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Actes et Paroles, Volume 3

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Pour toutes ces representations, M. Victor Hugo a fait l'abandon de son droit d'auteur.

Ces representations ont cesse par la force majeure en janvier, les theatres n'ayant plus de bois pour le chauffage ni de gaz pour l'eclairage.

* * * * *

Le 30 octobre, vers minuit, M. Victor Hugo, rentrant chez lui, rencontra, rue Drouot, M. Gustave Chaudey, sortant de la mairie dont il etait adjoint. Il etait accompagne de M. Philibert Audebrand. M. Victor Hugo avait connu M. Gustave Chaudey a Lausanne, au congres de la Paix, tenu en septembre 1869; ils se serrerent la main.

Quelques semaines apres, M. Gustave Chaudey vint avenue Frochot pour voir M. Victor Hugo, et, ne l'ayant pas trouve, lui laissa deux mots par ecrit pour lui demander l'autorisation de faire dire les Chatiments au profit de la caisse de secours de la mairie Drouot.

M. Victor Hugo repondit par la lettre qu'on va lire:

A M. GUSTAVE CHAUDEY

22 novembre. Mon honorable concitoyen, quand notre eloquent et vaillant Gambetta, quelques jours avant son depart, est venu me voir, croyant que je pouvais etre de quelque utilite a la republique et a la patrie, je lui ai dit: Usez de moi comme vous voudrez pour l'interet public. Depensez-moi comme l'eau.

Je vous dirai la meme chose. Mon livre comme moi, nous appartenons a la France. Qu'elle fasse du livre et de l'auteur ce qu'elle voudra.

C'est du reste ainsi que je parlais a Lausanne, vous en souvenez-vous? Vous ne pouvez avoir oublie Lausanne, ou vous avez laisse, vous personnellement, un tel souvenir. Je ne vous avais jamais vu, je vous entendais pour la premiere fois, j'etais charme. Quelle loyale, vive et ferme parole! laissez-moi vous le dire. Vous vous etes montre a Lausanne un vrai et solide serviteur du peuple, connaissant a fond les questions, socialiste et republicain, voulant le progres, tout le progres, rien que le progres, et voulant cela comme il faut le vouloir; avec resolution, mais avec lucidite.

En ce moment-ci, soit dit en passant, j'irais plus loin que vous, je le crois, dans le sens des aspirations populaires, car le probleme s'elargit et la solution doit s'agrandir. Mais vous etes de mon avis et je suis absolument du votre sur ce point que, tant que la Prusse sera la, nous ne devons songer qu'a la France. Tout doit etre ajourne. A cette heure pas d'autre ennemi que l'ennemi. Quant a la question sociale, c'est un probleme insubmersible, et nous la retrouverons plus tard. Selon moi, il faudra la resoudre dans le sens a la fois le plus sympathique et le plus pratique. La disparition de la misere, la production du bien-etre, aucune spoliation, aucune violence, le credit public sous la forme de monnaie fiduciaire a rente creant le credit individuel, l'atelier communal et le magasin communal assurant le droit au travail, la propriete non collective, ce qui serait un retour au moyen age, mais democratisee et rendue accessible a tous, la circulation, qui est la vie decuplee, en un mot l'assainissement des hommes par le devoir combine avec le droit; tel est le but. Le moyen, je suis de ceux qui croient l'entrevoir. Nous en causerons.

Ce qui me plait en vous, c'est votre haute et simple raison. Les hommes tels que vous sont precieux. Vous marcherez un peu plus de notre cote, parce que votre coeur le voudra, parce que votre esprit le voudra, et vous etes appele a rendre aux idees et aux faits de tres grands services.

Pour moi l'homme n'est complet que s'il reunit ces trois conditions, science, prescience, conscience.

Savoir, prevoir, vouloir. Tout est la.

Vous avez ces dons. Vous n'avez qu'un pas de plus a faire en avant.

Vous le ferez.

Je reviens a la demande que vous voulez bien m'adresser.

Ce n'est pas une lecture des Chatiments que je vous concede. C'est autant de lectures que vous voudrez.

