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Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia

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Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia
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PRÉFACE

Il y a environ trois ans, au moment où j'écris ces lignes, comme je sortais à minuit des coulisses de Saint-Charles, le portier du théâtre me remit mystérieusement un billet parfumé qui contenait en pur toscan cette laconique invitation:

«Si vous voulez connaître M. Alexandre Dumas, venez tout de suite souper avec moi.

»C. M.»

Je traversai en courant les rues de Toledo et de Chiaïa, en homme qui flaire une célébrité de premier ordre; je franchis d'un pas léger la porte de l'hôtel Vittoria, et je me disposais à monter rapidement l'escalier, lorsque je m'arrêtai tout à coup, frappé par une réflexion passablement humiliante. Je ne savais pas un mot de la langue de l'auteur de Henri III et de Christine, et, d'un autre côté, je connaissais parfaitement avec quel profond dédain les compatriotes de M. Dumas traitent les langues étrangères, sous prétexte que Napoléon a donné des leçons de français à tout le monde. Un moment je songeai au latin, et je me crus sauvé. Mais mon illusion n'eut pas une longue durée; car je réfléchis à la diversité des prononciations, et je me rappelai avec une effroyable lucidité qu'ayant eu l'honneur, quelques années auparavant, d'être présenté à sir Walter Scott, j'avais eu tant de peine à comprendre son latin, que j'aurais presque mieux aimé qu'il m'eût parlé écossais. Il ne me restait que la pantomime, langue excessivement répandue, mais très-peu commode pour une conversation littéraire. Je dois avouer, à ma grande confusion, que, cette fois, je me trompais complètement sur la valeur philologique de MM. les Français. M. Dumas me serra la main avec cette franche cordialité que tout le monde lui connaît, et me parla en italien tout le reste de la nuit. Nous causâmes musique, voyages, littérature; mon étonnement était au comble. M. Dumas appréciait avec une si profonde connaissance les beautés intimes de nos écrivains les plus éminents, que je ne tardai pas à m'apercevoir que l'illustre dramaturge venait en conquérant nous enlever quelqu'un de nos chefs-d'œuvre, et qu'il préméditait son coup avec tant d'adresse, que personne ne pourrait l'obliger à la restitution.

La traduction des Lettres de Jacopo Ortis prouve que mes prévisions n'ont pas été trompées. M. Dumas a rivalisé dignement avec Foscolo; Ortis lui appartient de tout droit: c'est à la fois une conquête et un héritage.

La nature, qui se répète souvent dans le type des visages humains, produit aussi de temps à autre des âmes qui se ressemblent comme des sœurs; les intelligences jumelles se rapprochent, se devinent, se complètent mutuellement. Alors, le poëte qui est arrivé le dernier dans l'ordre des temps s'inspire de l'œuvre de son devancier; le même sang coule dans ses veines, les mêmes passions gonflent son cœur: c'est la transformation de l'esprit, c'est le magnétisme du génie. Dans ce cas, le traducteur ne reproduit pas; il crée une seconde fois. M. Dumas n'a eu qu'à tendre l'oreille; une voix vibra dans son cœur. Lequel, des deux poëtes, a écrit le premier? C'est une affaire de date. Quant à l'auteur français, pour voir s'il était dans les conditions favorables pour produire une œuvre éminente, nous n'avons qu'à jeter un coup d'œil rapide, nous ne dirons pas sur l'original, mais sur le sujet qu'il a choisi.

La vie de Foscolo est connue plus que ses ouvrages: c'est un immense roman dont les Lettres d'Ortis sont à peine un épisode; c'est une lugubre odyssée dont lui seul, le jeune enthousiaste, aurait pu être à la fois l'Ulysse et l'Homère. Jeté par l'exil sur une terre étrangère, il a acquis la triste célébrité du malheur. Comme Jean-Jacques, comme Byron, comme tous les génies exceptionnels, il n'a fait que reproduire exactement ce qui se passait dans son cœur. Sans cette fièvre dévorante qui leur brûle les lèvres et leur déchire la poitrine, pourquoi ces infortunés sublimes consentiraient-ils à se révéler à la foule? Pour la gloire? Ils la méprisent. Pour l'humanité? Ils la détestent. Leur muse, c'est la douleur; leur chant, c'est un cri de l'âme.

