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Timon d'Athènes

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(Ils sortent.)

SCÈNE II

Une salle d'apparat dans la maison de Timon
(Concert bruyant de hautbois. Flavius et d'autres domestiques servent un grand banquet.)
Entrent TIMON, ALCIBIADE, LUCIUS, LUCULLUS, SEMPRONIUS, et autres sénateurs athéniens, avec VENTIDIUS et la suite. A quelque distance, et derrière tous lesautres, suit APÉMANTUS, d'un air de mauvaise humeur

VENTIDIUS. – Très-honoré Timon, il a plu aux dieux de se souvenir de la vieillesse de mon père, et de l'appeler à son long repos. Il a quitté la vie sans regret, et il m'a laissé riche. Votre coeur généreux mérite toute ma reconnaissance, et je viens vous rendre ces talents auxquels j'ai dû la liberté, accompagnés de mes remerciements et de mon dévouement.

TIMON. – Oh! point du tout, honnête Ventidius; vous vous méprenez sur mon amitié: je vous ai fait ce don librement. On ne peut dire qu'on a donné, quand on souffre que le don soit rendu. Si nos supérieurs jouent à ce jeu, nous ne devons pas oser les imiter. Ce sont de belles fautes que celles qui enrichissent.

VENTIDIUS. – Les nobles sentiments!

(Ils sont tous debout regardant Timon d'un air de cérémonie.)

TIMON. – Seigneurs, la cérémonie n'a été inventée que pour voiler l'insuffisance des actions, les souhaits creux, la bienfaisance qui se repent avant d'avoir été exercée: mais où se trouve la véritable amitié, la cérémonie est inutile. Je vous prie, asseyez-vous. Vous êtes les bienvenus à ma fortune, plus qu'elle n'est la bienvenue pour moi.

(Ils s'asseyent.)

LUCIUS. – Nous l'avons toujours avoué, seigneur.

APÉMANTUS. – Oh! oui, avoué, et vous n'êtes pas encore pendus?

TIMON. – Ah! Apémantus, tu es le bienvenu.

APÉMANTUS. – Je ne veux pas être le bienvenu; je viens pour que tu me chasses.

TIMON. – Fi donc! Tu es un rustre; tu as pris là une humeur qui ne sied pas à l'homme: c'est un reproche à te faire. – On dit, mes amis, que ira furor brevis est; mais cet homme-là est toujours en colère. – Allons, qu'on lui dresse une table pour lui seul. Il n'aime point la compagnie, et il n'est vraiment pas fait pour elle.

APÉMANTUS. – Je resterai donc à tes risques et périls, Timon; car je viens pour observer, je t'en avertis.

TIMON. – Je ne prends pas garde à toi. – Tu es Athénien, tu es donc le bienvenu. Je ne dois pas être aujourd'hui le maître chez moi; mais je t'en prie, que mon diner me vaille ton silence.

APÉMANTUS. – Je méprise ton dîner… Il m'étoufferait, car je ne pourrais pas te flatter. – O dieux! que d'hommes dévorent Timon, et il ne le voit pas! Je souffre de voir tant de gens tremper leur langue dans le sang d'un seul homme; et le comble de la folie, c'est qu'il les excite lui-même. Je m'étonne que les hommes osent se confier aux hommes! Je pense, moi, qu'ils devraient les inviter sans couteaux. Leurs tables y gagneraient, et leur vie serait plus en sûreté. On en a vu cent exemples: l'homme, qui en ce moment est assis près de son hôte, qui rompt avec lui son pain et boit à sa santé la coupe qu'ils ont partagée ensemble, sera le premier à l'assassiner. Cela est prouvé. Si j'étais un grand personnage, je craindrais de boire à mes repas, de peur que mes hôtes n'épiassent à quelle note ils pourraient me couper le sifflet. Les grands seigneurs ne devraient jamais boire sans avoir le gosier revêtu de fer.

TIMON, à un des convives. – Seigneur, de tout mon coeur, et que les santés fassent la ronde.

PREMIER SEIGNEUR. – Qu'on verse de ce côté, mon bon seigneur.

