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Jules César

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BRUTUS. – Ne vous mettez pas ainsi à genoux, ma bonne Porcia.

PORCIA. – Je n'en aurais pas besoin si vous étiez mon bon Brutus. Dites-moi, Brutus, est-il fait pour nous cette exception aux liens de mariage, que je ne participe point aux secrets qui vous appartiennent? ne suis-je une autre vous-même que jusqu'à un certain point, et avec de certaines réserves? pour vous tenir compagnie à table, faire la douceur de votre couche, et vous adresser quelquefois la parole? N'occupé-je donc que les avenues de votre affection? Ah! si je n'ai rien de plus, Porcia est la concubine29 de Brutus, et non pas sa femme.

BRUTUS. – Vous êtes ma femme fidèle et honorée, aussi précieuse pour moi que les gouttes rougeâtres qui arrivent à mon triste coeur.

PORCIA. – Si cela était vrai, je saurais déjà ce secret. Je suis une femme, j'en conviens, mais une femme que le grand Brutus a prise pour épouse. Je suis une femme, j'en conviens, mais une femme de bon renom, la fille de Caton. Pensez-vous que je ne sois pas plus forte que mon sexe, fille d'un tel père et femme d'un tel époux? Dites-moi ce que vous méditez, je ne le révélerai point. J'ai voulu fortement éprouver ma constance; je me suis fait une blessure ici à la cuisse: capable de soutenir ceci avec patience, pourrais-je ne pas l'être de porter les secrets de mon mari?

BRUTUS. – O vous, dieux, rendez-moi digne de cette noble épouse. (On frappe derrière le théâtre.) Écoutez, écoutez, on frappe. – Porcia, rentre un moment, et bientôt ton sein va partager tous les secrets de mon coeur; je te développerai tous mes engagements et tout ce qui est écrit sur mon triste front30. Retire-toi promptement. (Porcia sort.) – Lucius, qui est-ce qui frappe?

LUCIUS. – Il y a là un homme malade qui voudrait vous entretenir.

BRUTUS. – C'est Caïus Ligarius, dont Métellus nous a parlé. Lucius, éloigne-toi. – Caïus Ligarius, comment êtes-vous?

LIGARIUS. – Recevez le bonjour que vous adresse une voix bien faible.

BRUTUS. – Oh! quel temps avez-vous choisi, brave Caïus, pour garder votre bonnet de nuit? Que je voudrais que vous ne fussiez pas malade!

LIGARIUS. – Je ne suis plus malade, si Brutus a en main quelque exploit digne d'être marqué du nom de l'honneur.

BRUTUS. – J'aurais en main un exploit de ce genre, Ligarius, si pour l'entendre vous aviez l'oreille de la santé.

LIGARIUS. – Par tous les dieux devant qui se prosternent les Romains, je chasse loin de moi mon infirmité. Âme de Rome, fruit généreux des reins d'un père respecté, comme un exorciste tu as conjuré l'esprit de maladie. Ordonne-moi d'aller en avant, et mes efforts tenteront des choses impossibles; que dis-je! ils en viendront à bout. – Que faut-il faire?

BRUTUS. – Une oeuvre par laquelle des hommes malades retrouveront la santé.

LIGARIUS. – Mais n'est-il pas quelques hommes en santé que nous devons rendre malades?

BRUTUS. – C'est aussi ce qu'il faudra. Ce que c'est, cher Caïus, je te l'expliquerai en nous rendant ensemble au lieu où la chose doit se faire.

LIGARIUS. – Que votre pied m'indique la route, et d'un coeur animé d'une flamme nouvelle, je vous suivrai sans savoir à quelle entreprise: il suffit que Brutus me guide.

BRUTUS. – Suis-moi donc.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Toujours à Rome. – Une pièce du palais de César. – Tonnerre et éclairs
Entre CÉSAR en robe de chambre

CÉSAR. – Ni le ciel ni la terre n'ont été en paix cette nuit. Trois fois Calphurnia dans son sommeil s'est écriée: «Au secours! oh! ils assassinent César!» – Y a-t-il là quelqu'un?

(Entre un serviteur.)

LE SERVITEUR. – Mon seigneur?

CÉSAR. – Va, commande aux prêtres d'offrir à l'instant un sacrifice, et reviens m'apprendre quel succès ils en augurent.

LE SERVITEUR. – J'y vais, mon seigneur.

(Il sort.)
(Entre Calphurnia.)

CALPHURNIA. – Que prétendez-vous, César? Penseriez-vous à sortir? vous ne sortirez point aujourd'hui de chez vous.