Jamais homme n'a été plus de fois dans sa vie élevé sur l'autel ou jeté dans la poussière. Grec par naissance, Vénitien par adoption, appartenant ainsi aux deux plus nobles et plus malheureuses républiques, un jour il était proclamé le citoyen le plus courageux, le plus indépendant, le plus dévoué; le lendemain, il était persécuté de ville en ville, regardé comme étranger dans son pays natal, traqué comme une bête fauve. Tantôt rayonnant sur une chaire, environné d'élèves frémissants qui applaudissaient à sa fougueuse éloquence, à ses sublimes regrets, à ses sarcasmes envenimés; tantôt dans les enfoncements d'un parc, l'épée ou le pistolet à la main, obligé de rendre laids et risibles à jamais ceux qui avaient osé rire de sa laideur; tour à tour poëte et soldat, offenseur et offensé, il se voyait accueilli avec l'affection la plus sincère, ou repoussé par le dédain le plus accablant. Souvent la bizarrerie du sort le réduisait à un tel degré de misère, qu'il mourait de froid et de faim. Puis tout à coup, et lorsqu'il pouvait le moins s'y attendre, des palais s'élevaient pour lui comme par la baguette d'une fée; des palais royalement magnifiques, avec des cours pavées de marbre et de porphyre, des parois tendues de satin et de velours, des groupes de statues qui représentaient les Grâces. Là, il passait en réalité des nuits d'orgie et d'amour, comme jamais n'en a rêvé l'imagination la plus effrénée, et, le matin, il se réveillait pauvre et nu sur la voie publique, tandis que ses créanciers lui jetaient un regard de mépris du haut de ses terrasses. Dans cette vie de combats, de désordre et de douleur, s'inspirant par caprice, travaillant par boutade sous l'empire de quelque sentiment profond ou de quelque ironie amère, Ugo Foscolo semait sur sa route ses tragédies, Ajax et Ricciardo, ses Commentaires sur les œuvres de Montecuculli, et la Chevelure de Bérénice, son hymne aux Grâces, sa traduction de Sterne, ses études sur Dante et Boccace, le poëme sur les Tombeaux et les Lettres de Jacopo Ortis.

Ceux qui jugent les hommes et les choses légèrement et d'après les apparences n'ont pas craint d'affirmer que Jacopo Ortis n'était qu'une imitation de Werther; mais les critiques allemands ont démontré jusqu'à l'évidence qu'il n'existe aucun rapport réel entre ces deux livres, fruits également dangereux et défendus, qui renferment, sous leur écorce rude et empoisonnée, un baume salutaire, miroirs désenchanteurs dans lesquels l'espèce humaine peut se contempler dans sa difformité hideuse, remèdes extrêmes et violents qui doivent opérer la guérison par effet contraire.

Et cependant, quel abîme entre Gœthe et Foscolo! Quelle ligne de démarcation profonde la destinée n'a-t-elle pas marquée entre le conseiller allemand, admiré par ses compatriotes, fêté par les princes, applaudi par les peuples, riche de gloire, d'honneurs et de fortune, et l'exilé italien, flétri, exaspéré, poussé à bout! Ortis et Werther sont l'expression de deux haines: l'une dorée, vague, instinctive; l'autre réfléchie, implacable, logique. En un mot, Werther doute, Ortis nie; Werther accuse, Ortis souffre.

