Читать книгу: «Призрак оперы. Уровень 1 / Le Fantome de l`Opera», страница 2

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V
Suite de «la loge n° 5»

Par les soins de M. Rémy104, on a trouvé l'ouvreuse, qui était concierge rue de Provence, à deux pas105 de l'Opéra.

«Comment vous appelez-vous?

– Mame Giry. Vous me connaissez bien, monsieur le directeur; c'est moi la mère de la petite Giry, la petite Meg, quoi!»

M. Richard a regardé Mame Giry. On voyait bien, à l'attitude de M. le directeur, qu'il ne connaissait nullement Mame Giry, ni même la petite Giry, ni même la petite Meg! Mais l'orgueil de Mame Giry était tel que cette ouvreuse s'imaginait être connue de tout le monde.

«Vous et M. l'inspecteur, hier soir vous avez appeler un garde municipal… s'est intéressé M. le directeur.

– J'voulais justement vous voir pour vous en parler, m'sieur le directeur. MM. Debienne et Poligny… Eux, non plus, ils ne voulaient pas m'écouter…

– Je ne vous demande pas tout ça. Je vous demande ce qui vous est arrivé hier soir!»

Mame Giry est devenue rouge d'indignation. On ne lui avait jamais parlé sur un ton pareil. Elle s'est levée comme pour partir, mais, elle s'est rassise et a dit d'une voix rogue:

«Il est arrivé qu'on a encore embêté le fantôme!»

Madame Giry entendait la voix dans une loge où il n'y avait personne. Elle ne pouvait s'expliquer ce phénomène. Ce fantôme, personne ne le voyait dans la loge, mais tout le monde pouvait l'entendre. Elle a dit qu'elle ne mentait jamais et on pouvait demander à MM. Debienne et Poligny et à tous ceux qui la connaissaient, et aussi à M. Isidore Saack, à qui le fantôme avait cassé la jambe!

«Le fantôme a cassé la jambe à ce pauvre Isidore Saack?» a interrompu Moncharmin.

Mame Giry tousse, assure sa voix… elle commence…

«Voilà, monsieur. Il y avait, ce soir-là, au premier rang, M. Maniera et sa dame et, derrière Mme Maniera, leur ami intime, M. Isidore Saack. Méphistophélès chantait, et alors M. Maniera entend dans son oreille droite (sa femme était à sa gauche) une voix. M. Maniera se retourne à droite, personne! Il se frotte l'oreille. Méphistophélès continue sa chanson (Mame Giry chantait pour recréer la situation) et aussitôt M. Maniera entend, toujours dans son oreille droite, la voix qui lui dit: «Ah! ah! Julie ne refuserait pas un baiser à Isidore106?» Là-dessus, il se retourne, mais, cette fois, du côté il y a Isidore qui a pris la main sa dame et qui la couvrait de baisers. Clic! Clac! M. Maniera, qui était grand et fort comme vous, monsieur Richard, a distribué une paire de gifles107 à M. Isidore Saack, qui était mince et faible comme M. Moncharmin. C'était un scandale. Dans la salle, on criait: «Assez! Assez!.. Il va le tuer!..» Enfin, M. Isidore Saack a pu s'échapper…

– Le fantôme ne lui a donc pas cassé la jambe?» demande M. Moncharmin.

«Il la lui a cassée, mossieu, réplique Mame Giry. Il la lui a cassée dans la grande escalier, qu'il descendait trop vite, mossieu!

– C'est mossieu Maniera qui vous a raconté tout cela. Mais vous, vous avez déjà parlé au fantôme, ma brave dame?

– Comme je vous parle, mon brav' mossieu…

– Et quand il vous parle, le fantôme, qu'est-ce qu'il vous dit?

– Eh bien, il me dit de lui apporter un p'tit banc pour ça dame! Lui, il a une douce voix d'homme! Il arrive toujours vers le milieu du premier acte, il frappe trios fois à la porte de la loge n° 5. Cette fois, la voix était assise sur le premier fauteuil du premier rang à droite. La loge n°7 comme la loge n°3 à gauche n'étaient pas encore occupées.

– Et qu'est-ce que vous avez fait?