CÉSAR. – César sortira. Les choses qui m'ont menacé ne m'ont jamais regardé que de dos: dès qu'elles apercevront le visage de César, elles s'évanouiront.

CALPHURNIA. – César, jamais je ne me suis arrêtée aux présages; mais aujourd'hui ils m'épouvantent. Sans parler de tout ce que nous avons entendu et vu, il y a de l'autre côté un homme qui raconte d'horribles phénomènes vus par les gardes. Une lionne a fait ses petits au milieu des rues; la bouche des sépulcres s'est ouverte et a laissé échapper leurs morts; de terribles guerriers de feu combattaient sur les nuages, en lignes, en escadrons, et avec toute la régularité de la guerre; il en pleuvait du sang sur le Capitole; le choc de la bataille retentissait dans les airs; on entendait les hennissements des coursiers et les gémissements des mourants, et des spectres ont poussé le long des rues des cris aigus et lamentables! O César, ces présages sont inouïs, et je les redoute.

CÉSAR. – Que peut-on éviter de ce qui est décrété par les puissants dieux? César sortira, car ces présages s'adressent au monde entier autant qu'à César.

CALPHURNIA. – Quand il meurt des mendiants, on ne voit pas des comètes; mais les cieux mêmes signalent par leurs feux la mort des princes.

CÉSAR. – Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort, le brave ne goûte jamais la mort qu'une fois. De tous les prodiges dont j'aie encore ouï parler, le plus étrange pour moi, c'est que les hommes puissent sentir la crainte, voyant que la mort, fin nécessaire, arrivera à l'heure où elle doit arriver. (Rentre le serviteur.) – Que disent les augures?

LE SERVITEUR. – Ils voudraient que vous ne sortissiez pas aujourd'hui: en retirant les entrailles d'une des victimes, ils n'ont pu retrouver le coeur de l'animal.

CÉSAR. – Les dieux ont voulu faire honte à la lâcheté. César serait un animal sans coeur si la peur le retenait aujourd'hui dans sa maison: non, César n'y restera pas. Le danger sait très-bien que César est plus dangereux que lui: nous sommes deux lions mis bas le même jour, mais je suis l'aîné et le plus terrible, et César sortira.

CALPHURNIA. – Hélas! mon seigneur, vous consumez toute votre sagesse en confiance. Ne sortez point aujourd'hui: donnez ma crainte et non la vôtre pour le motif qui vous retiendra ici. Nous enverrons Marc-Antoine au sénat: il dira que vous ne vous portez pas bien aujourd'hui; me voici à genoux devant vous, pour l'obtenir.

CÉSAR. – Marc-Antoine dira que je ne me porte pas bien; et pour complaire à ton caprice, je resterai. (Entre Décius.) Voici Décius Brutus; il le leur dira.

DÉCIUS. – Salut à César! Bonjour, digne César! Je viens vous chercher pour aller au sénat.

CÉSAR. – Et vous êtes venu fort à propos, Décius, pour porter mes salutations aux sénateurs, et leur dire que je ne veux pas aller aujourd'hui au sénat. Que je ne le puis, serait faux; que je ne l'ose, plus faux encore31. Je ne veux pas y aller aujourd'hui: dites-le leur ainsi, Décius.

CALPHURNIA. – Dites qu'il est malade.

CÉSAR. – César leur fera-t-il porter un mensonge? Ai-je étendu si loin mon bras et mes conquêtes, pour craindre de dire la vérité à quelques barbes grises? – Décius, allez leur dire que César ne veut pas y aller.

DÉCIUS. – Très-puissant César, faites-moi connaître quelques-unes de vos raisons, de peur qu'on ne me rie au nez quand je leur rendrai ce discours.

CÉSAR. – La raison est dans ma volonté: je n'y veux pas aller; c'en est assez pour satisfaire le sénat. Mais, pour votre satisfaction particulière et parce que je vous aime, je vous dirai que c'est Calphurnia que voilà, ma femme, qui me retient ici. Elle a rêvé cette nuit qu'elle voyait ma statue, semblable à une fontaine, verser du sang tout pur par cent tuyaux. Plusieurs Romains vigoureux venaient en souriant baigner leurs mains dans ce sang. Elle prend tout cela pour des avis et des présages de maux imminents; et, à genoux, elle m'a conjuré de demeurer aujourd'hui chez moi.

DÉCIUS. – Ce songe est interprété à contre-sens: c'est une vision heureuse et favorable. Votre statue jetant par un grand nombre de tuyaux du sang dans lequel tant de Romains se baignent en souriant signifie que l'illustre Rome va recevoir de vous un sang qui la ranimera, et que, parmi les hommes magnanimes, il y aura empressement à en être teint, à en obtenir quelque marque, quelque empreinte sacrée qui les fasse reconnaître32; et voilà ce que signifie le songe de Calphurnia.

