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Actes et Paroles, Volume 3

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XI
ANNIVERSAIRE DE LA REPUBLIQUE

On lit dans le Rappel du 24 septembre 1872:

"Un banquet prive, mais solennel, devait reunir de nombreux republicains de Paris, desireux de celebrer la date du 21 septembre 1792, c'est-a-dire l'anniversaire de la premiere republique francaise, de la republique victorieuse des rois. Cela a deplu a l'autorite militaire qui est notre maitresse souveraine de par l'etat de siege, et l'autorite civile a cru devoir consacrer les ordres de l'autorite militaire.

Elle a commis une faute sur laquelle nous aurons a revenir, une de ces fautes difficiles a justifier, parce qu'elles n'offensent pas seulement le droit des citoyens, mais le bon sens public. Dans tous les cas, les organisateurs du banquet ont tenu a donner une lecon de sagesse a leurs adversaires, et le banquet a ete decommande.

Mais quelques republicains ont voulu neanmoins echanger les idees et les sentiments qu'une si grande date leur inspirait. Ils le voulaient d'autant plus qu'un groupe de republicains anglais leur avait delegue un de ses membres les plus connus et les plus sympathiques, M. le professeur Beesly.

Le banquet ne devait reunir qu'un petit nombre de convives.

On remarquait parmi eux deux representants de la deputation de Paris, MM. Peyrat et Farcy; un conseiller general de la Seine, M. Lesage; plusieurs membres du conseil municipal de Paris, MM. Allain-Targe, Jobbe-Duval, Loiseau-Pinson; plusieurs publicistes de la presse republicaine, MM. Frederic Morin, Ernes, Lefevre, Guillemet, Lemer, Sourd, Adam, Charles Quentin; enfin quelques membres des divers groupes republicains, MM. Harant Olive, etc. M. le docteur Robinet presidait.

Victor Hugo et Louis Blanc avaient ete invites. Victor Hugo, qui est actuellement a Guernesey, et Louis Blanc, qui est a Londres, n'avaient pu se rendre a cet appel. Mais ils avaient envoye des lettres qui ont ete lues au milieu des applaudissements enthousiastes.

Voici la lettre de Victor Hugo:

Mes chers concitoyens,

Vous voulez bien desirer ma presence a votre banquet. Ma presence, c'est ma pensee. Laissez-moi donc prendre un moment la parole au milieu de vous.

Amis, ayons confiance. Nous ne sommes pas si vaincus qu'on le suppose.

A trois empereurs, opposons trois dates: le 14 juillet, le 10 aout, le 21 septembre. Le 14 juillet a demoli la Bastille et signifie Liberte; le 10 aout a decouronne les Tuileries et signifie Egalite; le 21 septembre a proclame la republique et signifie Fraternite. Ces trois idees peuvent triompher de trois armees. Elles sont de taille a colleter tous les monstres; elles se resument en ce mot, Revolution. La Revolution, c'est le grand dompteur, et si la monarchie a les lions et les tigres, nous avons, nous, le belluaire.

Puisqu'on est en train de faire des denombrements, faisons le notre. Il y a d'un cote trois hommes, et de l'autre tous les peuples. Ces trois hommes, il est vrai, sont trois Tout-Puissants. Ils ont tout ce qui constitue et caracterise le droit divin; ils ont le glaive, le sceptre, la loi ecrite, chacun leur dieu, chacun leurs pretres; ils ont les juges, les bourreaux, les supplices, et l'art de fonder l'esclavage sur la force meme des esclaves. Avez-vous lu l'epouvantable code militaire prussien? Donc, ces tout-puissants-la sont les Dieux; nous n'avons, nous, que ceci pour nous d'etre les Hommes. A l'antique monarchie qui est le passe vivant, et vivant de la vie terrible des morts, aux rois spectres, au vieux despotisme qui peut d'un geste tirer quatre millions de sabres du fourreau, qui declare la force superieure au droit, qui restaure l'ancien crime appele la conquete, qui egorge, massacre, pille, extermine, pousse d'innombrables masses a l'abattoir, ne se refuse aucune infamie profitable, et vole une province dans la patrie et une pendule dans la maison, a cette formidable coalition des tenebres, a ce pouvoir compacte, nocturne, enorme, qu'avons-nous a opposer? un rayon d'aurore. Et qui est-ce qui vaincra? la Lumiere.