Et ce n'est pas seulement dans les Chatiments que vous pourrez puiser, c'est dans toutes mes oeuvres.

Je vous redis a vous la declaration que j'ai deja faite a tous.

Tant que durera cette guerre, j'autorise qui le veut a dire ou a representer tout ce qu'on voudra de moi, sur n'importe quelle scene et n'importe de quelle facon, pour les canons, les combattants, les blesses, les ambulances, les municipalites, les ateliers, les orphelinats, les veuves et les enfants, les victimes de la guerre, les pauvres, et j'abandonne tous mes droits d'auteur sur ces lectures et sur ces representations.

C'est dit, n'est-ce pas? Je vous serre la main.

V. H.

Quand vous verrez votre ami M. Cernuschi, dites-lui bien combien j'ai ete touche de sa visite. C'est un tres noble et tres genereux esprit. Il comprend qu'en ce moment ou la grande civilisation latine est menacee, les italiens doivent etre francais. De meme que demain, si Rome courait les dangers que court aujourd'hui Paris, les francais devraient etre italiens. D'ailleurs, de meme qu'il n'y a qu'une seule humanite, il n'y a qu'un seul peuple. Defendre partout le progres humain en peril, c'est l'unique devoir. Nous sommes les nationaux de la civilisation.

VI
ELECTIONS A L'ASSEMBLEE NATIONALE
SCRUTIN DU 8 FEVRIER 1871
SEINE

M. Victor Hugo est elu par 214,169 suffrages

BORDEAUX

I

ARRIVEE A BORDEAUX

Le 14 fevrier, lendemain de son arrivee a Bordeaux, M. Victor Hugo, a sa sortie de l'Assemblee, invite a monter sur un balcon qui domine la grande place, pour parler a la foule qui l'entourait, s'y est refuse. Il a dit a ceux qui l'en pressaient:

A cette heure, je ne dois parler au peuple qu'a travers l'Assemblee. Vous me demandez ma pensee sur la question de paix ou de guerre. Je ne puis agiter cette question ici. La prudence fait partie du devouement. C'est la question meme de l'Europe qui est pendante en ce moment. La destinee de l'Europe adhere a la destinee de la France. Une redoutable alternative est devant nous, la guerre desesperee ou la paix plus desesperee encore. Ce grand choix, le desespoir avec la gloire ou le desespoir avec la honte, ce choix terrible ne peut se faire que du haut de la tribune. Je le ferai. Je ne manquerai, certes, pas au devoir. Mais ne me demandez pas de m'expliquer ici. Une parole de trop serait grave dans la place publique. Permettez-moi de garder le silence. J'aime le peuple, il le sait. Je me tais, il le comprendra.

Puis, se tournant vers la foule, Victor Hugo a jete ce cri: Vive la

Republique! Vive la France!

II

POUR LA GUERRE DANS LE PRESENT ET POUR LA PAIX DANS L'AVENIR
ASSEMBLEE NATIONALE

SEANCE DU 1er MARS 1871

Presidence de M. JULES GREVY

M. LE PRESIDENT. – La parole est a M. Victor Hugo. (Mouvement d'attention.)

M. VICTOR HUGO. – L'empire a commis deux parricides, le meurtre de la republique, en 1851, le meurtre de la France, en 1871. Pendant dix-neuf ans, nous avons subi – pas en silence – l'eloge officiel et public de l'affreux regime tombe; mais, au milieu des douleurs de cette discussion poignante, une stupeur nous etait reservee, c'etait d'entendre ici, dans cette assemblee, begayer la defense de l'empire, devant le corps agonisant de la France, assassinee. (Mouvement.)

Je ne prolongerai pas cet incident, qui est clos, et je me borne a constater l'unanimite de l'Assemblee…

Quelques voix. – Moins cinq!

M. VICTOR HUGO. – Messieurs, Paris, en ce moment, est sous le canon prussien; rien n'est termine et Paris attend; et nous, ses representants, qui avons pendant cinq mois vecu de la meme vie que lui, nous avons le devoir de vous apporter sa pensee.

