Бесплатно

Histoire d'Henriette d'Angleterre

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

DEUXIÈME PARTIE

La Cour étoit revenue à Paris aussitôt après la mort du Cardinal. Le Roi s'appliquoit à prendre une connoissance exacte des affaires: il donnoit à cette occupation la plus grande partie de son temps et partageoit le reste avec la Reine sa femme.

Celui qui devoit épouser mademoiselle de Mancini au nom du connétable Colonne arriva à Paris, et elle eut la douleur de se voir chassée de France par le Roi; ce fut, à la vérité, avec tous les honneurs imaginables. Le Roi la traita dans son mariage et dans tout le reste comme si son oncle eût encore vécu; mais enfin on la maria, et on la fit partir avec assez de précipitation151.

Elle soutint sa douleur avec beaucoup de constance et même avec assez de fierté; mais, au premier lieu où elle coucha en sortant de Paris, elle se trouva si pressée de sa douleur et si accablée de l'extrême violence qu'elle s'étoit faite, qu'elle pensa y demeurer. Enfin elle continua son chemin, et s'en alla en Italie, avec la consolation de n'être plus sujette d'un Roi dont elle avoit cru devoir être la femme.

La première chose considérable qui se fit après la mort du Cardinal, ce fut le mariage de Monsieur avec la princesse d'Angleterre152. Il avoit été résolu par le Cardinal et, quoique cette alliance semblât contraire à toutes les règles de la politique, il avoit cru qu'on devoit être si assuré de la douceur du naturel de Monsieur et de son attachement pour le Roi, qu'on ne devoit point craindre de lui donner un roi d'Angleterre pour beau-frère.

L'histoire de notre siècle est remplie des grandes révolutions de ce royaume, et le malheur qui fit perdre la vie au meilleur Roi du monde sur un échafaud153, par les mains de ses sujets, et qui contraignit la Reine sa femme à venir chercher un asile dans le royaume de ses pères, est un exemple de l'inconstance de la fortune qui est su de toute la terre154.

Le changement funeste de cette maison royale fut favorable en quelque chose à la princesse d'Angleterre155. Elle étoit encore entre les bras de sa nourrice et fut la seule de tous les enfants de la Reine sa mère156 qui se trouva auprès d'elle pendant sa disgrâce. Cette Reine s'appliquoit tout entière au soin de son éducation, et le malheur de ses affaires la faisant plutôt vivre en personne privée qu'en souveraine, cette jeune princesse prit toutes les lumières, toute la civilité et toute l'humanité des conditions ordinaires, et conserva dans son cœur et dans sa personne toutes les grandeurs de sa naissance royale.

Aussitôt que cette princesse commença à sortir de l'enfance, on lui trouva un agrément extraordinaire. La Reine mère témoigna beaucoup d'inclination pour elle; et, comme il n'y avoit nulle apparence que le Roi pût épouser l'Infante, sa nièce, elle parut souhaiter qu'il épousât cette princesse. Le Roi, au contraire, témoigna de l'aversion pour ce mariage et même pour sa personne: il la trouvoit trop jeune pour lui et il avouoit enfin qu'elle ne lui plaisoit pas, quoiqu'il n'en pût dire la raison. Aussi eût-il été difficile d'en trouver; c'étoit principalement ce que la princesse d'Angleterre possédoit au souverain degré, que le don de plaire et ce qu'on appelle grâces; les charmes étoient répandus en toute sa personne, dans ses actions et dans son esprit; et jamais princesse n'a été si également capable de se faire aimer des hommes et adorer des femmes157.

En croissant, sa beauté augmenta aussi; en sorte que, quand le mariage du Roi fut achevé, celui de Monsieur et d'elle fut résolu. Il n'y avoit rien à la Cour qu'on pût lui comparer.

En ce même temps, le Roi son frère158 fut rétabli sur le trône par une révolution presque aussi prompte que celle qui l'en avoit chassé. Sa mère voulut aller jouir du plaisir de le voir paisible possesseur de son royaume; et, avant que d'achever le mariage de la princesse sa fille, elle la mena avec elle en Angleterre. Ce fut dans ce voyage que la princesse commença à reconnoître la puissance de ses charmes. Le duc de Buckingham, fils de celui qui fut décapité159, jeune et bien fait, étoit alors fortement attaché à la princesse royale sa sœur160, qui étoit à Londres. Quelque grand que fût cet attachement, il ne put tenir contre la princesse d'Angleterre, et ce duc devint si passionnément amoureux d'elle, qu'on peut dire qu'il en perdit la raison.

