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Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples

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On connaît le résultat. Il est réellement foudroyant. Le public suit la terrible partie avec une émotion qui augmente à chaque tableau. Ce spectacle tout physique le prend aux nerfs et au sang, le secoue comme sous les décharges successives d'une machine électrique. Une fois engagé dans l'engrenage de cet art purement mécanique, s'il a livré le bout du doigt au prologue, il faut qu'il laisse le corps entier au dernier acte. La langue étrange que parlent les personnages, les situations stupéfiantes de fausseté et de drôlerie, rien n'importe plus. On assiste à la pièce, comme on lit un de ces romans-feuilletons dont les péripéties vous empoignent et vous brisent, à ce point qu'on ne peut s'en arracher, même lorsqu'on en sent toute l'imbécillité.

Mais qu'arrive-t-il quand on a terminé la lecture d'une telle oeuvre? On jette le roman, dégoûté et furieux contre soi-même. Quoi! on a pu perdre son temps dans cette fièvre de curiosité malsaine! On s'essuie la face comme un joueur qui s'échappe d'un tripot. Et, au théâtre, la sensation est la même. Interrogez le public qui sort, par exemple, d'une représentation de la Tour de Nesle. Sans doute, la soirée a été remplie, et tout ce monde s'est passionné. Mais, au fond de chacun, il y a un grand vide, de la lassitude et de la répugnance. Les plus grossiers sentent un malaise, comme après une partie de cartes trop prolongée. Rien n'a parlé à l'intelligence, aucun document nouveau n'a été fourni sur la nature et sur l'humanité.

J'ai appelé cet art un art mécanique. Je ne saurais le définir plus exactement. Tout y est ramené à la confection d'une machine, dont les pièces s'emboîtent d'une façon mathématique. Le chef-d'oeuvre du genre sera le drame où les personnages, réduits à l'état de rouages, n'auront plus en eux aucune humanité et garderont le seul mouvement qui conviendra à la poussée de l'ensemble. Ils ne parleront plus, ils lanceront uniquement le mot nécessaire. Ils seront là, non pour vivre, mais pour résumer des situations. On les aplatira, on les allongera, on fera d'eux du zinc ou de la chair à pâté, selon les besoins. Et les gens du métier s'extasient. Quelle facture! quelle entente du théâtre! quel génie!

Vraiment, il faudrait s'entendre. Cet enthousiasme pour un art très inférieur en somme me paraît malsain. Certes, je ne songe pas à nier la puissance toute physique du mélodrame romantique. Mais vouloir faire de cette formule la formule de notre théâtre national, dire d'une façon absolue: «Le théâtre est là,» c'est pousser un peu loin l'amour de la mécanique dramatique. Non, certes, le théâtre n'est pas là: il est où sont Eschyle, Shakespeare, Corneille et Molière, dans les larges et vivantes peintures de l'humanité. On ne veut pas comprendre que nous pataugeons aujourd'hui dans la boue des intrigues compliquées. Notre théâtre se relèvera le jour où l'analyse reprendra sa large place, où le personnage, au lieu d'être écrasé et de disparaître sous les faits, dominera l'action et la mènera.

Quel critique dramatique oserait dire à un débutant: «Lisez la Tour du Nesle», lorsqu'il peut lui dire: «Lisez Tartufe, lisez Hamlet.» Ce qui m'irrite, c'est cette passion du succès brutal et immédiat, c'est cette odieuse cuisine qui cache jusqu'à la vue des chefs-d'oeuvre. On fait du théâtre une simple affaire de poncifs, lorsque les littératures des peuples sont là pour témoigner qu'il n'y a pas d'absolu dans l'art dramatique et que le talent peut tout y inventer. Chaque fois qu'on voudra vous enfermer dans un code en déclarant: «Ceci est du théâtre, ceci n'est pas du théâtre,» répondez carrément: «Le théâtre n'existe pas, il y a des théâtres, et je cherche le mien.»