Pour bien comprendre le roman de Foscolo, et pour en tirer une conclusion sage et morale, il faudrait que l'ouvrage fût précédé par des mémoires sur la jeunesse de l'auteur, et qu'on pût voir par quels degrés cet enfant si candide et si pur s'est plongé dans le plus sombre désespoir; mais le mystère le plus profond a enveloppé jusqu'à présent les premières années de Foscolo, et tous les soupirs de cette âme jeune et ardente, si pleine d'espérance et de foi, sont restés ensevelis dans le cœur d'un camarade d'enfance auquel il avait confié ses rêves d'avenir. Foscolo, à vingt ans, était pauvre mais heureux. Il partageait la chambre modeste et le repas frugal d'un jeune Vénitien qui est devenu un de nos premiers acteurs, et de la bouche duquel nous tenons ces détails. Le dénûment du pauvre Ugo était si complet, qu'on ne pouvait pas dire de ses chemises que l'une attendait l'autre, car elle aurait attendu en vain. Lorsque son unique compagne réclamait les soins de la blanchisseuse, il se jetait dans son lit, et, là, il bénissait Dieu, la nature, la société; il improvisait des vers, il rêvait de gloire, de liberté et d'amour. Il s'était épris pour les chevaux d'une passion frénétique, qui le tourmenta jusqu'au dernier moment de sa vie, et il ne se sentit vraiment heureux que le jour où, ayant recueilli je ne sais quel héritage, il le céda entièrement pour posséder un cheval.

Peu à peu ses illusions disparurent. Sa patrie tomba dans l'avilissement et dans l'esclavage; il fut trahi par les femmes; aucun de ses rêves ne se réalisa. Inquiet, fiévreux, désespéré, il demandait au jeu sa fortune; il déchirait les pages de ses poëmes, donnait une valeur idéale à ces morceaux de papier, et en jetait une poignée sur une carte. Un seul espoir lui restait, comme le dernier rayon du soleil que le mourant cherche de ses yeux hagards: c'était la gloire littéraire à laquelle il avait tout sacrifié, et cette faible lueur d'espérance s'éteignit sous un coup de sifflet.

On donnait Ajax au théâtre de la Scala. Hélas! il ne savait pas, le pauvre Foscolo, que c'est là que les envieux se donnent rendez-vous pour attendre le poëte dans l'ombre et lui enfoncer le poignard dans le cœur. C'est alors que l'on voit dans le parterre des têtes s'agiter; alors, des rires étouffés, des accès de toux convulsive, des bâillements magnétiques se propagent dans la salle, comme le grondement sourd des vagues en tempête. Les ennemis de Foscolo furent fidèles à leur poste; ils saisirent au vol un mot italien qui, dans sa double signification, voulait dire habitants de Salamine ou saucissons, et les rires éclatèrent, et le théâtre s'ébranla: la toile tomba au milieu des huées.

 

C'est la dernière goutte qui fait déborder le vase. L'âme de Foscolo, qui avait passé par tant de tortures, succomba à cette dernière humiliation. Le poëte apostasia. Il croyait à Dieu, mais il le renia pour ne pas l'accuser de tyrannie; il croyait à l'enfer, mais, ne trouvant pas l'abîme assez terrible et assez profond, il s'en creusa un à sa manière: le néant! On voit le malheureux brûler à petit feu toutes ses illusions et toutes ses croyances une à une. Pour se rendre compte de ce lent et affreux suicide de l'âme, on n'a qu'à jeter les yeux sur un sombre et magnifique tableau, pendant du Jugement de Michel-Ange; nous voulons parler des Tombeaux de Foscolo.

Suivons cet homme aux cheveux roux et flottants, aux yeux bleuâtres, aux sourcils épais, au front chargé de désespoir; suivons-le dans sa promenade solitaire au milieu des sépultures entr'ouvertes. Il se sentait à l'étroit sur la terre, il étouffait dans l'atmosphère des vivants; sa vaste poitrine ne peut respirer que l'air des tombeaux. Là, comme il se sent à l'aise! comme il marche d'un pas ferme sur les dalles humides! comme il rafraîchit son front brûlant à la brise sépulcrale! Sur le seuil de la voûte souterraine, il renie la foi des révolutions, il pèse les crânes vides dans le creux de sa main, il sourit d'un rire de mécréant, et s'écrie d'un air hautain et glacial:

