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Les etranges noces de Rouletabille

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–Nous allons manger, répondit Athanase, mais nous attendons encore un convive.

–Qui?

–Regarde là-bas, celui qui s'avance vers le pont…

–C'est un vieux mendiant qui n'est pas du pays, je ne le connais pas…

–Si… si… tu le connais… mais il revient de si loin… de si loin… Heureusement que je l'ai trouvé sur ma route, sans quoi il n'eût point retrouvé son chemin… et je l'ai invité pour ce soir, persuadé que nulle rencontre ne te serait aussi agréable, vieux Dotchov!…

–Sur la sainte Vierge, je ne le reconnais pas… Dis-lui qu'il approche.

Alors Athanase s'en va chercher le mendiant et le ramène par la main, jusqu'au vieux pont du pré aux porchers. Certainement, au fond des prisons d'Anatolie, le mendiant avait pensé ne plus le revoir, ce pont mémorable, fait de deux planches et d'une traverse pourrie. Par la main, Athanase amène donc le vieillard en haillons devant l'aimable et vénéré Dotchov, qui cligne des yeux:

–Non, non, je ne le reconnais pas!

–Tu ne reconnais pas le bon Cyrille, célèbre pour ses malheurs?

Dotchov, à ces mots, se leva terriblement pâle; cependant il eut la force de serrer sur son coeur le loqueteux avec la joie d'un père retrouvant son enfant.

–Dieu soit loué, Cyrille, je te retrouve. On te croyait mort! Et je t'ai pleuré longtemps, fidèle compagnon de ma jeunesse!…

Dotchov se rassied, car ses vieilles jambes n'ont plus la force de le supporter après une émotion semblable!

–Mais parle! parle! dit-il à Cyrille. Raconte-nous ton histoire. Tu as donc échappé, toi aussi, aux bachi-bouzouks? Je croyais qu'ils t'avaient fusillé, ce jour maudit…

–Est-ce le moment de parler? demanda Cyrille, à Athanase.

–Après le mouton… dit Athanase.

Alors Athanase fait servir le mouton. Le pope Goïo s'est tranché un morceau avec le cimeterre du sultan, et le dévore après un rapide signe de croix orthodoxe. Dotchov a fait une place près de lui à Cyrille, célèbre pour ses malheurs. Et, en dépeçant la viande odoriférante, avec leurs doigts, ils se renvoient vingt anecdotes du temps qu'ils couraient les grands bois du Balkan et de l'Istrandja pour échapper aux bachi-bouzouks.

Enfin, il y eut une distribution de raki; les filles qui dansaient le choro s'arrêtèrent et le gaïda se tut.

–Voilà le moment! Voilà le moment! disait Vladimir en poussant Rouletabille au premier plan…

Rouletabille s'étonnait:

–Ces Bulgares paraissent tout à fait chez eux. Où sont les autorités turques du village? Ils ne les craignent donc pas?

–Non, répliqua hâtivement Vladimir, les autorités sont mortes. Ils ont tué hier le kouet, et cinq zaptiés. Ils sont maintenant chez eux, entre eux, et tous prêts, hommes, femmes, enfants, à prendre la montagne. Ce soir, avant de quitter le village, ils doivent le brûler pour ne pas laisser cette besogne aux Turcs… du moins c'est ce que j'ai compris, car j'ai voulu savoir pourquoi ils étaient si gais… Mais écoutez!… écoutez!… c'est maintenant que l'affaire d'Athanase commence!… Oh! regardez Athanase!…

En effet, debout derrière le pope, Athanase, qui regardait le vieillard Dotchov, était épouvantable à voir. Ah! c'était une belle tête d'animal qui a faim et qui surveille sa proie!

On faisait cercle autour de Cyrille qui allait raconter une histoire de la guerre de l'Indépendance et qui s'essuyait la moustache et se libérait la bouche.

