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La corde au cou
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Émile Gaboriau
LA CORDE AU COU

PREMIÈRE PARTIE Le feu du Valpinson

Du reste, voici les faits:


1. Dans la nuit du 22 au 23 juin 1871, vers une heure, le faubourg de Paris

Dans la nuit du 22 au 23 juin 1871, vers une heure, le faubourg de Paris, qui est le principal et le plus populeux faubourg de la jolie ville de Sauveterre, fut mis enémoi par le galop frénétique d'un cheval sonnant sur les pavés pointus.

Quantité de bourgeois se précipitèrent à leurs fenêtres. Ils ne virent dans la nuit sombre qu'un paysan en bras de chemise et la tête nue, talonnant et bâtonnant furieusement une grosse jument blanche qu'il montait à cru.

Ce paysan, après avoir longé le faubourg, prit à droite la rue Nationale – rue Impériale jadis —, traversa la place du Marché-Neuf, tourna la rue Mautrec et s'arrêta court devant la belle maison qui fait l'angle de la rue du Château. C'est là qu'habite le maire de Sauveterre, M. Séneschal, ancien avoué, membre du conseil général.

Ayant mis pied à terre, le campagnard empoigna la sonnette et se mit à la secouer si violemment, qu'à l'instant toute la maison fut debout. La minute d'après, un gros et gras domestique, les yeux encore chargés de sommeil, venait ouvrir, et d'un accent irrité s'écriait tout d'abord:

– Quiêtes-vous, l'homme? Que voulez-vous? Avez-vous bu un coup de trop? Ignorez-vous chez qui vous cassez les sonnettes?

– Je veux parler à monsieur le maire, répondit le paysan, à l'instant même, réveillez-le…

M. Séneschalétait tout réveillé. Drapé dans une ample robe de chambre de molleton gris, un bougeoir à la main, inquiet et dissimulant mal son inquiétude, il venait d'apparaître dans le vestibule et avait entendu.

– Le voilà, le maire, prononça-t-il du ton le plus mécontent. Que lui voulez-vous à cette heure où tous les honnêtes gens sont couchés?

Écartant le domestique, le paysan s'avança, et sans la moindre formule de politesse:

– Je viens, répondit-il, vous dire de nous envoyer les pompiers.

– Les pompiers!

– Oui, tout de suite, dépêchez-vous! Le maire hochait la tête.

– Hum!… faisait-il, ce quiétait chez lui la manifestation d'une vive perplexité, hum! hum!

Et qui n'eûtété perplexe à sa place!

Pour réunir les pompiers, faire battre la généraleétait indispensable; or, en pleine nuit, faire battre la générale, c'était mettre la ville sens dessus dessous, c'était faire bondir d'épouvante dans leur lit les braves Sauveterriens, qui ne l'avaient que trop entendue, depuis un an, cette lugubre batterie, lors de l'invasion prussienne et ensuite pendant la Commune. Aussi:

– S'agit-il d'un incendie sérieux? demanda M. Séneschal.

– Sérieux! s'écria le paysan; comment ne le serait-il pas, par le vent qu'il fait; un vent à décorner les bœufs!

– Hum! fit encore le maire, hum! hum! C'est que ce n'était pas la première fois, depuis qu'il administrait Sauveterre, qu'ilétait ainsi réveillé par un campagnard venant crier sous ses fenêtres: «Au secours! au feu!…»

À ses débuts, saisi de compassion, il se hâtait de réunir les pompiers, il se mettait à leur tête et on courait au lieu du sinistre. Et quand on arrivait, essoufflé, suant, après cinq ou six kilomètres franchis au pas de course, on trouvait quoi? Quelque méchant pailler valant bien dixécus, achevant de se consumer. On s'était dérangé pour rien.

Les paysans des environs avaient si souvent crié au loup, quand il y en avait à peine l'ombre, que le loup venant pour tout de bon, on devait hésiter à les croire.

– Voyons, reprit M. Séneschal, qu'est-ce qui brûle, en définitive?…

En présence de tant de délais, le paysan mordait de rage le manche de son fouet.