 

CÉSAR. – Vous en avez ainsi très-bien expliqué le sens.

DÉCIUS. – Vous le verrez quand vous aurez entendu ce que j'ai à vous dire. Sachez maintenant que le sénat a résolu de décerner aujourd'hui une couronne au puissant César: si vous envoyez dire que vous ne voulez pas vous y rendre, les esprits peuvent changer. D'ailleurs il s'en pourrait faire quelques plaisanteries, et l'on traduirait ainsi votre message: «Que le sénat se sépare; ce sera pour une autre fois, quand la femme de César aura fait de meilleurs rêves.» Si César se cache, ne se diront-ils pas à l'oreille: «Voyez, César a peur?» Pardonnez-moi, César; c'est mon tendre, mon bien tendre zèle pour votre fortune, qui me commande de vous parler ainsi; et la raison est ici dans l'intérêt de mon affection.

CÉSAR. – Que vos terreurs semblent absurdes maintenant, Calphurnia! J'ai honte d'y avoir cédé. Qu'on me donne ma robe; je veux aller au sénat. (Entrent Publius, Brutus, Ligarius, Métellus, Casca, Trébonius et Cinna.) – Et voyez, Publius vient ici me chercher.

PUBLIUS. – Bonjour, César.

CÉSAR. – Soyez le bienvenu, Publius. Quoi! Brutus aussi sorti de si bonne heure! Bonjour, Casca. Caïus Ligarius, jamais César ne fut autant votre ennemi que cette fièvre qui vous a ainsi maigri. – Quelle heure est-il?

BRUTUS. – César, huit heures sont sonnées.

CÉSAR. – Je vous rends grâce de votre complaisance et de vos soins. (Entre Antoine.) Voyez Antoine. Lui qui se divertit tant que la nuit dure, il n'en est pas moins levé. Bonjour, Antoine.

ANTOINE. – Bonjour à l'illustre César.

CÉSAR. – Dites-leur là-dedans de tout préparer. – Je mérite des reproches, pour me faire ainsi attendre. – Voilà maintenant Cinna qui arrive; voilà Métellus. Ha! Trébonius, j'ai besoin de causer une heure avec vous: souvenez-vous de venir ici aujourd'hui. Tenez-vous près de moi, de peur que je ne vous oublie.

TRÉBONIUS. – Je le ferai, César. (A part.) Et je serai si près, que vos meilleurs amis souhaiteront que j'en eusse été plus loin.

CÉSAR. – Entrez, mes bons amis, et prenez une coupe de vin avec moi33; puis nous nous en irons tout à l'heure ensemble comme des amis.

BRUTUS. – Les apparences trompent souvent, ô César, et le coeur de Brutus se serre lorsqu'il y réfléchit.

SCÈNE IV

Toujours à Rome. – Une rue près du Capitole
ARTÉMIDORE entre, lisant un papier

ARTÉMIDORE. – «César, défie-toi de Brutus; prends garde à Cassius; n'approche point de Casca; aie l'oeil sur Cinna; ne te fie point à Trébonius; observe bien Métellus Cimber. Décius Brutus ne t'aime point; tu as offensé Caïus Ligarius. Tous ces hommes sont animés d'un même esprit contre César. Si tu n'es pas immortel, prends garde à toi, la sécurité laisse le champ libre à la conspiration. Que les puissants dieux te défendent!

«Ton ami ARTÉMIDORE.»

Je veux attendre ici que César passe; alors je lui présenterai ceci comme une supplique. Mon coeur déplore que la vertu ne puisse vivre hors de la portée des dents de l'envie. Si tu lis cette note, ô César, tu peux vivre; sinon, les destins conspirent avec les traîtres.

SCÈNE V

Toujours à Rome. – Une autre partie de la même rue, devant la maison de Brutus
Entrent PORCIA ET LUCIUS

PORCIA. – Je t'en prie, mon garçon, cours au sénat. Ne t'arrête point à me répondre, mais pars sur-le-champ. Pourquoi restes-tu là?

LUCIUS. – Pour savoir quel est mon message, madame.

PORCIA. – Je voudrais que tu fusses déjà arrivé au sénat, et revenu avant que j'eusse pu te dire ce que tu as à faire. – O constance! tiens-toi ferme à mes côtés; place une énorme montagne entre mon coeur et ma langue: j'ai l'âme d'un homme, mais je n'ai que la force d'une femme. Qu'il est difficile aux femmes de se soumettre à la prudence! – Quoi! te voilà encore!