«A l'ombre des cyprès et dans les urnes arrosées de larmes, le soleil de la mort est-il moins dur? Lorsque le soleil aura cessé de féconder pour moi, au sein de la terre, la belle famille des herbes et des animaux; lorsque les heures de l'avenir ne danseront plus devant moi, belles et souriantes, et que je n'écouterai plus le vers de l'amitié et la douce harmonie, qui le berce en cadence; lorsque se taira dans mon cœur la voix virginale des Muses et de l'Amour, voix qui soutient ma vie errante, qu'aurai-je, hélas! en échange de mes jours perdus? Une pierre… une pierre qui séparera mes os des os sans nombre que la mort infatigable sème sur terre et sur mer. C'est donc bien vrai! l'Espérance? elle aussi, cette, déesse de la dernière heure, s'enfuit des sépulcres; l'oubli enveloppe de sa nuit profonde toutes les choses créées, et une force irrésistible les roule de mouvement en mouvement; et l'homme et ses tombeaux, et ses traits suprêmes, et les restes de la terre et du ciel, sont métamorphosés par le temps.»

Dans ces vers magnifiques, dont nous ne pouvons donner qu'un bien pâle reflet, le poëte arrache de son âme, d'une main sacrilége, le plus grand sentiment de la raison humaine, l'immortalité. Tout à coup une voix plus douce se fait entendre du fond de son cœur dans cette affreuse agonie; c'est peut-être un soupir de quelque amour oublié:

«L'homme ne vit-il pas même sous la terre, quand l'harmonie du jour sera muette pour lui, s'il peut réveiller de suaves regrets dans le cœur de ses bien-aimés! Oh! c'est une divine correspondance d'amour, c'est une divine faculté des humains, celle qui nous fait vivre avec le trépassé; – et le trépassé vit avec nous, si la terre, qui le nourrissait dans son enfance, lui offrant un dernier asile dans son sein maternel, préserve ses reliques sacrées des insultes de l'orage et du pied profane de la populace; si une pierre garde son nom, et si un arbre console ses cendres de ses ombres bienfaisantes! L'homme qui ne laisse derrière lui aucun héritage d'affections n'a pas de joie dans sa tombe; et si, pendant sa vie obscure, il jette un regard au delà de ses obsèques, il voit errer son âme en peine au milieu des complaintes des temples funéraires, ou s'abriter sous les grandes ailes du pardon de Dieu; mais il lègue sa poussière aux orties d'une grève déserte, où ni femme aimante ne viendra prier, ni passager solitaire n'entendra le soupir que la nature nous envoie du fond du sépulcre.»

Enfin la colère flamboie dans ce cœur ulcéré; la parole de Foscolo tombe comme une malédiction sur la ville prostituée qui refuse une sépulture à Parini, le saint poëte! Puis il élève sa pensée à des jours plus heureux, lorsque les tombeaux étaient les temples des pères et les autels des enfants, et se prosterne devant les monuments de Machiavel, de Galilée et de Michel-Ange:

«Moi, ajoute Foscolo d'une voix creuse, moi, lorsque je vis le tombeau de ce grand homme qui, brisant le sceptre des rois, en arrache les lauriers, et montre aux peuples de quelles larmes et de quel sang il est sillonné; – et le cercueil de celui qui éleva à Rome un nouvel Olympe à la Divinité; – et de celui qui le premier vit tournoyer, sous le pavillon éthéré, plusieurs mondes éclairés par les rayons d'un soleil immobile, et déblaya les voies du firmament à l'Anglais qui devait y déployer ses ailes: «Toi heureuse,» m'écriai-je, «ô Florence! Ton beau ciel est plein d'éclat et de vie; l'Apennin te verse de ses monts ses eaux fraîches et pures; la lune répand sa lumière limpide sur des collines bruyantes; de tes vallées s'élève un parfum de fleurs plus pur que l'encens… Toi heureuse, ô Florence! Tu écoutas la première le chant qui soulagea le courroux du proscrit gibelin; tu donnas les parents et le doux idiome à ce chaste enfant de Calliope qui, couvrant d'un voile candide l'Amour, nu jadis en Grèce et à Rome, le remit au sein de la Vénus céleste. – Mais mille fois plus heureuse, parce que tu renfermes en un seul temple toutes les gloires italiennes, les seules peut-être, depuis que les Alpes, mal gardées, et la toute-puissance des vicissitudes humaines, nous ont ravi armées, richesses, autels, patrie, tout enfin… excepté les souvenirs.»