– Faut-il donc que je vous répète, interrompit-il, que tout est en feu, que tout flambe: granges, métairies, récoltes, maisons, château, tout!… Si vous tardez encore, vous ne trouverez plus pierre sur pierre du Valpinson.

L'effet de ce nom fut prodigieux.

– Quoi! demanda le maire d'une voixétranglée, c'est au Valpinson qu'est le feu?

– Oui.

– Chez le comte de Claudieuse?

– Comme de juste, pardi!

– Imbécile! que ne le disiez-vous immédiatement! s'écria le maire. (Il n'hésitait plus.) Vite, dit-ilà son domestique, viens me donner de quoi m'habiller… C'est- à-dire, non! Madame m'aidera, car il n'y a pas une seconde à perdre. Toi, tu vas courir chez Bolton, tu sais, le tambour, et tu lui commanderas de ma part de battre la générale, à l'instant, partout. Tu passeras ensuite chez le capitaine Parenteau, tu lui expliqueras ce qui en est et tu le prieras de prendre la clef des pompes à la mairie, chez le concierge. Attends!… Cela fait, tu reviendras ici, atteler… Le feu au Valpinson!… J'accompagnerai les pompiers!… Allons, cours, frappe aux portes, crie au feu! On se réunira place du Marché-Neuf!…

Et le domestique s'étantéloigné de toute la vitesse de ses jambes:

– Quant à vous, mon brave, reprit M. Séneschal en s'adressant au paysan, enfourchez votre bête et allez rassurer monsieur de Claudieuse, qu'on ne perde pas courage, qu'on redouble d'efforts, les secours arrivent.

Mais le paysan ne bougeait pas.

– Avant de retourner au Valpinson, dit-il, j'ai encore une commission à faire en ville.

– Hein! vous dites?…

– Il faut que j'aille chercher, pour le ramener avec moi, monsieur Seignebos, le médecin…

– Le docteur! Y a-t-il donc quelqu'un de blessé?

– Oui, le maître, monsieur de Claudieuse.

– L'imprudent! Il se sera jeté au danger, selon son habitude…

– Oh, non! C'est qu'il a reçu deux coups de fusil.

Peu s'en fallut que le maire de Sauveterre ne laissâtéchapper son bougeoir.

– Deux coups de fusil! s'écria-t-il. Où? Quand? Comment? De qui?

– Ah! je ne sais pas.

– Cependant…

– Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on l'a porté dans une petite grange, où le feu n'était pas encore. C'est là que je l'ai vu, étendu sur une botte de paille, blanc comme un linge, les yeux fermés et tout couvert de sang.

– Mon Dieu! serait-il donc mort?

– Il ne l'était pas quand je suis parti.

– Et la comtesse?

– La dame de Claudieuse, répondit le paysan, avec un accent marqué de vénération, était dans la grange, agenouillée près de monsieur le comte, lavant ses blessures avec de l'eau fraîche. Les deux petites demoisellesétaient là aussi…

M. Séneschal frissonnait.

– Un crime aurait doncété commis, murmura-t-il.

– Pour cela, oui, sûrement.

– Par qui? Dans quel but?

– Ah! voilà!…

– Monsieur de Claudieuse est très emporté, c'est vrai, très violent, mais c'est le meilleur et le plus juste des hommes, tout le monde le sait.

– Tout le monde.

– Il n'a jamais fait que du bien dans le pays.

– Personne n'oserait dire le contraire.

– Quant à la comtesse…

– Oh! fit vivement le paysan, c'est la sainte des saintes.

Le maire essayait de conclure.

– Le coupable, poursuivit-il, serait donc unétranger. Nous sommes infestés de vagabonds, de mendiants de passage. Il n'est pas de jour qu'il ne se présente à la mairie, pour demander des secours de route, des hommes à figure patibulaire.

De la tête, le paysan approuvait.

– C'est bien mon idée, dit-il. Et la preuve, c'est qu'en venant je songeais qu'après avoir averti le médecin, je ferais peut-être bien de prévenir la justice…

– Inutile! interrompit M. Séneschal, c'est un soin qui me regarde. Avant dix minutes je serai chez le procureur de la République… Allons, ne ménagez pas votre cheval, et dites bien à madame de Claudieuse que nous vous suivons.