–D'abord, commença-t-il, tu te rappelles, Dotchov, qu'un orage épouvantable s'était élevé la nuit dans la montagne et que le vent s'était engouffré dans la masure où Ivan le Charron et le père d'Athanase et moi nous nous étions réfugiés pour fuir les bachi-bouzouks après la dispersion des comitadjis. Ce vent s'était si bien engouffré par le trou qui donnait issue à la fumée que le foyer fut renversé, bouleversé et que le feu prit à la masure. Il fallut l'évacuer et passer la nuit sous la pluie et la grêle. Puis trois bergers vinrent nous trouver sous un bouleau et, après nous avoir nourris et réchauffés, nous engagèrent à gagner un autre chalet où nous trouverions l'hospitalité. Nous avons suivi le lit du torrent, tu te rappelles, et l'eau glacée nous faisait frissonner… tu te rappelles… tu te rappelles?

–Comme si c'était hier, fit l'autre vieillard en hochant la tête et en frissonnant comme s'il était encore dans l'eau… c'est là que je suis tombé dans un trou à truites et que j'ai failli me noyer…

–Justement, mais on n'a pas toujours pu suivre le lit du torrent; et alors l'empreinte de nos pas nous a dénoncés aux bachi-bouzouks… cela très clairement.

–Très clairement! c'est ce que j'ai toujours dit…

–Plus loin, on a fait la rencontre d'un ours.

–Ah! oui, l'ours… je vois l'ours.

–Il cherchait des oeufs de fourmi et il était étonné de nous voir.

–Je me rappelle… tout à fait étonné…

–Ah! ah! s'écria Ivan le Charron, en se rapprochant… l'ours!… je lui ai jeté un bâton dans les jambes et il a été bien attrapé… On ne pouvait pas tirer dessus, tu penses!…

–Enfin on a fini par arriver au chalet… Le berger Neia nous avait accompagnés… Rappelle-toi… rappelle-toi, Dotchov…

–Oui, oui! Neia! le berger Neia! nous en avons souvent parlé avec Ivan.

Pauvre Neia!

–On peut le plaindre… En arrivant au chalet, Neia s'était enfoncé une épine dans le pied; ça, il faut s'en souvenir.

–Oui, oui…

–Même qu'il nous a dit qu'il n'avait pas de chance… que les Turcs lui avaient donné plus de vingt-cinq fois la bastonnade, qu'ils l'avaient fait agenouiller cinq fois, pour lui couper la tête… et qu'ils l'avaient dépouillé quinze fois de tout ce qu'il possédait… Mais il était surtout tourmenté d'être allé si peu à l'église… et le père d'Athanase lui dit alors: «Console-toi, Neia, après une telle vie tu pourras passer aisément saint et martyr!» Et il répondit: «Surtout avec mon épine dans le pied!» Or tu te rappelles ce qui est arrivé à cause de cette épine?

–Ma foi, non, Cyrille…

–Eh bien! il faut t'en souvenir… C'est à cause d'elle que Neia n'a pu aller aux provisions au village et qui est-ce qui s'est risqué du côté du village? c'est toi, Dotchov!

–Bien sûr! Il fallait bien que quelqu'un se dévouât…

–Sûr, ça ne pouvait être le père d'Athanase dont la tète avait été mise à prix: 10.000 piastres!…

–Oh! je me rappelle, j'ai rapporté du lait, du pain et du tabac!

–Et tu étais gai et tu t'es mis à chanter en fumant ton chibouk parce que, disais-tu, le danger était passé et que tu apportais d'heureuses nouvelles: les bachi-bouzouks avaient abandonné la montagne et la route était libre vers le Nord-Ouest. Et puis la Serbie entrait en campagne et la Russie arrivait. Enfin! nous avions tout pour nous!… Seulement, il fallait aller rejoindre les combattants. Le lendemain, nous sommes partis d'un pas allègre; nous laissions le berger derrière nous, sans nous douter de rien.

–Oui, c'est Neia qui nous a trahis, je l'ai tué de ma propre main, fit Dotchov, à la première occasion.

–On doit, en effet, tuer les traîtres, Dotchov… On se mit donc en marche. En tête, comme toujours, venait le père d'Athanase qui était un fier homme, puis Ivan le Charron, puis moi, Cyrille, toi, Dotchov. Tu marchais le dernier, mais c'est toi qui nous disais par où il fallait passer, et c'est ainsi que nous arrivâmes devant le pré aux porchers, dont nous étions séparés par le torrent… Alors, tu as crié à Athanase, père de l'Athanase que voici:

–Il faut aller de l'autre côté si nous ne voulons plus rencontrer de bachi-bouzouks! Il faut traverser la passerelle! Est-ce vrai?… Cette passerelle-là du pré aux porchers! Est-ce vrai, Dotchov?