APÉMANTUS. – De son côté! Fort bien: voilà un brave. Il sait prendre à propos son moment. – Toutes ces santés, Timon, te rendront malade, toi et ta fortune. Voilà qui est trop faible pour être coupable, l'honnête eau qui n'a jamais jeté personne dans la boue; cette liqueur et mes aliments se ressemblent, et sont toujours d'accord; les festins sont trop orgueilleux pour rendre grâces aux dieux.

Actions de grâces d'Apémantus
 
Dieux immortels, je ne vous demande point de richesses,
Je ne prie pour aucun homme que pour moi;
Accordez-moi de ne jamais devenir assez insensé
Pour me fier à un homme sur son serment ou sur son billet,
A une courtisane sur ses larmes,
A un chien qui paraît endormi,
A un geôlier pour ma liberté,
Ni à mes amis dans mon besoin:
Amen: allons, courage!
Le crime est pour le riche et je vis de racines.
 

Ton meilleur plat c'est ton bon coeur, Apémantus.

TIMON. – Général Alcibiade, votre coeur en ce moment est sur le champ de bataille.

ALCIBIADE. – Mon coeur, seigneur, est toujours prêt à vous servir.

TIMON. – Vous aimeriez mieux un déjeuner d'ennemis qu'un diner d'amis.

ALCIBIADE. – Pourvu que leur sang vînt de couler, seigneur, il n'est point de mets plus délicieux pour moi; je souhaiterais à mon meilleur ami de se trouver à pareille fête.

APÉMANTUS. – Je voudrais que tous ces flatteurs fussent tes ennemis, afin que tu pusses les égorger et m'inviter au festin.

PREMIER SEIGNEUR. – Si jamais, seigneur, nous avions le bonheur que vous missiez nos coeurs à l'épreuve; si jamais vous nous fournissiez l'occasion de montrer une partie de notre zèle, nous serions au comble de nos voeux.

TIMON. – Oh! ne doutez pas, mes bons amis, que les dieux n'aient eux-mêmes réservé dans l'avenir un jour, où j'aurai besoin de votre secours. Autrement, pourquoi, seriez-vous devenus mes amis? – Pourquoi seriez-vous choisis entre mille autres, pour porter ce titre de tendresse, si vous n'apparteniez pas de plus près à mon coeur? Je me suis dit de vous à moi-même, plus que vous ne pouvez modestement en dire, et je tiens ceci pour acquis sur votre compte. O dieux, me disais-je, qu'aurions-nous besoin d'amis, si nous ne devions jamais avoir besoin d'eux? Ce seraient les créatures du monde les plus inutiles si nous ne devions jamais user d'eux. Ils, ressembleraient fort à des instruments mélodieux suspendus dans leurs étuis et qui gardent pour eux leurs accords. Oui, j'ai souhaité souvent d'être plus pauvre, afin de me rapprocher davantage de vous. Nous sommes nés pour faire du bien, et quel bien est plus à nous que les richesses de nos amis? O quel précieux avantage d'avoir tant d'amis qui, comme des frères, disposent de la fortune l'un de l'autre! O volupté qui n'est déjà plus avant même d'être née! Il me semble que mes yeux ne peuvent retenir leurs larmes. – Allons, pour oublier leur faute, je bois à votre santé.

APÉMANTUS. – O Timon, plus tu pleures, plus ton vin se boit!

LUCULLUS. – La joie a eu la même conception dans nos yeux, et en sort comme un nouveau-né.

APÉMANTUS. – Oh! oh! je ris en pensant que ce nouveau-né est un bâtard.

TROISIÈME SEIGNEUR. – Je vous proteste, seigneur, que vous m'avez beaucoup ému.

APÉMANTUS. – Beaucoup.

(Son de trompette.)

TIMON. – Qu'annonce cette trompette? qu'y a-t-il?

(Entre un serviteur.)

LE SERVITEUR. – Sauf votre bon plaisir, seigneur, il y a là des dames qui demandent à entrer.

TIMON. – Des dames? que désirent-elles?

LE SERVITEUR. – Elles ont avec elles un courrier qui est chargé d'annoncer leurs intentions.

TIMON. – Je vous en prie, faites-les entrer.

(Entre Cupidon.)

