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Les Soeurs Rondoli

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Je demandai: «Vous vous appelez Francesca?»

Elle fit «oui» de la tête, sans répondre.

Je repris: «Nous allons souper tout à l’heure. En attendant, vous avez peut-être envie de faire votre toilette?»

Elle répondit par un «mica», mot aussi fréquent dans sa bouche que le «che mi fa». J’insistai: «Après un voyage en chemin de fer, il est si agréable de se nettoyer».

Puis je pensai qu’elle n’avait peut-être pas les objets indispensables à une femme, car elle me paraissait assurément dans une situation singulière, comme au sortir de quelque aventure désagréable, et j’apportai mon nécessaire.

J’atteignis tous les petits instruments de propreté qu’il contenait: une brosse à ongles, une brosse à dents neuve – car j’en emporte toujours avec moi un assortiment – mes ciseaux, mes limes, des éponges. Je débouchai un flacon d’eau de Cologne, un flacon d’eau de lavande ambrée, un petit flacon de new mown hay, pour lui laisser le choix. J’ouvris ma boîte à poudre de riz où baignait la houppe légère. Je plaçai une de mes serviettes fines à cheval sur le pot à eau et je posai un savon vierge auprès de la cuvette.

Elle suivait mes mouvements de son oeil large et fâché, sans paraître étonnée ni satisfaite de mes soins.

Je lui dis: «Voilà tout ce qu’il vous faut, je vous préviendrai quand le souper sera prêt».

Et je rentrai dans le salon. Paul avait pris possession de l’autre chambre et s’était enfermé dedans, je restai donc seul à attendre.

Un garçon allait et venait, apportant les assiettes, les verres. Il mit la table lentement, puis posa dessus un poulet froid et m’annonça que j’étais servi.

Je frappai doucement à la porte de Mlle Rondoli. Elle cria: «Entrez». J’entrai. Une suffocante odeur de parfumerie me saisit, cette odeur violente, épaisse, des boutiques de coiffeur.

L’Italienne était assise sur sa malle dans une pose de songeuse mécontente ou de bonne renvoyée. J’appréciai d’un coup d’oeil ce qu’elle entendait par faire sa toilette. La serviette était restée pliée sur le pot à eau toujours plein. Le savon intact et sec demeurait auprès de la cuvette vide; mais on eût dit que la jeune femme avait bu la moitié des flacons d’essence. L’eau de Cologne cependant avait été ménagée; il ne manquait environ qu’un tiers de la bouteille; elle avait fait, par compensation, une surprenante consommation d’eau de lavande ambrée et de new mown hay. Un nuage de poudre de riz, un vague brouillard blanc semblait encore flotter dans l’air, tant elle s’en était barbouillé le visage et le cou. Elle en portait une sorte de neige dans les cils, dans les sourcils et sur les tempes, tandis que ses joues en étaient plâtrées et qu’on en voyait des couches profondes dans tous les creux de son visage, sur les ailes du nez, dans la fossette du menton, aux coins des yeux.

Quand elle se leva, elle répandit une odeur si violente que j’eus une sensation de migraine.

Et on se mit à table pour souper. Paul était devenu d’une humeur exécrable. Je n’en pouvais tirer que des paroles de blâme, des appréciations irritées ou des compliments désagréables.

Mlle Francesca mangeait comme un gouffre. Dès qu’elle eut achevé son repas, elle s’assoupit sur le canapé. Cependant, je voyais venir avec inquiétude l’heure décisive de la répartition des logements. Je me résolus à brusquer les choses, et m’asseyant auprès de l’Italienne, je lui baisai la main avec galanterie.

Elle entr’ouvrit ses yeux fatigués, me jeta entre ses paupières soulevées un regard endormi et toujours mécontent.

Je lui dis: «Puisque nous n’avons que deux chambres, voulez-vous me permettre d’aller avec vous dans la vôtre?»

Elle répondit: «Faites comme vous voudrez. Ça m’est égal. Che mi fa?»