–Mais bien sûr que c'est vrai!… Ivan est là pour le dire aussi bien que toi… je n'ai jamais donné que de bons conseils…

–La passerelle paraissait neuve, elle était composée de deux poutres et d'une traverse; nous nous y engageâmes; mais elle céda tout de suite sous nos pas, et toi, qui étais le dernier, tu pus facilement t'en tirer, car tu t'es sauvé aussitôt, d'une façon effrénée, derrière un gros tronc d'arbre qui gisait à quelque distance.

–Certainement, je me sauvais parce qu'on tirait des coups de fusil… Est-ce vrai?…

–C'est vrai… nous n'avions pas plus tôt mis le pied sur cette passerelle que plus de vingt coups de fusil partaient d'un bois voisin… Le commandement de feu avait été donné en langue turque. Les bachi-bouzouks nous avaient heureusement ratés. Ivan parvint à s'enfuir; moi, j'avais glissé dans les eaux froides; les balles sifflaient toujours. Qu'était devenu Athanase? Je ne pouvais m'en rendre compte. Je parvins cependant à sortir de l'eau, à me jeter dans un taillis. Jamais de ma vie je n'avais eu si peur. Je me croyais sauvé. Je fis mes prières. Ce n'est que vingt-quatre heures plus tard que les bachi-bouzouks m'ont remis la main dessus. Que faisais-tu pendant ce temps-là, Dotchov, que faisais-tu?…

–Moi, je m'étais terré comme un lapin, répondit sans trouble apparent le vieillard, dans un trou de grotte où je me trouvais aussi bien que dans un cabaret valaque, mais d'où, hélas! j'ai assisté à la mort du pauvre Athanase. Ce sera le plus grand chagrin de ma vie…

–Raconte, Dotchov, comment Athanase est mort…

–Il est mort comme je vais vous dire, et cela sur saint Georges et les saints, ce fut tel que voilà: Athanase, qui était tombé dans le torrent, réussit lui aussi à en sortir sans être vu des bachi-bouzouks et il grimpa devant moi dans un grand hêtre…

Tous ceux qui étaient là montrèrent le hêtre sur l'autre rive, en disant:

–Ce hêtre-là… ce hêtre-là!…

–Comme vous voyez, reprit le bon Dotchov, l'arbre est très haut! Bien caché, Athanase pouvait attendre le moment propice à sa fuite. Les bachi-bouzouks, furieux, battaient le pré aux porchers, la campagne, les bois, le ravin… Le malheur voulut que l'un d'eux revînt avec son chien et ce chien alla tout de suite à l'arbre. Le chien se mit à aboyer. Les bachi-bouzouks levèrent la tête et aperçurent Athanase. Ils se mirent à tirer dessus comme sur une corneille et bientôt Athanase bascula et vint s'écraser au pied de l'arbre. Le malheur voulut encore que l'un des porchers vint à passer avec deux porcs. Les bachi-bouzouks coupèrent les oreilles d'Athanase et en donnèrent une à dévorer à chaque porc… puis, comme la nuit venait, ils s'en allèrent après avoir dépouillé le cadavre.

 

«Moi, je me glissai jusqu'à la dépouille de mon ami et l'enterrai comme je pus en creusant la terre avec ma baïonnette. Ainsi est mort Athanase, père de l'Athanase que voici!

–Dotchov, Dotchov, fit la voix grave et profonde du mendiant Cyrille. Tout cela est tout à fait exact, car moi aussi j'ai vu comment les choses se sont passées!

–Où étais-tu donc? demanda Dotchov, inquiet.

J'étais dans l'arbre, avec Athanase!

Dotchov se dressa à demi sur ses coussins, comme s'il était soulevé par une force intérieure qui le poussait vers Cyrille, dont il ne pouvait plus détourner le regard. Ses lèvres tremblantes essayèrent de laisser glisser quelques paroles, mais ceux qui l'entouraient n'entendirent qu'un souffle rauque pareil à celui qui précède le râle de la mort.