Mais je trouve surtout, dans la Tour de Nesle, de bien curieuses remarques à faire au sujet de la moralité de la pièce. Vous savez quel rôle on fait jouer aujourd'hui à la moralité. Il faut qu'un drame soit moral, sans quoi il est foudroyé par les critiques vertueux. Or, il y a, dans la Tour de Nesle, le plus incroyable entassement d'infamies qu'on puisse rêver. Cela atteint presque à l'horreur des tragédies grecques. Je ne parle pas de ce passe-temps que prend une reine de France, à noyer tous les matins ses amants d'une nuit. Simple peccadille, lorsque l'on songe que la reine en question a fait assassiner son père et s'oublie dans les bras de ses fils. Eh bien! toutes ces abominations sont parfaitement tolérées par le public. C'est à peine si les critiques réactionnaires osent réclamer, pour le principe.

Habileté suprême du génie, disent les enthousiastes. Il fallait MM. Dumas et Gaillardet pour déguiser ainsi l'ordure. Vraiment! J'imagine, moi, que le bois dont ils ont fabriqué leurs bonshommes, les a singulièrement servis en cette affaire. Comment voulez-vous qu'on se fâche contre des pantins? Il est trop visible que ce ne sont pas là des êtres vivants, mais de purs mannequins allant et venant au gré des combinaisons scéniques. Le mouvement n'est pas la vie. Puis, toute cette histoire reste dans la légende. Au fond, il s'agit d'un conte pareil à celui du Petit Poucet, et personne ne s'est jamais avisé de trouver l'ogre immoral. Marguerite de Bourgogne, se vautrant dans le meurtre et la débauche, fait simplement son métier de monstre en carton. Elle peut épouvanter une minute l'imagination des spectateurs; mais, dès qu'elle est rentrée dans la coulisse, elle n'est plus, elle n'a même pas la réalité d'une fiction logiquement déduite.

Voilà ce qui explique pourquoi les horreurs des drames romantiques ne blessent personne: c'est qu'on ne sent pas l'humanité engagée dans l'affaire, tellement les coquins et les coquines y sont hors de toute réalité. Si MM. Dumas et Gaillardet avaient mis debout une Marguerite de Bourgogne en chair et en os, au lieu de cette étrange reine de France qui court si drôlement le guilledou, vous entendriez les protestations indignées de la salle. J'ose même dire que plus ils ont chargé cette figure de crimes, et plus ils l'ont rendue acceptable. Au delà d'une certaine limite, lorsqu'il entre dans la fable, le mal est un plaisir dont la foule se régale. Mettez une bourgeoise qui trompe son mari un peu crûment, le public se fâchera, parce qu'il sentira que cela est vrai.

Un hasard a voulu que la Comédie-Française eût repris le Chandelier, juste une semaine avant la reprise de la Tour de Nesle. Eh bien! l'adorable comédie d'Alfred de Musset a été froidement écoulée. Cela est un fait, et la critique, pour l'expliquer, a dû s'en prendre à la nouvelle distribution. On a trouvé Clavaroche insupportable de brutalité et de fatuité soldatesques. Fortunio a paru sournois et vicieux. Quant à Jacqueline, elle est sûrement une gredine de la pire espèce; elle se donne sans amour, elle se prête à un jeu cruel et finit par changer d'amant comme on change de chemise. Quels personnages! quelles moeurs!

Ah! vraiment, c'est à faire saigner le coeur des honnêtes écrivains, ce public froid et scandalisé, qui affecte de ne pas comprendre! Quoi de plus profondément humain que cette histoire, dont on trouverait les éléments dans notre vieille et franche littérature! Une femme qui trompe son mari, qui abrite ses amours derrière la tendresse tremblante d'un petit clerc, et qui est vaincue à la fin par tant de jeunesse, de dévouement et de désespoir: n'est-ce pas le drame de la passion elle-même, avec une fraîcheur de printemps exquise? Musset n'a jamais été plus railleur ni plus tendre; il a touché là le fond des coeurs. Son oeuvre a le frisson de la vie, le charme d'une analyse de poète. Chaque scène ouvre un monde. On ne sort pas du théâtre l'âme et la tête vides, car on emporte un coin d'humanité avec soi, sur lequel on peut rêver indéfiniment.