Dans la nuit sombre de toutes les passions rugissantes, au milieu de tous les écueils auxquels s'est brisée cette âme accablée par la douleur, on ne voit reluire qu'une étoile: l'amour de la patrie. C'est le sentiment qui domine dans les Lettres de Jacopo Ortis, car Foscolo a jeté dans ce livre de prédilection toutes ses sympathies, tous ses regrets, tout son désespoir.

Maintenant, nous n'avons que peu de mots à ajouter sur la traduction de M. Dumas. Il n'y avait en France qu'un seul homme qui pût comprendre et traduire Ortis: c'était l'auteur d'Antony.

Pier-Angelo Fiorentino.
Paris, 1er janvier 1839.

JACQUES ORTIS

Des monts Euganéens, ce 11 octobre 1797.

Le sacrifice de notre patrie est consommé; tout est perdu, et la vie, si toutefois on nous l'accorde, ne nous restera que pour pleurer nos malheurs et notre infamie. Mon nom est sur la liste de proscription, je le sais; mais veux-tu que, pour fuir qui m'opprime, j'aille me livrer à qui m'a trahi? Console ma mère; vaincu par ses larmes, je lui ai obéi, et j'ai quitté Venise, pour me soustraire aux premières persécutions, toujours plus terribles. Mais dois-je abandonner aussi cette ancienne solitude où, sans perdre de vue mon malheureux pays, je puis espérer encore quelques jours de tranquillité? Tu me fais frissonner, Lorenzo; combien y a-t-il donc de malheureux? Et, insensés que nous sommes, c'est dans le sang des Italiens que nous, Italiens, lavons ainsi nos moins. Pour moi, arrive que pourra! puisque j'ai désespéré de ma patrie et de moi-même, j'attends tranquillement la prison et la mort; mon corps, du moins, ne tombera pas entre des bras étrangers, mon nom sera murmuré par le peu d'hommes de bien, compagnons de notre infortune, et mes os reposeront sur la terre de mes ancêtres.

13 octobre.

Je t'en conjure, Lorenzo, n'insiste pas davantage; je suis décidé à ne point m'éloigner de mes montagnes. Il est vrai que j'avais promis à ma mère de me réfugier dans quelque autre pays, mais je n'en ai pas eu le cœur; elle me pardonnera, je l'espère. D'ailleurs, la vie mérite-t-elle d'être conservée, dans l'avilissement et dans l'exil?.. Ah! combien de nos concitoyens gémiront repentants et éloignés de leurs maisons!.. Et pourquoi?.. Que pouvons-nous attendre, si ce n'est l'indigence, le mépris, ou tout au plus cette courte et stérile compassion que les nations barbares offrent à l'étranger fugitif? Mais où chercherai-je un asile? En Italie?.. terre prostituée, toujours prête à subir le joug du vainqueur! et pourrais-je avoir sans cesse devant les yeux ces hommes qui m'ont dépouillé, raillé, vendu, et ne pas pleurer de colère? Dévastateurs des peuples, ils se servent de la liberté comme les papes se servaient des croisades… Oh! que de fois, désespérant de me venger, j'ai voulu m'enfoncer un couteau dans le cœur, pour verser tout mon sang au milieu des derniers gémissements de ma patrie!

Et ces autres!.. ils ont mis à prix notre servitude;… ils ont racheté au poids de l'or ce qu'ils avaient stupidement et lâchement perdu par les armes… Tiens, Lorenzo, je ressemble à un de ces malheureux qui, tombés en léthargie, ont été enterrés vivants; et qui tout à coup, revenant à eux, se trouvent au milieu des ténèbres et des ossements, certains de vivre, mais désespérant de revoir jamais la douce lumière de la vie, et contraints de mourir au milieu des blasphèmes et de la faim!.. Eh! pourquoi nous laisser entrevoir et toucher la liberté, pour nous la retirer ensuite, et d'une manière aussi infâme?..

