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Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples

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M. Offenbach est le grand coupable. Sa musique vive, alerte, douée d'un charme véritable, a fait la fortune de l'opérette. Sans lui, elle n'aurait jamais eu un si absolu triomphe. Il faut ajouter qu'il a été singulièrement secondé par MM. Meilhac et Halévy, dont les livrets resteront comme des modèles. Ils ont créé le genre, avec un grossissement forcé du grotesque, mais en gardant un esprit très parisien et une finesse charmante dans les détails. On peut dire de leurs opérettes qu'elles sont d'amusantes caricatures, qui se haussent parfois jusqu'à la comédie. Quant à leurs imitateurs, que je ne veux pas nommer, ce sont eux qui ont traîné l'opérette à l'égout. Et quels étranges succès, faits d'on ne sait quoi, qui s'allument et qui brûlent comme des traînées de poudre! On peut le définir: la rencontre de la médiocrité facile d'un auteur avec la médiocrité complaisante d'un public. Les mots qui entrent dans toutes les intelligences, les airs qui s'ajustent à toutes les voix, tels sont les éléments dont se composent les engouements populaires.

On nous fait espérer la mort prochaine de l'opérette. C'est, en effet, une affaire de temps, selon les hasards de la mode. Hélas! quand on en sera débarrassé, je crains qu'il ne pousse sur son fumier quelque autre champignon monstrueux, car il faut que la bêtise sorte quand même, comme les boutons de la gale; mais je doute vraiment que nous puissions être affligés d'une démangeaison plus désagréable.

V

Quelle marâtre que la vogue! Comme elle dévore en quelques années ses enfants gâtés! Le cas de M. Offenbach est fait pour inspirer les réflexions les plus philosophiques.

Songez donc! M. Offenbach a été roi. Il n'y a pas dix ans, il régnait sur les théâtres; les directeurs à genoux, lui offraient des primes sur des plats d'argent; la chronique, chaque malin, lui tressait des couronnes. On ne pouvait ouvrir un journal sans tomber sur des indiscrétions relatives aux oeuvres qu'il préparait, à ce qu'il avait mangé à son déjeuner et à ce qu'il mangerait le soir à son dîner. Et j'avoue que cet engouement me semblait explicable, car M. Offenbach avait créé un genre; il menait avec ses flonflons toute la danse d'une époque qui aimait à danser. Il a été et il restera une date dans l'histoire de notre société.

Il y a dix ans! et, bon Dieu! comme les temps sont changés! Il faut se souvenir que ce fut lui qui conduisit le cancan de l'Exposition universelle de 1867. Dans tous les théâtres, on jouait de sa musique. Les princes et les rois venaient en partie fine à son bastringue. Plus d'une Altesse, que ses turlututus grisaient, fit cascader la vertu de ses chanteuses. Son archet donnait le branle à ce monde galant, qui l'appelait «maître». Maître n'était pas assez, il passait au rang de dieu. Comme le Savoyard qui fait sauter du pied ses pantins enfilés dans un bout de corde, il a dû avoir de belles jouissances d'amour-propre, lui qui faisait sauter, nez contre nez, ventre contre ventre, des princes et des filles.

Et voilà qu'aujourd'hui le dieu est par terre. Nous avons encore une Exposition universelle; mais d'autres amuseurs ont pris le pavé. Toute une poussée nouvelle de maîtres aimables se sont emparés des théâtres, si bien que l'ancêtre, le dieu de la sauterie, a dû rester dans sa niche, solitaire, rêvant amèrement à l'ingratitude humaine. A la Renaissance, le Petit Duc; aux Folies-Dramatiques, les Cloches de Corneville; aux Variétés, Niniche; aux Bouffes, clôture; et c'est certainement cette clôture qui a été le coup le plus rude pour M. Offenbach. Les Bouffes fermant pendant une Exposition universelle, les Bouffes qui ont été le berceau de M. Offenbach! n'est-ce pas l'aveu brutal que son répertoire, si considérable, n'attire plus le public et ne fait plus d'argent?