Au même moment, le pope qui était derrière Dotchov pesa sur ses épaules et le fit retomber à sa place; puis, mettant une main sur la tête du lamentable vieillard, il prononça:

–Nous sommes dans la main de la mort! La mort est comme le pêcheur qui, ayant pris un poisson dans son filet, le laisse quelque temps encore dans l'eau! Le poisson nage toujours, mais il est dans le filet et le pêcheur le saisira quand il lui plaira.

–Continue, Cyrille, fit la voix glacée d'Athanase fils.

–Oui, j'étais dans l'arbre avant qu'Athanase s'y fût lui-même réfugié, continua Cyrille. J'avais réussi, comme lui, à me cacher dans les branches du hêtre, mais, personne n'en sut rien et quand Athanase fut tombé, on me laissa bien tranquille et je pus voir et entendre sans danger. Or voici ce que je vis et entendis:

«Dotchov sortit de sa cachette et rejoignit les bachi-bouzouks qui l'appelaient. Dotchov reprocha aux bachi-bouzouks d'avoir donné à manger les oreilles d'Athanase, père d'Athanase, aux cochons du pré des porchers. Les autres rirent et lui demandèrent:

«—Dis-nous, vieux drôle, quand tu leur as dit de prendre le chemin de la passerelle, les giaours du comité n'ont rien soupçonné?»

Et Dotchov a répondu:

«—Rien du tout, ils étaient si contents qu'ils m'auraient suivi au bout du monde!»

A ces paroles de Cyrille, la foule qui entourait Dotchov fit entendre des paroles de mort et Dotchov, voyant que tout était perdu, se mit à genoux et se cacha la tête dans les mains.

Le pope dit:

–Toute la montagne a des yeux et des oreilles pour les traîtres, mais les traîtres n'auront plus ni yeux ni oreilles!

–De mon hêtre à la passerelle maudite, fit Cyrille, il y a à peine cent pas. J'entendais tout ce qui se disait. Ils se félicitaient d'avoir fait construire cette passerelle pour attirer l'apôtre dans le piège où il devait succomber. Dotchov est un traître qui nous a livrés sans vergogne à nos plus cruels ennemis, les ennemis des comités. Je suis revenu du fond des prisons d'Anatolie pour vous dire cela à tous et le lui dire, à lui. Dotchov, prie l'âme de saint Georges de te pardonner!

Dotchov retira alors ses mains de son visage et Rouletabille put voir qu'il était inondé des larmes du repentir.

–Georges, pardonne-moi, pria Dotchov, j'ai péché. Prie Dieu pour mon âme noire.

Et en disant ces mots il baisait la croix que lui tendait le pope et frappait la terre de son front. Il ne tremblait plus; sa figure s'était éclairée.

–Pendant des années sans nombre, j'ai été un homme perdu; je ne pouvais plus dormir. Maintenant, il me semble que je me suis confessé et que j'ai communié. Battez-moi si vous voulez et tuez-moi; je l'ai mérité…

Alors, Athanase fit un signe et les porchers amenèrent les deux cochons qui avaient besoin d'être engraissés.

–Si tu veux mon sabre, dit le pope à Athanase, prends-le, moi je tiendrai la tête de cet homme pendant que tu lui couperas les oreilles…

–Je n'ai point besoin de ton sabre, révérend père, répondit Athanase. Les porcs mangeront les oreilles de Dotchov «vivantes»!

–Très bien, fils, je comprends, répliqua le pope. Ça n'est pas mal ce que tu as trouvé là!

Mais Dotchov aussi avait compris et il poussait des cris désespérés, se frappant la poitrine, disant qu'il avait mérité la mort, mais pas un supplice pareil.

–Jamais, affirmait-il sur saint Georges et sainte Sophie, jamais il n'aurait livré les fugitifs si les bachi-bouzouks ne l'avaient supplicié lui-même, passé les pieds au feu, ce qui lui avait fait accepter et promettre tout, mais la mort dans l'âme! La confession, ajoutait-il, a délivré mon âme du poids du péché… j'ai le droit de mourir en paix!

Il eut beau dire et se débattre, Ivan le Charron d'un côté et Cyrille le Mendiant de l'autre l'entreprirent si bien qu'un des cochons que l'on avait approché put lui saisir une oreille et, avec un effroyable grognement, tirer cette oreille à lui après avoir refermé l'étau de son horrible mâchoire. Dotchov hurlait comme on doit hurler en enfer et Athanase, impassible, regardait.