Mais je n'ai point à louer le Chandelier. Je désire seulement poser côte à côte Marguerite de Bourgogne et Jacqueline. Auprès de la reine parricide et incestueuse, mettez la bourgeoise qui trompe simplement son mari, et demandez-vous pourquoi la seconde révolte une salle, tandis que la première fait le régal du public. C'est que Jacqueline n'est pas en carton, c'est qu'elle est la femme tout entière. On la sent vivre dans ses froides coquetteries, dans la façon dont elle joue de son mari, surtout dans cet éclat de passion qui l'anime et la transfigure au dénouement. Elle vit: dès lors, elle est indécente. Voilà ce que je voulais démontrer.

Que la Tour de Nesle reste dans notre musée dramatique, comme l'expression curieuse de l'art d'une époque, je l'accorde volontiers. Mais que l'on dise aux jeunes auteurs: «Faites-nous des Tour de Nesle,» c'est ce que je me permets de trouver très fâcheux. Certes, il n'est pas un écrivain qui ne préférerait avoir fait le Chandelier. Cette comédie peut manquer complètement de mécanique dramatique, elle n'en a pas moins l'éternelle jeunesse; elle vivra toujours, aussi fraîche, lorsque la Tour de Nesle sera, depuis longtemps, mangée par la poussière des cartons. A quoi sert donc la fameuse mécanique, que l'on prétend si faussement indispensable, puisqu'elle ne peut pas faire vivre une pièce et qu'une pièce peut vivre sans elle? Le théâtre est libre.

IV

On tolère toujours une reprise; si certaines scènes ont vieilli, si l'on est blessé par de monstrueuses invraisemblances, si l'on s'ennuie, on en est quitte pour dire: «Dame! la pièce date de trente ans, il faut tenir compte des époques et accepter les modes du temps passé.» On en arrive, en faisant ainsi la part des engouements d'autrefois, à supporter des choses qu'on refuserait violemment aujourd'hui. Pour une pièce nouvelle, on se montre impitoyable; elle intéresse ou elle n'intéresse pas; personne ne lui fait crédit, et l'indifférence se produit tout de suite autour d'elle, si elle ne passionne pas le public.

Voilà pourquoi le théâtre de la Porte-Saint-Martin, dont les traditions sont d'exploiter le drame historique, se trouve réduit à vivre de reprises. Les quelques drames historiques qu'il a essayé de donner ont échoué. Les auteurs eux-mêmes me paraissent pris de peur; ils sentent que le goût du public n'est plus là, ils n'ont aucune envie de perdre leur temps et de risquer encore une chute. Alors, pour ne pas mentir à son enseigne, pour vivre d'ailleurs et boucher des trous qu'il ne sait comment combler, le théâtre est bien forcé de fouiller les vieux cartons et de tirer quelques recettes des grands succès d'autrefois. Les chefs-d'oeuvre du genre reparaissent ainsi périodiquement. On n'a pas inventé une formule neuve de drame, on vivote comme on peut avec les vieux habits et les vieux galons du répertoire romantique. Telle est la situation exacte, et je crois que personne ne peut me démentir. Seulement, on ne semble pas s'apercevoir d'une chose, c'est qu'on achève de tuer le genre historique, tel que Dumas et ses collaborateurs l'ont créé, en faisant de la sorte servir leurs drames à boucher des trous. Ces drames passent à l'état d'oeuvres classiques, d'oeuvres mortes, puisqu'elles restent des types dont on ne peut plus tirer des copies. Les reprises, d'ailleurs, ne sauraient être éternelles. Après les Trois Mousquetaires, la Reine Margot; après la Reine Margot, le Chevalier de Maison-Rouge. Je consens à ce que toute la série y passe, mais ensuite on ne recommencera sans doute pas. Il faut que notre génération produise. Quand on aura usé toutes les anciennes pièces, quand on aura compris que le cadre en est démodé et que décidément le public n'en veut plus, l'heure arrivera enfin où tout le monde sentira la nécessité d'une nouvelle forme de drame. C'est cette heure-là qui ne saurait tarder à sonner, selon moi.

