êtes remontée jusqu'à lui. Les damoiselles aiment beaucoup à parler des brigands. Sous ce rapport, on conte d'Ingolphe et de sa descendance des choses singulièrement agréables et effrayantes à entendre. L'exterminateur Ingolphe n'eut qu'un fils, né de la sorcière Thoarka; ce fils n'eut également qu'un fils, né de même d'une sorcière. Depuis quatre siècles, cette race s'est ainsi perpétuée pour la désolation de l'Islande, toujours par un seul rejeton, qui ne produit jamais qu'un rameau. C'est par cette série d'héritiers uniques que l'esprit infernal d'Ingolphe est arrivé de nos jours sain et entier au fameux Han d'Islande, qui avait sans doute tout à l'heure le bonheur d'occuper les virginales pensées de la damoiselle.

L'officier s'arrêta un moment. Éthel gardait le silence de l'embarras; Schumacker, celui de l'ennui. Enchanté de les trouver disposés sinon à répondre, du moins à écouter, il continua:

– Le brigand de Klipstadur n'a d'autre passion que la haine des hommes, d'autre soin que celui de leur nuire.

– Il est sage, interrompit brusquement le vieillard.

– Il vit toujours seul, reprit le lieutenant.

– Il est heureux, dit Schumacker.

Le lieutenant fut ravi de cette double interruption, qui semblait sceller un pacte de conversation.

– Nous préserve le dieu Mithra, s'écria-t-il, de ces sages et de ces heureux! Maudit soit le zéphyr malintentionné qui a apporté en Norvège le dernier des démons d'Islande. J'ai tort de dire malintentionné, car c'est, assure-t-on, à un évêque que nous devons le bonheur de posséder Han de Klipstadur. Si l'on en croit la tradition, quelques paysans islandais, ayant pris sur les montagnes de Bessestedt le petit Han encore enfant, voulurent le tuer, comme Astyage tua le lionceau de Bactriane; mais l'évêque de Scalholt s'y opposa, et prit l'oursin sous sa protection, espérant faire un chrétien du diable. Le bon évêque employa mille moyens pour développer cette intelligence infernale, oubliant que la ciguë ne s'était point changée en lys dans les serres chaudes de Babylone. Aussi le démoniaque adolescent le paya-t-il de ses soins en s'enfuyant une belle nuit sur un tronc d'arbre, à travers les mers, et en éclairant sa fuite de l'incendie du manoir épiscopal. Voilà, selon les vieilles fileuses du pays, comment s'est transporté en Norvège cet islandais, qui, grâce à son éducation, offre aujourd'hui toute la perfection du monstre. Depuis ce temps, les mines de Fa-roër comblées et trois cents ouvriers écrasés sous les décombres; le rocher pendant de Golyn précipité pendant la nuit sur le village qu'il dominait; le pont de Half-Broën croulant du haut des roches sous le passage des voyageurs; la cathédrale de Drontheim incendiée; les fanaux côtiers éteints durant les nuits orageuses, et une foule de crimes et de meurtres ensevelis dans les lacs de Sparbo ou de Smiasen, ou cachés sous les grottes de Walderhog et de Rylass, et dans les gorges du Dofre-Field, ont attesté la présence de cet Arimane incarné dans le Drontheimhus. Les vieilles prétendent qu'il lui pousse un poil de la barbe à chaque crime; en ce cas sa barbe doit être aussi touffue que celle du plus vénérable mage assyrien. La belle damoiselle saura cependant que le gouverneur a plus d'une fois essayé d'arrêter la crue extraordinaire de cette barbe.

Schumacker rompit encore le silence.

– Et tous les efforts pour s'emparer de cet homme, dit-il avec un regard de triomphe et un sourire ironique, ont été vains? J'en félicite la grande-chancellerie.

L'officier ne comprit pas le sarcasme de l'ex-grand-chancelier.