Amis, n'en doutez pas. Oui, la France vaincra. Une trinite d'empereurs peut etre une trinite comme une autre, mais elle n'est pas l'unite. Tout ce qui n'est pas un se divise. Il y a une premiere chance, c'est qu'ils se devoreront entre eux; et puis il y en a une seconde, c'est que la terre tremblera. Pour faire trembler la terre sous les rois, il suffit de certaines voix tonnantes. Ces voix sont chez nous. Elles s'appellent Voltaire, Rousseau, Mirabeau. Non, le grand continent, tour a tour eclaire par la Grece, l'Italie et la France, ne retombera pas dans la nuit; non, un retour offensif des vandales contre la civilisation n'est pas possible. Pour defendre le monde, il suffit d'une ville; cette ville, nous l'avons. Les bouchers pasteurs de peuples ayant pour moyen la barbarie et pour but le sauvagisme, les fleaux du destin, les conducteurs aveugles de multitudes sourdes, les irruptions, les invasions, les deluges d'armees submergeant les nations, tout cela c'est le passe, mais ce n'est point l'avenir; refaire Cambyse et Nemrod est absurde, ressusciter les fantomes est impossible, remettre l'univers sous le glaive est un essai insense; nous sommes le dix-neuvieme siecle, fils du dix-huitieme, et, soit par l'idee, soit par l'epee, le Paris de Danton aura raison de l'Europe d'Attila.

Je l'affirme, et, certes, vous n'en doutez point.

Maintenant je propose un toast.

Que nos gouvernants momentanes ne l'oublient pas, la preuve de la monarchie se fait par la Siberie, par le Spielberg, par Spandau, par Lambessa et Cayenne. La preuve de la republique se fait par l'amnistie.

Je porte un toast a l'amnistie qui fera freres tous les francais, et a la republique qui fera freres tous les peuples.

XII
L'AVENIR DE L'EUROPE

Les organisateurs du Congres de la Paix, qui s'est tenu, en 1872, a

Lugano, avaient ecrit a Victor Hugo pour lui demander de s'y rendre.

Victor Hugo, retenu a Guernesey, leur a repondu la lettre suivante:

Aux membres du Congres de la Paix, a Lugano.

Hauteville-House, 20 septembre 1872.

Mes compatriotes europeens,

Votre sympathique invitation me touche. Je ne puis assister a votre congres. C'est un regret pour moi; mais ce que je vous eusse dit, permettez-moi de vous l'ecrire.

A l'heure ou nous sommes, la guerre vient d'achever un travail sinistre qui remet la civilisation en question. Une haine immense emplit l'avenir. Le moment semble etrange pour parler de la paix. Eh bien! jamais ce mot: Paix, n'a pu etre plus utilement prononce qu'aujourd'hui. La paix, c'est l'inevitable but. Le genre humain marche sans cesse vers la paix, meme par la guerre. Quant a moi, des a present, a travers la vaste animosite regnante, j'entrevois distinctement la fraternite universelle. Les heures fatales sont une clairevoie et ne peuvent empecher le rayon divin de passer a travers elles.

Depuis deux ans, des evenements considerables se sont accomplis. La France a eu des aventures; une heureuse, sa delivrance; une terrible, son demembrement. Dieu l'a traitee a la fois par le bonheur et par le malheur. Procede de guerison efficace, mais inexorable. L'empire de moins, c'est le triomphe; l'Alsace et la Lorraine de moins, c'est la catastrophe. Il y a la on ne sait quel melange de redressement et d'abaissement. On se sent fier d'etre libre, et humilie d'etre moindre. Telle est aujourd'hui la situation de la France qu'il faut qu'elle reste libre et redevienne grande. Le contre-coup de notre destinee atteindra la civilisation tout entiere, car ce qui arrive a la France arrive au monde. De la une anxiete generale, de la une attente immense; de la, devant tous les peuples, l'inconnu.

On s'effraie de cet inconnu. Eh bien, je dis qu'on s'effraie a tort.

Loin de craindre, il faut esperer.

Pourquoi?

Le voici.

La France, je viens de le dire, a ete delivree et demembree. Son demembrement a rompu l'equilibre europeen, sa delivrance a fonde la republique.

Effrayante fracture a l'Europe; mais avec la fracture le remede.

Je m'explique.