La reine d'Angleterre étoit tous les jours pressée par les lettres de Monsieur de s'en retourner en France pour achever son mariage, qu'il témoignoit souhaiter avec impatience. Ainsi elle fut obligée de partir, quoique la saison fût fort rude et fort fâcheuse.

Le Roi son fils l'accompagna jusqu'à une journée de Londres. Le duc de Buckingham la suivit, comme tout le reste de la Cour; mais, au lieu de s'en retourner de même, il ne put se résoudre à abandonner la princesse d'Angleterre et demanda au Roi la permission de passer en France; de sorte que, sans équipage et sans toutes les choses nécessaires pour un pareil voyage, il s'embarqua à Portsmouth avec la Reine.

Le vent fut favorable le premier jour; mais, le lendemain, il fut si contraire que le vaisseau de la Reine se trouva ensablé et en grand danger de périr. L'épouvante fut grande dans tout le navire et le duc de Buckingham, qui craignoit pour plus d'une vie, parut dans un désespoir inconcevable.

Enfin on tira le vaisseau du péril où il étoit; mais il fallut relâcher au port.

Madame la princesse d'Angleterre fut attaquée d'une fièvre très-violente. Elle eut pourtant le courage de vouloir se rembarquer dès que le vent fut favorable; mais, sitôt qu'elle fut dans le vaisseau, la rougeole sortit: de sorte qu'on ne put abandonner la terre et qu'on ne put aussi songer à débarquer, de peur de hasarder sa vie par cette agitation.

 

Sa maladie fut très-dangereuse. Le duc de Buckingham parut comme un fou et un désespéré dans les momens où il la crut en péril. Enfin, lorsqu'elle se porta assez bien pour souffrir la mer et pour aborder au Havre, il eut des jalousies si extravagantes des soins que l'amiral d'Angleterre prenoit pour cette princesse, qu'il le querella sans aucune sorte de raison; et la Reine, craignant qu'il n'en arrivât du désordre, ordonna au duc de Buckingham de s'en aller à Paris, pendant qu'elle séjourneroit quelque temps au Havre, pour laisser reprendre des forces à la princesse sa fille.

Lorsqu'elle fut entièrement rétablie, elle revint à Paris. Monsieur alla au devant d'elle avec tous les empressemens imaginables et continua jusqu'à son mariage à lui rendre des devoirs auxquels il ne manquoit que l'amour; mais le miracle d'enflammer le cœur de ce prince n'étoit réservé à aucune femme du monde161.

Le comte de Guiche162 étoit en ce temps-là son favori. C'étoit le jeune homme de la Cour le plus beau et le mieux fait, aimable de sa personne, galant, hardi, brave, rempli de grandeur et d'élévation. La vanité, que tant de bonnes qualités lui donnoient, et un air méprisant répandu dans toutes ses actions ternissoient un peu tout ce mérite; mais il faut pourtant avouer qu'aucun homme de la Cour n'en avoit autant que lui. Monsieur l'avoit fort aimé dès l'enfance et avoit toujours conservé avec lui un grand commerce, et aussi étroit qu'il y en peut avoir entre de jeunes gens.