CUPIDON. – Salut à toi, généreux Timon, et à tous ceux qui jouissent ici de tes bienfaits. Les Cinq Sens te reconnaissent pour leur patron, et viennent librement te féliciter de ton généreux coeur. L'Ouïe, le Goût, le Toucher, l'Odorat, se lèvent tous satisfaits de ta table: ils ne viennent dans ce moment que pour réjouir tes yeux.

TIMON. – Ils sont tous les bienvenus. Qu'on leur fasse bon accueil. Allons, que la musique célèbre leur entrée.

(Cupidon sort.)

PREMIER SEIGNEUR. – Vous voyez, seigneur, à quel point vous êtes aimé.

(Musique. Rentre Cupidon avec une mascarade de dames en amazones, dansant et jouant du luth.)

APÉMANTUS. – Holà! quel flot de vanité arrive ici! elles dansent;… ce sont des femmes folles! La gloire de cette vie est une folie semblable, comme le prouve toute cette pompe comparée à ce peu d'huile et à ces racines. Nous nous faisons fous pour nous amuser, et prodigues de flatteries nous buvons à ces hommes, sur la vieillesse desquels nous verserons un jour le poison de l'envie et du mépris. Quel homme respire, qui ne corrompe ou ne soit corrompu? quel homme expire, qui n'emporte au tombeau quelque outrage, don de ses amis? Je craindrais bien que ceux qui dansent là devant moi ne fussent les premiers à me fouler un jour sous leurs pieds. C'est ce qu'on a vu souvent. Les hommes ferment leurs portes au soleil couchant.

(Les convives se lèvent de table en montrant un grand respect pour Timon, et pour lui montrer leur affection, chacun d'eux prend une des amazones, et ils dansent couple par couple: on joue deux ou trois airs de hautbois, après quoi la danse et la musique cessent.)

TIMON. – Vous avez embelli nos plaisirs, belles dames, et donné un nouveau charme à notre fête, qui n'eût pas été à moitié si brillante ni si agréable sans vous; elle vous doit tout son prix et son éclat, et vous m'avez rendu moi-même enchanté de ma propre invention. J'ai à vous en remercier.

PREMIÈRE DAME. – Seigneur, vous nous jugez au mieux.

APÉMANTUS. – Oui, ma foi; car le pire est dégoûtant, et ne supporterait pas qu'on y touchât, je pense.

TIMON. – Mesdames, il y a un petit banquet qui vous attend; veuillez bien aller vous asseoir.

TOUTES ENSEMBLE. – Mille remerciements, seigneur.

(Elles sortent.)

TIMON. – Flavius!

 

FLAVIUS. – Seigneur!

TIMON. – Apportez-moi la petite cassette.

FLAVIUS. – Oui, monseigneur. – (A part.) Encore des bijoux? On ne peut l'arrêter dans ses fantaisies; autrement je lui dirais… – Allons. – En conscience, je devrais l'avertir. Quand tout sera dépensé, il voudrait bien alors qu'on l'eût arrêté. C'est grand dommage que la libéralité n'ait pas des yeux derrière: alors jamais un homme ne tomberait dans la misère, victime d'un trop bon coeur.

PREMIER SEIGNEUR. – Nos serviteurs, où sont-ils?

UN SERVITEUR. – Les voici, seigneur, à vos ordres.

LUCIUS. – Nos chevaux.

TIMON. – Mes bons amis, j'ai encore un mot à vous dire Seigneur, je vous en conjure, faites-moi l'honneur d'accepter ce bijou; daignez le recevoir et le porter, mon cher ami!

LUCIUS. – Je suis déjà comblé de vos dons!

TOUS. – Nous le sommes tous!

(Entre un serviteur.)

LE SERVITEUR. – Seigneur, plusieurs membres du sénat sont descendus à votre porte, et viennent vous visiter.

TIMON. – Ils sont les bienvenus.

FLAVIUS rentre. – J'en conjure votre Honneur, daignez écouter un mot, il vous touche de près.

TIMON. – De près! oh bien! alors, je t'écouterai une autre fois. Je te prie que tout soit préparé pour leur faire bon accueil.

FLAVIUS, à part. – Je ne sais trop comment.

(Entre un autre serviteur.)

LE SECOND SERVITEUR. – Seigneur, le noble Lucius, par un don de sa pure amitié, vous a fait présent de quatre chevaux blanc de lait, avec leurs harnais en argent.