L'equilibre rompu d'un continent ne peut se reformer que par une transformation. Cette transformation peut se faire en avant ou en arriere, dans le mal ou dans le bien, par le retour aux tenebres ou par l'entree dans l'aurore. Le dilemme supreme est pose. Desormais, il n'y a plus de possible pour l'Europe que deux avenirs: devenir Allemagne ou France, je veux dire etre un empire ou etre une republique.

C'est ce que le solitaire fatal de Sainte-Helene avait predit, avec une precision etrange, il y a cinquante-deux ans, sans se douter qu'il serait l'instrument indirect de cette transformation, et qu'il y aurait un Deux-Decembre pour aggraver le Dix-Huit-Brumaire, un Sedan pour depasser Waterloo, et un Napoleon le Petit pour detruire Napoleon le Grand.

Seulement, si le cote noir de sa prophetie s'accomplissait, au lieu de l'Europe cosaque qu'il entrevoyait, nous aurions l'Europe vandale.

L'Europe empire ou l'Europe republique; l'un de ces deux avenirs est le passe.

Peut-on revivre le passe?

Evidemment non.

Donc nous aurons l'Europe republique.

Comment l'aurons-nous?

Par une guerre ou par une revolution.

Par une guerre, si l'Allemagne y force la France. Par une revolution, si les rois y forcent les peuples. Mais, a coup sur, cette chose immense, la Republique europeenne, nous l'aurons.

Nous aurons ces grands Etats-Unis d'Europe, qui couronneront le vieux monde comme les Etats-Unis d'Amerique couronnent le nouveau. Nous aurons l'esprit de conquete transfigure en esprit de decouverte; nous aurons la genereuse fraternite des nations au lieu de la fraternite feroce des empereurs; nous aurons la patrie sans la frontiere, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barriere, l'education sans l'abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l'echafaud, la vie sans le meurtre, la foret sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le baillon, la conscience sans le joug, la verite sans le dogme, Dieu sans le pretre, le ciel sans l'enfer, l'amour sans la haine. L'effroyable ligature de la civilisation sera defaite; l'isthme affreux qui separe ces deux mers, Humanite et Felicite, sera coupe. Il y aura sur le monde un flot de lumiere. Et qu'est-ce que c'est que toute cette lumiere? C'est la liberte. Et qu'est-ce que c'est que toute cette liberte? C'est la paix.

 
XIII
OFFRES DE RENTRER A L'ASSEMBLEE

A la fin de mars 1873, Victor Hugo, etant a Guernesey, recevait de

Lyon les deux lettres suivantes:

Illustre citoyen Victor Hugo,

Au nom d'un groupe de citoyens radicaux du sixieme arrondissement de Lyon, nous avons l'honneur de vous proposer la candidature a la deputation du Rhone, aux elections partielles, en remplacement de M. de Laprade, demissionnaire.

Nous sommes surs du succes de votre candidature, et pensons que toutes celles qui pourraient se produire s'effaceront devant l'autorite de votre nom, si cher a la democratie francaise.

Nous pensons que vous etes toujours dans les memes vues que l'an dernier relativement au mandat contractuel.

Agreez, citoyen, nos salutations fraternelles.

Les delegues charges de la redaction.

(Suivent les signatures.)

Au citoyen Victor Hugo.

Cher et illustre citoyen,

Les democrates lyonnais vous saluent.

La democratie lyonnaise, depuis longtemps, fait son possible pour marcher a la tete du mouvement social, et vous etes le representant le plus illustre de ses principes.

Vous avez eu des consolations pour tous les proscrits et des indignations contre tous les proscripteurs.

Nous avons garde le souvenir de votre noble conduite a Bruxelles envers les refugies.

Nous n'avons pas oublie que vous avez accepte le contrat qui lie le deputes et ses mandants.

Cher et illustre citoyen, la periode que nous traversons est ardue et solennelle.

Les principes de la democratie radicale, d'ou est sortie la revolution francaise, les partisans du servage et de l'ignorance s'efforcent d'en retarder l'avenement. Apres avoir essaye de nous compromettre, ils s'evertuent a nous diviser.

Devant le scrutin qui demain va s'ouvrir, il ne faut pas que notre imposante majorite soit scindee par des divisions.

Nous avons voulu faire un choix devant lequel toute competition s'efface; nous avons resolu de vous offrir nos suffrages pour le siege vacant dans le departement du Rhone.

Cette candidature, qui vous est offerte par la democratie lyonnaise et radicale, veuillez nous faire connaitre si vous l'acceptez.