– J'ai apporté le petit banc. À la fin du spectacle, il me donne toujours une pièce de quarante sous, quelquefois cent sous, quelquefois même dix francs. Il les laisse sur la tablette de la loge. Je les trouve là avec le programme que je lui apporte toujours; des soirs je retrouve même des fleurs dans ma loge, une rose qui était tombée du corsage de sa dame. Seulement, maintenant, il ne me donne plus rien du tout…»

Cette fois, Richard a commencé à rire de compagnie avec Moncharmin et le secrétaire Rémy; mais, instruit par l'expérience108, l'inspecteur ne riait plus.

«Vous devrez rendre compte du fantôme comme M. Poligny. Une fois M. Poligny voulait assister, tout seul, dans la loge du fantôme, à la représentation. Quand la chanteuse a commencé a chanter «Fuyons!» M. Poligny s'est levé tout droit, et est parti raide comme une statue. Il était plus pâle qu'un mort!109 Il marchait comme dans un mauvais rêve, et il ne souvenait pas son chemin.

– C'est bien, Mame Giry… Vous pouvez vous retirer.»

Quand M. l'inspecteur s'est retiré à son tour, MM. les directeurs ont averti M. l'administrateur qu'il fallait régler le compte110de M. l'inspecteur. Quand ils sont resté seuls, MM. les directeurs ont eu une même pensée, qu'il fallait faire un petit tour du côté de la loge n° 5111.

Nous les y suivrons bientôt112.

VI
Le violon enchanté

Christine Daaé ne chantait plus à l'Opéra après la fameuse soirée de gala. Elle a seulement participé une fois dans la soirée chez la duchesse de Zurich, où elle a chanté les plus beaux morceaux de son répertoire. Elle refusait toutes les invitation sans expliquer la raison.

Elle savait que le compte de Chagny, pour faire plaisir à son frère, parlait beaucoup d'elle avec les directeurs. Christine lui a écrit pour le remercier et pour prier de ne plus faire cela. Quelles pouvaient bien être alors les raisons d'une aussi étrange attitude? Les uns ont prétendu qu'il y avait là un incommensurable orgueil, d'autres ont crié à une divine modestie. «Je ne me reconnais plus quand je chante!» disait-elle.

La pauvre, la pure, la douce enfant! Elle ne se montrait nulle part, et le vicomte de Chagny a essayait en vain113 de se trouver sur son chemin. Il lui a écris, pour lui demander la permission de se présenter chez elle, et il désespérait d'avoir une réponse, quand un matin, elle lui a répondu avec une lettre suivante:

«Monsieur, je n'ai point oublié le petit enfant qui est allé me chercher mon écharpe dans la mer. Je ne pouvais pas m'empêcher de vous écrire cela, aujourd'hui où je pars pour Perros, conduite par un devoir sacré114. C'est demain l'anniversaire de la mort de mon pauvre papa, que vous avez connu, et qui vous aimait bien. Il est enterré là-bas, avec son violon, dans le cimetière qui entoure la petite église, au pied du coteau115 où, tout petits, nous avons tant joué; au bord de cette route où, un peu plus grands, nous nous sommes dit adieu pour la dernière fois.»

Quand il a reçu cette lettre de Christine Daaé, le vicomte de Chagny s'est précipité sur un indicateur de chemin de fer pour prendre le train du matin sur lequel il comptait.

Raoul a passé une journée maussade et ne reprenait goût à la vie116 que vers le soir quand il est installé dans son wagon. Tout le long du voyage117, il relisait la lettre de Christine, il en respirait le parfum; il pensait à ses jeunes ans. Quand il est arrivé, il a interrogé le cocher. Il savait que la veille au soir une jeune femme qui avait l'air d'une Parisienne allait à Perros et est arrêtait à l'auberge du Soleil-Couchant. Ce ne pouvait être que Christine.118 Elle est venue seule. Raoul enfin pouvait, en toute paix, parler à Christine, dans cette solitude. Il l'aimait à en étouffer.119 Ce grand garçon, qui avait fait le tour du monde, était pur comme une vierge qui n'a jamais quitté la maison de sa mère.