Le comte étoit alors amoureux de madame de Chalais163, fille du duc de Noirmoutiers. Elle étoit très-aimable sans être fort belle; il la cherchoit partout, il la suivoit en tous lieux; enfin c'étoit une passion si publique et si déclarée, qu'on doutoit qu'elle fût approuvée de celle qui la causoit, et l'on s'imaginoit que, s'il y avoit eu quelque intelligence entre eux, elle lui auroit fait prendre des chemins plus cachés. Cependant il est certain que, s'il n'en étoit pas tout-à-fait aimé, il n'en étoit pas haï, et qu'elle voyoit son amour sans colère. Le duc de Buckingham fut le premier qui se douta qu'elle n'avoit pas assez de charmes pour retenir un homme qui seroit tous les jours exposé à ceux de madame la princesse d'Angleterre. Un soir qu'il étoit venu chez elle, madame de Chalais y vint aussi. La Princesse lui dit en anglois que c'étoit la maîtresse du comte de Guiche et lui demanda s'il ne la trouvoit pas fort aimable. «Non, lui répondit-il; je ne trouve pas qu'elle le soit assez pour lui, qui me paroît, malgré que j'en aie, le plus honnête homme de toute la Cour; et je souhaite, Madame, que tout le monde ne soit pas de mon avis.» La Princesse ne fit pas réflexion à ce discours et le regarda comme un effet de la passion de ce duc, dont il lui donnoit tous les jours quelque preuve, et qu'il ne laissoit que trop voir à tout le monde.

Monsieur s'en aperçut bientôt, et ce fut en cette occasion que madame la princesse d'Angleterre découvrit pour la première fois cette jalousie naturelle, dont il lui donna depuis tant de marques. Elle vit donc son chagrin; et, comme elle ne se soucioit pas du duc de Buckingham, qui, quoique fort aimable, a eu souvent le malheur de n'être pas aimé, elle en parla à la Reine sa mère, qui prit soin de remettre l'esprit de Monsieur et de lui faire concevoir que la passion du duc étoit regardée comme une chose ridicule.

Cela ne déplut point à Monsieur, mais il n'en fut pas entièrement satisfait; il s'en ouvrit à la Reine sa mère, qui eut de l'indulgence pour la passion du duc, en faveur de celle que son père lui avoit autrefois témoignée. Elle ne voulut pas qu'on fît de bruit; mais elle fut d'avis qu'on lui fît entendre, lorsqu'il auroit fait encore quelque séjour en France, que son retour étoit nécessaire en Angleterre, ce qui fut exécuté dans la suite.

Enfin le mariage de Monsieur s'acheva et fut fait en carême, sans cérémonie, dans la chapelle du palais. Toute la Cour rendit ses devoirs à madame la princesse d'Angleterre, que nous appellerons dorénavant Madame.

Il n'y eut personne qui ne fût surpris de son agrément, de sa civilité et de son esprit. Comme la Reine sa mère la tenoit fort près de sa personne, on ne la voyoit jamais que chez elle, où elle ne parloit quasi point. Ce fut une nouvelle découverte de lui trouver l'esprit aussi aimable que tout le reste. On ne parloit que d'elle, et tout le monde s'empressoit à lui donner des louanges.

Quelque temps après son mariage, elle vint loger chez Monsieur aux Tuileries; le Roi et la Reine allèrent à Fontainebleau; Monsieur et Madame demeurèrent encore quelque temps à Paris. Ce fut alors que toute la France se trouva chez elle; tous les hommes ne pensoient qu'à lui faire leur cour, et toutes les femmes qu'à lui plaire.

Madame de Valentinois164, sœur du comte de Guiche, que Monsieur aimoit fort à cause de son frère et à cause d'elle-même (car il avoit pour elle toute l'inclination dont il étoit capable), fut une de celles qu'elle choisit pour être dans ses plaisirs; mesdames de Créquy165 et de Châtillon166 et mademoiselle de Tonnay-Charente avoient l'honneur de la voir souvent, aussi bien que d'autres personnes à qui elle avoit témoigné de la bonté avant qu'elle fût mariée.

Mademoiselle de La Trémoille167 et madame de La Fayette168 étoient de ce nombre. La première lui plaisoit par sa bonté et par une certaine ingénuité à conter tout ce qu'elle avoit dans le cœur, qui ressentoit la simplicité des premiers siècles; l'autre lui avoit été agréable par son bonheur; car, bien qu'on lui trouvât du mérite, c'étoit une sorte de mérite si sérieux en apparence, qu'il ne sembloit pas qu'il dût plaire à une princesse aussi jeune que Madame. Cependant elle lui avoit été agréable et elle avoit été si touchée du mérite et de l'esprit de Madame, qu'elle lui dût plaire dans la suite par l'attachement qu'elle eut pour elle.