Recevez, cher et illustre citoyen, le salut fraternel que nous vous adressons.

(Suivent les signatures.)

M. Victor Hugo a repondu:

Hauteville-House, 30 mars 1873.

Honorables et chers concitoyens,

Je tiendrais a un haut prix l'honneur de representer l'illustre ville de Lyon, si utile dans la civilisation, si grande dans la democratie.

J'ai ecrit: Paris est la capitale de l'Europe, Lyon est la capitale de la France.

La lettre collective que vous m'adressez m'honore; je vous remercie avec emotion. Etre l'elu du peuple de Lyon serait pour moi une gloire.

Mais, a l'heure presente, ma rentree dans l'Assemblee serait-elle opportune?

Je ne le pense pas.

Si mon nom signifie quelque chose en ces annees fatales ou nous sommes, il signifie amnistie. Je ne pourrais reparaitre dans l'Assemblee que pour demander l'amnistie pleine et entiere; car l'amnistie restreinte n'est pas plus l'amnistie que le suffrage mutile n'est le suffrage universel.

Cette amnistie, l'assemblee actuelle l'accorderait-elle? Evidemment non. Qui se meurt ne donne pas la vie.

Un vote hostile prejugerait la question; un precedent facheux serait cree, et la reaction l'invoquerait plus tard. L'amnistie serait compromise.

Pour que l'amnistie triomphe, il faut que la question arrive neuve devant une assemblee nouvelle.

Dans ces conditions, l'amnistie l'emportera. L'amnistie, d'ou naitra l'apaisement et d'ou sortira la reconciliation, est le grand interet actuel de la republique.

Ma presence a la tribune aujourd'hui ne pouvant avoir le resultat qu'on en attendrait, il est utile que je reste a cette heure en dehors de l'Assemblee.

Toute consideration de detail doit disparaitre devant l'interet de la republique.

C'est pour mieux la servir que je crois devoir effacer ma personnalite en ce moment.

Vous m'approuverez, je n'en doute pas; je reste profondement touche de votre offre fraternelle; quoi qu'il arrive desormais, je me considererai comme ayant, sinon les droits, du moins les devoirs d'un representant de Lyon, et je vous envoie, citoyens, ainsi qu'au genereux peuple lyonnais, mon remerciement cordial.

VICTOR HUGO.

XIV
HENRI ROCHEFORT

M. Victor Hugo a ecrit a M. le duc de Broglie la lettre suivante:

Auteuil, villa Montmorency, 8 aout 1873.

Monsieur le duc et tres honorable confrere,

C'est au membre de l'academie francaise que j'ecris. Un fait d'une gravite extreme est au moment de s'accomplir. Un des ecrivains les plus celebres de ce temps, M. Henri Rochefort, frappe d'une condamnation politique, va, dit-on, etre transporte dans la Nouvelle-Caledonie. Quiconque connait M. Henri Rochefort peut affirmer que sa constitution tres delicate ne resistera pas a cette transportation, soit que le long et affreux voyage le brise, soit que le climat le devore, soit que la nostalgie le tue. M. Henri Rochefort est pere de famille, et laisse derriere lui trois enfants, dont une fille de dix-sept ans.

La sentence qui frappe M. Henri Rochefort n'atteint que sa liberte, le mode d'execution de cette sentence atteint sa vie. Pourquoi Noumea? Les iles Sainte-Marguerite suffiraient. La sentence n'exige point Noumea. Par la detention aux iles Sainte-Marguerite la sentence serait executee, et non aggravee. Le transport dans la Nouvelle-Caledonie est une exageration de la peine prononcee contre M. Henri Rochefort. Cette peine est commuee en peine de mort. Je signale a votre attention ce nouveau genre de commutation.

Le jour ou la France apprendrait que le tombeau s'est ouvert pour ce brillant et vaillant esprit serait pour elle un jour de deuil.

Il s'agit d'un ecrivain, et d'un ecrivain original et rare. Vous etes ministre et vous etes academicien, vos deux devoirs sont ici d'accord et s'entr'aident. Vous partageriez la responsabilite de la catastrophe prevue et annoncee, vous pouvez et vous devez intervenir, vous vous honorerez en prenant cette genereuse initiative, et, en dehors de toute opinion et de toute passion politique, au nom des lettres auxquelles nous appartenons vous et moi, je vous demande, monsieur et cher confrere, de proteger dans ce moment decisif, M. Henri Rochefort, et d'empecher son depart, qui serait sa mort.