Depuis cinq mois, Paris combattant fait l'etonnement du monde; Paris, en cinq mois de republique, a conquis plus d'honneur qu'il n'en avait perdu en dix-neuf ans d'empire. (Bravo! bravo!)

Ces cinq mois de republique ont ete cinq mois d'heroisme. Paris a fait face a toute l'Allemagne; une ville a tenu en echec une invasion; dix peuples coalises, ce flot des hommes du nord qui, plusieurs fois deja, a submerge la civilisation, Paris a combattu cela. Trois cent mille peres de famille se sont improvises soldats. Ce grand peuple parisien a cree des bataillons, fondu des canons, eleve des barricades, creuse des mines, multiplie ses forteresses, garde son rempart; et il a eu faim, et il a eu froid; en meme temps que tous les courages, il a eu toutes les souffrances. Les enumerer n'est pas inutile, l'histoire ecoute.

Plus de bois, plus de charbon, plus de gaz, plus de feu, plus de pain! Un hiver horrible, la Seine charriant, quinze degres de glace, la famine, le typhus, les epidemies, la devastation, la mitraille, le bombardement. Paris, a l'heure qu'il est, est cloue sur sa croix et saigne aux quatre membres. Eh bien, cette ville qu'aucune n'egalera dans l'histoire, cette ville majestueuse comme Rome et stoique comme Sparte, cette ville que les prussiens peuvent souiller, mais qu'ils n'ont pas prise (Tres bien! tres bien!), – cette cite auguste, Paris, nous a donne un mandat qui accroit son peril et qui ajoute a sa gloire, c'est de voter contre le demembrement de la patrie (bravos sur les bancs de la gauche); Paris a accepte pour lui les mutilations, mais il n'en veut pas pour la France.

Paris se resigne a sa mort, mais non a notre deshonneur (Tres bien! tres bien!), et, chose digne de remarque, c'est pour l'Europe en meme temps que pour la France que Paris nous a donne le mandat d'elever la voix. Paris fait sa fonction de capitale du continent.

Nous avons une double mission a remplir, qui est aussi la votre:

 

Relever la France, avertir l'Europe. Oui, la cause de l'Europe, a l'heure qu'il est, est identique a la cause de la France. Il s'agit pour l'Europe de savoir si elle va redevenir feodale; il s'agit de savoir si nous allons etre rejetes d'un ecueil a l'autre, du regime theocratique au regime militaire.

Car, dans cette fatale annee de concile et de carnage… (Oh! oh!)

Voix a gauche: Oui! oui! tres bien!

M. VICTOR HUGO. – Je ne croyais pas qu'on put nier l'effort du pontificat pour se declarer infaillible, et je ne crois pas qu'on puisse contester ce fait, qu'a cote du pape gothique, qui essaye de revivre, l'empereur gothique reparait. (Bruit a droite. – Approbation sur bancs de la gauche.)

Un membre a droite.– Ce n'est pas la question!

Un autre membre a droite.– Au nom des douleurs de la patrie, laissons tout cela de cote. (Interruption.)

M. LE PRESIDENT. – Vous n'avez pas la parole. Continuez, monsieur

Victor Hugo.

M. VICTOR HUGO. – Si l'oeuvre violente a laquelle on donne en ce moment le nom de traite s'accomplit, si cette paix inexorable se conclut, c'en est fait du repos de l'Europe; l'immense insomnie du monde va commencer. (Assentiment a gauche.)

Il y aura desormais en Europe deux nations qui seront redoutables; l'une parce qu'elle sera victorieuse, l'autre parce qu'elle sera vaincue. (Sensation.)

M. LE CHEF DU POUVOIR EXECUTIF. – C'est vrai!

M. DUFAURE, ministre de la justice. – C'est tres vrai!

M. VICTOR HUGO. – De ces deux nations, l'une, la victorieuse, l'Allemagne, aura l'empire, la servitude, le joug soldatesque, l'abrutissement de la caserne, la discipline jusque dans les esprits, un parlement tempere par l'incarceration des orateurs… (Mouvement.)