De sa vie administrative, le maire de Sauveterre n'avaitété si rudement secoué. Il en perdait la tête, ni plus ni moins que ce fameux jour où il luiétait tombé à l'improviste neuf cents mobiles à nourrir et à loger. Jamais, sans l'assistance de sa femme, il n'en eût fini de se vêtir. Pourtant, ilétait prêt lorsque son domestique reparut.

Ce brave garçon s'était acquitté de toutes ses commissions, et déjà, dans le lointain de la haute ville, retentissaient les roulements sourds de la générale.

– Maintenant, attelle, lui dit M. Séneschal. Que la voiture soit devant la maison quand je reviendrai.

Dehors, il trouva tout en rumeur. À chaque fenêtre, une tête s'allongeait, curieuse ou terrifiée. De tous côtés, des portes brusquement refermées claquaient.

Pourvu, mon Dieu! pensait-il, que je trouve Daubigeon chez lui.

Successivement procureur impérial, puis procureur de la République, M. Daubigeonétait un des grands amis de M. Séneschal. C'était un homme d'une quarantaine d'années, au regard fin, au visage souriant, qui s'était obstiné à rester célibataire et qui s'en vantait volontiers. On ne lui trouvait à Sauveterre ni le caractère ni l'extérieur de sa sévère profession. Certes, on l'estimait fort, mais on lui reprochait amèrement sa philosophie optimiste, sa bonhomie souriante et surtout sa mollesse à requérir, une mollesse qui, disait-on, dégénérait en une coupable inertie dont le crime s'enhardissait.

Lui-même s'accusait de n'avoir pas le feu sacré, et, selon son expression, de dérober à la froide Thémis le plus de temps qu'il pouvait, pour le consacrer aux Muses familières. Collectionneuréclairé, il avait la passion des beaux livres, deséditions rares, des reliures précieuses, des belles suites de gravures, et le plus clair de ses dix mille francs de rentes passait à ses chers bouquins. Érudit de la vieilleécole, il professait pour les poètes latins, pour Virgile et pour Juvénal, pour Horace surtout, un culte que trahissaient d'incessantes citations.

Réveillé en sursaut comme tout le monde, ce digne et galant homme se dépêchait de s'habiller pour courir aux renseignements, lorsque sa vieille gouvernante, tout effarée, vint lui annoncer la visite de M. Séneschal.

 

– Qu'il entre! s'écria-t-il, qu'il entre! Et dès que le maire parut:

– Car vous allez m'apprendre, continua-t-il, pourquoi tout ce tumulte, ces cris et ces roulements de tambour. Clamor que virum, clangorque tubarum.

– Unépouvantable malheur arrive, prononça M. Séneschal.

Telétait son accent, qu'on eût juré que c'était lui quiétait atteint. Et ce fut si bien l'impression de M. Daubigeon que tout aussitôt:

– Qu'est-ce, mon cher ami? fit-il. Quid? Du courage, morbleu! du sang-froid!… Souvenez-vous que le poète conseille de garder dans l'adversité uneâme toujourségale: Æquam, memento, rebus in arduis, Servare mentem…

– Des malfaiteurs ont mis le feu au Valpinson! l'interrompit le maire.

– Que me dites-vous là! grands dieux! O Jupiter. Quod verbum audio…

– Victime d'une lâche tentative d'assassinat, le comte de Claudieuse se meurt peut-être en ce moment.

– Oh!…

– Le tambour que vous entendez réunit les pompiers, que je vais envoyer combattre l'incendie, et si je me présente chez vous à cette heure, c'est officiellement, pour vous dénoncer le crime et demander bonne et prompte justice!

Il n'en fallait pas tant pour glacer toutes les citations sur les lèvres du procureur de la République.

– Il suffit! dit-il vivement. Venez, nous allons prendre nos mesures pour que les coupables ne puissentéchapper.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la rue Nationale, elleétait plus animée qu'en plein midi, car Sauveterre est une de ces sous-préfectures où les distractions sont trop rares pour qu'on n'y saisisse pas avidement tout prétexte d'émotion.