Recevez, monsieur le ministre et cher confrere, l'assurance de ma haute consideration.

VICTOR HUGO.

M. le duc de Broglie a repondu:

Monsieur et cher confrere,

J'ai recu, durant une courte excursion qui m'eloigne de Paris, la lettre que vous voulez bien m'ecrire et je m'empresse de la transmettre a M. Beule.

M. Rochefort a du etre l'objet (si les intentions du gouvernement ont ete suivies) d'une inspection medicale faite avec une attention toute particuliere, et l'ordre de depart n'a du etre donne que s'il est certain que l'execution de la loi ne met en peril ni la vie ni la sante du condamne.

Dans ce cas, vous jugerez sans doute que les facultes intellectuelles dont M. Rochefort est doue accroissent sa responsabilite, et ne peuvent servir de motif pour attenuer le chatiment du a la gravite de son crime. Des malheureux ignorants ou egares, que sa parole a pu seduire, et qui laissent derriere eux des familles vouees a la misere, auraient droit a plus d'indulgence.

Veuillez agreer, monsieur et cher confrere, l'assurance de ma haute consideration.

BROGLIE.

XV
LA VILLE DE TRIESTE ET VICTOR HUGO

Extrait du Rappel du 18 aout 1873:

"On se souvient qu'il y a deux ans, Victor Hugo fut expulse de Belgique pour avoir offert sa maison aux refugies francais. A cette occasion, une adresse lui fut envoyee de Trieste pour le feliciter d'avoir defendu le droit d'asile. Cette adresse et la liste des signataires emplissaient un elegant cahier artistement relie en velours, et sur la premiere page duquel etaient peintes les armes de Trieste. Par un long retard qu'explique le va-et-vient de Victor Hugo de Bruxelles a Guernesey, de Guernesey a Paris, l'envoi n'est arrive a sa destination que ces jours derniers. Le destinataire n'a pas cru que ce fut une raison de ne pas remercier les signataires, et il vient d'ecrire au maire de Trieste la lettre suivante:

Paris, 17 aout 1873.

Monsieur le maire de la ville de Trieste,

Je trouve en rentrant a Paris, apres une longue absence, une adresse de vos honorables concitoyens. Cette adresse, envoyee d'abord a Guernesey, puis a Paris, ne me parvient qu'aujourd'hui. Cette adresse, revetue de plus de trois cents signatures, est datee de juin 1871. Je suis penetre de l'honneur et confus du retard. Il est neanmoins toujours temps d'etre reconnaissant. Aucune lettre d'envoi n'accompagnait cette adresse. C'est donc a vous, monsieur le maire, que j'ai recours pour exprimer aux signataires, vos concitoyens, ma gratitude et mon emotion.

C'est a l'occasion de mon expulsion de Belgique que cette manifestation a ete faite par les genereux hommes de Trieste. Avoir offert un asile aux vaincus, c'etait la tout mon merite; je n'avais fait qu'une chose bien simple; vos honorables concitoyens m'en recompensent magnifiquement. Je les remercie.

Cette manifestation eloquente sera desormais toujours presente a ma pensee. J'oublie aisement les haines, mais je n'oublie jamais les sympathies. Elle est digne d'ailleurs de votre illustre cite, qu'illumine le soleil de Grece et d'Italie. Vous etes trop le pays de la lumiere pour n'etre pas le pays de la liberte.

Je salue en votre personne, monsieur le maire, la noble ville de

Trieste.

VICTOR HUGO.

XVI
LA LIBERATION DU TERRITOIRE
 
Je ne me trouve pas delivre. Non, j'ai beau
Me dresser, je me heurte au plafond du tombeau,
J'etouffe, j'ai sur moi l'enormite terrible.
Si quelque soupirail blanchit la nuit visible,
J'apercois la-bas Metz, la-bas Strasbourg, la-bas
Notre honneur, et l'approche obscure des combats,
Et les beaux enfants blonds, berces dans les chimeres,
Souriants, et je songe a vous, o pauvres meres.
Je consens, si l'on veut, a regarder; je vois
Ceux-ci rire, ceux-la chanter a pleine voix,
La moisson d'or, l'ete, les fleurs, et la patrie
Sinistre, une bataille etant sa reverie.
Avant peu l'Archer noir embouchera le cor;
Je calcule combien il faut de temps encor;
Je pense a la melee affreuse des epees.
Quand des frontieres sont par la force usurpees,
Quand un peuple gisant se voit le flanc ouvert,
Avril peut rayonner, le bois peut etre vert,
L'arbre peut etre plein de nids et de bruits d'ailes;
Mais les tas de boulets, noirs dans les citadelles,
Ont l'air de faire un songe et de fremir parfois,
Mais les canons muets ecoutent une voix
Leur parler bas dans l'ombre, et l'avenir tragique
Souffle a tout cet airain farouche sa logique.
 