16 octobre.

Pour le moment, n'en parlons plus: la bourrasque paraît calmée. Si le péril revient, je tâcherai de m'y soustraire par tous les moyens possibles: du reste, je vis tranquille, tranquille autant que je puis l'être… Je ne vois personne au monde, et je suis toujours errant par la campagne; mais, à te dire le vrai, je pense et je me ronge… Envoie-moi quelques livres.

Que fait Laurette?.. Pauvre enfant! je l'ai laissée hors d'elle-même… Belle et jeune encore, elle a pourtant déjà l'esprit malade et le cœur malheureux. Je n'ai jamais eu d'amour pour elle; mais, soit compassion, soit reconnaissance de ce qu'elle m'avait choisi pour la consoler et pour verser son âme, ses erreurs et ses peines dans mon sein… Je crois vraiment que j'en aurais fait volontiers la compagne de toute ma vie; le sort ne l'a point voulu… Peut-être est-ce pour notre bonheur à tous deux… Elle aimait Eugène, et il est mort entre ses bras. Son père et ses frères ont été forcés de s'expatrier… Et, maintenant, cette pauvre famille, privée de tout secours humain, vit… Dieu sait comment… de larmes. O liberté! voilà encore de tes victimes… Sais-tu, Lorenzo, qu'en t'écrivant je pleure comme un enfant?.. Hélas! j'ai presque toujours vécu avec des misérables, et le peu de fois que j'ai rencontré un homme de bien, j'ai eu à pleurer sur lui… Adieu! adieu!..

18 octobre.

Michel m'a remis Plutarque, et je t'en remercie; il m'a dit que, par une autre occasion, tu m'enverrais quelque autre livre; pour le moment, je n'en ai pas besoin. Avec le divin Plutarque, je pourrai me consoler des crimes et des malheurs de l'humanité en tournant les yeux sur cette petite quantité d'hommes illustres qui, comme les élus du genre humain, ont survécu à tant de siècles et à tant de nations. Je crains bien cependant qu'en les dépouillant de leur magnificence historique et du voile respectueux qui couvre l'antiquité, je n'aie décidément à me louer ni des anciens, ni des modernes, ni de moi-même plus que des autres… Race humaine!

23 octobre.

S'il m'est permis d'espérer la paix, je l'ai trouvée, Lorenzo. Le curé, le médecin et tous les obscurs mortels de ce petit coin de terre, jusqu'aux enfants, me connaissent et m'aiment: ils m'entourent, aussitôt qu'ils me voient paraître, comme une bête sauvage, mais noble et généreuse, qu'ils voudraient apprivoiser; quant à présent, je les laisse faire… je n'ai pas eu assez à me louer des hommes, pour m'y fier ainsi au premier abord… Mais c'est que mener la vie d'un tyran qui frémit et tremble d'être frappé à chaque minute, c'est agoniser dans une mort lente et ignominieuse. Souvent, à midi, je m'assieds au milieu d'eux, sous le platane de l'église, et je leur lis la vie de Lycurgue ou de Timoléon; dimanche dernier, ils s'étaient rassemblés en foule autour de moi, et, quoiqu'ils ne comprissent pas parfaitement ce que je leur lisais, ils m'écoutaient debout et la bouche béante; je crois que le désir de savoir et de redire l'histoire des temps passés est fils de notre amour-propre, qui voudrait se faire illusion sur la durée de la vie en l'unissant aux choses et aux hommes qui ne sont plus, et en les rendant pour ainsi dire notre propriété; l'imagination se complaît à posséder un autre univers et à s'élancer dans l'espace des siècles; avec quelle passion un vieux laboureur me racontait, ce matin, l'histoire des curés qu'il avait connus dans sa jeunesse, les ravages d'une tempête arrivée il y a trente-sept ans, les dates des temps d'abondance et de disette, s'interrompant à tout moment, reprenant son récit pour s'interrompre de nouveau, en accusant sa mémoire d'infidélité! C'est ainsi que je parviens à oublier que j'existe encore.