 

Je ne dis pas autre chose depuis longtemps. J'estime que la défense d'une idée juste suffit à la bonne volonté d'un homme. On me prête je ne sais quelles théories révolutionnaires en art, qui, en tous cas, seraient des théories purement personnelles. Depuis que je vais assidûment dans les théâtres, je constate qu'il y règne un grand malaise, que les directeurs, les auteurs, le public lui-même sont inquiets et ne savent ce qu'ils veulent; je me persuade de plus en plus que, les anciennes formules ayant fait leur temps, il serait bon de trouver un nouveau drame au plus vite. C'est ce que je répète chaque jour, rien déplus. Maintenant, personnellement, je vois l'avenir dans l'école naturaliste; selon moi, pour de nombreuses raisons, le mouvement scientifique du siècle doit fatalement gagner les planches. Mais c'est là une opinion particulière que je défends à mes risques et périls. Le théâtre réclame une évolution littéraire, voilà une vérité indiscutable. Maintenant, que cette évolution se produise dans n'importe quel sens, si elle se produit puissamment, elle me passionnera.

La Reine Margot, que le théâtre de la Porte Saint-Martin vient de reprendre, ne me fera pas regretter, je l'avoue, le genre dit historique. Le sens de ces grandes machines me manque décidément. Certes, je suis très sensible à l'ampleur du cadre, je trouve excellente cette coupure du drame en douze ou treize tableaux; cela permet de multiplier les décors, de promener l'action partout, de donner de la vie et de la mobilité à l'oeuvre. Mais quel étrange emploi d'un cadre aussi vaste! Il semble que les auteurs n'aient profité de l'élargissement du cadre que pour y élargir des mensonges. Un grand opéra serre à coup sûr la vérité de plus près.

Que voulez-vous? l'illusion ne se produit pas pour moi, et dès lors je ne puis goûter aucun plaisir. Il m'est impossible d'empêcher ma raison de fonctionner. Dans les endroits les plus pathétiques, ce sont des réflexions, des révoltes du bon sens, qui me gâtent absolument les meilleures scènes. Pourquoi tel personnage fait-il cela? pourquoi tel autre dit-il ceci? c'est ridicule, c'est puéril, et le reste. Je passe les soirées, dans mon fauteuil, à couver de grosses colères, lorsque naturellement je ne demanderais pas mieux que de m'amuser en digne bourgeois. Une scène vraie arrive-t-elle, je suis pris tout entier, et je sens bien que la salle est prise comme moi. La vérité est donc la grande force au théâtre, la seule force qui impose l'illusion complète, qui donne à l'art dramatique l'intensité, du réel. Et je ne demande pas autre chose, je demande à ce qu'on me prenne tout entier, sans laisser à ma raison le loisir de critiquer en moi mon émotion, à mesure qu'elle voudrait naître. Toute la théorie du théâtre est là.

La Reine Margot est d'un art absolument inférieur. J'y vois une exhibition, un carnaval historique, pas davantage; cela pourrait très bien se jouer dans une baraque de foire, si la baraque avait les dimensions convenables. Mais, ceci posé, il est évident que l'oeuvre a été fabriquée par des mains habiles, qu'elle contient même quelques scènes puissantes, où l'on reconnaît la griffe d'Alexandre Dumas, cet inépuisable conteur d'une invention si extraordinaire. Je vais tâcher d'indiquer ce qui me plaît et ce qui me déplaît.

J'ai beaucoup entendu vanter l'exposition, la rencontre de Coconnas et de La Mole, le soir même de la Saint-Barthélemy, leur combat, la fuite de La Mole jusque dans la chambre de la reine Marguerite, enfin le roi Charles IX tirant un coup d'arquebuse par une des fenêtres du Louvre. C'est une course, un piétinement, une bousculade à travers trois tableaux. Beaucoup de bruit, des cortèges, des coups de fusil, du mouvement à coup sûr, mais de la vie, pas le moins du monde! Il ne faut pas confondre la vie avec le mouvement. Je suis certain qu'un simple tableau, largement conçu, poserait beaucoup mieux la Saint-Barthélemy que ce tourbillon de gens qui se précipitent, sans que nous ayons le temps de faire connaissance avec eux. Il y a simplement là un intérêt de bruit, une enfilade de scènes destinées à agir sur le gros public. C'est l'art des tréteaux, avec les ressources de la mise en scène moderne.