 
Quoi! vous n'entendez pas, tandis que vous chantez,
Mes freres, le sanglot profond des deux cites!
Quoi, vous ne voyez pas, foule aisement sereine,
L'Alsace en frissonnant regarder la Lorraine!
O soeur, on nous oublie! on est content sans nous!
Non, nous n'oublions pas! nous sommes a genoux
Devant votre supplice, o villes! Quoi! nous croire
Affranchis, lorsqu'on met au bagne notre gloire,
Quand on coupe a la France un pan de son manteau,
Quand l'Alsace au carcan, la Lorraine au poteau,
Pleurent, tordent leurs bras sacres, et nous appellent,
Quand nos frais ecoliers, ivres de rage, epellent
Quatrevingt-douze, afin d'apprendre quel eclair
Jaillit du coeur de Hoche et du front de Kleber,
Et de quelle facon, dans ce siecle, ou nous sommes,
On fait la guerre aux rois d'ou sort la paix des hommes!
Non, remparts, non, clochers superbes, non jamais
Je n'oublierai Strasbourg et je n'oublierai Metz.
L'horrible aigle des nuits nous etreint dans ses serres,
Villes! nous ne pouvons, nous francais, nous vos freres,
Nous qui vivons par vous, nous par qui vous vivrez,
Etre que par Strasbourg et par Metz delivres!
Toute autre delivrance est un leurre; et la honte,
Tache qui croit sans cesse, ombre qui toujours monte,
Reste au front rougissant de notre histoire en deuil,
Peuple, et nous avons tous un pied dans le cercueil,
Et pas une cite n'est entiere, et j'estime
Que Verdun est aux fers, que Belfort est victime,
Et que Paris se traine, humble, amoindri, plaintif,
Tant que Strasbourg est pris et que Metz est captif.
Rien ne nous fait le coeur plus rude et plus sauvage
Que de voir cette voute infame, l'esclavage,
S'etendre et remplacer au-dessus de nos yeux
Le soleil, les oiseaux chantants, les vastes cieux!
Non, je ne suis pas libre. 0 tremblement de terre!
J'entrevois sur ma tete un nuage, un cratere,
Et l'apre eruption des peuples, fleuve ardent;
Je rale sous le poids de l'avenir grondant,
J'ecoute bouillonner la lave sous-marine,
Et je me sens toujours l'Etna sur la poitrine!
 
* * * * *
 
Et puisque vous voulez que je vous dise tout,
Je dis qu'on n'est point grand tant qu'on n'est pas debout,
Et qu'on n'est pas debout tant qu'on traine une chaine;
J'envie aux vieux romains leurs couronnes de chene;
Je veux qu'on soit modeste et hautain; quant a moi,
Je declare qu'apres tant d'opprobre et d'effroi,
Lorsqu'a peine nos murs chancelants se soutiennent,
Sans me preoccuper si des rois vont et viennent,
S'ils arrivent du Caire ou bien de Teheran,
Si l'un est un bourreau, si l'autre est un tyran,
Si ces curieux sont des monstres, s'ils demeurent
Dans une ombre hideuse ou des nations meurent,
Si c'est au diable ou bien a Dieu qu'ils sont devots,
S'ils ont des diamants aux crins de leurs chevaux,
Je dis que, les laissant se corrompre ou s'instruire,
Tant que je ne pourrais faire au soleil reluire
Que des guidons qu'agite un lugubre frisson,
Et des clairons sortis a peine de prison,
Tant que je n'aurais pas, rugissant de colere,
Lave dans un immense Austerlitz populaire
Sedan, Forbach, nos deuils, nos drapeaux fremissants,
Je ne montrerais point notre armee aux passants!
 