LUCIUS. – Que faut-il que je fasse, madame? Courir au Capitole, et pas autre chose? Puis revenir auprès de vous, et pas autre chose?

PORCIA. – Oui, mon garçon, viens me redire si ton maître a l'air bien portant, car il est sorti malade; et remarque bien ce que fait César, quels sont les suppliants qui se pressent autour de lui. – Écoute, mon garçon!.. quel bruit est-ce là?

LUCIUS. – Je n'entends rien, madame.

PORCIA. – Je t'en prie, écoute bien. J'ai entendu un bruit tumultueux, comme de gens qui se battent; le vent l'apporte du Capitole.

LUCIUS. – En vérité, madame, je n'entends rien.

(Entre le devin.)

PORCIA. – Approche, mon ami: de quel côté viens-tu?

LE DEVIN. – De ma maison, ma bonne dame.

PORCIA. – Quelle heure est-il?

LE DEVIN. – Environ la neuvième heure, madame.

PORCIA. – César est-il déjà rendu au Capitole?

LE DEVIN. – Madame, pas encore. Je vais prendre ma place pour le voir, quand il passera pour s'y rendre.

PORCIA. – Tu as quelque supplique à présenter à César, n'est-ce pas?

LE DEVIN. – J'en ai une, madame. S'il plaît à César de vouloir assez de bien à César pour m'écouter, je le conjurerai de se traiter lui-même en ami.

PORCIA. – Quoi! as-tu appris qu'on voulût lui faire quelque mal?

LE DEVIN. – Aucun dont j'aie la certitude, beaucoup dont je crains la possibilité. Bonjour, madame. La rue est étroite ici. Cette foule de sénateurs, de préteurs, de suppliants de la classe commune, qui se presse sur les pas de César, pourrait s'amasser au point qu'un homme faible comme moi en serait presque étouffé. Je veux gagner un endroit moins obstrué, et là parler au grand César au moment de son passage.

(Il sort.)

PORCIA. – Il faut que je rentre. Oh que je souffre! quelle faible chose que le coeur d'une femme! O Brutus, que les dieux te secondent dans ton entreprise! – Sûrement ce garçon m'aura entendue! – Brutus demande une faveur que César n'accordera pas. – Oh! je me sens défaillir. Cours, Lucius; va, parle de moi à mon mari. Dis-lui que je suis joyeuse; puis reviens ici et me rapporte ce qu'il t'aura dit.

FIN DU DEUXIÈME ACTE

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

Toujours à Rome. – Le Capitole. – Le sénat est assemblé
(Dans la rue qui conduit au Capitole, une foule de peuple dans laquelle se trouvent Artémidore et le devin. – Fanfares.)
Entrent CÉSAR, BRUTUS, CASSIUS, CASCA, DÉCIUS, MÉTELLUS, TRÉBONIUS, CINNA, ANTOINE, LEPIDUS, POPILIUS, PUBLIUS et plusieurs autres

CÉSAR. – Les ides de mars sont arrivées.

LE DEVIN. – Oui, César, mais non passées.

ARTÉMIDORE. – Salut à César. – Lis ce billet.

DÉCIUS. – Trébonius vous demande de parcourir à votre loisir son humble requête que voici.

ARTÉMIDORE. – O César, lisez d'abord la mienne, car c'est la mienne dont l'objet touche César de plus près. Lisez-la, grand César.

CÉSAR. – Ce qui n'intéresse que nous sera examiné le dernier.

ARTÉMIDORE. – Ne différez pas, César; lisez la mienne à l'instant.

CÉSAR. – Je crois vraiment que cet homme est fou.

PUBLIUS. – Allons, l'ami, place.

CASSIUS. – Quoi, vous présentez vos pétitions dans les rues! Venez au Capitole.

POPILIUS, à part à Cassius. – Je souhaite que votre entreprise d'aujourd'hui puisse réussir.

CASSIUS. – Quelle entreprise, Popilius?

POPILIUS. – Portez-vous bien.

(Il s'avance vers César.)

BRUTUS. – Que vous a dit Popilius Léna?

CASSIUS. – Qu'il souhaitait que notre entreprise d'aujourd'hui pût réussir. Je crains que nos projets ne soient découverts.

BRUTUS. – Regardez quel sera son maintien en parlant à César. Observez-le.

CASSIUS, bas à Casca. – Casca, soyez prompt; car nous craignons d'être prévenus. (À Brutus.) Brutus, que ferons-nous? Si la chose se sait, Cassius ou César n'en reviendra pas34, car je me tuerai.