Au fur et à mesure120 qu'il se rapprochait d'elle, il se rappelait l'histoire de la petite chanteuse suédoise.

Le père Daaé était un grand musicien. Il jouait du violon et était considéré comme le meilleur ménétrier de toute la Scandinavie. La mère Daaé, impotente, est morte quand Christine avait six ans. Aussitôt le père, qui n'aimait que sa fille et sa musique, a vendu sa terre et s'en est allé chercher la gloire à Upsal. Il n'y trouva que la misère.

Alors, il a retourné dans les campagnes, allant de foire en foire121, raclant ses mélodies scandinaves, son enfant l'accompagnait en chantant. Un jour, à la foire de Limby, le professeur Valérius les a entendus tous deux et les emmena à Gothenburg. Il prétendait que le père était le premier violoneux du monde122 et que sa fille avait le talent d'une grande artiste. On a commencé à lui donner l'éducation et l'instruction.

Ses progrès étaient rapides.

Le professeur Valérius et sa femme ont persuadé le père et la fille de venir s'installer en France. La maman Valérius traitait Christine comme sa fille. À Paris, Daaé ne sortait jamais. Il vivait dans une espèce de rêve qu'il entretenait avec son violon. Il avait la nostalgie de son ciel scandinave.

Le père Daaé reprenait des forces à l'été123, quand toute la famille s'en allait à Perros-Guirec, dans un coin de Bretagne. Il aimait beaucoup la mer de ce pays, lui trouvant, disait-il, la même couleur que là-bas. Il participait aux fêtes de villages avec son violon. Sa fille l'accompagnait toujours. Ils avaient du succès énorme et voyageaient du village au village.

Un jour, un jeune garçon de la ville, qui était avec sa gouvernante, a fait un long chemin, car il voulait écouter la petite fille dont la voix était douce et si pure encore une fois. Ils sont arrivés ainsi au bord d'une crique que l'on appelle encore Trestraou. Ce jour là il y avait un grand vent qui a emporté l'écharpe de Christine dans la mer. Christine a poussé un cri, mais le voile était déjà loin sur les flots. Christine a entendu une voix qui lui disait:

«Ne vous dérangez pas124, mademoiselle, je vais vous ramasser votre écharpe dans la mer.»

Et elle a vu un petit garçon qui courait, qui courait, malgré les cris et les protestations indignées d'une brave dame. Le petit garçon est entré dans la mer tout habillé et lui a rapprorté son écharpe. Le petit garçon et l'écharpe étaient dans un bel état! La dame en noir ne pouvait pas se calmer, mais Christine riait de tout son cœur, et elle a embrassé le petit garçon.

C'était le vicomte Raoul de Chagny. Il habitait, dans le moment, avec sa tante, à Lannion. Pendant la saison, ils se voyaient presque tous les jours et jouaient ensemble. Sur la demande de la tante le bonhomme Daaé a commencé à donner des leçons de violon au jeune vicomte. Ainsi, Raoul a appris à aimer les mêmes airs que ceux qui avaient enchanté l'enfance de Christine.

Ils avaient à peu près la même petite âme rêveuse et calme. Les soirs le père Daaé venait s'asseoir à côté d'eux sur le bord de la route, et leur contait à voix basse, comme s'il craignait de faire peur aux fantômes125 qu'il évoquait, les belles, douces ou terribles légendes du pays du Nord.

«La petite Lotte pensait à tout et ne pensait à rien. Son âme était aussi claire, aussi bleue que son regard. Elle câlinait sa mère, elle était fidèle à sa poupée, avait grand soin de sa robe, de ses souliers rouges et de son violon, mais elle aimait, par-dessus toutes choses, entendre en s'endormant l'Ange de la musique.»

Le père Daaé prétendait que tous les grands musiciens, tous les grands artistes reçoivent au moins une fois dans leur vie la visite de l'Ange de la musique. C'est ainsi qu'il y a de petits génies qui jouent du violon à six ans mieux que des hommes de cinquante. Quelquefois, l'Ange vient beaucoup plus tard, parce que les enfants ne sont pas sages et ne veulent pas apprendre leur méthode et négligent leurs gammes. Quelquefois, l'Ange ne vient jamais, parce qu'on n'a pas le cœur pur ni une conscience tranquille. On ne voit jamais l'Ange, mais on peut l'entendre.