Cette indifférence me blessa: «Alors, ça ne vous est pas désagréable que j’aille avec vous?

– Ça m’est égal, faites comme vous voudrez.

– Voulez-vous vous coucher tout de suite?

– Oui, je veux bien; j’ai sommeil»

Elle se leva, bâilla, tendit la main à Paul qui la prit d’un air furieux, et je l’éclairai dans notre appartement.

Mais une inquiétude me hantait: «Voici, lui dis-je de nouveau, tout ce qu’il vous faut».

Et j’eus soin de verser moi-même la moitié du pot à eau dans la cuvette et de placer la serviette près du savon.

Puis je retournai vers Paul. Il déclara dès que je fus rentré: «Tu as amené là un joli chameau!» Je répliquai en riant: «Mon cher, ne dis pas de mal des raisins trop verts».

Il reprit, avec une méchanceté sournoise: «Tu verras s’il t’en cuira, mon bon».

Je tressaillis, et cette peur harcelante qui nous poursuit après les amours suspectes, cette peur qui nous gâte les rencontres charmantes, les caresses imprévues, tous les baisers cueillis à l’aventure, me saisit. Je fis le brave cependant: «Allons donc, cette fille-là n’est pas une rouleuse».

Mais il me tenait le gredin! Il avait vu sur mon visage passer l’ombre de mon inquiétude:

Avec ça que tu la connais! Je te trouve surprenant! Tu cueilles dans un wagon une Italienne qui voyage seule; elle t’offre avec un cynisme vraiment singulier d’aller coucher avec toi dans le premier hôtel venu. Tu l’emmènes. Et tu prétends que ce n’est pas une fille! Et tu te persuades que tu ne cours pas plus de danger ce soir que si tu allais passer la nuit dans le lit d’une… d’une femme atteinte de la petite vérole.

Et il riait de son rire mauvais et vexé. Je m’assis, torturé d’angoisse. Qu’allais-je faire? Car il avait raison. Et un combat terrible se livrait en moi entre la crainte et le désir.

Il reprit: «Fais ce que tu voudras, je t’aurai prévenu; tu ne te plaindras point des suites».

Mais je vis dans son oeil une gaieté si ironique, un tel plaisir de vengeance; il se moquait si gaillardement de moi que je n’hésitai plus. Je lui tendis la main. Bonsoir, lui dis-je.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Et ma foi, mon cher, la victoire vaut le danger.

Et j’entrai d’un pas ferme dans la chambre de Francesca.

Je demeurai sur la porte, surpris, émerveillé. Elle dormait déjà, toute nue, sur le lit. Le sommeil l’avait surprise comme elle venait de se dévêtir; et elle reposait dans la pose charmante de la grande femme du Titien.

Elle semblait s’être couchée par lassitude, pour ôter ses bas, car ils étaient restés sur le drap; puis elle avait pensé à quelque chose, sans doute à quelque chose d’agréable, car elle avait attendu un peu avant de se relever, pour laisser s’achever sa rêverie, puis, fermant doucement les yeux, elle avait perdu connaissance. Une chemise de nuit, brodée au col, achetée toute faite dans un magasin de confection, luxe de débutante, gisait sur une chaise.

Elle était charmante, jeune, ferme et fraîche.

Quoi de plus joli qu’une femme endormie? Ce corps, dont tous les contours sont doux, dont toutes les courbes séduisent, dont toutes les molles saillies troublent le coeur, semble fait pour l’immobilité du lit. Cette ligne onduleuse qui se creuse au flanc, se soulève à la hanche, puis descend la pente légère et gracieuse de la jambe pour finir si coquettement au bout du pied ne se dessine vraiment avec tout son charme exquis qu’allongée sur les draps d’une couche.

J’allais oublier, en une seconde, les conseils prudents de mon camarade; mais, soudain, m’étant tourné vers la toilette, je vis toutes choses dans l’état où je les avais laissées; et je m’assis, tout à fait anxieux, torturé par l’irrésolution.