Cette nation, la nation victorieuse, aura un empereur de fabrique militaire en meme temps que de droit divin, le cesar byzantin double du cesar germain; elle aura la consigne a l'etat de dogme, le sabre fait sceptre, la parole muselee, la pensee garrottee, la conscience agenouillee; pas de tribune! pas de presse! les tenebres!

L'autre, la vaincue, aura la lumiere. Elle aura la liberte, elle aura la republique; elle aura, non le droit divin, mais le droit humain; elle aura la tribune libre, la presse libre, la parole libre, la conscience libre, l'ame haute! Elle aura et elle gardera l'initiative du progres, la mise en marche des idees nouvelles et la clientele des races opprimees! (Tres bien! tres bien!) Et pendant que la nation victorieuse, l'Allemagne, baissera le front sous son lourd casque de horde esclave, elle, la vaincue sublime, la France, elle aura sur la tete sa couronne de peuple souverain. (Mouvement.)

Et la civilisation, remise face a face avec la barbarie, cherchera sa voie entre ces deux nations, dont l'une a ete la lumiere de l'Europe et dont l'autre en sera la nuit.

De ces deux nations, l'une triomphante et sujette, l'autre vaincue et souveraine, laquelle faut-il plaindre? Toutes les deux. (Nouveau mouvement.)

Permis a l'Allemagne de se trouver heureuse et d'etre fiere avec deux provinces de plus et la liberte de moins. Mais nous, nous la plaignons; nous la plaignons de cet agrandissement, qui contient tant d'abaissement, nous la plaignons d'avoir ete un peuple et de n'etre plus qu'un empire. (Bravo! bravo!)

Je viens de dire: l'Allemagne aura deux provinces de plus. – Mais ce n'est pas fait encore, et j'ajoute: – cela ne sera jamais fait. Jamais, jamais! Prendre n'est pas posseder. Possession suppose consentement. Est-ce que la Turquie possedait Athenes? Est-ce que l'Autriche possedait Venise? Est-ce que la Russie possede Varsovie? (Mouvement.) Est-ce que l'Espagne possede Cuba? Est-ce que l'Angleterre possede Gibraltar? (Rumeurs diverses.) De fait, oui; de droit, non! (Bruit.)

Voix a droite. – Ce n'est pas la question!

M. VICTOR HUGO. – Comment, ce n'est-pas la question!

A gauche. – Parlez! parlez!

M. LE PRESIDENT. – Veuillez continuer, monsieur Victor Hugo.

M. VICTOR HUGO. – La conquete est la rapine, rien de plus. Elle est un fait, soit; le droit ne sort pas du fait. L'Alsace et la Lorraine – suis-je dans la question? – veulent rester France; elles resteront France malgre tout, parce que la France s'appelle republique et civilisation; et la France, de son cote, n'abandonnera rien de son devoir envers l'Alsace et la Lorraine, envers elle-meme, envers le monde.

Messieurs, a Strasbourg, dans cette glorieuse Strasbourg ecrasee sous les bombes prussiennes, il y a deux statues, Gutenberg et Kleber. Eh bien, nous sentons en nous une voix qui s'eleve, et qui jure a Gutenberg de ne pas laisser etouffer la civilisation, et qui jure a Kleber de ne pas laisser etouffer la republique. (Bravo! bravo! – Applaudissements.)

Je sais bien qu'on nous dit: Subissez les consequences de la situation faite par vous. On nous dit encore: Resignez-vous, la Prusse vous prend l'Alsace et une partie de la Lorraine, mais c'est votre faute et c'est son droit; pourquoi l'avez-vous attaquee? Elle ne vous faisait rien; la France est coupable de cette guerre et la Prusse en est innocente.

La Prusse innocente!.. Voila plus d'un siecle que nous assistons aux actes de la Prusse, de cette Prusse qui n'est pas coupable, dit-on, aujourd'hui. Elle a pris… (Bruit dans quelques parties de la salle.)

M. LE PRESIDENT. – Messieurs, veuillez faire silence. Le bruit interrompt l'orateur et prolonge la discussion.

M. VICTOR HUGO. – Il est extremement difficile de parler a l'Assemblee, si elle ne veut pas laisser l'orateur achever sa pensee.