– Han a jusqu'ici été aussi imprenable qu'Horatius surnommé Coclès. Vieux soldats, jeunes miliciens, campagnards, montagnards, tout meurt ou tout fuit devant lui. C'est un démon qu'on ne saurait éviter ni atteindre; ce qui peut arriver de plus heureux à ceux qui le cherchent, c'est de ne pas le trouver.

– La gracieuse damoiselle est peut-être surprise, continua-t-il en s'asseyant familièrement près d'Éthel, qui se rapprocha de son père, de tout ce que je sais de curieux touchant cet être surnaturel. Ce n'est pas sans intention que j'ai recueilli ces singulières traditions. Il me semble, et je serais heureux que ma charmante damoiselle partageât mon avis, que les aventures de Han pourraient fournir un roman délicieux, dans le genre des sublimes écrits de la damoiselle Scudéry, l' Artamène ou la Clélie, dont je n'ai encore lu que six volumes, mais qui n'en est pas moins un chef-d'oeuvre à mes yeux. Il faudrait, par exemple, adoucir notre climat, orner nos traditions, modifier nos noms barbares. Ainsi Drontheim, qui deviendrai Durtinianum, verrait ses forêts se changer sous ma baguette magique, en des bosquets délicieux, arrosés de mille petits ruisseaux, bien autrement poétiques que nos vilains torrents. Nos cavernes noires et profondes feraient place à des grottes charmantes, tapissées de rocailles dorées et de coquillages d'azur. Dans l'une de ces grottes habiterait un célèbre enchanteur, Hannus de Thulé…– Car vous conviendrez que le nom de Han d'Islande ne flatte pas l'oreille.– Ce géant…– vous sentez qu'il serait absurde que le héros d'un tel ouvrage ne fût pas un géant— ce géant descendrait en droite ligne du dieu Mars.– Ingolphe l'Exterminateur ne présente rien à l'imagination— et de la magicienne Théonne…– ne trouvez-vous pas le nom de Thoarka heureusement altéré?– fille de la sibylle de Cumes. Hannus, après avoir été élevé par le grand-mage de Thulé, se serait enfin échappé du palais du pontife, sur un char attelé de deux dragons…– Il faudrait être un pauvre esprit pour conserver la mesquine tradition du tronc d'arbre.– Arrivé sous le ciel de Durtinianum, et séduit par ce pays charmant, il en aurait fait le lieu de sa résidence et le théâtre de ses crimes. Ce ne serait pas chose aisée que de faire une peinture agréable des brigandages de Han. On pourrait en adoucir l'horreur par quelque amour ingénieusement imaginé. La bergère Alcippe, en promenant un jour son agneau dans un bois de myrtes et d'oliviers, serait aperçue par le géant, qui céderait soudain au pouvoir de ses yeux. Mais Alcippe aimerait le beau Lycidas, officier des milices, en garnison dans son hameau. Le géant s'irriterait du bonheur du centurion, et le centurion des assiduités du géant. Vous concevez, aimable damoiselle, tout ce qu'une pareille imagination pourrait semer de charme dans les aventures de Hannus. Je parierais mes bottes de Cracovie contre une paire de patins qu'un tel sujet, traité par la damoiselle Scudéry, ferait raffoler toutes les daines de Copenhague.

 

Ce mot arracha Schumacker de la sombre rêverie où il était resté enseveli pendant la dépense inutile de bel esprit que venait de faire le lieutenant.

– Copenhague?-dit-il brusquement; seigneur officier, que s'est-il passé de nouveau à Copenhague?

– Rien, sur ma foi, que je sache, répondit le lieutenant, sinon le consentement donné par le roi au mariage important qui occupe en ce moment les deux royaumes.

– Comment! reprit Schumacker; quel mariage?

L'apparition d'un quatrième interlocuteur arrêta la réponse sur les lèvres du lieutenant.