 

M. T***, que tu as connu à Padoue, est venu me voir; il m'a dit que souvent tu lui avais parlé de moi, et qu'il en était encore question dans la dernière lettre que tu lui as écrite avant-hier. Il s'est aussi retiré à la campagne pour éviter les premières fureurs du peuple, quoique, à te dire le vrai, je croie qu'il ne s'est pas beaucoup mêlé des affaires publiques. J'avais entendu parler de lui comme d'un homme d'un esprit cultivé et d'une probité suprême, qualités qu'on redoutait autrefois, mais qu'aujourd'hui l'on ne possède point impunément. Il a les manières affables, la physionomie ouverte, et parle avec le cœur. Il était accompagné d'un individu que je crois le fiancé de sa fille; c'est peut-être un brave et bon jeune homme; mais sa figure ne dit pas grand'chose. – Bonne nuit.

24 octobre.

Je viens enfin, d'attraper par le collet le mauvais petit garnement qui dévastait notre jardin, en rompant et brisant tout ce qu'il ne pouvait voler; j'étais sous une treille et lui sur un pêcher dont il s'amusait gaiement à casser les branches encore vertes; pour les fruits, il n'y en avait plus. A peine s'est-il vu entre mes mains, qu'il s'est mis à crier miséricorde, et qu'il m'avoua que, depuis plusieurs semaines, il faisait ce misérable métier parce que le frère du jardinier avait, quelques mois auparavant, soustrait un sac de fèves à son père.

– Tes parents, lui dis-je, t'encouragent donc à voler?

– Eh! monsieur, me répondit-il, tous les hommes n'en font-ils pas autant?

Je le laissai aller, et, pendant que, pour s'éloigner de moi, il sautait précipitamment une haie, je m'écriai:

– Voilà la société en miniature, tous les hommes en font autant.

26 octobre

Je l'ai vue, Lorenzo, la divine jeune fille, je l'ai vue, et je t'en remercie. Je la trouvai assise et occupée à faire son propre portrait; elle se leva comme si elle me connaissait, et ordonna à un domestique d'aller chercher son père.

– Il ne pensait pas, me dit-elle, que vous viendriez sitôt; il sera dans la campagne, mais il ne tardera point à revenir.

Dans ce moment, une petite fille accourut entre ses genoux et lui dit à l'oreille quelques mots que je ne pus entendre.

– C'est un ami de Lorenzo, lui répondit Thérèse: celui que papa alla voir avant-hier.

Sur ces entrefaites, M. T*** rentra; il m'accueillit avec bonté et me remercia de m'être souvenu de lui. Thérèse alors prit sa petite sœur par la main, et se retira avec elle.

– Vous voyez, me dit M. T*** en me montrant ses enfants qui quittaient la chambre, nous voici tous!..

Il prononça ces mots comme s'il avait voulu me faire sentir que sa femme manquait: il ne la nomma point cependant. Après avoir causé quelque temps, je me levai pour sortir; alors, Thérèse rentra.

– Nous sommes voisins, me dit-elle en souriant, et j'espère que vous viendrez quelquefois passer vos soirées avec nous.

Je revins chez moi le cœur tout en fête. Je crois que le spectacle de la beauté suffit pour adoucir chez nous, pauvres hommes, toutes les douleurs; un nouvel avenir s'est ouvert devant moi; tu peux y voir une source de bonheur… et, qui sait?.. peut-être d'infortunes!.. Mais qu'importe, ne suis-je pas prédestiné à avoir l'âme dans une éternelle tempête? et n'est-ce pas toujours la même chose?

28 octobre.