Déjà les tristesévénementsétaient connus et commentés. On avait commencé par douter, mais on avaitété sûr, lorsqu'on avait vu passer au grand galop le cabriolet du docteur Seignebos, escorté d'un paysan à cheval.

Les pompiers, de leur côté, n'avaient pas perdu leur temps.

Dès que le maire et M. Daubigeon furent signalés sur la place du Marché-Neuf, le capitaine Parenteau se précipita à leur rencontre, et portant militairement la main à son casque:

– Mes hommes sont prêts, déclara-t-il.

– Tous?

– Il n'en manque pas dix. Quand on a su qu'il s'agissait de porter secours au comte et à la comtesse de Claudieuse, nom d'un tonnerre! vous comprenez que personne ne s'est fait tirer l'oreille.

– Alors, partez et faites diligence, commanda M. Séneschal. Nous vous rattraperons en route. Nous allons, de ce pas, monsieur Daubigeon et moi, prendre monsieur Galpin-Daveline, le juge d'instruction.

Ils n'eurent pas loin à aller. Ce juge, précisément, les cherchait par la ville depuis une demi-heure, il arrivait sur la place et venait de les apercevoir.

Vivant contraste du procureur de la République, M. Galpin-Davelineétait bien l'homme de sonétat, et même quelque chose de plus. Tout en lui, de la tête aux pieds, depuis ses guêtres de drap jusqu'à ses favoris d'un blond risqué, dénonçait le magistrat. Il n'était pas grave, ilétait l'incarnation de la gravité. Nul, bien qu'il fût jeune encore, ne se pouvait flatter de l'avoir vu sourire ni entendu plaisanter. Et, telleétait sa roideur, qu'au dire de M. Daubigeon, on l'eût cru empalé par le glaive même de la loi.

À Sauveterre, M. Galpin-Daveline avait la réputation d'un homme supérieur. Il pensait l'être. Aussi s'indignait-il d'opérer sur un théâtre tropétroit et de dépenser les grandes facultés dont il se croyait doué à des besognes vulgaires, à rechercher les auteurs d'un vol de fagots ou de l'effraction d'un poulailler. C'est que ses démarches désespérées pour obtenir un poste enévidence avaient toujourséchoué. Vainement, il avait mis tous ses amis en campagne. Inutilement, il s'était, en secret, mêlé de politique, disposé à servir le parti, quel qu'il fût, qui le servirait le mieux.

Mais l'ambition de M. Galpin-Daveline n'était pas de celles qui se découragent, et en ces derniers temps, à la suite d'un voyage à Paris, il avait donné à entendre qu'un brillant mariage ne tarderait pas à lui assurer les protections qui, jusqu'alors, avaient manqué à ses mérites.

Lorsqu'il rejoignit M. Séneschal et M. Daubigeon:

– Eh bien! commença-t-il, voici une terrible affaire, et qui va certainement avoir un immense retentissement.

Le maire voulait lui donner des détails.

– Inutile, lui dit-il. Tout ce que vous savez, je le sais. J'ai rencontré et interrogé le paysan qui vous avaitété expédié. (Puis, se retournant vers le procureur de la République): Je pense, monsieur, poursuivit-il, que notre devoir est de nous transporter immédiatement sur le théâtre du crime.

– J'allais vous le proposer, répondit M. Daubigeon.

– Il faudrait avertir la gendarmerie…

– Monsieur Séneschal vient de la faire prévenir. L'agitation du juge d'instructionétait grande, si grande qu'elle faisait en quelque sorteéclater sonécorce d'impassible froideur.

– Il y a flagrant délit, reprit-il.

– Évidemment.

– De telle sorte que nous pouvons agir de concert, et parallèlement, chacun selon notre fonction, vous requérant, moi statuant sur vos réquisitions…

Un ironique sourire glissait sur les lèvres du procureur de la République.

– Vous devez assez me connaître, répondit-il, pour savoir qu'il n'y a jamais avec moi de conflit d'attributions; je ne suis plus qu'un vieux bonhomme, ami du repos et de l'étude. Sum piger et senior, Pieridumque cornes…

– Alors, rien ne nous retient plus! s'écria M. Séneschal, qui bouillait d'impatience, ma voiture est attelée! Partons!