Tous trois levèrent les yeux. Le visage sombre du prisonnier s'éclaircit, la physionomie frivole du lieutenant prit une expression de gravité, et la douce figure d'Éthel, pâle et confuse pendant le long soliloque de l'officier, se ranima de vie et de joie. Elle soupira profondément, comme si son coeur eût été allégé d'un poids insupportable, et son sourire triste et furtif s'élança au-devant du nouveau venu.– C'était Ordener.

Le vieillard, la jeune fille et l'officier étaient devant Ordener dans une position singulière, ils avaient chacun un secret commun avec lui; aussi se gênaient-ils réciproquement. Le retour d'Ordener au donjon ne surprit ni Schumacker ni Éthel, qui l'attendaient; mais il étonna le lieutenant, autant que la présence du lieutenant surprit Ordener, qui aurait pu craindre quelque indiscrétion de l'officier sur la scène de la veille, si le silence prescrit par la loi courtoise ne l'eût rassuré. Il ne pouvait donc que s'étonner de le voir paisiblement assis près des deux prisonniers.

Ces quatre personnages ne pouvaient rien se dire réunis, précisément parce qu'ils auraient eu beaucoup à se dire isolément. Aussi, hormis les regards d'intelligence et d'embarras, l'accueil que reçut Ordener fut-il absolument muet.

Le lieutenant partit d'un éclat de rire.

– Par la queue du manteau royal, mon cher nouveau-venu, voilà un silence qui ne ressemble pas mal à celui des sénateurs gaulois, quand le romain Brennus.... Je ne sais, en honneur, déjà plus qui était romain ou gaulois, des sénateurs ou du général. N'importe! puisque vous voilà, aidez-moi à instruire cet honorable vieillard de ce qui se passe de nouveau. J'allais, sans votre subite entrée en scène, l'entretenir du mariage illustre qui occupe en ce moment mèdes et persans.

– Quel mariage? dirent en même temps Ordener et Schumacker.

– À la coupe de vos vêtements, seigneur étranger, s'écria le lieutenant en frappant des mains, j'avais déjà pressenti que vous veniez de quelque autre monde. Voici une question qui change en certitude mon soupçon. Vous êtes sans doute débarqué hier sur les bords de la Nidder, dans un char-fée attelé de deux griffons ailés; car vous n'auriez pu parcourir la Norvège sans entendre parler du fameux mariage du fils du vice-roi avec la fille du grand-chancelier.

Schumacker se tourna vers le lieutenant.

– Quoi! Ordener Guldenlew épouse Ulrique d'Ahlefeld?

– Comme vous dites, répondit l'officier, et cela sera conclu avant que la mode des vertugadins à la française soit passée à Copenhague.

– Le fils de Frédéric doit avoir environ vingt-deux ans; car j'étais depuis une année dans la forteresse de Copenhague quand le bruit de sa naissance parvint jusqu'à moi. Qu'il se marie jeune, continua Schumacker avec un sourire amer; au moment de la disgrâce on ne lui reprochera pas du moins d'avoir ambitionné le chapeau de cardinal.

Le vieux favori faisait à ses propres malheurs une allusion que le lieutenant ne comprit pas.

– Non certes, dit-il en éclatant de rire. Le baron Ordener va recevoir le titre de comte, le collier de l'Éléphant et les aiguillettes de colonel, qui ne se concilient guère vraiment avec la barrette de cardinal.

– Tant mieux, répondit Schumacker. Puis, après une pause, il ajouta, secouant la tête comme s'il eût vu sa vengeance devant lui:– Quelque jour peut-être on lui fera un carcan du noble collier, on lui brisera sur le front sa couronne de comte, on lui battra les joues de ses aiguillettes de colonel. Ordener saisit la main du vieillard.

– Dans l'intérêt de votre haine, seigneur, ne maudissez pas le bonheur d'un ennemi avant de savoir si ce bonheur en est un pour lui.

– Eh! mais, dit le lieutenant, qu'importent au baron de Thorvick les anathèmes du bonhomme?