Toutes ces personnes passoient les après-dînées chez Madame. Elles avoient l'honneur de la suivre au Cours; au retour de la promenade, on soupoit chez Monsieur; après le souper, tous les hommes de la Cour s'y rendoient et on passoit le soir parmi les plaisirs de la comédie, du jeu et des violons. Enfin on s'y divertissoit avec tout l'agrément imaginable et sans aucun mélange de chagrin. Madame de Chalais y venoit assez souvent; le comte de Guiche ne manquoit pas de s'y rendre: la familiarité qu'il avoit chez Monsieur lui donnoit l'entrée chez ce prince aux heures les plus particulières. Il voyoit Madame à tous momens, avec tous ses charmes; Monsieur prenoit même le soin de les lui faire admirer; enfin il l'exposoit à un péril qu'il étoit presque impossible d'éviter.

Après quelque séjour à Paris, Monsieur et Madame s'en allèrent à Fontainebleau169. Madame y porta la joie et les plaisirs. Le Roi connut, en la voyant de plus près, combien il avoit été injuste en ne la trouvant pas la plus belle personne du monde. Il s'attacha fort à elle et lui témoigna une complaisance extrême. Elle disposoit de toutes les parties de divertissement; elles se faisoient toutes pour elle, et il paroissoit que le Roi n'y avoit de plaisir que par celui qu'elle en recevoit. C'étoit dans le milieu de l'été: Madame s'alloit baigner tous les jours; elle partoit en carrosse, à cause de la chaleur, et revenoit à cheval, suivie de toutes les dames, habillées galamment, avec mille plumes sur leur tête, accompagnées du Roi et de la jeunesse de la Cour; après souper on montoit dans des calèches et, au bruit des violons, on s'alloit promener une partie de la nuit autour du canal.

L'attachement que le Roi avoit pour Madame commença bientôt à faire du bruit et à être interprété diversement. La Reine mère en eut d'abord beaucoup de chagrin; il lui parut que Madame lui ôtoit absolument le Roi, et qu'il lui donnoit toutes les heures qui avoient accoutumé d'être pour elle. La grande jeunesse de Madame lui persuada qu'il seroit facile d'y remédier et que, lui faisant parler par l'abbé de Montaigu170 et par quelques personnes qui devoient avoir quelque crédit sur son esprit, elle l'obligeroit à se tenir plus attachée à sa personne, et de n'attirer pas le Roi dans des divertissemens qui en étoient éloignés.

Madame étoit lasse de l'ennui et de la contrainte qu'elle avoit essuyée auprès de la Reine sa mère. Elle crut que la Reine sa belle-mère vouloit prendre sur elle une pareille autorité; elle fut occupée de la joie d'avoir ramené le Roi à elle et de savoir par lui-même que la Reine mère tâchoit de l'en éloigner. Toutes ces choses la détournèrent tellement des mesures qu'on vouloit lui faire prendre, que même elle n'en garda plus aucune. Elle se lia d'une manière étroite avec la comtesse de Soissons, qui étoit alors l'objet de la jalousie de la Reine et de l'aversion de la Reine mère, et ne pensa plus qu'à plaire au Roi comme belle-sœur. Je crois qu'elle lui plut d'une autre manière; je crois aussi qu'elle pensa qu'il ne lui plaisoit que comme un beau-frère, quoiqu'il lui plût peut-être davantage: mais enfin, comme ils étoient tous deux infiniment aimables et tous deux nés avec des dispositions galantes, qu'ils se voyoient tous les jours, au milieu des plaisirs et des divertissemens, il parut aux yeux de tout le monde qu'ils avoient l'un pour l'autre cet agrément qui précède d'ordinaire les grandes passions.

 

Cela fit bientôt beaucoup de bruit à la Cour. La Reine mère fut ravie de trouver un prétexte si spécieux de bienséance et de dévotion pour s'opposer à l'attachement que le Roi avoit pour Madame. Elle n'eut pas de peine à faire entrer Monsieur dans ses sentimens; il étoit jaloux par lui-même, et il le devenoit encore davantage par l'humeur de Madame, qu'il ne trouvoit pas aussi éloignée de la galanterie qu'il l'auroit souhaité.