Quant à Rouletabille et à La Candeur, ils s'étaient enfuis avec épouvante de cette scène de sauvagerie; mais ils furent presque immédiatement arrêtés dans leur retraite par des clameurs inattendues.

La nuit était venue depuis longtemps et ils virent des ombres qui couraient follement à la lueur des feux, autour du torrent. Ils comprirent que, grâce aux ténèbres, Dotchov, dans un suprême effort, avait échappé à ses bourreaux et était allé, comme les comités de jadis, chercher un refuge du côté du ravin.

Alors ils se rapprochèrent pour voir ce qu'il allait advenir du malheureux vieillard.

Dotchov semblait avoir pris de l'avance, et, au plus loin du camp, presque au fin fond de la nuit, les Bulgares s'appelaient avec des cris, se donnaient des indications rapides, haletantes, entremêlées de coups de feu qui faisaient briller les eaux du torrent.

A la lueur d'un de ces coups de fusil, Rouletabille reconnut Vladimir qui paraissait l'un des plus acharnés poursuivants, aux côtés d'Athanase.

–Ah! il est plus Bulgare qu'eux! jeta Rouletabille avec horreur.

–Quand je te dis, Rouletabille! que nous ne comprendrons jamais ces gens-là et que nous ferions mieux de rentrer à Paris, bien sûr!…

Tout à coup, il parut que les Bulgares avaient retrouvé la piste de Dotchov… Le camp se vida; hommes, femmes, enfants, tous se précipitèrent dans la direction du village et toujours en tirant en l'air des coups de fusil et de revolver comme pour une fête joyeuse.

Il était vrai qu'ils avaient retrouvé Dotchov presque à l'entrée du village où il avait sa maison, dans laquelle il courut se barricader en appelant à l'aide ses serviteurs.

Vain et dernier effort. Athanase pénétra lui-même dans la maison d'où les serviteurs avaient fui, et, à la lueur d'un grand feu allumé sur la place, les reporters purent le voir traîner le vieillard sanglant à une fenêtre; Dotchov, dont le visage n'était plus qu'un horrible mélange de chair et de sang, leva encore les bras au ciel, demandant grâce, mais Athanase lui fit sauter le crâne avec un gros revolver, puis il jeta par la fenêtre le cadavre à la foule qui le déchiqueta. [Nous devons à la vérité de dire que les comités ne sont pas toujours aussi impitoyables dans leur vengeance et que, dans une circonstance presque semblable, Zacharie Stoïanov, qui devait devenir président de la Sobranié, pardonna au repentir de son ancien compagnon.]

IV
LES POMAKS ET L'AGHA

Rouletabille et La Candeur étaient revenus en hâte au pré des porchers où ils retrouvèrent Ivana assise tranquillement auprès du ruisseau. Elle avait assisté à la fameuse scène et n'en montrait pas le moindre émoi. Elle dit encore:

–Cet Athanase Khetew est vraiment un homme! Vraiment un homme! il ira loin!

Rouletabille ne demandait qu'à quitter ce pays de sauvages. Il fit plier les tentes rapidement.

–Nous ne sommes pas venus si loin, disait-il pour nous attarder aux petites histoires de famille de M. Athanase Khetew!…

Vladimir apparut sur ces entrefaites. Il apportait des nouvelles d'Athanase. Celui-ci priait les jeunes gens de ne point l'attendre. Ils pouvaient reprendre tout seuls le chemin d'Almadjik; rien ne s'y opposait plus. Ils tomberaient dans «le courant» de l'armée bulgare et n'auraient qu'à se présenter à l'État-major de la première brigade qu'ils rencontreraient..,

Ivana s'était rapprochée… Chose extraordinaire! elle paraissait inquiète.

–Qu'est-il donc arrivé à Athanase Khetew? demanda-t-elle.

–Tout simplement qu'un de ses cavaliers est venu le rejoindre, lui a parlé à l'oreille et qu'ils sont partis tous deux précipitamment, après m'avoir jeté les instructions que je vous ai transmises… expliqua Vladimir.