TIMON. – Je les accepte bien volontiers; ayez soin que ce présent soit dignement reconnu. (Entre un troisième serviteur.) Eh bien! qu'y a-t-il de nouveau?

LE TROISIÈME SERVITEUR. – Sauf votre bon plaisir, mon seigneur; cet honorable seigneur, Lucullus, vous invite à chasser avec lui demain matin, et il vous envoie deux couples de lévriers.

TIMON. – Je chasserai avec lui: qu'on reçoive son présent, mais non sans un noble retour.

FLAVIUS, à part. – Quelle sera la fin de tout ceci? Il nous ordonne de pourvoir à tout, de rendre de riches présents, et tout cela avec un coffre vide: et il ne veut pas examiner sa bourse, ni m'accorder un moment pour lui démontrer à quelle indigence est réduit son coeur, qui n'a plus les moyens d'effectuer ses voeux. Ses promesses excèdent si prodigieusement sa fortune, que tout ce qu'il promet est une dette; il doit pour chaque parole: il est assez bon pour payer encore les intérêts. Ses terres sont toutes couchées sur leurs livres. Oh! que je voudrais être doucement congédié de mon office, avant d'être forcé de le quitter! Plus heureux l'homme qui n'a point d'amis à nourrir, que celui qui est entouré d'amis plus funestes que les ennemis mêmes! Le coeur me saigne de douleur pour mon maître.

(Il sort.)

TIMON. – Vous ne vous rendez pas justice; vous rabaissez trop votre mérite. Voici, seigneur, cette bagatelle, comme un gage de notre amitié.

SECOND SEIGNEUR. – Je la reçois avec une reconnaissance particulière.

TROISIÈME SEIGNEUR. – Oh! il est l'essence même de la bonté.

TIMON. – A propos, seigneur, je me rappelle que vous avez vanté l'autre jour un coursier bai que je montais. Il est à vous, puisqu'il vous a plu.

LE SECOND SEIGNEUR. – Oh! je vous prie, seigneur, excusez-moi; je ne puis…

TIMON. – Vous pouvez m'en croire, seigneur; je sais par expérience qu'on ne loue bien que ce qui vous plaît: je juge des sentiments de mon ami par les miens. Ce que je vous dis est la vérité. J'irai vous faire visite.

TOUS LES SEIGNEURS. – Nul ne sera aussi bienvenu.

TIMON. – Je suis si reconnaissant de toutes vos visites que je ne puis assez donner. Je voudrais pouvoir distribuer des royaumes à mes amis, et je ne me lasserais jamais… – Alcibiade, tu es un guerrier, et par conséquent rarement opulent: les bienfaits te sont dus, car tu vis sur les morts, et toutes les terres que tu possèdes sont sur le champ de bataille.

ALCIBIADE. – Oui, des terres souillées, seigneur.

PREMIER SEIGNEUR. – Nous vous sommes si redevables!

TIMON. – Et moi à vous.

SECOND SEIGNEUR. – Nous vous chérissons si infiniment!

TIMON. – Je suis tout à vous! – Des flambeaux. – Encore des flambeaux!

TROISIÈME SEIGNEUR. – Que la plus pure félicité, l'honneur et les richesses ne vous abandonnent jamais, noble Timon.

TIMON. – Au, service de ses amis.

(Sortent Alcibiade, les seigneurs et autres.)

APÉMANTUS. – Quel tumulte ici! que d'inclinations de tête, que de courbettes4! Je doute que toutes ces jambes vaillent les sommes dont on paye leurs génuflexions. Amitié pleine d'une lie impure! Il me semble que les hommes au coeur faux ne devraient pas avoir des jambes si lestes. – C'est ainsi que d'honnêtes dupes prodiguent leurs richesses pour des révérences.

TIMON. – Voyons, Apémantus, si tu n'étais pas si bourru, tu éprouverais mes bontés.

APÉMANTUS. – Non, je ne veux rien. Si tu allais me corrompre aussi, voyons, il ne resterait plus personne pour se moquer de ta folie, et tu ferais encore plus de sottises. Tu donnes tant, Timon, que je crains bien que tu ne finisses par te donner toi-même5. A quoi bon ces fêtes, ce luxe et ces vaines magnificences?