L'aigreur s'augmentoit tous les jours entre la Reine mère et elle. Le Roi donnoit toutes les espérances à Madame, mais il se ménageoit néanmoins avec la Reine mère; en sorte que, quand elle redisoit à Monsieur ce que le Roi lui avoit dit, Monsieur trouvoit assez de matière pour vouloir persuader à Madame que le Roi n'avoit pas pour elle autant de considération qu'il lui en témoignoit; tout cela faisoit un cercle de redites et de démêlés qui ne donnoit pas un moment de repos ni aux uns ni aux autres. Cependant le Roi et Madame, sans s'expliquer entre eux de ce qu'ils sentoient l'un pour l'autre, continuèrent de vivre d'une manière qui ne laissoit douter à personne qu'il n'y eût entre eux plus que de l'amitié.

Le bruit s'en augmenta fort, et la Reine mère et Monsieur en parlèrent si fortement au Roi et à Madame, qu'ils commencèrent à ouvrir les yeux et à faire peut-être des réflexions qu'ils n'avoient point encore faites; enfin ils résolurent de faire cesser ce grand bruit et, par quelque motif que ce pût être, ils convinrent entre eux que le Roi feroit l'amoureux de quelque personne de la Cour. Ils jetèrent les yeux sur celles qui paroissoient les plus propres à ce dessein, et choisirent entre autres mademoiselle de Pons171, parente du maréchal d'Albret, et qui, pour être nouvellement venue de province, n'avoit pas toute l'habileté imaginable; ils jetèrent aussi les yeux sur Chemerault172, une des filles de la Reine, fort coquette, et sur La Vallière173, qui étoit une fille de Madame, fort jolie, fort douce et fort naïve. La fortune de cette fille étoit médiocre; sa mère s'étoit remariée à Saint-Remi, premier maître d'hôtel de feu M. le duc d'Orléans; ainsi elle avoit presque toujours été à Orléans ou à Blois. Elle se trouvoit très-heureuse d'être auprès de Madame. Tout le monde la trouvoit jolie; plusieurs jeunes gens avoient pensé à s'en faire aimer; le comte de Guiche s'y étoit attaché plus que les autres. Il y paroissoit encore tout occupé, lorsque le Roi la choisit pour une de celles dont il vouloit éblouir le public. De concert avec Madame, il commença non-seulement à faire l'amoureux d'une des trois qu'ils avoient choisies, mais de toutes les trois ensemble. Il ne fut pas longtemps sans prendre parti; son cœur se détermina en faveur de La Vallière; et, quoiqu'il ne laissât pas de dire des douceurs aux autres et d'avoir même un commerce assez réglé avec Chemerault, La Vallière eut tous ses soins et toutes ses assiduités.

Le comte de Guiche, qui n'étoit pas assez amoureux pour s'opiniâtrer contre un rival si redoutable, l'abandonna et se brouilla avec elle, en lui disant des choses assez désagréables.

Madame vit avec quelque chagrin que le Roi s'attachoit véritablement à La Vallière. Ce n'est peut-être pas qu'elle en eût ce qu'on pourroit appeler de la jalousie, mais elle eût été bien aise qu'il n'eût pas eu de véritable passion et qu'il eût conservé pour elle une sorte d'attachement, qui, sans avoir la violence de l'amour, en eût eu la complaisance et l'agrément.

Longtemps avant qu'elle fût mariée, on avoit prédit que le comte de Guiche seroit amoureux d'elle; et, sitôt qu'il eut quitté La Vallière, on commença à dire qu'il aimoit Madame, et peut-être même qu'on le dit avant qu'il en eût la pensée; mais ce bruit ne fut pas désagréable à sa vanité; et, comme son inclination s'y trouva peut-être disposée, il ne prit pas de grands soins pour s'empêcher de devenir amoureux, ni pour empêcher qu'on ne le soupçonnât de l'être. L'on répétait alors à Fontainebleau un ballet que le Roi et Madame dansèrent, et qui fut le plus agréable qui ait jamais été, soit par le lieu où il se dansoit, qui étoit le bord de l'étang, ou par l'invention qu'on avoit trouvée de faire venir du bout d'une allée le théâtre tout entier, chargé d'une infinité de personnes qui s'approchoient insensiblement et qui faisoient une entrée en dansant devant le théâtre.