BRUTUS. – Cassius, ne perdez pas courage; Popilius Léna ne parle point de notre dessein. Regardez, il sourit, et César ne change point de visage.

CASSIUS. – Trébonius sait prendre son temps. Remarquez-vous, Brutus? il tire Marc-Antoine à l'écart.

(Sortent Antoine et Trébonius. César et les sénateurs prennent leurs siéges.)

DÉCIUS. – Où est Métellus Cimber? Qu'il s'avance et présente en ce moment sa requête à César.

BRUTUS. – Il est prêt: il faut nous serrer autour de lui et le seconder.

CINNA, bas. – Casca, c'est vous qui devez le premier lever le bras.

CÉSAR. – Sommes-nous prêts? Quels sont les abus que César et son sénat doivent réformer?

MÉTELLUS CIMBER. – Très-noble, très-grand et très-puissant César, Métellus apporte devant ton tribunal les humbles voeux de son coeur.

(Il se met à genoux.)

CÉSAR. – Je dois te prévenir, Cimber, que ces formes rampantes, ces hommages pleins de bassesse, peuvent enflammer le sang des hommes vulgaires, et changer en vains projets d'enfants les décrets arrêtés dans leurs premières résolutions. Mais ne te flatte point de cette idée que César porte en lui-même un sang si rebelle, qu'il se laisse relâcher de son énergie naturelle par ce qui charme les imbéciles, par de douces paroles, de basses courbettes, et de viles caresses d'épagneul. Ton frère est banni par un décret: si tu t'avises de venir pour lui t'incliner, prier, cajoler, je te chasserai de mon chemin comme un vilain roquet. Apprends que César ne fait point d'injustices, et qu'il ne se laisse point apaiser sans motifs35.

MÉTELLUS CIMBER. – N'est-il point ici quelque voix plus recommandable que la mienne, qui, avec des accents plus doux à l'oreille du grand César, sollicite le rappel de mon frère exilé?

BRUTUS. – Je baise ta main, mais non pas par flatterie, César, en te demandant que Publius Cimber obtienne à l'instant la liberté de revenir.

CÉSAR. – Quoi, Brutus!

CASSIUS. – Pardon, César; César, pardon: Cassius s'abaisse jusqu'à tes pieds pour obtenir de toi que Publius Cimber soit délivré de son exil.

CÉSAR. – Vous pourriez me fléchir si je vous ressemblais; si je pouvais prier pour émouvoir, je pourrais être ému par des prières. Mais je suis immuable comme l'étoile du nord, qui seule dans le firmament demeure vraiment fixe et dans sa constante immobilité. Les cieux sont peints d'innombrables étincelles: elles sont toutes de feu, et chacune d'entre elles resplendit de clarté, mais il n'en est qu'une entre toutes qui garde constamment sa place. Ce monde est de même, bien peuplé d'hommes, et tous ces hommes sont de chair et de sang, tous doués d'intelligence; mais dans le nombre je n'en connais qu'un qui sache conserver son rang à l'abri de toute atteinte, inaccessible à tout mouvement: cet homme, c'est moi; je veux en donner une petite preuve même en ceci. C'est parce que je suis ferme que Cimber a dû être banni; et je demeure ferme en voulant qu'il reste banni.

 

MÉTELLUS CIMBER. – O César!

CÉSAR. – Loin de moi. Veux-tu ébranler l'Olympe?

DÉCIUS. – Grand César!

CÉSAR. – Brutus n'a-t-il pas fléchi le genou en vain?

CASCA. – Mon bras parle pour moi!

(Casca frappe César au cou. César lui saisit le bras:
il est alors frappé par plusieurs autres conjurés,
et enfin par Marcus Brutus.)

CÉSAR. —Et tu, Brute36?– Alors tombe, César.

(Il meurt. Les sénateurs et le peuple se retirent en tumulte.)

CINNA. – Liberté! délivrance! La tyrannie est morte. Courez, allez le proclamer, le crier dans toutes les rues.

CASSIUS. – Quelques-uns de vous aux tribunes. Allez et criez: Liberté! délivrance! affranchissement!

BRUTUS. – Peuple et sénateurs, ne vous effrayez point, ne fuyez point, restez à vos places: la dette de l'ambition est acquittée.

CASCA. – Allez à la tribune, Brutus.

DÉCIUS. – Et Cassius aussi.

BRUTUS. – Où est Publius?

CINNA. – Le voici, tout consterné de ce soulèvement.