TIMON. – Ah! si tu commences à médire de la société, j'ai juré de ne pas t'écouter. Adieu, et reviens chanter sur un ton plus aimable.

(Il sort.)

APÉMANTUS. – Allons: tu ne veux donc pas m'entendre à présent: eh bien, tu ne m'entendras jamais; je te fermerai la porte du ciel6. Oh! est-il possible que l'oreille des hommes soit sourde aux bons conseils, et non à la flatterie!

(Il sort.)
FIN DU PREMIER ACTE

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Athènes. – Appartement dans la maison d'un sénateur
Entre un SÉNATEUR avec des papiers à la main

LE SÉNATEUR. – Et dernièrement cinq mille à Varron; il en doit neuf mille à Isidore, ce qui, joint à ce qu'il me devait auparavant, fait vingt-cinq mille. – Quoi! toujours cette rage de dépenser? Cela ne peut pas durer; cela ne durera pas. – Si j'ai besoin d'argent, je n'ai qu'à voler le chien d'un mendiant, et en faire présent à Timon: le chien me battra monnaie. – Si je veux vendre mon cheval, et du prix en acheter vingt autres meilleurs que lui, je n'ai qu'à donner à Timon, je ne lui demande rien. Je le lui donne; aussitôt mon cheval me produit des chevaux superbes. – Point de portier chez lui; mais un homme qui sourit à tout le monde, et invite tous ceux qui passent. Cela ne peut durer; il n'y a pas de raison pour croire sa fortune solide. Caphis, holà! Caphis.

(Entre Caphis.)

CAPHIS. – Me voilà, seigneur; que désirez-vous de moi?

LE SÉNATEUR. – Mettez votre manteau, et courez chez le seigneur Timon: demandez lui avec importunité mon argent, qu'un léger refus ne vous arrête pas; n'allez pas vous laisser fermer la bouche par un: «Faites mes compliments à votre maître,» le bonnet tournant ainsi dans la main droite. Dites-lui que mes besoins crient après moi, et que c'est à mon tour à me servir de ce qui m'appartient. Tous les jours de délais et de grâce sont passés; et par trop de confiance à ses vaines promesses, j'ai altéré mon crédit. J'aime et j'honore Timon; mais je ne dois pas me rompre les reins pour lui guérir le doigt; mes besoins sont pressants; il faut que je sois satisfait immédiatement sans être bercé par des paroles. Partez; prenez un air des plus importuns, un visage de demandeur, car je crains bien que le seigneur Timon, qui maintenant brille comme un phénix, ne soit bientôt plus qu'une mouette plumée, quand chaque plume sera rendue à l'aile à laquelle elle appartient.

CAPHIS. – J'y vais, seigneur.

LE SÉNATEUR. – «J'y vais, seigneur?» – Portez donc les billets, et prenez-en les dates en compte.

CAPHIS. – Oui, seigneur.

LE SÉNATEUR. – Allez.

SCÈNE II

Un appartement de la maison de Timon
Entre FLAVIUS tenant plusieurs billets à la main

FLAVIUS. – Point de soin, pas un temps d'arrêt! Si insensé dans ses dépenses, qu'il ne veut pas savoir comment les continuer ni arrêter le torrent de ses extravagances! Ne se demandant jamais comment l'argent sort de ses mains; ne se préoccupant pas davantage du temps que cela durera. Jamais homme ne fut aussi fou et aussi bon! Que faire? – Il ne voudra rien écouter qu'il ne sente le mal. – Il faut que je sois franc avec lui à son retour de la chasse. Fi donc! fi donc! fi donc!

(Entrent Caphis et des serviteurs d'Isidore et de Varron7).

CAPHIS. – Salut, Varron. Quoi, vous venez chercher de l'argent?

LE SERVITEUR DE VARRON. – N'est-ce pas aussi ce qui vous amène?

CAPHIS. – Oui; et vous aussi, Isidore?

LE SERVITEUR D'ISIDORE. – Justement.

CAPHIS. – Plaise au ciel que nous soyons tous payés!

LE SERVITEUR DE VARRON. – C'est de quoi je doute.

CAPHIS. – Voici le patron.