C'est souvent dans les moments tristes et découragés et inattendus. Les personnes qui sont visitées par l'Ange en restent comme enflammées. Et elles ont ce privilège de ne plus pouvoir toucher un instrument ou ouvrir la bouche pour chanter, sans faire entendre des sons qui font honte par leur beauté à tous les autres sons humains. Les gens qui ne savent pas que l'Ange a visité ces personnes disent qu'elles ont du génie.

La petite Christine demandait à son papa s'il avait entendu l'Ange. Mais le père Daaé répondait:

«Toi, mon enfant, tu vas l'entendre un jour! Quand je serai au ciel, je te l'enverrai, je te le promets!126»

Le père Daaé commençait à tousser à cette époque.

L'automne a séparé Raoul et Christine.

Ils se sont rencontrés trois ans plus tard; c'étaient des jeunes gens. Ceci s'est passé à Perros encore et Raoul en a conservé une telle impression qu'elle le poursuivait toute sa vie. Le professeur Valérius était mort, mais la maman Valérius était restée en France. Le jeune homme est venu à tout hasard127 à Perros et, de même, il a pénétré dans la maison habitée autrefois par sa petite amie. Il a vu d'abord le vieillard Daaé, qui l'a embrassé en larmes. De fait, Christine parlait de Raoul chaque jour pendant ces trois années. Elle a reconnu Raoul tout de suite. Une flamme légère est apparue sur son charmant visage. Le papa les regardait tous deux. Raoul s'est approché de la jeune fille et l'a embrassé d'un baiser. Elle a quitté la chambre. Puis elle s'est réfugiée sur un banc dans la solitude du jardin. Elle éprouvait des sentiments très forts pour la première fois128. Raoul est venu la rejoindre et ils bavardaient jusqu'au soir. Ils étaient tout à fait changés. Pour dire “au revoir” Raoul a dit à Christine, en déposant un baiser correct sur sa main tremblante: «Mademoiselle, je ne vous oublierai jamais!» Et il regrattait après cette parole, car il savait bien que Christine Daaé ne pouvait pas être la femme du vicomte de Chagny.

Quant à Christine, elle a retrouvé son père et lui a dit: «Tu ne trouves pas que Raoul n'est plus aussi gentil qu'autrefois? Je ne l'aime plus!» Et elle a essayé de ne plus penser à lui. Elle s'est concentrée sur la musique. Ses progrès devenaient merveilleux. Ceux qui l'écoutaient lui prédisaient qu'elle allait être la première artiste du monde. Mais son père est mort, et elle a semblé avoir perdu avec lui sa voix, son âme et son génie. Elle suivait les classes du Conservatoire sans enthousiasme, mais pour faire plaisir à la vieille maman Valérius129, avec laquelle elle continuait de vivre. La première fois que Raoul a revu Christine à l'Opéra, il a été charmé par la beauté de la jeune fille et par l'évocation des douces images d'autrefois, mais il était plutôt étonné du côté négatif de son art. Elle semblait détachée de tout. Il revenait l'écouter. Il la suivait dans les coulisses. Il l'attendait derrière un portant. Il essayait d'attirer son attention130. Mais elle ne le voyait pas. Elle semblait ne voir personne. C'était l'indifférence qui passait. Raoul en souffrait, car elle était belle; il était timide et n'osait s'avouer à lui-même qu'il l'aimait. Et puis, la soirée de gala: les cieux déchirés, une voix d'ange…

Et puis, et puis, cette voix d'homme derrière la porte: «Il faut m'aimer!» et personne dans la loge…

Pourquoi avait-elle ri quand il lui avait dit: «Je suis le petit enfant qui a ramassé votre écharpe dans la mer»? Pourquoi ne l'avait-elle pas reconnu? Et pourquoi lui avait-elle écrit?