Pendant la répétition de ce ballet, le comte de Guiche étoit très-souvent avec Madame, parce qu'il dansoit dans la même entrée. Il n'osoit encore lui rien dire de ses sentimens; mais, par une certaine familiarité qu'il avoit acquise auprès d'elle, il prenoit la liberté de lui demander des nouvelles de son cœur et si rien ne l'avoit jamais touchée; elle lui répondoit avec beaucoup de bonté et d'agrément, et il s'émancipoit quelquefois à crier, en s'enfuyant d'auprès d'elle, qu'il étoit en grand péril174.

Madame recevoit tout cela comme des choses galantes, sans y faire une plus grande attention; le public y vit plus clair qu'elle-même. Le comte de Guiche laissoit voir, comme on a déjà dit, ce qu'il avoit dans le cœur; en sorte que le bruit s'en répandit aussitôt. La grande amitié que Madame avoit pour la duchesse de Valentinois contribua beaucoup à faire croire qu'il y avoit de l'intelligence entre eux, et l'on regardoit Monsieur, qui paroissoit amoureux de madame de Valentinois, comme la dupe du frère et de la sœur. Il est vrai néanmoins qu'elle se mêla très-peu de cette galanterie; et, quoique son frère ne lui cachât point sa passion pour Madame, elle ne commença pas les liaisons qui ont paru depuis.

Cependant l'attachement du Roi pour La Vallière augmentoit toujours; il faisoit beaucoup de progrès auprès d'elle. Ils gardoient beaucoup de mesures; il ne la voyoit pas chez Madame et dans les promenades du jour; mais, à la promenade du soir, il sortoit de la calèche de Madame et s'alloit mettre près de celle de La Vallière, dont la portière étoit abattue; et, comme c'étoit dans l'obscurité de la nuit, il lui parloit avec beaucoup de commodité.

La Reine mère et Madame n'en furent pas moins mal ensemble. Lorsqu'on vit que le Roi n'en étoit point amoureux, puisqu'il l'étoit de La Vallière, et que Madame ne s'opposoit pas aux soins que le Roi rendoit à cette fille, la Reine mère en fut aigrie. Elle tourna l'esprit de Monsieur, qui s'en aigrit et qui prit au point d'honneur que le Roi fût amoureux d'une fille de Madame. Madame, de son côté, manquoit en beaucoup de choses aux égards qu'elle devoit à la Reine mère et même à ceux qu'elle devoit à Monsieur; en sorte que l'aigreur étoit grande de toutes parts.

Dans ce même temps le bruit fut grand de la passion du comte de Guiche. Monsieur en fut bientôt instruit et lui fit très-mauvaise mine. Le comte de Guiche, soit par son naturel fier, soit par chagrin de voir Monsieur instruit d'une chose qu'il lui étoit commode qu'il ignorât, eut avec Monsieur un éclaircissement fort audacieux et rompit avec lui comme s'il eût été son égal. Cela éclata publiquement, et le comte de Guiche se retira de la Cour.

Le jour que ce bruit arriva, Madame gardoit la chambre et ne voyoit personne; elle ordonna qu'on laissât seulement entrer ceux qui répétoient avec elle, dont le comte de Guiche étoit du nombre, ne sachant point ce qui venoit de se passer. Comme le Roi vint chez elle, elle lui dit les ordres qu'elle avoit donnés; le Roi lui répondit en souriant qu'elle ne connoissoit pas mal ceux qui devoient être exemptés et lui conta ensuite ce qui venoit de se passer entre Monsieur et le comte de Guiche. La chose fut sue de tout le monde; et le maréchal de Gramont, père du comte de Guiche, renvoya son fils à Paris et lui défendit de revenir à Fontainebleau.

Pendant ce temps-là les affaires du ministère n'étoient pas plus tranquilles que celles de l'amour; et, quoique M. Foucquet, depuis la mort du Cardinal, eût demandé pardon au Roi de toutes les choses passées; quoique le Roi le lui eût accordé, et qu'il parût l'emporter sur les autres ministres, néanmoins on travailloit fortement à sa perte, et elle étoit résolue.