Certes, je suis resté là longtemps, fort longtemps, une heure peut-être, sans me décider à rien, ni à l’audace ni à la fuite. La retraite d’ailleurs m’était impossible, et il me fallait soit passer la nuit sur un siège, soit me coucher à mon tour, à mes risques et périls.

Quant à dormir ici ou là, je n’y devais pas songer, j’avais la tête trop agitée et les yeux trop occupés.

Je remuais sans cesse, vibrant, enfiévré, mal à l’aise, énervé à l’excès. Puis je me fis un raisonnement de capitulard: «Ça ne m’engage à rien de me coucher. Je serai toujours mieux, pour me reposer, sur un matelas que sur une chaise».

Et je me déshabillai lentement; puis passant par-dessus la dormeuse, je m’étendis contre la muraille, en offrant le dos à la tentation.

Et je demeurai encore longtemps, fort longtemps sans dormir.

Mais, tout à coup, ma voisine se réveilla. Elle ouvrit des yeux étonnés et toujours mécontents, puis s’étant aperçue qu’elle était nue, elle se leva et passa tranquillement sa chemise de nuit, avec autant d’indifférence que si je n’avais pas été là.

Alors… ma foi… je profitai de la circonstance, sans qu’elle parût d’ailleurs s’en soucier le moins du monde. Et elle se rendormit placidement, la tête posée sur son bras droit.

Et je me mis à méditer sur l’imprudence et la faiblesse humaines. Puis je m’assoupis enfin.

Elle s’habilla de bonne heure, en femme habituée aux travaux du matin. Le mouvement qu’elle fit en se levant m’éveilla; et je la guettai entre mes paupières à demi closes.

Elle allait, venait, sans se presser, comme étonnée de n’avoir rien à faire. Puis elle se décida à se rapprocher de la table de toilette et elle vida, en une minute, tout ce qui restait de parfums dans mes flacons. Elle usa aussi de l’eau, il est vrai, mais peu.

Puis quand elle se fut complètement vêtue, elle se rassit sur sa malle, et, un genou dans ses mains, elle demeura songeuse.

Je fis alors semblant de l’apercevoir, et je dis: «Bonjour, Francesca».

Elle grommela, sans paraître plus gracieuse que la veille: «Bonjour».

Je demandai: «Avez-vous bien dormi?»

Elle fit oui de la tête sans répondre; et sautant à terre, je m’avançai pour l’embrasser.

Elle me tendit son visage d’un mouvement ennuyé d’enfant qu’on caresse malgré lui. Je la pris alors tendrement dans mes bras (le vin étant tiré, j’eusse été bien sot de n’en plus boire) et je posai lentement mes lèvres sur ses grands yeux fâchés qu’elle fermait, avec ennui, sous mes baisers, sur ses joues claires, sur ses lèvres charnues qu’elle détournait.

 

Je lui dis: «Vous n’aimez donc pas qu’on vous embrasse?»

Elle répondit: «Mica».

Je m’assis sur la malle à côté d’elle, et passant mon bras sous le sien: «Mica! mica! mica! pour tout. Je ne vous appellerai plus que mademoiselle Mica».

Pour la première fois, je crus voir sur sa bouche une ombre de sourire, mais il passa si vite que j’ai bien pu me tromper.

«Mais si vous répondez toujours «mica» je ne saurai plus quoi tenter pour vous plaire. Voyons, aujourd’hui, qu’est-ce que nous allons faire?»

Elle hésita comme si une apparence de désir eût traversé sa tête, puis elle prononça nonchalamment: «Ça m’est égal, ce que vous voudrez.

– Eh bien, mademoiselle Mica, nous prendrons une voiture et nous irons nous promener».

Elle murmura: «Comme vous voudrez».

Paul nous attendait dans la salle à manger avec la mine ennuyée des tiers dans les affaires d’amour. J’affectai une figure ravie et je lui serrai la main avec une énergie pleine d’aveux triomphants.