De tous cotes. – Parlez! parlez! continuez!

M. LE PRESIDENT. – Monsieur Victor Hugo, les interpellations n'ont pas la signification que vous leur attribuez.

M. VICTOR HUGO. – J'ai dit que la Prusse est sans droit. Les prussiens sont vainqueurs, soit; maitriseront-ils la France? non! Dans le present, peut-etre; dans l'avenir, jamais! (Tres bien! – Bravo!)

Les anglais ont conquis la France, ils ne l'ont pas gardee; les prussiens investissent la France, ils ne la tiennent pas. Toute main d'etranger qui saisira ce fer rouge, la France, le lachera. Cela tient a ce que la France est quelque chose de plus qu'un peuple. La Prusse perd sa peine; son effort sauvage sera un effort inutile.

Se figure-t-on quelque chose de pareil a ceci: la suppression de l'avenir par le passe? Eh bien, la suppression de la France par la Prusse, c'est le meme reve. Non! la France ne perira pas! Non! quelle que soit la lachete de l'Europe, non! sous tant d'accablement, sous tant de rapines, sous tant de blessures, sous tant d'abandons, sous cette guerre scelerate, sous cette paix epouvantable, mon pays ne succombera pas! Non!

M. THIERS, chef du pouvoir executif. – Non!

De toutes parts. – Non! non!

M. VICTOR HUGO. – Je ne voterai point cette paix, parce que, avant tout, il faut sauver l'honneur de son pays; je ne la voterai point, parce qu'une paix infame est une paix terrible. Et pourtant, peut-etre aurait-elle un merite a mes yeux: c'est qu'une telle paix, ce n'est plus la guerre, soit, mais c'est la haine. (Mouvement.) La haine contre qui? Contre les peuples? non! contre les rois! Que les rois recueillent ce qu'ils ont seme. Faites, princes; mutilez, coupez, tranchez, volez, annexez, demembrez! Vous creez la haine profonde; vous indignez la conscience universelle. La vengeance couve, l'explosion sera en raison de l'oppression. Tout ce que la France perdra, la Revolution le gagnera. (Approbation sur les bancs de la gauche.)

Oh! une heure sonnera – nous la sentons venir – cette revanche prodigieuse. Nous entendons des a present notre triomphant avenir marcher a grands pas dans l'histoire. Oui, des demain, cela va commencer; des demain, la France n'aura plus qu'une pensee: se recueillir, se reposer dans la reverie redoutable du desespoir; reprendre des forces; elever ses enfants, nourrir de saintes coleres ces petits qui deviendront grands; forger des canons et former des citoyens, creer une armee qui soit un peuple; appeler la science au secours de la guerre; etudier le procede prussien, comme Rome a etudie le procede punique; se fortifier, s'affermir, se regenerer, redevenir la grande France, la France de 92, la France de l'idee et la France de l'epee. (Tres bien! tres bien!)

Puis, tout a coup, un jour, elle se redressera! Oh! elle sera formidable; on la verra, d'un bond, ressaisir la Lorraine, ressaisir l'Alsace!

Est-ce tout? non! non! saisir, – ecoutez-moi, – saisir Treves, Mayence,

Cologne, Coblentz…

Sur divers bancs. – Non! non!

M. VICTOR HUGO. – Ecoutez-moi, messieurs. De quel droit une assemblee francaise interrompt-elle l'explosion du patriotisme?

Plusieurs membres. – Parlez, achevez l'expression de votre pensee.

M. VICTOR HUGO. – On verra la France se redresser, on la verra ressaisir la Lorraine, ressaisir l'Alsace. (Oui! oui! – Tres bien!) Et puis, est-ce tout? Non… saisir Treves, Mayence, Cologne, Coblentz, toute la rive gauche du Rhin… Et on entendra la France crier: C'est mon tour! Allemagne, me voila! Suis-je ton ennemie? Non! je suis ta soeur. (Tres bien! tres bien!) Je t'ai tout repris, et je te rends tout, a une condition: c'est que nous ne ferons plus qu'un seul peuple, qu'une seule famille, qu'une seule republique. (Mouvements divers.) Je vais demolir mes forteresses, tu vas demolir les tiennes. Ma vengeance, c'est la fraternite! (A gauche: Bravo! bravo!) Plus de frontieres! Le Rhin a tous! Soyons la meme republique, soyons les Etats-Unis d'Europe, soyons la federation continentale, soyons la liberte europeenne, soyons la paix universelle! Et maintenant serrons-nous la main, car nous nous sommes rendu service l'une a l'autre; tu m'as delivree de mon empereur, et je te delivre du tien. (Bravo! bravo! – Applaudissements.)