Madame de Chevreuse175, qui avoit toujours conservé quelque chose de ce grand crédit qu'elle avoit eu sur la Reine mère, entreprit de la porter à perdre M. Foucquet.

M. de Laigue176, marié en secret, à ce que l'on a cru, avec madame de Chevreuse, étoit mal content de ce surintendant; il gouvernoit madame de Chevreuse. M. Le Tellier et M. Colbert se joignirent à eux; la Reine mère fit un voyage à Dampierre177, et là, la perte de M. Foucquet fut conclue et on y fit ensuite consentir le Roi. On résolut d'arrêter ce surintendant; mais les ministres craignant, quoique sans sujet, le nombre d'amis qu'il avoit dans le royaume, portèrent le Roi à aller à Nantes, afin d'être près de Belle-Isle, que M. Foucquet venoit d'acheter, et de s'en rendre maître.

Ce voyage fut longtemps résolu sans qu'on en fît la proposition; mais enfin, sur des prétextes qu'ils trouvèrent, on commença à en parler. M. Foucquet, bien éloigné de penser que sa perte fût l'objet de ce voyage, se croyoit tout-à-fait assuré de sa fortune; et le Roi, de concert avec les autres ministres, pour lui ôter toute sorte de défiance, le traitoit avec de si grandes distinctions, que personne ne doutoit qu'il ne gouvernât.

Il y avoit longtemps que le Roi avoit dit qu'il vouloit aller à Vaux, maison superbe de ce surintendant; et, quoique la prudence dût l'empêcher de faire voir au Roi une chose qui marquoit si fort le mauvais usage des finances, et qu'aussi la bonté du Roi dût le retenir d'aller chez un homme qu'il alloit perdre, néanmoins ni l'un ni l'autre n'y firent aucune réflexion.

Toute la Cour alla à Vaux178, et M. Foucquet joignit à la magnificence de sa maison toute celle qui peut être imaginée pour la beauté des divertissemens et la grandeur de la réception. Le Roi en arrivant en fut étonné, et M. Foucquet le fut de remarquer que le Roi l'étoit; néanmoins ils se remirent l'un et l'autre. La fête fut la plus complète qui ait jamais été. Le Roi étoit alors dans la première ardeur de la possession de La Vallière; l'on a cru que ce fut là qu'il la vit pour la première fois en particulier; mais il y avoit déjà quelque temps qu'il la voyoit dans la chambre du comte de Saint-Aignan179, qui étoit le confident de cette intrigue.

Peu de jours après la fête de Vaux, on partit pour Nantes; et ce voyage, auquel on ne voyoit aucune nécessité, paroissoit la fantaisie d'un jeune Roi.

M. Foucquet, quoique avec la fièvre quarte, suivit la Cour et fut arrêté à Nantes. Ce changement surprit le monde, comme on peut se l'imaginer, et étourdit tellement les parens et les amis de M. Foucquet, qu'ils ne songèrent pas à mettre à couvert ses papiers, quoiqu'ils en eussent eu le loisir. On le prit dans sa maison, sans aucune formalité; on l'envoya à Angers, et le Roi revint à Fontainebleau.

Tous les amis de M. Foucquet furent chassés et éloignés des affaires. Le conseil des trois autres ministres180 se forma entièrement. M. Colbert eut les finances, quoique l'on en donnât quelque apparence au maréchal de Villeroy; et M. Colbert commença à prendre auprès du Roi ce crédit qui le rendit depuis le premier homme de l'État.

L'on trouva dans les cassettes de M. Foucquet plus de lettres de galanterie que de papiers d'importance; et, comme il s'y en rencontra de quelques femmes qu'on n'avoit jamais soupçonnées d'avoir de commerce avec lui, ce fondement donna lieu de dire qu'il y en avoit de toutes les plus honnêtes femmes de France. La seule qui fut convaincue, ce fut Meneville, une des filles de la Reine, et une des plus belles personnes, que le duc de Damville181 avoit voulu épouser. Elle fut chassée et se retira dans un couvent.