 
O peuple, toi qui fus si beau, toi qui, naguere,
Ouvrais si largement tes ailes dans la guerre,
Toi de qui l'envergure effrayante couvrit
Berlin, Rome, Memphis, Vienne, Moscou, Madrid,
Toi qui soufflas le vent des tempetes sur l'onde
Et qui fis du chaos naitre l'aurore blonde,
Toi qui seul eus l'honneur de tenir dans ta main
Et de pouvoir lacher ce grand oiseau, Demain,
Toi qui balayas tout, l'azur, les etendues,
Les espaces, chasseur des fuites eperdues,
Toi qui fus le meilleur, toi qui fus le premier,
O peuple, maintenant, assis sur ton fumier,
Racle avec un tesson le pus de tes ulceres,
Et songe.
 
 
La defaite a des conseils sinceres;
La beaute du malheur farouche, c'est d'avoir
Une fraternite sombre avec le devoir;
Le devoir aujourd'hui, c'est de se laisser croitre
Sans bruit, et d'enfermer, comme une vierge au cloitre,
Sa haine, et de nourrir les noirs ressentiments.
A quoi bon etaler deja nos regiments?
A quoi bon galoper devant l'Europe hostile?
Ne point faire envoler de poussiere inutile
Est sage; un jour viendra d'eclore et d'eclater;
Et je crois qu'il vaut mieux ne pas tant se hater.
 
 
Car il faut, lorsqu'on voit les soldats de la France,
Qu'on dise: – C'est la gloire et c'est la delivrance!
C'est Jemmapes, l'Argonne, Ulm, Iena, Fleurus!
C'est un tas de lauriers au soleil apparus!
Regardez. Ils ont fait les choses impossibles.
Ce sont les bienfaisants, ce sont les invincibles.
Ils ont pour murs les monts et le Rhin pour fosse.
En les voyant, il faut qu'on dise: – Ils ont chasse
Les rois du nord, les rois du sud, les rois de l'ombre,
Cette armee est le roc vainqueur des flots sans nombre,
Et leur nom resplendit du zenith au nadir!
– Il faut que les tyrans tremblent, loin d'applaudir.
Il faut qu'on dise: – Ils sont les amis venerables
Des pauvres, des damnes, des serfs, des miserables,
Les grands spoliateurs des trones, arrachant
Sceptre, glaive et puissance a quiconque est mechant;
Ils sont les bienvenus partout ou quelqu'un souffre.
Ils ont l'aile de flamme habituee au gouffre.
Ils sont l'essaim d'eclairs qui traverse la nuit.
Ils vont, meme quand c'est la mort qui les conduit.
Ils sont beaux, souriants, joyeux, pleins de lumiere;
Athene en serait folle et Sparte en serait fiere.
– Il faut qu'on dise: – Ils sont d'accord avec les cieux!
Et que l'homme, adorant leur pas audacieux,
Croie entendre, au-dessus de ces legionnaires
Qui roulent leurs canons, Dieu rouler ses tonnerres!
 
 
C'est pourquoi j'attendrais.
 
* * * * *
 
Qu'attends-tu? – Je reponds:
J'attends l'aube; j'attends que tous disent: – Frappons!
Levons-nous! et donnons a Sedan pour replique
L'Europe en liberte! – J'attends la republique!
J'attends l'emportement de tout le genre humain!
Tant qu'a ce siecle auguste on barre le chemin,
Tant que la Prusse tient prisonniere la France,
Penser est un affront, vivre est une souffrance.
 
 
Je sens, comme Isaie insurge pour Sion,
Gronder le profond vers de l'indignation,
Et la colere en moi n'est pas plus epuisable
Que le flot dans la mer immense et que le sable
Dans l'orageux desert remue par les vents.
 
 
Ce que j'attends? J'attends que les os soient vivants!
Je suis spectre, et je reve, et la cendre me couvre,
Et j'ecoute; et j'attends que le sepulcre s'ouvre.
J'attends que dans les coeurs il s'eleve des voix,
Que sous les conquerants s'ecroulent les pavois,
Et qu'a l'extremite du malheur, du desastre,
De l'ombre et de la honte, on voie un lever d'astre!
 