Pendant le temps qu'il marche son cœur bat très fort. La première personne qu'il aperçoit en entrant dans la vieille salle enfumée de l'auberge est la maman Tricard. Elle le reconnaît. Elle lui fait des compliments. Elle lui demande ce qui l'amène. Il rougit. La porte s'ouvre. Il est debout. Il ne s'est pas trompé: c'est elle! Il veut parler, il retombe. Elle reste devant lui souriante, nullement étonnée. Sa figure est fraîche et rose comme une fraise venue à l'ombre. Raoul et Christine se regardent longuement. Enfin Christine parle:

«Vous êtes venu et cela ne m'étonne point. On m'avait annoncé votre arrivée.

– Qui donc?» demande Raoul, en prenant dans ses mains la petite main de Christine.

«Mais, mon pauvre papa qui est mort.»

Il y a eu un silence entre les deux jeunes gens131.

Puis, Raoul reprend:

«Est-ce que votre papa vous a dit que je vous aimais, Christine, et que je ne puis vivre sans vous?»

Christine rougit. Elle dit, la voix tremblante:

«Moi? Vous êtes fou, mon ami.

– Ne riez pas, Christine, c'est très sérieux.

– J'ai vous fait venir ici. J'ai pensé que vous allez vous souvenir des jeux de notre enfance. Au fond, j'ai peut-être eu tort de vous écrire… Votre apparition l'autre soir dans ma loge, m'avait reporté loin dans le passé, et je vous ai écrit comme une petite fille que j'étais alors, qui serait heureuse de revoir, dans un moment de tristesse et de solitude, son petit camarade à côté d'elle… Je vous avais déjà aperçu plusieurs fois dans la loge de votre frère. Et puis aussi sur le plateau.

– Pourquoi avez-vous répondu comme si vous ne me connaissiez point? Il y avait quelqu'un dans cette loge qui vous gênait, Christine! quelqu'un à qui vous ne vouliez point montrer que vous pouviez vous intéresser à une autre personne qu'à lui!..

– Que dites-vous, monsieur?

– Je parle de quelqu'un à qui vous avez dit: «Je ne chante que pour vous! Je vous ai donné mon âme ce soir, et je suis morte!»

– Vous écoutiez donc derrière la porte?

– Oui! parce que je vous aime… Et j'ai tout entendu…

– Vous avez entendu quoi?» Et la jeune fille, redevenue étrangement calme, laisse le bras de Raoul.

«Il vous a dit: Il faut m'aimer!»

À ces mots Christine devient pâle, elle a l'air qu'elle va tomber132.

«Dites! dites encore! dites tout ce que vous avez entendu!»

Elle a commencé à pleurer et est sortie de la salle.

Triste et découragé Raoul est allé à la cimetière qui entourait l'église où Christine avait dit une messe pour le repos de l'âme133 du père Daaé. Il a prié pour Daaé et est allé vers la mer. C'était le soir, mais il ne sentait pas le froid. C'était là, à cette place, qu'il était venu souvent, à la tombée du jour, avec la petite Christine.

Raoul a remarqué un ombre. C'était elle. Christine voulait parler.

«Écoutez-moi, Raoul, j'ai décidé à vous dire quelque chose de grave, de très grave!»

Sa voix tremblait.

«Vous rappelez-vous, Raoul, la légende de l'Ange de la musique? Mon père est au ciel et, comme il avait promis, j'ai reçu la visite de l'Ange de la musique.

– Je n'en doute pas», a répliqué le jeune homme gravement. Il pensait que son amie mêlait le souvenir de son père à l'éclat de son dernier triomphe.

«Il vient dans ma loge et me donne ses leçons quotidiennes.»

«Dans votre loge? a répété Raoul comme un écho stupide.

– Oui, c'est là que je l'ai entendu et je n'ai pas été seule à l'entendre…

– Qui donc l'a entendu encore, Christine?

– Vous, mon ami.

– Moi? j'ai entendu l'Ange de la musique?

– Oui, l'autre soir, c'est lui qui parlait quand vous écoutiez derrière la porte de ma loge. C'est lui qui m'a dit: «Il faut m'aimer.» Mais je croyais bien être la seule à percevoir sa voix.134»

Raoul a commencé à rire.