Tais-toi, tais-toi! il y a des jours où je ne puis me fier à moi-même; un démon me brûle, m'agite et me dévore… Peut-être présumé-je trop de moi, mais il me semble que ma patrie ne peut demeurer ainsi opprimée, tant qu'il y restera un homme… Que faisons-nous donc ainsi à vivre et à nous plaindre!.. En somme, Lorenzo, ne me parle pas davantage de nos malheurs… Chacune de tes phrases semble me reprocher mon apathie, et tu ne t'aperçois pas que tu me fais souffrir mille martyres… Oh! si le tyran était seul, ou les esclaves moins stupides!.. ma main suffirait; mais ceux qui m'accusent aujourd'hui de faiblesse m'accuseraient alors de crime, et le sage lui-même pleurerait sur moi en prenant la résolution d'une âme forte pour la fureur d'un insensé; d'ailleurs, que veux-tu entreprendre contre deux nations puissantes, ennemies jurées éternelles, et qui ne se réunissent que pour nous garrotter? aveuglées, l'une par l'enthousiasme de la liberté, l'autre par le fanatisme de la religion; et nous, encore tout froissés de notre ancienne servitude et de notre nouvelle anarchie, nous gémissons, vils esclaves, trahis, mourants de faim, sans pouvoir être tirés de notre léthargie ni par la trahison, ni par la famine. Oh! si je pouvais anéantir ma maison, ce que j'ai de plus cher et moi-même, pour ne laisser aucun vestige de leur puissance et de mon esclavage… Eh! n'y eut-il pas des peuples qui, pour ne point subir le joug des Romains, ces voleurs du monde, livrèrent aux flammes leurs maisons, leurs femmes, leurs enfants, et eux-mêmes enfin, ensevelissant sous d'immenses ruines les cendres de leur patrie et leur sainte indépendance!

1er novembre.

Je suis bien, Lorenzo, bien comme un malade qui dort et cesse pour un instant de sentir ses douleurs. Je passe des journées entières chez M. T***, qui m'aime comme son fils; je me laisse aller à l'illusion, et l'apparente félicité de cette famille me semble réelle et mienne: si du moins ce n'était pas à ce mari que Thérèse fût destinée! je ne hais personne au monde; mais il y a des hommes que je ne puis voir que de loin. Son beau-père m'en faisait hier un éloge en forme de recommandation. Il était bon, exact, patient, me disait-il. Quoi! rien autre chose? Et, possédât-il ces qualités avec une angélique perfection, si son cœur est mort, et, si cette face magistrale n'est jamais animée par le sourire de l'allégresse, ni par le doux silence de la pitié, il me fera toujours l'effet d'un rosier sans fleurs, qui cependant laisse craindre les épines. Voilà l'homme: si tu l'abandones à la seule raison froide et méthodique, il devient scélérat, et scélérat bassement… Du reste, Odouard sait un peu de musique, joue bien aux échecs, mange, lit, dort, se promène, et tout cela la montre à la main; sa voix ne s'anime jamais que pour me parler de sa bibliothèque, riche et choisie; mais, quand il va sans cesse me répétant, avec sa voix de docteur, riche et choisie, je suis toujours prêt à lui donner un démenti formel. Je crois, Lorenzo, qu'il serait facile de réduire à un millier de volumes au plus toutes les folies humaines, qui, chez tous les peuples et dans tous les siècles, ont été écrites et imprimées sous le nom de science et de doctrine, et je ne vois pas que l'amour-propre des hommes aurait encore trop à se plaindre… Voilà, je crois, assez de dissertations.

En attendant, j'ai entrepris l'éducation de la sœur de Thérèse; je lui apprends à lire et à écrire. Lorsque je suis avec elle, ma figure s'épanouit, mon cœur devient plus gai que jamais, et je fais mille folies: je ne sais pourquoi tous les enfants m'aiment. Il est vrai aussi que cette petite est charmante; ses longs cheveux frisés retombent en boucles dorées sur ses épaules; ses yeux sont de la couleur du plus beau ciel; ses joues blanches, fraîches, potelées, ressemblent à deux roses; enfin, on dirait une Grâce de quatre ans. Si tu la voyais accourir au-devant de moi, grimper sur mes genoux, me fuir pour être poursuivie, me refuser un baiser, puis tout à coup appuyer ses petites lèvres sur les miennes!.. Aujourd'hui, j'étais monté sur un arbre pour lui cueillir des fruits; cette chère petite créature me tendait les bras et me priait en grâce de ne point me laisser tomber.

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