Je ne parle pas de la vérité. Une des choses qui m'ont le plus stupéfié, ç'a été de voir une troupe de gardes, les gardes de la duchesse de Nevers, passer par la chambre à coucher de la reine de Navarre. La duchesse traverse la chambre, il est vrai; mais est-il acceptable que les gardes la traversent aussi? Je me demande encore ce que ces gardes font là. Une chose bien étrange aussi, c'est la façon dont le roi tire sur le peuple. Il dirige d'abord son arme sur Henri de Navarre, puis reculant pour ne pas céder à une pensée criminelle, il s'écrie: «Il faut pourtant que je tue quelqu'un!» Et il tire par la fenêtre. Remarquez que le Charles IX du drame est un personnage sympathique; les auteurs ne lui ont donné que cet accès de férocité, pour utiliser la légende: c'est un placage visible, d'un effet qui consterne. Le pis est qu'on charge si fortement l'arquebuse, afin d'émouvoir la salle sans doute, que le roi a l'air de tirer un coup de canon.

La partie la plus puissante du drame est l'empoisonnement de Charles IX, à l'aide d'un livre de chasse, dont Catherine de Médicis a trempé les pages dans une solution d'arsenic et qu'elle destinait à Henri de Navarre. La fatalité vengeresse veut que la mère tue ainsi son propre fils. Ajoutez que le duc d'Alençon, le frère du roi, surprenant celui-ci en train de s'empoisonner, en mouillant son doigt afin de tourner les pages, le laisse tranquillement continuer, jugeant l'occasion bonne pour monter sur le trône. Une famille intéressante, vraiment! A ce propos, je faisais une réflexion. Pourquoi, au théâtre, permet-on tous les crimes dans les familles royales? Le théâtre classique nous montre les rois grecs s'égorgeant entre eux avec la plus belle facilité du monde. Les drames romantiques abusent aussi des rois chenapans. Dans les drames bourgeois, au contraire, les trop gros crimes indignent la salle. Sans doute, il faut porter couronne pour être un gredin à son aise.

Je ne parle toujours pas de vérité. Rien n'est plus comique, au fond, que ce roi empoisonné qui se promène encore dans une demi-douzaine de tableaux, avec des accès de coliques de temps à autre. Il finit par savoir qu'il a de l'arsenic dans le corps, et René, un savant médecin, lui ayant dit qu'il n'y avait rien à faire, il ne fait rien pour lutter contre la mort. Cela est inacceptable, l'arsenic est un poison que l'on combat parfaitement. J'ai été obsédé par cette idée pendant toute la deuxième partie du drame: «Mais pourquoi Charles IX n'est-il pas dans son lit?» C'est un souci vulgaire, une préoccupation bourgeoise, je le sais; mais je ne puis rien contre les habitudes de mon esprit. Lisez donc Madame Bovary, voyez comment on meurt par l'arsenic, vous me direz ensuite si Charles IX n'est pas très drôle. Non seulement aucun des symptômes n'est observé, mais encore il est impossible que le roi ne se mette pas entre les mains des médecins, en leur disant de tenter quand même la guérison.

Les personnages de Coconnas et de La Mole, qui ont fait autrefois le succès du drame, sont des silhouettes enluminées de tons vifs pour les spectateurs peu lettrés. D'ailleurs, la partie purement romanesque tient fort peu de place, et l'on regrette l'histoire, cette Marguerite si belle, que tout son siècle a adorée. Comme elle est réduite là-dedans à un rôle de poupée vulgaire! Elle, la savante, la spirituelle, l'amoureuse, c'est à peine si elle est un rouage dans cette machine dramatique. Tout se rapetisse et s'aplatit. On dirait un théâtre mécanique. Le plus grand défaut de ces vastes pièces populaires, découpées dans des romans, c'est de réduire ainsi les personnages les plus importants à des emplois d'utilités; il ne reste guère que de la figuration; toute la chair de l'oeuvre s'en va pour ne laisser voir que la carcasse. D'autre part, on ne comprend plus que difficilement, on doit sans cesse suppléer à ce que les héros n'ont pas le temps de nous dire.