Il demanda: «Qu’est-ce que tu comptes faire?»

Je répondis: «Mais nous allons d’abord parcourir un peu la ville, puis nous pourrons prendre une voiture pour voir quelque coin des environs».

Le déjeuner fut silencieux, puis on partit par les rues, pour la visite des musées. Je traînai à mon bras Francesca de palais en palais. Nous parcourûmes le palais Spinola, le palais Doria, le palais Marcello Durazzo, le palais Rouge et le palais Blanc. Elle ne regardait rien ou bien levait parfois sur les chefs-d’oeuvre son oeil las et nonchalant. Paul exaspéré nous suivait en grommelant des choses désagréables. Puis une voiture nous promena par la campagne, muets tous les trois.

Puis on rentra pour dîner.

Et le lendemain ce fut la même chose, et le lendemain encore.

Paul, le troisième jour, me dit: «Tu sais, je te lâche, moi, je ne vais pas rester trois semaines à te regarder faire l’amour avec cette grue-là!»

Je demeurai fort perplexe, fort gêné, car, à ma grande surprise, je m’étais attaché à Francesca d’une façon singulière. L’homme est faible et bête, entraînable pour un rien, et lâche toutes les fois que ses sens sont excités ou domptés. Je tenais à cette fille que je ne connaissais point, à cette fille taciturne et toujours mécontente. J’aimais sa figure grogneuse, la moue de sa bouche, l’ennui de son regard; j’aimais ses gestes fatigués, ses consentements méprisants, jusqu’à l’indifférence de sa caresse. Un lien secret, ce lien mystérieux de l’amour bestial, cette attache secrète de la possession qui ne rassasie pas, me retenait près d’elle. Je le dis à Paul, tout franchement. Il me traita d’imbécile, puis me dit: «Eh bien, emmène-la».

Mais elle refusa obstinément de quitter Gênes sans vouloir expliquer pourquoi. J’employai les prières, les raisonnements, les promesses; rien n’y fit.

Et je restai.

Paul déclara qu’il allait partir tout seul. Il fit même sa malle, mais il resta également.

Et quinze jours se passèrent encore.

Francesca, toujours silencieuse et d’humeur irritée, vivait à mon côté plutôt qu’avec moi, répondant à tous mes désirs, à toutes mes demandes, à toutes mes propositions par son éternel «che mi fa» ou par son non moins éternel «mica».

Mon ami ne dérageait plus. À toutes ses colères, je répondais: «Tu peux t’en aller si tu t’ennuies. Je ne te retiens pas».

Alors il m’injuriait, m’accablait de reproches, s’écriait: «Mais où veux-tu que j’aille maintenant. Nous pouvions disposer de trois semaines, et voilà quinze jours passés! Ce n’est pas à présent que je peux continuer ce voyage? Et puis, comme si j’allais partir tout seul pour Venise, Florence et Rome! Mais tu me le payeras, et plus que tu ne penses. On ne fait pas venir un homme de Paris pour l’enfermer dans un hôtel de Gênes avec une rouleuse italienne!»

Je lui disais tranquillement: «Eh bien, retourne à Paris, alors». Et il vociférait: «C’est ce que je vais faire et pas plus tard que demain».

Mais le lendemain il restait comme la veille, toujours furieux et jurant.

On nous connaissait maintenant par les rues, où nous errions du matin au soir, par les rues étroites et sans trottoirs de cette ville qui ressemble à un immense labyrinthe de pierre, percé de corridors pareils à des souterrains. Nous allions dans ces passages où soufflent de furieux courants d’air, dans ces traverses resserrées entre des murailles si hautes, que l’on voit à peine le ciel. Des Français parfois se retournaient, étonnés de reconnaître des compatriotes en compagnie de cette fille ennuyée aux toilettes voyantes, dont l’allure vraiment semblait singulière, déplacée entre nous, compromettante.