 
Jusqu'a cet instant-la, gardons superbement,
O peuple, la fureur de notre abaissement,
Et que tout l'alimente et que tout l'exaspere.
Etant petit, j'ai vu quelqu'un de grand, mon pere.
Je m'en souviens; c'etait un soldat, rien de plus,
Mais il avait mele son ame aux fiers reflux,
Aux revanches, aux cris de guerre, aux nobles fetes,
Et l'eclair de son sabre etait dans nos tempetes.
Oh! je ne vous veux pas dissimuler l'ennui,
A vous, fameux hier, d'etre obscurs aujourd'hui,
O nos soldats, lutteurs infortunes, phalange
Qu'illumina jadis la gloire sans melange;
L'etranger a cette heure, helas! heros trahis,
Marche sur votre histoire et sur votre pays;
Oui, vous avez laisse ces reitres aux mains viles
Voler nos champs, voler nos murs, voler nos villes,
Et completer leur gloire avec nos sacs d'ecus;
Oui, vous futes captifs; oui, vous etes vaincus;
Vous etes dans le puits des chutes insondables.
Mais c'est votre destin d'en sortir formidables,
Mais vous vous dresserez, mais vous vous leverez,
Mais vous serez ainsi que la faulx dans les pres;
L'hercule celte en vous, la hache sur l'epaule,
Revivra, vous rendrez sa frontiere a la Gaule,
Vous foulerez aux pieds Fritz, Guillaume, Attila,
Schinderhanne et Bismarck, et j'attends ce jour-la!
 

Oui, les hommes d'Eylau vous diront: Camarades!

 
 
Et jusque-la soyez pensifs loin des parades,
Loin des vaines rumeurs, loin des faux cliquetis,
Et regardez grandir nos fils encor petits.
 
* * * * *

Je vis desormais, l'oeil fixe sur nos deux villes.

 
Non, je ne pense pas que les rois soient tranquilles;
Je n'ai plus qu'une joie au monde, leur souci.
Rois, vous avez vaincu, Vous avez reussi,
Vous batissez, avec toutes sortes de crimes,
Un edifice infame au haut des monts sublimes;
Vous avez entre l'homme et vous construit un mur,
Soit; un palais enorme, eblouissant, obscur,
D'ou sort l'eclair, ou pas une lumiere n'entre,
Et c'est un temple, a moins que ce ne soit un antre.
Pourtant, eut-on pour soi l'armee et le senat,
Ne point laisser de trace apres l'assassinat,
Rajuster son exploit, bien laver la victoire,
Nettoyer le cote malpropre de la gloire,
Est prudent. Le sort a des retours tortueux,
Songez-y. – J'en conviens, vous etes monstrueux;
Vous et vos chanceliers, vous et vos connetables,
Vous etes satisfaits, vous etes redoutables;
Vous avez, joyeux, forts, servis par ce qui nuit,
Entrepris le recul du monde vers la nuit;
Vous faites chaque jour faire un progres a l'ombre;
Vous avez, sous le ciel d'heure en heure plus sombre,
Princes, de tels succes a nous faire envier
Que vous pouvez railler le vingt et un janvier,
Le quatorze juillet, le dix aout, ces journees
Tragiques, d'ou sortaient les grandes destinees;
Que vous pouvez penser que le Rhin, ce ruisseau,
Suffit pour arreter Jourdan, Brune et Marceau,
Et que vous pouvez rire en vos banquets sonores
De tous nos ouragans, de toutes nos aurores,
Et des vastes efforts des titans endormis.
Tout est bien; vous vivez, vous etes bons amis,
Rois, et vous n'etes point de notre or economes;
Vous en etes venus a vous donner les hommes;
Vous vous faites cadeau d'un peuple apres souper;
L'aigle est fait pour planer et l'homme pour ramper;
L'Europe est le reptile et vous etes les aigles;
Vos caprices, voila nos lois, nos droits, nos regles;
La terre encor n'a vu sous le bleu firmament
Rien qui puisse egaler votre assouvissement;
Et le destin pour vous s'epuise en politesses;
Devant vos majestes et devant vos altesses
Les pretres mettent Dieu stupefait a genoux;
Jamais rien n'a semble plus eternel que vous;
Votre toute-puissance aujourd'hui seule existe.
Mais, rois, tout cela tremble, et votre gloire triste
Devine le refus profond de l'avenir;
Car sur tous ces bonheurs que vous croyez tenir,
Sur vos arcs triomphaux, sur vos splendeurs hautaines,
Sur tout ce qui compose, o rois, o capitaines,
L'amas prodigieux de vos prosperites,
Sur ce que vous revez, sur ce que vous tentez,
Sur votre ambition et sur votre esperance,
On voit la grande main sanglante de la France.
 

16 septembre 1873.

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