Le succès de la Reine Margot a été très vif autrefois, et il est possible que la reprise soit fructueuse. Sans doute, pour goûter une oeuvre pareille il faut une naïveté d'impressions que je n'ai plus. Si je pouvais retrouver mes seize ans, mes durs commencements de jeune homme, et reprendre une place en haut, à une des galeries, je serais sans doute moins sévère. Mais trop d'études ont passé sur moi, trop d'analyse et trop d'observation, pour que je puisse me plaire à une oeuvre qui m'ennuie par sa puérilité et qui me fâche par ses mensonges. Je suis même d'avis que, si le peuple s'amuse à un pareil spectacle, on devrait l'en sevrer, car il ne peut qu'y fausser son jugement et y désapprendre notre histoire nationale.

V

La reprise du Bâtard, à la Porte-Saint-Martin, vient de remettre pour un instant en lumière la figure d'Alfred Touroude. Il paraissait bien oublié; la mort, en une seule année, l'avait pris tout entier, et il a fallu le chômage des grosses chaleurs, l'embarras des critiques qui ne savent comment emplir leurs articles, pour ressusciter cet auteur dramatique déjà couché dans le néant.

La mort d'Alfred Touroude a été un deuil pour ses amis. Mais l'art n'avait déjà plus à pleurer en lui, malgré sa jeunesse, un talent dans la fleur de ses promesses. Il est peu d'exemples d'une carrière si courte et si bornée. Acclamé à ses débuts, il avait prouvé son impuissance, dès sa troisième ou quatrième pièce. Il décourageait ceux qui espéraient en son tempérament, il montrait de plus en plus l'impossibilité radicale où il était de mettre debout une oeuvre littéraire. Chaque nouveau pas était une chute. Quand il est mort, à moins d'un de ces prodiges de souplesse dont sa nature brutale ne semblait guère capable, on n'osait plus attendre de lui une de ces oeuvres complètes et décisives qui classent un homme.

Et veut-on savoir où était sa plaie, à mon sens? Il ne savait pas écrire, il fabriquait ses pièces comme un menuisier fabrique une table, à coups de scie et de marteau. Son dialogue était stupéfiant de phrases incorrectes, de tournures ampoulées et ridicules. Et il n'y avait pas que le style qui montrât le plus grand dédain de l'art, la contexture des pièces elle-même indiquait un esprit dépourvu de littérature, incapable d'un arrangement équilibré de poète. Il faisait en un mot du théâtre pour faire du théâtre, comme certains critiques veulent qu'on en fasse, sans se soucier d'autre chose que de la mécanique théâtrale.

Quel exemple plein d'enseignements, si les critiques en question voulaient bien être logiques! Je leur ai entendu dire que Touroude avait le don, c'est-à-dire qu'il apportait ce métier du théâtre, sans lequel, selon eux, on ne saurait écrire une bonne pièce. Un joli don, en vérité, si ce don conduit aux derniers drames de Touroude! On voit par lui à quoi sert de naître auteur dramatique, lorsqu'on ne naît pas en même temps écrivain et poète. Il serait grand temps de proclamer une vérité: c'est qu'en littérature, au théâtre comme dans le roman, il faut d'abord aimer les lettres. L'écrivain passe le premier, l'homme de métier ne vient qu'au second rang.

 

Je retombe ici dans l'éternelle querelle. Notre critique contemporaine a fait du théâtre un terrain fermé où elle admet les seuls fabricants, en consignant à la porte les hommes de style. Le théâtre est ainsi devenu un domaine à part, dans lequel la littérature est simplement tolérée. D'abord, sachez-fabriquer une machine dramatique selon le goût du jour; ensuite, écrivez en français si vous pouvez, mais cela n'est pas absolument nécessaire. Même cela gêne, car il est passé en axiome qu'un écrivain de race est un gêneur sur les planches; les directeurs se sauvent, les acteurs sont paralysés, jusqu'au pompier de service qui sourit avec mépris!