(Entrent Timon, Alcibiade, seigneurs, etc.)

TIMON. – Mon cher Alcibiade, aussitôt après le dîner nous nous remettrons en campagne. – Est-ce à moi que vous voulez parler? Eh bien! que voulez-vous?

CAPHIS. – Seigneur, c'est la note de certaines dettes…

TIMON. – Des dettes? D'où êtes-vous?

CAPHIS. – D'Athènes, seigneur.

TIMON. – Allez trouver mon intendant.

CAPHIS. – Ne vous déplaise, seigneur, il m'a remis tout le mois, de jour en jour, pour le payement. Un besoin pressant force mon maître à demander son argent; il vous supplie d'agir avec votre noblesse ordinaire et de faire justice à sa requête.

TIMON. – Mon bon ami, revenez demain matin, je vous en prie.

CAPHIS. – Mais, seigneur…

TIMON. – Allons cessez, mon ami.

LE SERVITEUR DE VARRON. – Un serviteur de Varron, seigneur.

LE SERVITEUR D'ISIDORE. – C'est de la part d'Isidore; il vous prie humblement de le rembourser promptement.

CAPHIS. – Seigneur, si vous connaissiez quel est le besoin de mon maître…

LE SERVITEUR DE VARRON. – Le terme est échu, seigneur, depuis plus de six semaines.

LE SERVITEUR D'ISIDORE. – Votre intendant me renvoie toujours, seigneur, et mes ordres sont de m'adresser directement à votre Seigneurie.

TIMON. – Eh! laissez-moi respirer. – Je vous en prie, allez toujours devant, mes bons seigneurs; je vous rejoins à l'instant. (Alcibiade et les Seigneurs sortent.) (A Flavius.) Venez ici, je vous prie, que se passe-t-il que je sois assailli par ces clameurs et ces demandes de billets différés, des dettes arriérées qui font tort à mon honneur?

FLAVIUS. – Messieurs, avec votre permission, le moment n'est pas convenable pour parler affaires; ne nous importunez plus, attendez après le dîner; donnez-moi le temps d'expliquer à sa Seigneurie pourquoi vous n'avez pas été payés.

 

TIMON. – Oui, mes amis, attendez. – Ayez soin de les bien traiter.

(Timon sort.)

FLAVIUS. – Écoutez-moi, je vous prie.

(Il sort.)
(Entrent Apémantus et un fou.)

CAPHIS. – Restez, restez, voici le fou qui vient avec Apémantus; amusons-nous un moment avec eux.

LE SERVITEUR DE VARRON. – Qu'il aille se faire pendre; il va nous injurier.

LE SERVITEUR D'ISIDORE. – Que la peste l'étouffe, le chien!

LE SERVITEUR DE VARRON. – Comment te portes-tu, fou?

APÉMANTUS. – Parles-tu à ton ombre?

LE SERVITEUR DE VARRON. – Ce n'est pas à toi que je parle.

APÉMANTUS. – Non, c'est à toi-même. (Au fou.) Allons-nous-en.

LE SERVITEUR D'ISIDORE,à celui de Varron. – Voilà le fou sur ton dos.

APÉMANTUS. – Non, tu es seul; tu n'es pas encore sur lui.

CAPHIS. – Où est le fou maintenant?

APÉMANTUS. – Il vient de le demander tout à l'heure. Pauvres misérables, valets d'usuriers, entremetteurs entre l'or et le besoin!

TOUS LES SERVITEURS. – Que sommes-nous, Apémantus?

APÉMANTUS. – Des ânes.

TOUS. – Pourquoi?

APÉMANTUS. – Parce que vous me demandez ce que vous êtes, et que vous ne vous connaissez pas vous-mêmes. Parle-leur, fou.

LE FOU. – Comment vous portez-vous, messieurs?

TOUS. – Grand merci, bon fou! Que fait ta maîtresse?

LE FOU. – Elle met chauffer de l'eau pour échauder des poulets comme vous. Que ne pouvons-nous vous voir à Corinthe!

APÉMANTUS. – Bon, grand merci!

(Entre un page.)

LE FOU. – Voyez, voici le page de ma maîtresse.

LE PAGE, au fou. – Eh bien! capitaine, que faites-vous avec cette sage compagnie? – Comment se porte Apémantus?