* * * * *

M. TACHARD. – Messieurs, au nom des representants de ces provinces malheureuses dont on discute le sort, je viens expliquer a l'Assemblee l'interruption que nous nous sommes permise au moment meme ou nous etions tous haletants, ecoutant avec enthousiasme l'eloquente parole qui nous defendait.

Ces deux noms de Mayence et de Coblentz ont ete prononces naguere par une bouche qui n'etait ni aussi noble ni aussi honnete que celle que nous venons d'entendre. Ces deux noms nous ont perdus, c'est pour eux que nous subissons le triste sort qui nous attend. Eh bien, nous ne voulons plus souffrir pour ce mot et pour cette idee. Nous sommes francais, messieurs, et, pour nous, il n'y a qu'une patrie, la France, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre. (Tres bien! tres bien!) Mais nous sommes justes parce que nous sommes francais, et nous ne voulons pas qu'on fasse a autrui ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fut fait. (Bravo! – Applaudissements.)

III

DEMISSION DES REPRESENTANTS D'ALSACE ET DE LORRAINE

Apres le vote du traite, les representants d'Alsace et de Lorraine envoyerent a l'Assemblee leur demission.

Les journaux de Bordeaux publierent la note qu'on va lire:

"Victor Hugo a annonce hier jeudi, dans la reunion de la gauche radicale, qu'il proposerait a l'Assemblee la declaration suivante:

"Les representants de l'Alsace et des Vosges conservent tous indefiniment leurs sieges a l'Assemblee. Ils seront, a chaque election nouvelle, consideres comme reelus de droit. S'ils ne sont plus les representants de l'Alsace et de la Lorraine, ils restent et resteront toujours les representants de la France."

"Le soir meme, la gauche radicale eut une reunion speciale dans la salle Sieuzac. La demission des representants lorrains et alsaciens fut mise a l'ordre du jour. Le representant Victor Hugo se leva et dit:

Citoyens, les representants de l'Alsace et de la Lorraine, dans un mouvement de genereuse douleur, ont donne leur demission. Nous ne devons pas l'accepter. Non seulement nous ne devons pas l'accepter, mais nous devrions proroger leur mandat. Nous partis, ils devraient demeurer. Pourquoi? Parce qu'ils ne peuvent etre remplaces.

A cette heure, du droit de leur heroisme, du droit de leur malheur, du droit, helas! de notre lamentable abandon qui les laisse aux mains de l'ennemi comme rancon de la guerre, a cette heure, dis-je, l'Alsace et la Lorraine sont France plus que la France meme.

Citoyens, je suis accable de douleur; pour me faire parler en ce moment, il faut le supreme devoir; chers et genereux collegues qui m'ecoutez, si je parle avec quelque desordre, excusez et comprenez mon emotion. Je n'aurais jamais cru ce traite possible. Ma famille est lorraine, je suis fils d'un homme qui a defendu Thionville. Il y a de cela bientot soixante ans. Il eut donne sa vie plutot que d'en livrer les clefs. Cette ville qui, defendue par lui, resista a tout l'effort ennemi et resta francaise, la voila aujourd'hui prussienne. Ah! je suis desespere. Avant-hier, dans l'Assemblee, j'ai lutte pied a pied pour le territoire; j'ai defendu la Lorraine et l'Alsace; j'ai tache de faire avec la parole ce que mon pere faisait avec l'epee. Il fut vainqueur, je suis vaincu. Helas! vaincus, nous le sommes tous. Nous avons tous au plus profond du coeur la plaie de la patrie. Voici le vaillant maire de Strasbourg qui vient d'en mourir. Tachons de vivre, nous: Tachons de vivre pour voir l'avenir, je dis plus, pour le faire. En attendant, preparons-le. Preparons-le. Comment?