MÉTELLUS CIMBER. – Demeurons fermes tous ensemble, de crainte que quelques amis de César n'essayent…

BRUTUS. – Ne parle point de demeurer. – Publius, point d'abattement; on n'a le dessein de vous faire aucun mal, ni à aucun autre Romain. Annoncez-le à tous, Publius.

CASSIUS. – Et quittez-nous, Publius, de peur que ce peuple, en fondant sur nous, ne mette votre vieillesse en danger.

BRUTUS. – Oui, éloignez-vous, et que nul homme n'ait à supporter les suites de cette action, que nous qui l'avons faite37.

(Rentre Trébonius.)

CASSIUS – Où est Antoine?

TRÉBONIUS – Dans sa maison, où il s'est enfui d'épouvante. Hommes, femmes, enfants, les regards pleins de terreur, crient et courent comme si nous étions au jour du jugement.

BRUTUS. – Destins, nous connaîtrons vos volontés. Que nous devons mourir, nous le savons. Ce n'est que de l'époque et du soin d'en retarder le jour que s'inquiétent les hommes.

CASSIUS. – Véritablement, celui qui retranche vingt années de la vie, retranche vingt années de crainte de la mort.

BRUTUS. – Cela convenu, la mort est un bienfait; et nous nous sommes montrés les amis de César en abrégeant le temps qu'il avait à la craindre. Baissez-vous, Romains, baissez-vous; baignons nos bras dans le sang de César, et que nos épées en soient enduites. Marchons ensuite jusqu'à la place publique, et brandissant nos glaives rougis au-dessus de nos têtes, crions tous: Paix! délivrance! liberté!

CASSIUS. – Baissons-nous donc et qu'ils en soient trempés… – Combien de siècles futurs verront représenter la noble scène que nous donnons ici, dans des empires à naître et dans des langages encore inconnus!

BRUTUS. – Combien de fois verra-t-on couler, par manière de jeu, le sang de ce César que voilà étendu sur la base de la statue de Pompée, de pair avec la poussière!

CASSIUS. – Et chaque fois que cela se verra, on dira de notre association: Ce sont là les hommes qui donnèrent à leur pays la liberté.

DÉCIUS. – Eh bien! sortirons-nous?

CASSIUS. – Oui, marchons tous, Brutus nous conduira; et, attachés à ses pas, les coeurs les plus intrépides et les plus vertueux de Rome vont honorer sa marche.

(Entre un serviteur.)

BRUTUS. – Un moment, qui vient à nous? un ami d'Antoine.

LE SERVITEUR. – Brutus, mon maître m'a recommandé de fléchir ainsi le genou; ainsi Marc-Antoine m'a enjoint de me jeter à vos pieds, et il m'a ordonné, lorsque je me serais prosterné, de vous parler en ces mots: «Brutus est noble, sage, vaillant et vertueux; César fut puissant, intrépide, illustre et capable d'affection. Dis que j'ai aimé Brutus et que je l'honore; dis que je craignais César, l'honorais, et l'aimais. Si Brutus veut permettre qu'Antoine vienne à lui sans avoir rien à craindre, s'il veut lui expliquer comment César a mérité d'être frappé de mort, Marc-Antoine n'aimera pas César mort autant que Brutus vivant! mais il suivra avec une entière fidélité la fortune et les intérêts du noble Brutus à travers les hasards de cette situation encore inusitée.» Ainsi parle Antoine mon maître.

BRUTUS. – Ton maître est un sage et brave Romain; jamais je n'en jugeai d'une manière moins favorable. Dis-lui que, s'il lui plaît de venir en ce lieu, il sera satisfait, et que, sur mon honneur, il en sortira sans nul outrage.

LE SERVITEUR. – Je vais le chercher à l'instant.

(Il sort.)

BRUTUS. – Je sais que nous l'aurons aisément pour ami.

CASSIUS. – Je désire qu'il en soit ainsi: cependant j'ai en pensée qu'il faut le redouter beaucoup, et toujours mes pressentiments sinistres vont droit à l'événement.

(Rentre Antoine.)

BRUTUS. – Voilà Antoine qui s'avance. Soyez le bienvenu, Marc-Antoine.

MARC-ANTOINE. – O puissant César, es-tu donc tombé si bas? tes conquêtes, toutes tes gloires, tes triomphes, les dépouilles que tu as remportées sont-ils donc resserrés dans ce court espace? Adieu! – Patriciens, j'ignore vos intentions: j'ignore quel autre que César doit voir couler son sang, quel autre est devenu trop puissant. Si c'est moi, il n'est point pour ma mort d'heure aussi convenable que l'heure de la mort de César, ni d'arme aussi digne de moitié que ces épées que vous tenez, illustrées par le plus noble sang de cet univers. Je vous en conjure, si vous me voulez du mal, maintenant, tandis que vos mains rougies fument encore de la vapeur du sang, satisfaites votre désir. J'aurais mille ans à vivre, que jamais je ne me trouverais si disposé à mourir. Aucun lieu, aucun genre de mort, ne me plairont jamais comme de mourir ici près de César et par vos coups, vous, l'élite des grandes âmes de cet âge.