2. De Sauveterre au Valpinson, par la traverse, on ne compte qu'une lieue…

De Sauveterre au Valpinson, par la traverse, on ne compte qu'une lieue; seulement c'est une lieue de pays, elle a sept kilomètres.

Mais M. Séneschal avait un bon cheval, le meilleur peut-être de l'arrondissement, affirmait-il, en montant en voiture, à M. Galpin-Daveline et à M. Daubigeon. Le fait est qu'en moins de dix minutes ils eurent rejoint les pompiers, partis bien avant eux.

Ces braves gens, presque tous maîtres ouvriers de Sauveterre, maçons, charpentiers et couvreurs, se hâtaient cependant de toute leurénergie. Éclairés par une demi-douzaine de torches fumeuses, ils allaient, peinant et soufflant, le long du chemin raboteux, poussant leurs deux pompes et le chariot qui contenait le matériel de sauvetage.

– Courage, mes amis! leur cria le maire en les dépassant. Bon courage!

À trois minutes de là, galopant dans la nuit du train d'un cavalier de ballade, un paysan à cheval apparut sur la route.

M. Daubigeon lui commanda de s'arrêter. Il obéit. C'était le même homme qui déjàétait venu à Sauveterre donner l'alarme.

– Vous revenez du Valpinson? lui demanda M. Séneschal.

– Oui, répondit le paysan.

– Comment va le comte de Claudieuse?

– Il a repris connaissance.

– Qu'a dit le médecin?

– Qu'il s'en tirera probablement. Et moi je cours chez le pharmacien chercher des remèdes.

Pour mieux entendre, M. Galpin-Daveline, le juge d'instruction, se penchait hors de la voiture.

– La rumeur publique accuse-t-elle quelqu'un? demanda-t-il.

– Personne.

– Et l'incendie?

– On a de l'eau, répondit le paysan, mais pas de pompes, que voulez-vous qu'on fasse!… Et le vent qui redouble!… Ah! quel malheur, quel malheur!

Et il piqua des deux, pendant que M. Séneschal rouait de coups son pauvre cheval, lequel, sous ce traitement extraordinaire, loin d'avancer plus vite, se cabrait et faisait des bonds de côté.

C'est que l'excellent maireétait exaspéré. C'est que ce crime lui paraissait comme un défi à son adresse et la plus cruelle injure qu'on pût faire à son administration.

– Car, enfin, répétait-il pour la dixième fois à ses compagnons de route, est-il naturel, je vous le demande, est-il logique qu'un malfaiteur soit allé s'adresser précisément au comte et à la comtesse de Claudieuse, à l'homme le plus considérable et le plus considéré de l'arrondissement, à une femme dont le nom est synonyme de vertu et de charité?

Et intarissable, malgré les cahots de la voiture, M. Séneschal racontait tout ce qu'il savait de l'histoire des propriétaires du Valpinson.

Le comte Trivulce de Claudieuseétait le dernier descendant d'une des plus vieilles familles du pays. À seize ans, vers 1832, il s'était embarqué en qualité d'enseigne de vaisseau, et pendant de longues années il n'avait fait à Sauveterre que de rares et de brèves apparitions. Ilétait capitaine de vaisseau en 1859, et désigné pour l'épaulette de contre-amiral, lorsque tout à coup il avait donné sa démission etétait venu s'installer au château de Valpinson, lequel ne gardait plus, de ses antiques splendeurs, que deux tourelles tombant en ruine au milieu d'énormes amas de pierres noircies et moussues. Deux années durant, il y avait vécu seul, se ré édifiant tant bien que mal un logis, et, des bribeséparses de la fortune de ses ancêtres, se reconstituant, à force de soin et d'activité, une modeste aisance.

On pensait bien qu'il finirait ses jours ainsi, lorsque le bruit s'était répandu qu'il allait se marier. Et le bruit, chose rare, était vrai. M. de Claudieuse, un beau matin, était parti pour Paris, et par les lettres de faire-part quiétaient arrivées peu après, on avait appris qu'il venait d'épouser la fille d'un de ses anciens camarades de promotion, Mlle Geneviève de Tassar de Bruc.