«Pourquoi riez-vous? Je ne vous reconnais plus. Mais que croyez-vous donc? Si vous aviez ouvert la porte, vous auriez vu qu'il n'y avait personne!135

– C'est vrai! Quand vous avez été partie, j'ai ouvert cette porte et je n'ai trouvé personne dans la loge…

– Vous voyez bien… alors?»

Le vicomte a fait appel à tout son courage136.

«Alors, Christine, je pense qu'on se moque de vous!»

«Laissez-moi! laissez-moi!» a crié-elle et elle a disparu.

Raoul est revenu à l'auberge très découragé et très triste.

On lui a dit que Christine est chez elle, et elle n'allait pas descendre pour dîner. Après le repas Raoul a essayé de lire, puis, il a essayé de dormir. Que faisait Christine? Dormait-elle? Et si elle ne dormait point, à quoi pensait-elle? Et lui, à quoi pensait-il?

Ainsi les heures passaient très lentes; il pouvait être onze heures et demie de la nuit quand il a entendu les pas dans la chambre voisine de la sienne. C'était un pas léger, furtif. Le jeune homme s'est habillé très vite sans faire le moindre bruit137. Où allait Christine à cette heure? Il a ouvert un peu la porte et il a vu la forme blanche de Christine qui glissait dans le corridor et puis elle est sortie de la maison. Raoul est revenu vers la fenêtre.

M. le commissaire Mifroid quelques semaines plus tard, quand le drame de l'Opéra s'est développé, a interrogé le vicomte de Chagny sur les événements de la nuit de Perros, et voici quelques transcriptions du dossier d'enquête.

Demande. – Mlle Daaé ne vous avait pas vu descendre de votre chambre par le singulier chemin que vous aviez choisi?

Réponse. – Non, monsieur, non, non. Elle ne semblait point m'entendre et, de fait, elle agissait comme si je n'avais pas été là. Elle a quitté tranquillement le quai et puis, tout à coup, est remontée rapidement le chemin. L'horloge de l'église venait de sonner minuit moins un quart. Ainsi elle est arrivée à la porte du cimetière.

D. – La porte du cimetière était-elle ouverte?

R. – Oui, monsieur, et cela m'a surpris, mais n'a nullement étonner Mlle Daaé.

D. – Il n'y avait personne dans le cimetière?

R. – Je n'ai personne vu. La nuit était claire.

D. – On ne pouvait pas se cacher derrière les tombes?

R. – Non, monsieur. C'était très beau, très transparent et très froid. Je n'étais jamais allé la nuit dans les cimetières.

D. – Vous êtes superstitieux?

R. – Non, monsieur, je suis croyant.

D. – Dans quel état d'esprit étiez-vous?138

R. – Très sain et très tranquille. J'étais simplement étonné qu'elle ne m'a pas encore entendu marcher derrière elle, car la neige craquait sous mes pas. Mais sans doute elle était tout absorbée par sa pensée. J'ai décidé de ne la point troubler et, quand elle est arrivée à la tombe de son père, je suis resté à quelques pas derrière elle. Elle a commencé de prier. À ce moment, minuit est sonné. Après le douzième coup 'ai vu la jeune fille relever la tête; elle m'a paru en extase et elle a regardé à quelqu'un invisible, l'invisible qui nous jouait de la musique. Et quelle musique! Nous la connaissions déjà! Christine et moi l'avions déjà entendue en notre jeunesse. Mais jamais sur le violon du père Daaé. Je me suis rappelé ce que Christine venait de me dire de l'Ange de la musique. Oh! je me rappelais l'admirable mélodie. C'était la Résurrection de Lazare139, que le père Daaé nous jouait dans ses heures de tristesse et de foi. Daaé avait été enterré avec son violon et, en vérité, mon imagination ne pouvait pas s'arrêter. Mais la musique s'était fini et j'ai retrouvé mes sens. Il m'a semblé entendre du bruit du côté de la tombe.

D. – Ah! ah! vous avez entendu du bruit du côté de la tombe?

R. – Oui, il m'a paru que les têtes de morts ricanaient maintenant et je n'ai pu m'empêcher de frissonner.

D. – Vous n'avez point pensé tout de suite que derrière la tombe pouvait se cacher justement le musicien céleste qui venait de tant vous charmer?