Elle allait appuyée à mon bras, ne regardant rien. Pourquoi restait-elle avec moi, avec nous qui paraissions lui donner si peu d’agrément? Qui était-elle? D’où venait-elle? Que faisait-elle? Avait-elle un projet, une idée? Ou bien vivait-elle, à l’aventure, de rencontres et de hasards? Je cherchais en vain à la comprendre, à la pénétrer, à l’expliquer. Plus je la connaissais, plus elle m’étonnait, m’apparaissait comme une énigme. Certes, elle n’était point une drôlesse, faisant profession de l’amour. Elle me paraissait plutôt quelque fille de pauvres gens, séduite, emmenée, puis lâchée et perdue maintenant. Mais que comptait-elle devenir? Qu’attendait-elle? Car elle ne semblait nullement s’efforcer de me conquérir ou de tirer de moi quelque profit bien réel.

J’essayai de l’interroger, de lui parler de son enfance, de sa famille. Elle ne me répondit pas. Et je demeurais avec elle, le coeur libre et la chair tenaillée, nullement las de la tenir en mes bras, cette femelle hargneuse et superbe, accouplée comme une bête, pris par les sens ou plutôt séduit, vaincu par une sorte de charme sensuel, un charme jeune, sain, puissant, qui se dégageait d’elle, de sa peau savoureuse, des lignes robustes de son corps.

Huit jours encore s’écoulèrent. Le terme de mon voyage approchait, car je devais être rentré à Paris le 11 juillet. Paul, maintenant, prenait à peu près son parti de l’aventure, tout en m’injuriant toujours. Quant à moi, j’inventais des plaisirs, des distractions, des promenades pour amuser ma maîtresse et mon ami; je me donnais un mal infini.

Un jour, je leur proposai une excursion à Santa Margarita. La petite ville charmante, au milieu de jardins, se cache au pied d’une côte qui s’avance au loin dans la mer jusqu’au village de Portofino. Nous suivions tous trois l’admirable route qui court le long de la montagne. Francesca soudain me dit: «Demain, je ne pourrai pas me promener avec vous. J’irai voir des parents».

Puis elle se tut. Je ne l’interrogeai pas, sûr qu’elle ne me répondrait point.

Elle se leva en effet, le lendemain, de très bonne heure. Puis, comme je restais couché, elle s’assit sur le pied de mon lit et prononça, d’un air gêné, contrarié, hésitant: «Si je ne suis pas revenue ce soir, est-ce que vous viendrez me chercher?»

Je répondis: «Mais oui, certainement. Où faut-il aller?»

Elle m’expliqua: «Vous irez dans la rue Victor-Emmanuel, puis vous prendrez le passage Falcone et la traverse Saint-Raphaël, vous entrerez dans la maison du marchand de mobilier, dans la cour, tout au fond, dans le bâtiment qui est à droite, et vous demanderez Mme Rondoli. C’est là».

Et elle partit. Je demeurais fort surpris.

En me voyant seul, Paul, stupéfait, balbutia: «Où donc est Francesca?» Et je lui racontai ce qui venait de se passer.

Il s’écria: «Eh bien, mon cher, profite de l’occasion et filons. Aussi bien voilà notre temps fini. Deux jours de plus ou de moins ne changent rien. En route, en route, fais ta malle. En route!»

Je refusai: «Mais non, mon cher, je ne puis vraiment lâcher cette fille d’une pareille façon après être resté près de trois semaines avec elle. Il faut que je lui dise adieu, que je lui fasse accepter quelque chose; non, je me conduirais là comme un saligaud».

Mais il ne voulait rien entendre, il me pressait, me harcelait. Cependant je ne cédai pas.

Je ne sortis point de la journée, attendait le retour de Francesca. Elle ne revint point.

Le soir, au dîner, Paul triomphait: «C’est elle qui t’a lâché, mon cher. Ça, c’est drôle, c’est bien drôle».