L'étonnement avaitété grand. Le comte avait tout à fait grand air etétait encore remarquablement bien de sa personne; mais il venait d'avoir quarante-sept ans, et Mlle de Tassar de Bruc en avait à peine vingt. Ah! si la nouvelle mariée eûtété pauvre, on eût compris et même approuvé le mariage. Il est si naturel qu'une fille sans dot sacrifie son cœur à la question du pain quotidien. Mais tel n'était pas le cas. Le marquis de Tassar de Bruc passait pour riche et avait, disait-on, compté à son gendre cinquante milleécus.

Alors, on s'était imaginé que la jeune comtesse devaitêtre laide à faire peur, infirme ou contrefaite pour le moins, idiote peut-être ou d'un caractère impossible. Erreur. Elleétait apparue, et onétait demeuré saisi de sa noble et calme beauté. Elle avait parlé, et chacunétait resté sous le charme. Ce mariageétait-il donc, comme on dit à Sauveterre, un mariage d'inclination? On le crut. Ce qui n'empêcha pas quantité de vieilles dames de hocher la tête et de déclarer que vingt-sept ans, c'est trop entre deuxépoux, et que cette union ne serait pas heureuse.

Les faits n'avaient pas tardé à démentir ces sombres pronostics. À dix lieues à la ronde, il n'existait pas de ménage aussi parfaitement uni que celui de M. et Mme de Claudieuse, et deux enfants, deux filles, qu'ils avaient eues à quatre ans d'intervalle, devaient avoir, pour toujours, fixé le bonheur à leur paisible foyer.

De son ancienne profession, de ce temps où il administrait les possessions lointaines de la France, le comte avait, il est vrai, gardé ses habitudes hautaines de commandement, une attitude sévère et froide, une parole brève. Ilétait, de plus, d'une si extrême violence que la plus légère contradiction empourprait son visage. Mais la comtesseétait le calme et la douceur mêmes, et comme elle savait toujours se jeter entre la colère de son mari et celui qui se l'était attirée, comme ilsétaient l'un et l'autre justes, bons jusqu'à la faiblesse, généreux et pitoyables aux malheureux, ilsétaient adorés.

Il n'y avait guère que sur l'article chasse que M. de Claudieuse n'entendait pas raison. Chasseur passionné, il veillait toute l'année sur son gibier avec la sollicitude inquiète d'un avare, multipliant les gardes et les défenses, poursuivant les braconniers avec un tel acharnement qu'on disait: «Mieux vaut lui voler cent pistoles que lui tuer un merle.»

M. et Mme de Claudieuse vivaient d'ailleurs assez isolés, absorbés par les soins d'une vaste exploitation agricole et par l'éducation de leurs filles. Ils recevaient rarement, et on ne les voyait pas quatre fois par hiver à Sauveterre, chez les demoiselles de Lavarande ou chez le vieux baron de Chandoré. Tous lesétés, par exemple, vers la fin de juillet, ils s'installaient, pour un mois, à Royan, où ils avaient un chalet. Tous les ans, également, à l'ouverture de la chasse, la comtesse allait, avec ses filles, passer quelques semaines près de ses parents qui habitaient Paris.

Pour bouleverser cette paisible existence, il ne fallut pas moins que les catastrophes de 1870. En apprenant que les Prussiens vainqueurs foulaient le sol sacré de la patrie, l'ancien capitaine de vaisseau sentit se réveiller en lui tous ses instincts de Français et de soldat. Quoi qu'on pût faire pour le retenir, il partit. Légitimiste obstiné, il se déclarait prêt à mourir pour la République, pourvu que la France fût sauvée. Sans l'ombre d'une hésitation, il offrit sonépée à Gambetta, qu'il détestait. Nommé colonel d'un régiment de marche, il se battit comme un lion, depuis le premier jour jusqu'au dernier, où il fut renversé et foulé aux pieds en essayant d'arrêter l'affreuse débandade d'un des corps d'armée de Chanzy.

 

Revenu au Valpinson à la signature de l'armistice, personne, hormis sa femme, n'avait pu lui arracher un mot de cette douloureuse campagne. On l'engageait à se présenter auxélections, et certainement il eûtété élu; il refusa, disant que s'il savait se battre, il ne savait pas discourir.