–Quel chemin ont-il pris? questionna fiévreusement Ivana.

–A travers la forêt! Et Vladimir montrait la route du Sud…

–Courons derrière lui et tâchons de le rejoindre!… s'écria-t-elle en sautant d'un bond sur son cheval.

–Et pourquoi cela, s'il vous plaît?… demanda très sèchement Rouletabille.

–Eh! mon cher, parce qu'on lui aura certainement apporté des nouvelles de Gaulow! Sus à Gaulow, Rouletabille!…

Le chemin du Sud le rapprochait des armées; Rouletabille ne vit aucun inconvénient à suivre l'impulsion d'Ivana. «Nous verrons bien jusqu'où ira ta traîtrise», murmurait-il. Mais ils n'avaient pas marché pendant une heure dans des chemins impossibles, qu'ils durent tous s'arrêter sur la prière des muletiers. Il faisait alors une nuit très noire. On n'y voyait goutte.

–Que se passe-t-il donc, demanda-t-il à Vladimir… mais aussitôt quelques torches de résine s'allumèrent et il s'aperçut que la petite troupe était entourée par toute une bande de pomaks, qui, avec leurs longs fusils, prenaient attitude de bandits.

A leur aspect, Rouletabille avait commandé à chacun de s'armer; et, lui-même, s'était emparé d'une carabine. Mais Vladimir le calma d'un geste et s'entretint quelques instants avec celui qui paraissait commander tout ce vilain monde.

–Que disent-ils? demanda Rouletabille, impatienté.

–Ils disent, expliqua Vladimir, que, prévenus de notre passage, ils sont vite descendus de leur village, qui est au sommet de la montagne, pour nous avertir que le pays n'est pas sûr.

–Ça se voit, fit Rouletabille.

–Pour rien au monde, ils ne voudraient qu'il nous arrivât malheur, car, comme nous sommes dans la circonscription de leur village, l'agha les rendrait responsables du désastre toujours trop tôt survenu et apporterait la ruine à leur foyer.

–Et alors?

–Eh bien, alors ils sont venus pour nous protéger contre les voleurs si nous voulons bien leur donner une certaine somme.

–Ouais, ça dépend de la somme, grogna Rouletabille.

–Nous nous sommes entendus, fit Vladimir, pour 1.000 piastres!

–Mille piastres, c'est-à-dire 10 livres turques?

–Oui, cela vous fera environ 230 francs, ça n'est pas cher!

–Vous trouvez que ça n'est pas cher!… c'est tout de même plus cher qu'à l'auberge…

–Nous ne sommes pas à l'auberge, maintenant, c'est à prendre ou à laisser.

–Et si nous le «laissons»?

–Cela nous coûtera plus cher!

–Diable!

–Maintenant, ils nous apportent des oeufs, trois poules et un mouton, et ils comptent bien que nous leur achèterons leur marchandise…

–J'achète les oeufs et les poules! Mais qu'est-ce que vous voulez que nous fassions du mouton?

–C'est pour leur souper à eux, qu'ils l'ont amené jusqu'ici; si nous prenons ces hommes pour nous garder, nous sommes obligés de les nourrir! Ils veulent nous garder jusqu'à demain matin!

–Ils ont pensé à tout!… Mais alors il va falloir que nous campions!

–Sans doute! et, du reste, les chemins sont si mauvais que nous ne pouvons guère espérer beaucoup avancer en pleine nuit… et puis les bêtes seront meilleures demain matin… c'est aussi leur avis qu'ils m'ont prié de vous transmettre…

–Traitez donc avec ces braves gens, puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement, mon cher Vladimir…

Le traité de paix fut vite conclu, et, sans plus se préoccuper des voyageurs, les pomaks se mirent à confectionner leur repas, autour d'un grand feu qu'ils allumèrent assez joyeusement. Leurs faces noires riaient d'une façon qui impressionnait fâcheusement La Candeur, lequel, du reste, ne trouvait plus aucun sujet de gaieté depuis qu'il avait été soulagé des 40.000 levas gagnés si honnêtement à Vladimir.