J’étais étonné, je l’avoue et un peu vexé. Il me riait au nez, me raillait: «Le moyen n’est pas mauvais, d’ailleurs, bien que primitif. – Attendez-moi, je reviens. – Est-ce que tu vas l’attendre longtemps? Qui sait? Tu auras peut-être la naïveté d’aller la chercher à l’adresse indiquée: – Madame Rondoli, s’il vous plaît? – Ce n’est pas ici, monsieur. – Je parie que tu as envie d’y aller?»

Je protestai: «Mais non, mon cher, et je t’assure que si elle n’est pas revenue demain matin, je pars à huit heures par l’express. Je serai resté vingt-quatre heures. C’est assez: ma conscience sera tranquille».

Je passai toute la soirée dans l’inquiétude, un peu triste, un peu nerveux. J’avais vraiment au coeur quelque chose pour elle. À minuit, je me couchai. Je dormis à peine.

J’étais debout à six heures. Je réveillai Paul, je fis ma malle, et nous prenions ensemble, deux heures plus tard, le train pour la France.

III. Or il arriva que l’année suivante, juste à la même époque…

Or il arriva que l’année suivante, juste à la même époque, je fus saisi, comme on l’est par une fièvre périodique, d’un nouveau désir de voir l’Italie. Je me décidai tout de suite à entreprendre ce voyage, car la visite de Florence, Venise et Rome fait partie assurément de l’éducation d’un homme bien élevé. Cela donne d’ailleurs dans le monde une multitude de sujets de conversation et permet de débiter des banalités artistiques qui semblent toujours profondes.

Je partis seul cette fois, et j’arrivai à Gênes à la même heure que l’année précédente, mais sans aucune aventure de voyage. J’allai coucher au même hôtel, et j’eus par hasard la même chambre!

Mais à peine entré dans ce lit, voilà que le souvenir de Francesca, qui, depuis la veille d’ailleurs flottait vaguement dans ma pensée, me hanta avec une persistance étrange.

Connaissez-vous cette obsession d’une femme, longtemps après, quand on retourne aux lieux où on l’a aimée et possédée?

C’est là une des sensations les plus violentes et les plus pénibles que je connaisse. Il semble qu’on va la voir entrer, sourire, ouvrir les bras. Son image, fuyante et précise, est devant vous, passe, revient et disparaît. Elle vous torture comme un cauchemar, vous tient, vous emplit le coeur, vous émeut les sens par sa présence irréelle. L’oeil l’aperçoit; l’odeur de son parfum vous poursuit; on a sur les lèvres le goût de ses baisers, et la caresse de sa chair sur la peau. On est seul cependant, on le sait, on souffre du trouble singulier de ce fantôme évoqué. Et une tristesse lourde, navrante vous enveloppe. Il semble qu’on vient d’être abandonné pour toujours. Tous les objets prennent une signification désolante, jettent à l’âme, au coeur, une impression horrible d’isolement, de délaissement. Oh! ne revoyez jamais la ville, la maison, la chambre, le bois, le jardin, le banc où vous avez tenu dans vos bras une femme aimée!

Enfin, pendant toute la nuit, je fus poursuivi par le souvenir de Francesca; et, peu à peu, le désir de la revoir entrait en moi, un désir confus d’abord, puis plus vif, puis plus aigu, brûlant. Et je me décidai à passer à Gênes la journée du lendemain, pour tâcher de la retrouver. Si je n’y parvenais point, je prendrais le train du soir.

Donc, le matin venu, je me mis à sa recherche. Je me rappelais parfaitement le renseignement qu’elle m’avait donné en me quittant: – Rue Victor-Emmanuel, – passage Falcone, – traverse Saint-Raphaël, – maison du marchand de mobilier, au fond de la cour, le bâtiment à droite.