APÉMANTUS. – Je voudrais avoir une verge dans ma bouche, pour te répondre d'une manière utile.

LE PAGE. – Je te prie, Apémantus, lis-moi l'adresse de ces lettres; je n'y connais rien.

APÉMANTUS. – Tu ne sais pas lire?

LE PAGE. – Non.

APÉMANTUS. – Nous ne perdrons donc pas un savant quand tu seras pendu. – Celle-ci est pour le seigneur Timon, l'autre pour Alcibiade. Va, tu es né bâtard et tu mourras proxénète.

LE PAGE. – Ta mère, en te donnant le jour, a fait un chien, et tu mourras de faim comme un chien. Point de réplique. Je m'en vais.

(Il sort.)

APÉMANTUS. – C'est nous rendre le plus grand service. – Fou, j'irai avec toi chez le seigneur Timon.

LE FOU. – Me laisseras-tu là?

APÉMANTUS. – Si Timon est chez lui, – Vous êtes là trois qui servez trois usuriers?

TOUS. – Oui; plût aux dieux qu'ils nous servissent!

APÉMANTUS. – Je le voudrais. – Je vous servirais comme le bourreau sert le voleur.

LE FOU. – Êtes-vous tous trois valets d'usuriers?

TOUS. – Oui, fou.

LE FOU. – Je pense qu'il n'y a point d'usuriers qui n'aient un fou pour serviteur. Ma maîtresse est une usurière, et moi je suis son fou. Quand quelqu'un emprunte de l'argent à vos maîtres, il arrive tristement et s'en retourne gai. Mais on entre gaiement chez ma maîtresse, et on en sort tout triste. Dites-moi la raison de cela?

LE SERVITEUR DE VARRON. – Je puis vous en donner une.

LE FOU. – Parle donc afin que nous puissions te regarder comme un agent d'infamie et un fripon. Va, tu n'en seras pas moins estimé.

LE SERVITEUR DE VARRON. – Qu'est-ce qu'un agent d'infamie, fou?

LE FOU. – C'est un fou bien vêtu, qui te ressemble un peu; c'est un esprit: quelquefois il paraît sous la figure d'un seigneur, quelquefois sous celle d'un légiste, quelquefois sous celle d'un philosophe qui porte deux pierres, outre la pierre philosophale. Souvent il ressemble à un chevalier: enfin cet esprit rôde sous toutes les formes que revêt l'homme, depuis quatre-vingts ans jusqu'à treize.

LE SERVITEUR DE VARRON. – Tu n'es pas tout à fait fou.

LE FOU. – Ni toi tout à fait sage: ce que j'ai de plus en folie, tu l'as de moins en esprit.

VARRON. – Cette réponse conviendrait à Apémantus.

TOUS. – Place, place: voici le seigneur Timon.

APÉMANTUS, – Fou, viens avec moi, viens.

LE FOU. – Je n'aime point à suivre toujours un amant, un frère aîné, ou une femme; quelquefois je suis un philosophe.

(Sortent Apémantus et le fou.)

FLAVIUS, aux serviteurs. – Promenez-vous, je vous prie, près d'ici; je vous parlerai dans un moment.

(Timon et Flavius restent seuls.)

TIMON. – Vous m'étonnez fort! Pourquoi ne m'avez-vous pas exposé plus tôt l'état de mes affaires? J'aurais pu proportionner mes dépenses à ce que j'avais de moyens.

FLAVIUS. – Vous n'avez jamais voulu m'entendre; je vous l'ai proposé plusieurs fois.

TIMON. – Allons, vous aurez peut-être pris le moment où, étant mal disposé, je vous ai renvoyé; et vous avez profité de ce prétexte pour vous excuser.

FLAVIUS. – O mon bon maître! je vous ai présenté bien des fois mes comptes; je les ai mis devant vos yeux; vous les avez toujours rejetés, en disant que vous vous reposiez sur mon honnêteté. Quand, pour quelque léger cadeau, vous m'avez ordonné de rendre une certaine somme, j'ai secoué la tête et j'ai gémi: même, je suis sorti des bornes du respect, en vous exhortant à tenir votre main plus fermée. J'ai essuyé de votre part et bien souvent des réprimandes assez dures, quand j'ai voulu vous ouvrir les yeux sur la diminution de votre fortune et l'accroissement constant de vos dettes! O mon cher maître, quoique vous m'écoutiez aujourd'hui trop tard, cependant il est nécessaire que vous le sachiez: tous vos biens ne suffiraient pas pour payer la moitié de vos dettes.