 

–Cristi! fit-il, en considérant ces démons, je regrette la rue du Sentier, moi! Ah! j'en ai eu une drôle d'idée de venir dans ce pays de malheur!…

–La gloire t'y attend! répliqua Rouletabille…

–La gloire et peut-être la fortune! ajouta Vladimir, mauvaise langue.

Ainsi les héros d'Homère évoquaient-ils les souvenirs chers de la patrie, sous la tente d'Achille, entre deux combats, aux bords du Scamandre.

–Il est temps d'aller se coucher! dit Rouletabille.

Ivana était déjà sous sa tente. Elle aussi était de fort méchante humeur, mais c'était à cause de l'arrêt forcé qu'elle subissait dans sa poursuite du beau Gaulow, son mari, après tout

Les jeunes gens et Tondor, comme la nuit précédente—plus que la nuit précédente,—devaient veiller à tour de rôle, car, en dépit des paroles rassurantes de Vladimir, le voisinage des bandits-gardiens paraissait inquiétant à ceux qui n'en avaient pas l'habitude…

La Candeur et Vladimir décidèrent de se coucher sous la même tente que Rouletabille. Les reporters se jetèrent sur les nattes sans se déshabiller. Ils avaient entre eux une tablette surchargée d'armes: carabines et revolvers.

Tondor, dehors, prenait la première garde.

Les paupières se fermaient déjà quand, tout à coup, il y eut une décharge formidable; plus de vingt coups de fusil éclatèrent à quelques pas; les reporters, vite sur pied, avaient entendu siffler les balles si près qu'ils avaient pu croire que la tente avait été transpercée.

Rouletabille se jetait dehors quand Tondor se présenta.

–Ne vous dérangez pas, dit-il, ce sont nos gardiens qui veillent! Ils tirent comme ça pour éloigner les voleurs!

–Dites-leur qu'ils tirent un peu plus loin, répliqua Rouletabille.

Il n'avait pas achevé cette phrase qu'une nouvelle décharge leur sifflait aux oreilles. La Candeur s'était jeté à plat ventre.

–Bien sûr! ils vont nous tuer, gémissait-il.

–C'est insupportable! dit Rouletabille.

–Ils veulent gagner leur argent, expliqua Vladimir.

Il s'en fut cependant parlementer avec les gardiens qui se décidèrent à reculer de quelques pas, mais qui ne cessèrent de tirer des coups de feu, toute la nuit.

Les reporters ne purent fermer l'oeil. Au matin, pendant qu'on levait le camp, les pomaks exprimèrent de nouvelles prétentions, affirmant qu'ils avaient eu à repousser toute une bande de voleurs, lesquels auraient réussi, s'ils n'avaient été là, à se glisser jusqu'aux tentes à la faveur des ténèbres. Enfin, l'on finit par s'en débarrasser avec une nouvelle distribution de piastres.

La route que l'on suivit ce matin-là fut particulièrement fatigante. Il fallut gravir des pentes fort ardues, descendre en zigzag au bord de véritables précipices… par des sentiers de chèvre. La nature se faisait de plus en plus hostile. Entre deux défilés, on apercevait, perché sur quelque roc, un village dont les habitants sortaient parfois pour envoyer à tout hasard une balle dans la direction de la caravane, sans doute pour l'avertir qu'elle était signalée et qu'on veillait toujours sur elle.

–Quel métier! s'écriait La Candeur… Quel pays!…

Il ne dit pas autre chose de toute la matinée, se jetant sur l'encolure de son cheval dès qu'il entendait une lointaine détonation, et ne consentant à se décoller de sa bête que lorsque Vladimir lui avait juré qu'il n'y avait aucune silhouette dangereuse à l'horizon.

–Je ne l'aurais pas cru aussi rancunier, disait Rouletabille.

De fait, le paysage gris, boueux, sale, n'était point réjouissant, mais l'âme de La Candeur était au moins aussi désolée. Il continuait de détourner la tête aux plaisanteries de Vladimir, qui prenait un malin plaisir à le taquiner, et il répondait à peine à Rouletabille, à qui il en voulait toujours d'une vertu qui lui coûtait si cher.

Ivana était toujours en tête. Il lui arrivait même de devancer de beaucoup les reporters malgré les incessantes observations de Rouletabille. Sur le coup de midi, elle avait complètement disparu quand les jeunes gens firent halte pour se dégourdir un peu les jambes et «manger un morceau».