Mais c'est d'une oreille distraite que le procureur de la République et le juge d'instructionécoutaient ces détails, qu'ils connaissaient aussi bien que M. Séneschal.

Aussi tout à coup:

– N'avançons-nous donc pas? demanda M. Galpin-Daveline; j'ai beau regarder, je n'aperçois aucune apparence d'incendie.

– C'est que nous sommes dans un bas-fond, répondit le maire. Mais nous approchons, et lorsque nous serons en haut de cette côte que nous gravissons, soyez tranquille, vous verrez…

Cette côte est bien connue dans le département, et même célèbre sous le nom de montagne de Sauveterre. Elle est si raide et formée d'un granit si dur que les ingénieurs qui ont tracé la route nationale de Bordeaux à Nantes se sont détournés d'une demi-lieue pour l'éviter. Elle domine donc tout le pays, et, parvenus à son sommet, M. Séneschal et ses compagnons ne purent retenir un cri.

– Horresco! murmura le procureur de la République.

Le foyer même de l'incendie leurétait encore caché par les hautes futaies de Rochepommier, mais les jets de flamme s'élançaient bien au-dessus des grands arbres, illuminant tout l'horizon de sinistres lueurs…

Toute la campagneétait en mouvement. Le tocsin sonnait à coups précipités à l'église de Bréchy, dont le clocher tronqué se détachait en noir sur la pourpre du ciel. Dans l'ombre, retentissaient les rauques mugissements de ces conques marines dont on se sert pour appeler les ouvriers des champs. Des pas effarés sonnaient le long des sentiers, et des paysans passaient en courant, un seau de chaque main.

– Les secours arriveront trop tard! dit M. Galpin-Daveline.

– Une si belle propriété, dit le maire, si savamment aménagée!

Et, au risque d'un accident, il lança son cheval au galop sur le revers de la côte, car le Valpinson est tout au fond de la vallée, à cinq cents mètres de la petite rivière.

Tout yétait terreur, désordre, confusion. Et pourtant les bras n'y manquaient pas, ni la bonne volonté. Aux premiers cris d'alarme, tous les gens des environsétaient accourus, et il en arrivait encore à chaque minute, mais personne ne se trouvait là pour diriger.

Le sauvetage du mobilier surtout les préoccupait. Les plus hardis tenaient bon dans les appartements et, en proie à une sorte de vertige, jetaient par les fenêtres tout ce qui leur tombait sous la main. Et dans le milieu de la cour, s'amoncelaient pêle-mêle les lits, les matelas, les chaises, le linge, les livres, les vêtements…

Cependant une immense clameur salua l'arrivée de M. Séneschal et de ses compagnons.

– Voilà monsieur le maire! s'écriaient les paysans, rassurés par sa seule présence et prêts à lui obéir.

M. Séneschal, du reste, jugea bien d'un coup d'œil la situation.

– Oui, c'est moi, mes amis, dit-il, et je vous félicite de votre empressement, il s'agit, à cette heure, de ne pas gaspiller nos forces. La ferme, les chais et les bâtiments d'exploitation sont perdus, abandonnons-les. Concentrons nos efforts sur le château… Organisons-nous! La rivière est tout proche, formons la chaîne. Tout le monde à la chaîne, hommes et femmes!… Et de l'eau, de l'eau… voilà les pompes.

On les entendait, en effet, rouler comme un tonnerre. Les pompiers parurent. Le capitaine Parenteau prit la direction des secours. Et, enfin, M. Séneschal put s'informer du comte de Claudieuse.

– Le maître est là, lui répondit une vieille femme en montrant, à cent pas, une maisonnette à toit de chaume, c'est le médecin qui l'y a fait transporter.

– Allons le voir, messieurs, dit vivement le maire au procureur de la République et au juge d'instruction.