TIMON. – Qu'on vende toutes mes terres.

FLAVIUS. – Toutes sont engagées; quelques-unes sont forfaites et perdues; à peine nous reste-t-il de quoi fermer la bouche aux créances échues. D'autres échéances arrivent à grands pas. Qui nous soutiendra dans cet intervalle, et enfin comment se terminera notre dernier compte?

TIMON. – Mes possessions s'étendaient jusqu'à Lacédémone.

FLAVIUS. – O mon bon maître! le monde n'est qu'un mot. Et quand vous le posséderiez tout entier, et que vous pourriez le donner d'une seule parole, combien de temps le garderiez-vous?

TIMON. – Tu me dis la vérité.

FLAVIUS. – Si vous avez le moindre soupçon sur mon administration, sur ma fidélité, citez-moi devant les juges les plus sévères, et faites-moi rendre un compte rigoureux. Que les dieux me soient propices: ils savent que, lorsque tous nos offices étaient encombrés d'avides parasites, lorsque nos caves pleuraient des flots de vin, quand chaque appartement brillait de mille flambeaux, et retentissait du bruit confus des concerts, moi, je me retirais près d'un conduit toujours ouvert8, pour y verser des torrents de larmes.

TIMON. – Assez, je t'en prie.

FLAVIUS. – Dieux! disais-je, quelle bonté dans le seigneur Timon! Que de biens prodigués des esclaves et des rustres ont engloutis cette nuit! Qui n'appartient à Timon? Qui n'offre pas son coeur, sa vie, son épée, son courage, sa bourse à Timon, «au grand Timon, au noble, au digne, au royal Timon?» Hélas! quand la fortune dont il achète ces louanges sera dissipée, le souffle qui les produit sera éteint; ce qu'on a gagné au festin on le perd dans le jeûne9. Un nuage d'hiver verse ses ondées, et tous les insectes ont disparu.

TIMON. – Allons, ne me sermonne plus. – Nul bienfait honteux n'a déshonoré mon coeur. J'ai donné imprudemment, mais sans ignominie. Pourquoi pleures-tu? Manques-tu de confiance au point de croire que je puisse manquer d'amis? Que ton coeur se rassure; va, si je voulais ouvrir les réservoirs de mon amitié, et éprouver les coeurs en empruntant, je pourrais user des hommes et de leurs fortunes aussi facilement que je puis t'ordonner de parler.

FLAVIUS. – Puisse l'événement ne pas tromper votre attente!

TIMON. – Et ce besoin où je me trouve aujourd'hui est en quelque sorte pour moi un bonheur qui couronne mes voeux. Je puis maintenant éprouver mes amis; tu connaîtras bientôt combien tu t'es mépris sur l'état de ma fortune; je suis riche en amis. Holà! quelqu'un! Flaminius! Servilius!

4Serving of becks, and jutting out of bums. Beck veut dire un salut fait avec la tête; to serve a beck, c'est saluer de la tête. Jutting out of bums, littéralement prolongement du derrière, signifie révérence, courbette.
5Il y a dans le texte: thou wilt give thyself in paper, tu te donneras en papier. Un commentateur prétend qu'Apémantus entend par-là que Timon se donnera en billets, en lettres de change.
6«La porte du ciel.» Apémantus veut parler ici des bons conseils qu'il refusera désormais à Timon.
7Les valets se donnent entre eux le nom de leurs maîtres.
8Wasteful cock; robinet prodigue. Les commentateurs se sont creusé la tête pour expliquer cette expression et l'intention de Flavius. On a prétendu que Flavius se retirait près d'un conduit, d'où l'eau sortait sans cesse, parce que cette circonstance servait à lui rappeler les prodigalités de Timon en même temps que ce lieu écarté était propice à sa rêverie.
9Proverbe anglais: feast-won, fast-lost: gagné au festin, perdu au jeûne.
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