–Mlle Vilitchkov est encore partie! Il va falloir encore courir pour la rattraper! bougonna Vladimir.

–Oh! c'est une insupportable petite fille!… déclara La Candeur.

–Qu'est-ce que vous dites?… s'écria Rouletabille rouge comme un coq.

–Messieurs! souffla Vladimir, ne nous disputons pas et regardez devant vous!…

Ils regardèrent devant, ils regardèrent derrière, de tous les côtés… Ils virent qu'ils étaient entourés de toutes parts par une bande nouvelle. Cette fois, ce n'étaient pas des pomaks aux discours ironiques qui les encerclaient, mais des soldats irréguliers turcs aux uniformes les plus disparates qu'il se pût imaginer et ces soldats irréguliers les mettaient régulièrement en joue.

La Candeur tira aussitôt de sa poche son mouchoir qui était immense, l'agita en signe de paix et l'on commença de parlementer…

Il n'y avait pas à résister. Nos reporters furent conduits, non loin de là, au centre d'un petit camp que l'on était en train de dresser, et où se trouvait déjà édifiée une tente fort belle, aux dessins noirs sur la toile blanche, tente qui devait abriter le chef de cette troupe ennemie. En effet, sitôt qu'ils furent entrés, ils aperçurent sur des coussins un homme pour lequel tous montraient une grande déférence. Un turban blanc, large et haut comme une tiare, entourait sa tête. Sa veste bleue étincelait de broderies d'argent, et sur son kilt, semblable à celui des montagnards d'Écosse, pendait un arsenal compliqué de petits instruments d'argent ciselé, dont les anciens se servaient pour charger leurs armes à feu.

Deux longs pistolets se perdaient dans l'écharpe de cachemire qui lui entourait la taille et un sabre était suspendu à son côté par une étroite cordelière de soie rouge à glands d'or. Cet homme avait un grand air de noblesse et fumait avec calme des herbes aromatiques dans un narghilé de grand prix. Les prisonniers le saluèrent, mais il ne daigna point répondre à leur salut. Non loin de lui se tenait une espèce de scribe qui avait en main des sortes de tablettes et qui ordonna, en français, aux jeunes gens de s'avancer. C'était l'interprète.

–Messieurs, leur dit l'interprète, notre seigneur l'agha a été chargé par les autorités de Sa Majesté le sultan de rechercher et de ramener une petite troupe de journalistes français qui font métier d'espions dans l'Istrandja-Dagh, ayant passé notre frontière sans aucune permission.

A ces mots inattendus, Rouletabille sursauta.

Le reporter prit immédiatement la parole pour protester avec indignation contre l'accusation qui était portée contre ses camarades et lui! Envoyés par leur journal pour faire du reportage et, ayant terminé leur besogne en Bulgarie, ils étaient descendus dans l'Istrandja-Dagh sans aucun esprit de retour à Sofia; bien mieux, ils avaient décidé de suivre les opérations de guerre avec les armées turques; où pouvait-on voir de l'espionnage en tout cela?

Mais, à leur grand étonnement, l'interprète répliqua que l'agha savait parfaitement que M. Rouletabille (il l'appela par son nom) avait reçu une mission de confiance du général-major Stanislawoff après que celui-ci lui eut accordé une audience spéciale avant son départ!…

–Sapristi! pensait Rouletabille! Ils sont bien renseignés!…

Ils paraissaient si bien renseignés et si sûrs de leur affaire que l'interprète ne prenait même point la peine de traduire quoi ce fût à l'agha, lequel continuait de fumer son narghilé avec un certain air de penser à autre chose.

Rouletabille se retourna vers Vladimir et lui dit:

–Toi qui parles turc, tu devrais parler à l'agha; peut-être t'écouterait-il?

–Je connais un moyen pour qu'il m'entende, sans que j'aie à lui adresser la parole. Voulez-vous que j'essaye?

–Quel moyen?

–Donnez-moi mille levas.

–Vrai! fit Rouletabille, tu crois?

–Donnez-moi mille levas…

Rouletabille sortit de la poche intérieure de son gilet les mille francs demandés. Vladimir les prit et alla les déposer près de l'agha sur la petite tablette qui supportait son narghilé.

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