Je trouvai tout cela non sans peine, et je frappai à la porte d’une sorte de pavillon délabré. Une grosse femme vint ouvrir, qui avait dû être fort belle, et qui n’était plus que fort sale. Trop grasse, elle gardait cependant une majesté de lignes remarquables. Ses cheveux dépeignés tombaient par mèches sur son front et sur ses épaules, et on voyait flotter, dans une vaste robe de chambre criblée de taches, tout son gros corps ballottant. Elle avait au cou un énorme collier doré, et, aux deux poignets, de superbes bracelets en filigrane de Gênes.

Elle demanda d’un air hostile: «Qu’est-ce que vous désirez?»

Je répondis: «N’est-ce pas ici que demeure Mlle Francesca Rondoli?

– Qu’est-ce que vous lui voulez?

– J’ai eu le plaisir de la rencontrer l’année dernière, et j’aurais désiré la revoir».

 

La vieille femme me fouillait de son oeil méfiant: «Dites-moi où vous l’avez rencontrée?

– Mais, ici même, à Gênes!

– Comment vous appelez-vous?»

J’hésitai une seconde, puis je dis mon nom. Je l’avais à peine prononcé que l’Italienne leva les bras pour m’embrasser: «Ah! vous êtes le Français; que je suis contente de vous voir! Que je suis contente! Mais, comme vous lui avez fait de la peine à la pauvre enfant. Elle vous a attendu un mois, monsieur, oui, un mois. Le premier jour, elle croyait que vous alliez venir la chercher. Elle voulait voir si vous l’aimiez! Si vous saviez comme elle a pleuré quand elle a compris que vous ne viendriez pas. Oui, monsieur, elle a pleuré toutes ses larmes. Et puis, elle a été à l’hôtel. Vous étiez parti. Alors, elle a cru que vous faisiez votre voyage en Italie, et que vous alliez encore passer par Gênes, et que vous la chercheriez en retournant puisqu’elle n’avait pas voulu aller avec vous. Et elle a attendu, oui, monsieur, plus d’un mois; et elle était bien triste, allez, bien triste. Je suis sa mère!»

Je me sentis vraiment un peu déconcerté. Je repris cependant mon assurance et je demandai: «Est-ce qu’elle est ici en ce moment?

– Non, monsieur, elle est à Paris, avec un peintre, un garçon charmant qui l’aime, monsieur, qui l’aime d’un grand amour et qui lui donne tout ce qu’elle veut. Tenez, regardez ce qu’elle m’envoie, à moi sa mère. C’est gentil, n’est-ce pas?»

Et elle me montrait, avec une animation toute méridionale, les gros bracelets de ses bras et le lourd collier de son cou. Elle reprit: «J’ai aussi deux bouches d’oreilles avec des pierres, et une robe de soie, et des bagues; mais je ne les porte pas le matin, je les mets seulement sur le tantôt, quand je m’habille en toilette. Oh! elle est très heureuse, monsieur, très heureuse. Comme elle sera contente quand je lui écrirai que vous êtes venu. Mais entrez, monsieur, asseyez-vous. Vous prendrez bien quelque chose, entrez.

Je refusais, voulant partir maintenant par le premier train. Mais elle m’avait saisi le bras et m’attirait en répétant: «Entrez donc, monsieur, il faut que je lui dise que vous êtes venu chez nous».

Et je pénétrai dans une petite salle assez obscure, meublée d’une table et de quelques chaises.

Elle reprit: «Oh! elle est très heureuse à présent, très heureuse. Quand vous l’avez rencontrée dans le chemin de fer, elle avait un gros chagrin. Son bon ami l’avait quittée à Marseille. Et elle revenait, la pauvre enfant. Elle vous a bien aimé tout de suite, mais elle était encore un peu triste, vous comprenez. Maintenant, rien ne lui manque; elle m’écrit tout ce qu’elle fait. Il s’appelle M. Bellemin. On dit que c’est un grand peintre chez vous. Il l’a rencontrée en passant ici, dans la rue, oui, monsieur, dans la rue, et il l’a aimée tout de suite. Mais, vous boirez bien un verre de sirop? Il est très bon. Est-ce que vous êtes tout seul cette année?»