 

Par la resistance commencee des aujourd'hui.

N'executons l'affreux traite que strictement.

Ne lui accordons expressement que ce qu'il stipule.

Eh bien, le traite ne stipule pas que l'Assemblee se retranchera les representants de la Lorraine et de l'Alsace; gardons-les.

Les laisser partir, c'est signer le traite deux fois. C'est ajouter a l'abandon force l'abandon volontaire.

Gardons-les.

Le traite n'y fait aucun obstacle. Si nous allions au dela de ce qu'exige le vainqueur, ce serait un irreparable abaissement. Nous ferions comme celui qui, sans y etre contraint, mettrait en terre le deuxieme genou.

Au contraire, relevons la France.

Le refus des demissions des representants alsaciens et lorrains la relevera. Le traite vote est une chose basse; ce refus sera une grande chose. Effacons l'un par l'autre.

Dans ma pensee, a laquelle certes je donnerai suite, tant que la Lorraine et l'Alsace seront separees de la France, il faudrait garder leurs representants, non seulement dans cette assemblee, mais dans toutes les assemblees futures.

Nous, les representants du reste de la France, nous sommes transitoires; eux seuls sont necessaires.

La France peut se passer de nous, et pas d'eux. A nous, elle peut donner des successeurs; a eux, non.

Son vote en Alsace et en Lorraine est paralyse.

Momentanement, je l'affirme; mais, en attendant, gardons les representants alsaciens et lorrains.

La Lorraine et l'Alsace sont prisonnieres de guerre. Conservons leurs representants. Conservons-les indefiniment, jusqu'au jour de la delivrance des deux provinces, jusqu'au jour de la resurrection de la France. Donnons au malheur heroique un privilege. Que ces representants aient l'exception de la perpetuite, puisque leurs nobles pays ont l'exception de l'asservissement.

J'avais d'abord eu l'idee de condenser tout ce que je viens de vous dire dans le projet de decret que voici:

(M. Victor Hugo lit)

DECRET
ARTICLE UNIQUE

Les representants actuels de l'Alsace et de la Lorraine gardent leurs sieges dans l'Assemblee, et continueront de sieger dans les futures assemblees nationales de France jusqu'au jour ou ils pourront rendre a leurs commettants leur mandat dans les conditions ou ils l'ont recu.

(M. Victor Hugo reprend)

Ce decret exprimerait le vrai absolu de la situation. Il est la negation implicite du traite, negation qui est dans tous les coeurs, meme dans les coeurs de ceux qui l'ont vote. Ce decret ferait sortir cette negation du sous-entendu, et profiterait d'une lacune du traite pour infirmer le traite, sans qu'on puisse l'accuser de l'enfreindre. Il conviendrait, je le crois, a toutes nos consciences. Le traite pour nous n'existe pas. Il est de force; voila tout. Nous le repudions. Les hommes de la republique ont pour devoir etroit de ne jamais accepter le fait qu'apres l'avoir confronte avec le droit. Quand le fait se superpose au principe, nous l'admettons. Sinon, nous le refusons. Or le traite prussien viole tous les principes. C'est pourquoi nous avons vote contre. Et nous agirons contre. La Prusse nous rend cette justice qu'elle n'en doute pas.

Mais ce projet de decret que je viens de vous lire, et que je me proposais de soutenir a la tribune, l'Assemblee l'accepterait-elle? Evidemment non. Elle en aurait peur. D'ailleurs cette assemblee, nee d'un malentendu entre la France et Paris, a dans sa conscience le faux de sa situation. Il suffit d'y mettre le pied pour comprendre qu'elle n'admettra jamais une verite entiere. La France a un avenir, la republique, et la majorite de l'Assemblee a un but, la monarchie. De la un tirage en sens inverse, d'ou, je le crains, sortiront des catastrophes. Mais restons dans le moment present. Je me borne a dire que la majorite obliquera toujours et qu'elle manque de ce sens absolu qui, en toute occasion et a tout risque, prefere aux expedients les principes. Jamais la justice n'entrera dans cette assemblee que de biais, si elle y entre.