151Mariée le 11 avril 1661, elle partit le 13 du même mois.
152Le 31 mars 1661.
153Charles Ier, roi d'Angleterre, décapité le 9 février 1649.
154Dans le texte de 1720, en titre: «Portrait de Madame.»
155Henriette-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans, née à Exeter le 16 juin 1644, morte à Saint-Cloud le 29 juin 1670, fille de Charles Ier et de Henriette de France. C'est l'héroïne de cette histoire.
156Henriette-Marie de France, troisième fille de Henri IV et de Marie de Médicis, née le 15 novembre 1609; elle épousa, en mai 1625, Charles Ier qui venait de succéder à Jacques Ier sur le trône d'Angleterre. Elle mourut à Colombes (Seine) le 10 septembre 1669.
157La Fare dit qu'elle avait tout l'agrément possible, «bien qu'un peu bossue». (Voir notre Introduction).
158Charles II, rétabli sur le trône d'Angleterre en 1660.
159George Villiers, duc de Buckingham, fils de George, né en 1627, ambassadeur et ministre en 1671, auteur de comédies, mort en 1688. Son père fut, non pas décapité, mais assassiné à Portsmouth par John Felton, le 23 août 1628. Les deux membres de cette famille qui eurent le sort que madame de La Fayette attribue au favori de Charles Ier sont Henri, duc de Buckingham, qui eut la tête tranchée sous Richard III, en 1483, et Edmond, fils de Henri qui mourut par le même supplice, sous Henri VII, en 1521.
160Henriette-Marie, fille de Charles Ier, veuve, en 1650, de Guillaume de Nassau, prince d'Orange.
161Dans le texte de 1720, en titre: «Portrait du comte de Guiche.»
162Voir la note 3 de la page 6. Ajoutons que madame de Sévigné, plus détachée, trouvait au comte de Guiche un air précieux, un langage obscur, beaucoup d'affectation.
163Anne-Marie de La Trémoille, née vers 1641, mariée en 1659 à Adrien-Blaise de Talleyrand, prince de Chalais, plus tard princesse des Ursins, (Degli Orsini), par son second mariage avec Flavio Orsini, duc de Bracciano (1675), morte le 5 décembre 1722.
164Catherine-Charlotte de Gramont, mariée en 1660 à Louis Grimaldi, duc de Valentinois, prince de Monaco, morte en 1678, à trente-neuf ans.
165Anne-Armande de Saint-Gelais de Lansac, femme de Charles III, duc de Créquy, morte en 1709.
166Isabelle-Angélique de Montmorency, né, en 1626, veuve, en 1649, de Gaspard de Coligny, duc de Châtillon.
167Marie-Charlotte de La Trémoille épousa, en 1662, Bernard de Saxe-Weimar.
168L'auteur de cette Histoire.
1691661.
170Premier aumônier de Madame.
171Bonne de Pons, mariée, en 1666, à Michel Sublet, marquis de Heudicourt, grand louvetier de France, morte en 1709, à soixante-cinq ans. Le maréchal d'Albret était baron de Pons.
172Elle épousa, en 1665, Portail, conseiller au Parlement.
173Françoise-Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière, née en 1644, morte en 1710.
174Mascarille parle ainsi chez Cathos et Madelon: «Moi je dis que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies nettes…» (Les Précieuses ridicules, scène XII.) Et l'impromptu du faux marquis ressemble beaucoup aux galanteries de M. de Guiche. Oh! oh! je n'y prenais pas garde:Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur.Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!(Loc. cit.) C'est un rapprochement qu'il est intéressant de faire dans une édition de Molière.
175Marie de Rohan, née en 1600, veuve, en 1621, du connétable de Luynes et, en 1657, de Claude de Lorraine, duc de Chevreuse.
176Geoffroy, marquis de Laigue, né en 1614, mort en 1674. (Voir Mémoires de madame de Motteville, coll. Petitot, t. XL, p. 113.)
177Chez la duchesse de Chevreuse.
178Le 17 août 1661.
179François de Beauvillier, comte, puis duc de Saint-Aignan, né en 1607, mort en 1687.
180De Lionne, Le Tellier, Colbert.
181Christophe de Lévis, comte de Brion, duc de Damville en 1648.
Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»