La chute est si douloureuse que certains journaux ont eu pitié. Dans ces deux derniers mois, j'ai lu à plusieurs reprises des notes désolées. On s'étonnait avec indignation que M. Offenbach fût ainsi jeté de côté comme une chemise sale. On rappelait les services qu'il a rendus à la joie publique, on conjurait les directeurs de reprendre au moins une de ses pièces, à titre de consolation. Les directeurs faisaient la sourde oreille. Enfin, il s'en est trouvé un, M. Weinschenck, qui a bien voulu se dévouer. Il vient de remonter à la Gaîté Orphée aux Enfers. J'ignore si l'affaire est bonne; mais M. Weinschenck aura tout au moins fait une bonne action. Le principe des turlututus est sauvé, il ne sera pas dit qu'il y aura eu une Exposition universelle sans la musique de M. Offenbach.

Certes, je n'aime point à frapper les gens à terre. J'avoue même que je suis pris d'attendrissement et d'intérêt pour M. Offenbach, maintenant que la vogue l'abandonne. Autrefois, il m'irritait; les succès menteurs m'ont toujours mis hors de moi. Voilà donc la justice qui arrive pour lui, et c'est une terrible chose pour un artiste que cette justice, lorsqu'il est encore vivant et qu'il assiste à sa déchéance. Le public est un enfant gâté qui brise ses jouets, quand ils ont cessé de l'amuser. On est devenu vieux, on a fait le rêve d'une longue gloire, aveuglé sur sa propre valeur par les fumées de l'encens le plus grossier, et un jour tout croule, la gloire est un tas de boue, on se voit enterré avant d'être mort. Je ne connais pas de vieillesse plus abominable.

Puisque je suis tourné à la morale, je tirerai une conclusion de cette aventure. Le succès est méprisable, j'entends ce succès de vogue qui met les refrains d'un homme dans la bouche de tout un peuple. Être seul, travailler seul, il n'y a pas de meilleure hygiène pour un producteur. On crée alors des oeuvres voulues, des oeuvres où l'on se met tout entier; dans les premiers temps, ces oeuvres peuvent avoir une saveur amère pour le public, mais il s'y fait, il finit par les goûter. Alors, c'est une admiration solide, une tendresse qui grandit à chaque génération. Il arrive que les oeuvres, si applaudies dans l'éclat fragile de leur nouveauté, ne durent que quelques printemps, tandis que les oeuvres rudes, dédaignées à leur apparition, ont pour elles l'immortalité. Je crois inutile de donner des exemples.

Je dirai aux jeunes gens, à ceux qui débutent, de tolérer avec patience les succès volés dont l'injustice les écrase. Que de garçons, sentant en eux le grondement d'une personnalité, restent des heures, pâles et découragés, en face du triomphe de quelque auteur médiocre! Ils se sentent supérieurs, et ils ne peuvent arriver à la publicité, toutes les voies étant bouchées par l'engouement du public. Eh bien! qu'ils travaillent et qu'ils attendent! Il faut travailler, travailler beaucoup, tout est là; quant au succès, il vient toujours trop vite, car il est un mauvais conseiller, un lit doré où l'on cède aux lâchetés.

Jamais on ne se porte mieux intellectuellement que lorsqu'on lutte. On se surveille, on se tient ferme, on demande à son talent le plus grand effort possible, sachant que personne n'aura pour vous une complaisance. C'est dans ces périodes de combat, quand on vous nie et qu'on veut affirmer son existence, c'est alors qu'on produit les oeuvres les plus fortes et plus intenses. Si la vogue vient, c'est un grand danger; elle amollit et ôte l'âpreté de la touche.

Il n'y a donc pas, pour un artiste, une plus belle vie que vingt ou trente années de lutte, se terminant par un triomphe, quand la vieillesse est venue. On a conquis le public peu à peu, on s'en va dans sa gloire, certain de la solidité du monument que l'on laisse. Autour de soi, on a vu tomber les réputations de carton, les succès officiels. C'est une grande consolation que de se dire, dans toutes les misères, que la vogue est passagère et qu'en somme, quelles que soient les légèretés et les injustices du public, une heure vient où seules les grandes oeuvres restent debout. Malheur à ceux qui réussissent trop, telle est la morale du cas de M. Offenbach!