BRUTUS. – O Antoine, n'implorez point de nous votre mort. Nous devons maintenant paraître sanguinaires et cruels, ainsi que par l'état de nos mains et par l'action que nous venons d'exécuter nous le paraissons à vos yeux: mais vous ne voyez que nos mains et cette oeuvre sanglante qu'elles ont accomplie: nos coeurs, vous ne les voyez pas; ils sont pitoyables, et c'est la pitié pour l'injure publique faite à Rome (car la flamme chasse une autre flamme, et de même la pitié une autre pitié) qui a ainsi agi contre César. Mais pour vous, Marc-Antoine, nos épées n'ont qu'une pointe de plomb, et nos bras, nos coeurs, frères en énergique colère, vous reçoivent avec toute la bienveillance de l'affection, avec estime, avec égard.

CASSIUS. – Votre voix aura autant d'influence que celle d'aucun autre dans la distribution des nouvelles dignités.

BRUTUS. – Seulement, ayez patience jusqu'à ce que nous ayons calmé la multitude hors d'elle-même de frayeur; et alors nous vous expliquerons par quel motif, moi qui aimais César au moment même où je le frappai, je me suis conduit ainsi.

ANTOINE. – Je ne doute point de votre sagesse. – Que chacun de vous me donne sa main sanglante. D'abord, Marcus Brutus, je veux secouer la vôtre. Puis je prends votre main, Caïus Cassius; maintenant la vôtre, Décius Brutus! et la vôtre, Métellus; et la vôtre, Cinna; et la vôtre, mon brave Casca; la vôtre enfin, bon Trébonius, nommé le dernier, mais non pas le moindre dans mon amitié. – Tous tous, patriciens… Hélas! que dirai-je? Ma réputation repose maintenant sur un terrain si glissant, que vous devez concevoir de moi l'une de ces mauvaises pensées, ou que je suis un lâche, ou que je suis un flatteur. – Que je t'aimai, César, oh! c'est la vérité! Si ton âme nous contemple maintenant, ne te sera-ce pas une douleur plus sensible que ta mort, de voir ton Antoine faisant sa paix avec tes ennemis, et secouant leur main sanglante, ô grand homme! en présence de ton cadavre? Si j'avais autant d'yeux que tu as de blessures, et qu'ils versassent des larmes aussi abondantes que les ruisseaux qu'elles versent de ton sang, cela me siérait bien mieux que de m'unir par des conventions d'amitié avec tes ennemis. – Pardonne-moi, Jules. – Ici tu fus environné, cerf courageux; ici tu es tombé: et ici se sont arrêtés les chasseurs portant les marques de ton massacre, et baignés dans le fleuve cramoisi de ton sang! O monde, tu étais la forêt de ce cerf; et véritablement, ô monde, il était ton centre38. – Maintenant te voilà étendu comme le cerf frappé par plusieurs princes.

CASSIUS. – Marc-Antoine!..

ANTOINE. – Pardonnez-moi, Cassius; les ennemis de César en diront autant. C'est donc de la part d'un ami une bien froide modération.

CASSIUS. – Je ne vous blâme point de louer ainsi César. Mais quel traité prétendez-vous faire avec nous? Voulez-vous être inscrit au nombre de nos amis, ou bien poursuivrons-nous sans compter sur vous?

ANTOINE. – Vous le savez, j'ai pris vos mains; mais il est vrai, j'ai été distrait de mon objet en baissant les yeux sur César. Je suis de vos amis à tous, et tous je vous aime, dans l'espérance que vous me donnerez des raisons qui me feront comprendre comment et en quoi César était dangereux.

BRUTUS. – S'il en était autrement, ce serait un atroce spectacle. Les explications que nous avons à vous donner abondent tellement en considérations légitimes que fussiez-vous, vous Antoine, le fils de César, vous devriez en être satisfait.

ANTOINE. – C'est tout ce que je désire; et de plus, je voudrais obtenir de vous qu'il me fût permis de présenter son corps sur la place du marché, et de parler à la tribune, lors de la cérémonie de ses funérailles, comme il convient à un ami.

BRUTUS. Vous le pourrez, Marc-Antoine.