R. – Je ne bougeais point, les yeux fixés vers la tombe, j'ai oublié de suivre Mlle Daaé qui est sortie du cimetière. Une tête de mort a roulé à mes pieds… puis une autre… puis une autre… J'ai vu un ombre qui a pénétré dans l'église. L'ombre avait un manteau. J'ai vu, monsieur le juge, comme je vous vois, une effroyable tête de mort qui regardait sur moi avec un regard où brûlaient les feux de l'enfer. J'ai pensé avoir affaire à Satan lui-même140 et je n'ai plus souvenir de rien jusqu'au moment où je me suis réveillé dans ma petite chambre de l'auberge du Soleil-Couchant.

104.Par les soins de M. Rémy – благодаря Реми
105.à deux pas – в двух шагах
106.Julie ne refuserait pas un baiser à Isidore – Жюли не отказала бы Исидору в поцелуе
107.a distribué une paire de gifles – влепил пару пощечин
108.instruit par l'expérience – наученный опытом
109.Il était plus pâle qu'un mort! – Он был бледен как мертвец!
110.régler le compte – рассчитаться (уволить)
111.qu'il fallait faire un petit tour du côté de la loge n° 5 – стоило наведаться в ложу номер 5
112.Nous les y suivrons bientôt. – Мы вскоре преследуем за ними.
113.en vain – тщетно
114.conduite par un devoir sacré – ведомая священным долгом
115.au pied du coteau – у подножия холма
116.goût à la vie – вкус к жизни
117.Tout le long du voyage – Всю дорогу
118.Ce ne pouvait être que Christine. – Это могла быть только Кристина.
119.Il l'aimait à en étouffer. – Он любил ее до смерти.
120.Au fur et à mesure – По мере
121.de foire en foire – от ярмарки к ярмарке
122.le premier violoneux du monde – лучший в мире скрипач
123.Le père Daaé reprenait des forces à l'été – Отец Даэ набирал силы к лету
124.Ne vous dérangez pas – Не беспокойтесь
125.comme s'il craignait de faire peur aux fantômes – как будто боясь напугать призраками
126.Quand je serai au ciel, je te l'enverrai, je te le promets! Quand je serai au ciel, je te l'enverrai, je te le promets! – Когда я буду на небесах, я отправлю его тебе! Я обещаю!
127.à tout hasard – случайно
128.Elle éprouvait des sentiments très forts pour la première fois – она впервые испытывала такие сильные чувства
129.Elle suivait les classes du Conservatoire sans enthousiasme, mais pour faire plaisir à la vieille maman Valérius – Она посещала занятия в консерватории без энтузиазма, а чтобы сделать приятно Старушке Валериус
130.d'attirer son attention – привлечь ее внимание
131.Il y a eu un silence entre les deux jeunes gens – Между молодыми людьми возникла тишина
132.elle a l'air qu'elle va tomber – кажется она вот вот упадет
133.pour le repos de l'âme – за упокой души
134.Mais je croyais bien être la seule à percevoir sa voix. – Но я думала, что я единственная кто слышит его голос.
135.Si vous aviez ouvert la porte, vous auriez vu qu'il n'y avait personne! – Если бы вы открыли дверь, вы бы увидели, что там никого не было! (conditionnel passé)
136.Le vicomte a fait appel à tout son courage – Виконт призвал все свое мужество
137.sans faire le moindre bruit – без малейшего шума
138.Dans quel état d'esprit étiez-vous? – В каком настроении вы были?
139.la Résurrection de Lazare – «Воскрешение Лазаря» (1897) – 3-я часть оратории итальянского композитора Лоренцо Перози
140.J'ai pensé avoir affaire à Satan lui-même – Я подумал, что имею дело с самим Сатаной

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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
21 августа 2025
Дата написания:
2025
Объем:
170 стр. 1 иллюстрация
ISBN:
978-5-17-155961-8
Адаптация:
Н. Алмазова
Правообладатель:
Издательство АСТ
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