L'Assemblee ainsi faite ne voterait pas le projet de decret que je viens de vous lire. Alors ce serait une faute de le presenter. Je m'en abstiens. Il serait bon, certes, qu'il fut vote, mais il serait facheux qu'il fut rejete. Ce rejet soulignerait le traite et accroitrait la honte.

Mais faut-il pour cela, devant la demission des representants de l'Alsace et de la Lorraine, se taire et s'abstenir absolument?

Non.

Que faire donc?

Selon moi, ceci:

Inviter les representants de l'Alsace et de la Lorraine a garder leurs sieges. Les y inviter solennellement par une declaration motivee que nous signerons tous, nous qui avons vote contre le traite, nous qui ne reconnaissons pas le droit de la force. Un de nous, moi si vous voulez, lira cette declaration a la tribune. Cela fait, nos consciences seront tranquilles, l'avenir sera reserve.

Citoyens, gardons-les, ces collegues. Gardons-les, ces compatriotes.

Qu'ils nous restent.

Qu'ils soient parmi nous, ces vaillants hommes, la protestation et l'avertissement; protestation contre la Prusse, avertissement a l'Europe. Qu'ils soient le drapeau d'Alsace et de Lorraine toujours leve. Que leur presence parmi nous encourage et console, que leur parole conseille, que leur silence meme parle. Les voir la, ce sera voir l'avenir. Qu'ils empechent l'oubli. Au milieu des idees generales qui embrassent l'interet de la civilisation, et qui sont necessaires a une assemblee francaise, toujours un peu tutrice de tous les peuples, qu'ils personnifient, eux, l'idee etroite, haute et terrible, la revendication speciale, le devoir vis-a-vis de la mere. Tandis que nous representerons l'humanite, qu'ils representent la patrie. Que chez nous ils soient chez eux. Qu'ils soient le tison sacre, rallume toujours. Que, par eux, les deux provinces etouffees sous la Prusse continuent de respirer l'air de France; qu'ils soient les conducteurs de l'idee francaise au coeur de l'Alsace et de la Lorraine et de l'idee alsacienne et lorraine au coeur de la France; que, grace a leur permanence, la France, mutilee de fait, demeure entiere de droit, et soit, dans sa totalite, visible dans l'Assemblee; que si, en regardant la-bas, du cote de l'Allemagne, on voit la Lorraine et l'Alsace mortes, en regardant ici, on les voie vivantes!

* * * * *

La reunion, a l'unanimite, a accepte la proposition du representant Victor Hugo, et lui a demande de rediger la declaration qui devra etre signee de tous et lue par lui-meme a la tribune.

M. Victor Hugo a immediatement redige cette declaration, qui a ete acceptee par la reunion de la gauche, mais a laquelle il n'a pu etre donne la publicite de la tribune, par suite de la seance du 8 mars et de la demission de M. Victor Hugo.

En voici le texte:

DECLARATION

En presence de la demission que les representants alsaciens et lorrains ont offerte, mais que l'Assemblee n'a acceptee par aucun vote.

Les representants soussignes declarent qu'a leurs yeux l'Alsace et la

Lorraine ne cessent pas et ne cesseront jamais de faire partie de la

France.

Ces provinces sont profondement francaises. L'ame de la France reste avec elles.

L'Assemblee nationale ne serait plus l'Assemblee de la France si ces deux provinces n'y etaient pas representees.

Que desormais, et jusqu'a des jours meilleurs, il y ait sur la carte de France un vide, c'est la la violence que nous fait le traite. Mais pourquoi un vide dans cette Assemblee?

Le traite exige-t-il que les representants alsaciens et lorrains disparaissent de l'Assemblee francaise?

Non.

Pourquoi donc aller plus loin que le traite? Pourquoi faire ce qu'il n'impose pas? Pourquoi lui donner ce qu'il ne demande pas?

Que la Prusse prenne les territoires. Que la France garde les representants.

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