Il n'y a qu'en France, à coup sûr, qu'on se fait une si étrange idée du théâtre. Et encore cette idée date-t-elle uniquement de ce siècle. Notre critique a rabaissé la question au point de vue des besoins de la foule. Il faut des spectacles, et l'on a imaginé une formule expéditive pour fabriquer des spectacles qui puissent plaire au plus grand nombre. De cette manière, notre critique s'occupe seulement de la fabrication courante, des pièces qui alimentent, au jour le jour, nos scènes populaires, de cette masse énorme d'oeuvres de camelote destinées à vivre quelques soirées et à disparaître pour toujours. La nécessité du métier est née de là. Le pis est que la critique veut ramener au métier les écrivains d'esprit libre qui cherchent ailleurs et veulent devant eux le champ vaste des compositions originales.

Cherchez dans notre histoire littéraire, vous ne trouverez pas ce mot de métier avant Scribe. C'est lui qui a inventé l'article Paris au théâtre, les vaudevilles bâclés à la douzaine d'après un patron connu. Est-ce que Molière savait «le métier»? On l'accuse aujourd'hui de ne jamais avoir trouvé un bon dénouement. Est-ce que Corneille se doutait de la façon compliquée dont on doit charpenter une oeuvre dramatique? Le pauvre grand homme disait simplement et fortement ce qu'il avait à dire, ses tragédies étaient de purs développements littéraires.

Il y a plus, tout ce qui vit au théâtre, tout ce qui reste, c'est le morceau de style, c'est la littérature. Notre théâtre classique, Molière, Corneille, Racine, est un cours de grammaire et de rhétorique. Certes, personne ne s'avise de célébrer l'habileté de la charpente, tandis que tout le monde se récrie sur les beautés du style. Un exemple plus frappant encore est celui du Mariage de Figaro. Là, Beaumarchais a été habile, compliqué, savant dans la façon de nouer et de dénouer sa pièce. Mais qui songe aujourd'hui à lui faire un honneur de sa science? L'adresse du métier est devenue le petit côté de la pièce, les passages célèbres sont les tirades de Figaro, l'au delà littéraire et philosophique de l'oeuvre. Et l'on pourrait continuer cette revue. J'ai souvent demandé aux critiques de bonne foi de m'indiquer une pièce que le seul métier du théâtre ait fait vivre. Quant à moi, je leur en citerai une douzaine, auxquelles l'art d'écrire a soufflé une éternelle vie. Ne prenons que les adorables proverbes de Musset. La fantaisie y tient lieu de science, les scènes s'en vont à la débandade dans le pays du bleu, la poésie s'y moque des règles. N'est-ce pas là pourtant du théâtre exquis, autrement sérieux au fond que le théâtre bien charpenté? Quel est l'auteur qui n'aimerait pas mieux avoir écrit On ne badine pas avec l'amour, que telle ou telle pièce, inutile à nommer, bâlie solidement selon les règles du théâtre contemporain?

J'ai toujours été très étonné qu'un public lettré ne se contentât pas au théâtre d'une belle langue, d'une composition littéraire développée par un poète ou par un penseur. Au dix-septième siècle, on discutait les vers d'une tragédie, la philosophie et la rhétorique de l'oeuvre, sans demander à l'auteur s'il avait, oui ou non, Je don du théâtre.

Est-il donc si difficile de passer une soirée dans un fauteuil, à écouter de la belle prose, savamment écrite, et à regarder une action qui se déroule selon le caprice de l'écrivain? Que cette action aille à gauche ou à droite, qu'importé! Elle peut même cesser tout à fait, l'art reste, qui suffit à passionner. Avec un poète, avec un penseur, on ne saurait s'ennuyer, on le suit partout, certain de pleurer ou de rire.

Mais non, les choses ont changé. On ne s'asseoit plus que bien rarement dans un fauteuil pour goûter un plaisir littéraire. En dehors du style, en dehors des peintures humaines, on demande les secousses d'une intrigue. On s'est habitué à la récréation d'un spectacle mouvementé, la routine est venue, les pièces qui sortent du patron adopté paraissent ennuyeuses ou bizarres. Et ce n'est pas seulement le gros public qui a besoin aujourd'hui de ces parades de foire, le public délicat lui-même a été atteint et réclame des oeuvres amusantes comme des histoires de revenants ou de voleurs. La littérature ne suffit plus, elle fait bâiller.