CASSIUS. Brutus, un mot. (À part.) Vous ne savez pas ce que vous accordez là. Ne consentez point qu'Antoine parle à ses funérailles: savez-vous à quel point ce qu'il dira ne sera pas capable d'émouvoir le peuple?

BRUTUS. – Permettez… Je monterai le premier à la tribune: j'exposerai les motifs de la mort que nous avons donnée à César; tout ce qu'Antoine dira, je déclarerai qu'Antoine le dit de notre aveu, par notre permission, et que nous consentons qu'on accomplisse pour César tous les rites réguliers, toutes les cérémonies légales. Cela nous sera plutôt avantageux que contraire.

CASSIUS. – Je ne sais ce qui en peut arriver: cela me déplaît.

BRUTUS. – Approchez, Marc-Antoine; disposez du corps de César. Dans votre harangue funéraire, vous vous abstiendrez de nous blâmer; mais dites de César tout le bien qui vous viendra en pensée, et ajoutez que vous le faites par notre permission; autrement vous n'aurez aucune espèce de part dans ses funérailles.

ANTOINE. – Soit; je n'en désire pas davantage.

BRUTUS. – Préparez donc le corps et suivez-nous.

(Tous sortent, excepté Antoine.)

ANTOINE. – O pardonne-moi, masse de terre encore saignante, si je parais doux et pacifique avec ces bouchers! Tu es le débris du plus grand homme qui ait jamais vécu dans la durée des âges. Malheur à la main qui répandit ce sang précieux! Je le prédis en ce moment sur tes blessures, qui, comme autant de bouches muettes, ouvrent leurs lèvres rougies pour me demander la voix et les paroles de ma langue. La malédiction va fondre sur la tête des hommes; les fureurs intestines, la terrible guerre civile vont envahir toutes les parties de l'Italie. Le sang, la destruction seront des choses si communes, et les objets effroyables deviendront si familiers, que les mères ne feront plus que sourire à la vue de leurs enfants déchirés des mains de la guerre. Toute pitié sera étouffée par l'habitude des actions atroces; et conduisant avec elle Até, sortie brûlante de l'enfer, l'ombre de César promènera sa vengeance, criant d'une voix puissante dans l'intérieur de nos frontières: Carnage39! et alors seront lâchés les chiens de la guerre, jusqu'à ce qu'enfin l'odeur de cette action exécrable s'élève au-dessus de la terre avec les exhalaisons des cadavres pourris, gémissant après la sépulture. (Entre un serviteur.) Vous servez Octave César, n'est-il pas vrai?

29Harlot. Voltaire, avec une étrange légèreté, fait ici une note pour nous apprendre que le mot de l'original est whore; le sens de ce mot serait plus grossier encore que celui de harlot.
30All the charactery of my sad brows. Voltaire traduit: Va, mes sourcils froncés prennent un air plus doux.
31Voltaire fait de cette phrase un aparté, ce qui n'est pas dans l'original.
32Voltaire paraît n'avoir pas remarqué le sens caché de ces paroles qui font évidemment allusion au projet de meurtre. Il traduit ainsi: Par vous Rome vivifiéeReçoit un nouveau sang et de nouveaux destins.
33Taste some wine with me. Voltaire a traduit: Buvons bouteille ensemble, et met en note: Toujours la plus grande fidélité dans la traduction.
34Cassius or Cæsar never shall turn back. Voltaire traduit: Cassius ou César tournerait-il le dos?
35Voltaire traduit: Lorsque César fait tout, il a toujours raison.
36Suétone rapporte seulement comme un ouï dire, auquel même il n'ajoute pas foi, que César dit en grec à Brutus: [Greek: Kai su teknon], et toi aussi mon fils. Les historiens ont depuis naturalisé ce mot en latin, et en ont fait le et tu, Brute, mot devenu si populaire, que Shakspeare n'imagina pas probablement qu'il fût permis de le faire passer dans une autre langue. Il est assez singulier que Voltaire n'ait pas fait mention de cette bizarrerie.
37Voltaire a traduit: Allez, qu'aucun Romain ne prenne ici l'audaceDe soutenir ce meurtre, et de parler pour nous;C'est un droit qui n'est dû qu'aux seuls vengeurs de Rome.
38O world, thou wast the forest to this hartAnd this, indeed, O world, the heart of thee. Hart, cerf, et heart, coeur, se prononcent de la même manière: ainsi la phrase d'Antoine signifiera également, il était ton coeur ou ton centre, et il était ton cerf.
39Havock! (dévastation, carnage) était en Angleterre, dans les anciens temps, le cri par lequel on ordonnait aux combattants de ne faire aucun quartier.
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