Mais ils s'arrêtèrent au seuil de l'unique pièce de cette pauvre demeure. C'était une grande chambre, au sol de terre battue, aux solives noircies et toutes chargées d'outils et de paquets de graines. Deux lits à colonnes torses et à rideaux de serge jaunâtre, deux bons grands lits de Saintonge, occupaient tout le fond. Sur celui de gauche, une petite fille de quatre à cinq ans dormait, roulée dans une couverture, sous la garde de sa sœur, de deux ou trois ans plusâgée. Sur le lit de droite, le comte de Claudieuseétaitétendu, ou plutôt assis, car on avait entassé sous ses reins tout ce qu'on avait pu arracher d'oreillers à l'incendie.

Il avait le torse nu et ruisselant de sang, et un homme, le docteur Seignebos, en bras de chemise et les manches retroussées jusqu'au coude, s'inclinait vers lui et, uneéponge d'une main, un bistouri de l'autre, semblait absorbé par quelque grave et délicate opération. Vêtue d'une robe de mousseline claire, la comtesse de Claudieuseétait debout au pied du lit de son mari, pâle, mais sublime de calme et de fermeté résignée. Elle tenait une lampe et en dirigeait la lumière selon les indications du docteur. Dans un coin, deux servantesétaient assises sur un coffre et, leur tablier relevé sur la tête, pleuraient.

Singulièrementému, le maire de Sauveterre prit enfin sur lui d'entrer. Ce fut le comte de Claudieuse qui le premier l'aperçut:

– Eh! c'est ce brave Séneschal! dit-il. Approchez, cher ami, approchez!… L'année 1871, vous le voyez, est une année fatale. De tout ce que je possédais, il ne restera plus, au jour, que quelques pelletées de cendres…

– C'est un grand malheur, répondit le digne maire, mais nous en avons craint un bien plus irréparable… Dieu merci, vous vivrez…

– Qui sait! Je souffre terriblement…

Mme de Claudieuse tressaillit.

– Trivulce! murmura-t-elle d'une voix doucement suppliante, Trivulce!

Jamais amant n'arrêta sur l'amie de sonâme un regard plus tendre que celui dont M. de Claudieuse enveloppa sa femme.

– Pardonne-moi, chère Geneviève, pardonne-moi mon manque de courage…

Un spasme nerveux lui coupa la parole, et tout aussitôt, d'une voixéclatante comme une trompette:

– Monsieur! s'écria-t-il, docteur! Tonnerre du ciel!… Vous m'écorchez!

– J'ai là du chloroforme, prononça froidement le médecin.

– Je n'en veux pas!

– Résignez-vous alors à souffrir… Et tenez-vous tranquille, car chacun de vos mouvements augmente la souffrance. (Sur quoi, épongeant un filet de sang qui venait de jaillir sous son bistouri): Du reste, ajouta-t-il, nous allons prendre quelques minutes de repos. Mes yeux et ma main se fatiguent… Je ne suis plus jeune, décidément.

Le docteur Seignebos avait soixante ans. C'était un petit homme au teint bilieux, maigre, chauve, d'une tenue plus que négligée, et porteur d'une paire de lunettes d'or qu'il passait sa vie à retirer, à essuyer et à remettre.

Sa réputation médicaleétait grande, on citait de lui, à Sauveterre, des cures merveilleuses; cependant il n'avait que peu d'amis. Les ouvriers lui reprochaient sa morgue dédaigneuse, les paysans sonâpreté au gain, et les bourgeois ses opinions politiques.

On rapporte qu'un soir, dans un banquet, il s'étaitécrié en levant son verre: «Je bois à la mémoire du seul médecin dont j'envie la pure et noble gloire: à la mémoire de mon compatriote le docteur Guillotin, de Saintes!»Avait-il vraiment porté ce toast? Le positif, c'est qu'il se posait en démocrate farouche, et qu'ilétait l'âme et l'oracle des petits conciliabules socialistes des environs. Ilétonnait quand il entamait le chapitre des réformes qu'il rêvait et des progrès qu'il concevait. Et il faisait frémir par le don dont il parlait de «porter le fer et le feu jusqu'au fond des entrailles pourries de la société».

Ces opinions, des théories utilitaires souventétranges, certaines expériences plusétranges encore qu'il poursuivait au su et vu de tous, avaient fait douter parfois de l'intégrité de l'intellect du docteur Seignebos. Les plus bienveillants disaient: «C'est un original.»

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