– Lieutenant! s'écria Ordener, ils lui importent plus que vous ne pensez....– peut-être.– Et, poursuivit-il après un moment de silence, votre fameux mariage est moins certain que vous ne le croyez.

– Fiat quod vis, repartit le lieutenant avec une salutation ironique; le roi, le vice-roi et le grand-chancelier ont, il est vrai, tout disposé pour cette union; ils la désirent, ils la veulent; mais puisqu'elle déplaît au seigneur étranger, qu'importe le grand-chancelier, le vice-roi et le roi!

– Vous avez peut-être raison, dit Ordener d'un air sérieux.

– Oh! sur ma foi!– et le lieutenant se renversa sur le dos en éclatant de rire,– cela est trop plaisant. Je voudrais pour beaucoup que le baron de Thorvick fût ici pour entendre un devin aussi bien instruit des choses de ce monde décider de sa destinée. Mon docte prophète, croyez-moi, vous n'avez pas encore assez de barbe pour être bon sorcier.

– Seigneur lieutenant, répondit froidement Ordener, je ne pense pas qu'Ordener Guldenlew épouse une femme sans l'aimer.

– Eh! eh! voilà le livre des maximes. Et qui vous dit, seigneur du manteau vert, que le baron n'aime pas Ulrique d'Ahlefeld?

– Et, s'il vous plaît, à votre tour, qui vous dit qu'il l'aime?

Ici le lieutenant fut entraîné, comme il arrive souvent, par la chaleur de la conversation, à affirmer un fait dont il n'était pas sûr.

– Qui me dit qu'il l'aime? la question est amusante! J'en suis fâché pour votre divination; mais tout le monde sait que ce mariage n'est pas moins un mariage de passion que de convenance.

– Excepté moi, du moins, dit Ordener d'un ton grave.

– Excepté vous, soit; mais qu'importe! vous n'empêcherez pas que le fils du vice-roi ne soit amoureux de la fille du chancelier!

– Amoureux?

– Amoureux fou!

– Il faudrait en effet qu'il fût fou pour en être amoureux.

– Holà! n'oubliez pas de qui et à qui vous parlez. Ne dirait-on pas que le fils du comte vice-roi n'a pu s'éprendre d'une dame sans consulter ce rustaud?

En parlant ainsi, l'officier s'était levé. Éthel, qui vit le regard d'Ordener s'enflammer, se précipita devant lui.

– Oh! dit-elle, de grâce calmez-vous; n'écoutez pas ces injures; que nous importe que le fils du vice-roi aime la fille du chancelier? Cette douce main posée sur le coeur du jeune homme en apaisa la tempête; il abaissa sur son Éthel un regard enivré, et n'entendit plus le lieutenant qui, reprenant sa gaieté, s'écriait:– La damoiselle remplit avec une grâce infinie le rôle des dames sabines entre leurs pères et leurs maris. Mes paroles étaient peu mesurées; j'oubliais, poursuivit-il en s'adressant à Ordener, qu'il existait entre nous un lien de fraternité, et que nous ne pouvions plus nous provoquer.

– Chevalier, donnez-moi la main. Convenez-en, vous aviez aussi oublié que vous parliez du fils du vice-roi à son futur beau-frère, le lieutenant d'Ahlefeld.

À ce nom, Schumacker, qui avait tout observé jusque-là d'un oeil d'indifférence ou d'impatience, s'élança de son siège de pierre en poussant un cri terrible.

– D'Ahlefeld! un d'Ahlefeld devant moi! Serpent! comment n'ai-je pas reconnu dans le fils son exécrable père! Laissez-moi paisible dans mon cachot, je n'ai point été condamné au supplice de vous voir. Il ne me manque plus, comme il l'osait souhaiter tout à l'heure, que de voir le fils de Guldenlew près du fils d'Ahlefeld!– Traîtres! lâches! que ne viennent-ils eux-mêmes jouir de mes larmes de démence et de rage? Race! race abhorrée! fils d'Ahlefeld, laisse-moi!

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