Je répondis: «Oui, je suis tout seul».

Je me sentais gagné maintenant par une envie de rire qui grandissait, mon premier désappointement s’envolant devant les déclarations de Mme Rondoli mère. Il me fallut boire un verre de sirop.

Elle continuait: «Comment vous êtes tout seul? Oh! que je suis fâchée alors que Francesca ne soit plus ici; elle vous aurait tenu compagnie le temps que vous allez rester dans la ville. Ce n’est pas gai de se promener tout seul; et elle le regrettera bien de son côté».

Puis, comme je me levais, elle s’écria: «Mais si vous voulez que Carlotta aille avec vous; elle connaît très bien les promenades. C’est mon autre fille, monsieur, la seconde.

Elle prit sans doute ma stupéfaction pour un consentement, et se précipitant sur la porte intérieure, elle l’ouvrit et cria dans le noir d’un escalier invisible: «Carlotta! Carlotta! descends vite, viens tout de suite, ma fille chérie».

Je voulus protester; elle ne me le permit pas: «Non, elle vous tiendra compagnie; elle est très douce, et bien plus gaie que l’autre; c’est une bonne fille, une très bonne fille que j’aime beaucoup».

J’entendais sur les marches un bruit de semelles de savate; et une grande fille parut, brune, mince et jolie, mais dépeignée aussi, et laissant deviner, sous une vieille robe de sa mère, son corps jeune et svelte.

Mme Rondoli la mit aussitôt au courant de ma situation: «C’est le Français de Francesca, celui de l’an dernier, tu sais bien. Il venait la chercher; il est tout seul, ce pauvre monsieur. Alors, je lui ai dit que tu irais avec lui pour lui tenir compagnie».

Carlotta me regardait de ses beaux yeux bruns, et elle murmura en se mettant à sourire: «S’il veut, je veux bien, moi».

Comment aurais-je pu refuser? Je déclarai: «Mais certainement que je veux bien».

Alors Mme Rondoli la poussa dehors: «Va t’habiller, bien vite, bien vite, tu mettras ta robe bleue et ton chapeau à fleurs, dépêche-toi».

Dès que sa fille fut sortie, elle m’expliqua: «J’en ai encore deux autres, mais plus petites. Ça coûte cher, allez, d’élever quatre enfants! Heureusement que l’aînée est tirée d’affaire à présent».

Et puis elle me parla de sa vie, de son mari qui était mort employé de chemin de fer, et de toutes les qualités de sa seconde fille Carlotta.

Celle-ci revint, vêtue dans le goût de l’aînée, d’une robe voyante et singulière.

Sa mère l’examina de la tête aux pieds, la jugea bien à son gré, et nous dit: «Allez, maintenant, mes enfants».

Puis, s’adressant à sa fille: «Surtout, ne rentre pas plus tard que dix heures, ce soir; tu sais que la porte est fermée».

Carlotta répondit: «Ne crains rien, maman».

Elle prit mon bras, et me voilà errant avec elle par les rues comme avec sa soeur, l’année d’avant.

Je revins à l’hôtel pour déjeuner, puis j’emmenai ma nouvelle amie à Santa Margarita, refaisant la dernière promenade que j’avais faite avec Francesca.

Et, le soir, elle ne rentra pas, bien que la porte dût être fermée après dix heures.

Et pendant les quinze jours dont je pouvais disposer, je promenai Carlotta dans les environs de Gênes. Elle ne me fit pas regretter l’autre.

Je la quittais tout en larmes, le matin de mon départ, en lui laissant, avec un souvenir pour elle, quatre bracelets pour sa mère.

Et je compte, un de ces jours, retourner voir l’Italie, tout en songeant, avec une certaine inquiétude mêlée d’espoirs, que Mme Rondoli possède encore deux filles.

29 mai – 5 juin 1884

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