Ajoutez à cela notre esprit latin, notre besoin de symétrie, et vous comprendrez comment le théâtre est devenu chez nous un problème d'arithmétique, une manière d'accommoder un fait, de la même façon qu'on résout une règle de trois. Un code a été écrit, les auteurs dramatiques sont devenus des arrangeurs, se moquant de la vérité, de la littérature et du bon sens.

Alfred Touroude est donc, selon moi, une victime du métier. La critique, en déclarant solennellement qu'il avait le don, l'a gonflé d'un orgueil immense. Dès lors, il s'est cru le maître du théâtre, il s'est enfoncé dans les sujets les plus étranges, il s'est imaginé qu'il lui suffisait de charpenter un fait pour composer un chef-d'oeuvre. Je me souviens du premier acte de Jane. Cela était très saisissant, en effet. Une femme venait d'être violée. La toile se levait, et on la voyait évanouie après l'attentat, revenant lentement à elle, avec l'horreur du souvenir qui s'éveillait. Puis, lorsque son mari entrait, elle lui disait tout, dans une scène très puissante. Mais comme cela était gâté par la langue, comme l'auteur tirait un pauvre parti de la situation, uniquement parce qu'il ne savait pas la développer! Donnez ce premier acte à un écrivain, el vous verrez quel tableau complet il en fera. Cela deviendra une tragédie éternelle de vérité et de beauté.

La conclusion est aisée. Touroude ne vivra pas, parce qu'il n'a pas été écrivain. Le don du théâtre n'est rien sans le style. Il peut arriver qu'une pièce solidement fabriquée ait un succès; mais ce succès est une surprise et ne saurait durer, si la pièce manque de mérite littéraire.

VI

On se souvient du succès obtenu autrefois par Jean la Poste, le gros mélodrame de M. Dion Boucicault, adapté à la scène française par M. Eugène Nus. L'Ambigu a repris dernièrement ce mélodrame.

Je ne le connaissais pas, j'ai donc pu le juger dans toute la fraîcheur d'une première impression. Eh bien! mon sentiment, pendant les dix tableaux, a été un sentiment de grande tristesse. Je trouve absolument fâcheux que, sous prétexte de lui plaire, on serve au peuple des oeuvres d'un art si inférieur, où la vérité est blessée à chaque scène, où l'on ne saurait sauver au passage dix phrases justes et heureuses.

Je comprends d'ailleurs très bien le succès d'une pareille machine. Rien n'est plus touchant que l'intrigue: cette Nora se laissant accuser de vol pour sauver un proscrit, un noble dont elle est la soeur naturelle, et ce Jean se dévouant pour sa fiancée Npra, prenant le vol à son compte, se faisant condamner à être pendu. Cela remue les plus beaux sentiments: l'amour, l'abnégation, le sacrifice. Ajoutez que le traître Morgan est précipité dans la mer au dénoûment, tandis que Jean peut enfin consommer son mariage en brave et honnête garçon. Et le succès a d'autres raisons encore: deux tableaux sont très vivants, très bien mis en scène; celui de la noce irlandaise, avec ses fleurs et ses couplets alternés, et celui du conseil de guerre, où le public joue un rôle si familier et si bruyant. Enfin, il y a le décor machiné de la fin: Jean s'échappant de son cachot, montant le long de la tour pour rejoindre Nora qui chante sur la plate-forme; puis la vue de la mer immense, avec la traînée lumineuse de la lune. Voilà, certes, des éléments d'émotion nombreux et puissants. Je suis sans doute trop difficile; car, tout en m'expliquant la grande réussite d'une oeuvre semblable, je persiste à en être triste et à souhaiter pour les spectateurs des petites places, qu'on entend évidemment flatter, des oeuvres d'une vérité plus virile et d'une qualité littéraire plus élevée.

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