LES REPRISES

I

C'est avec une profonde stupeur que j'ai écouté Chatterton, le drame en trois actes d'Alfred de Vigny, dont la Comédie-Française a eu l'étrange idée de tenter une reprise. La pièce date de 1835, et les quarante-deux années qui nous séparent de la première représentation semblent la reculer au fond des âges.

Dans quel singulier état psychologique était donc la génération d'alors, pour applaudir une pareille oeuvre? Nous ne comprenons plus, nous restons béants devant ce poème des âmes incomprises et du suicide final. Chatterton, on ne sait trop pourquoi, traqué par ses créanciers peut-être, mais cédant aussi à la passion de la solitude, s'est réfugié chez un riche manufacturier, John Bell, qui lui loue une chambre. Ce John Bel, un brutal, tyrannise sa femme, l'honnête et résignée Ketty. Et toute la situation dramatique se trouve dans l'amour discret et pur du poète et de la jeune femme, amour dont l'aveu ne leur échappe qu'à l'heure suprême, lorsque Chatterton, écrasé par la société, voulant se reposer dans la mort, vient d'avaler un flacon d'opium.

Pour comprendre cette étonnante figure de Chatterton, il faut avant tout reconstruire l'idée parfaite du poète, telle que la génération de 1830 l'imaginait. Le poète était un pontife et la poésie un sacerdoce. Il officiait au-dessus de l'humanité, qui avait le devoir de l'adorer à genoux. C'était un messie traversant les foules, avec une étoile au front, remplissant une fonction sacrée, dont tout l'or de la terre n'aurait pu le payer. Ajoutez que le poète devait être un personnage, fatal, un fils de René, de Manfred et de tous les grands mélancoliques, portant un orage dans sa tête pâle, expiant la passion humaine par une blessure toujours ouverte à son flanc. Il était beau et providentiel, il montait son calvaire au milieu des huées, pur comme un ange et sombre comme un bandit. Un cabotin sublime, en un mot.

 

L'idéal du genre a été le Chatterton, d'Alfred de Vigny. Quand on voudra connaître la caricature superbe du poète de 1830, il faudra étudier ce personnage navrant et comique. Il n'est pas un des panaches du temps que Chatterton ne se plante sur la tête. Il les a tous, il semble avoir fait la gageure d'épuiser le ridicule et l'odieux. Il chante la solitude, il maudit la société, il traîne à dix-huit ans un coeur las et désabusé, il a des bottes molles, il se tord les bras à l'idée de faire des vers pour les vendre, il passe la nuit à gesticuler et à embrasser le portrait de son père en cheveux blancs, il se tue enfin par monomanie, uniquement pour attraper la société. Chatterton est un polisson, voilà mon avis tout net.

Qu'on fasse des bonshommes en carton, et qu'ils soient drôles, passe encore! cela ne tire pas à conséquence. Mais qu'on vienne troubler et empoisonner les volontés jeunes avec ce fantoche funèbre, avec ce pantin aussi faux que dangereux, voilà ce qui soulève en moi toute ma virilité! Le poète est un travailleur comme un autre. Dans le combat de la vie, s'il triomphe, tant mieux! s'il tombe, c'est sa faute! La société ne doit pas plus d'aide et de pitié au poète qu'elle n'en doit au boulanger et au forgeron. Il n'y a pas de pontife, il n'y a que des hommes, et l'énergie fait aussi bien partie du talent que le don des vers. Le génie est toujours fort.

Comment! on vient nous parler de mort, au seuil de ce siècle! Nous revivons, nous entrons dans un âge d'activité colossale, nous sommes tous pris d'un besoin furieux d'action, et il y a là un pleurard, un polisson qui se tue et qui tue par là même la femme dont il a troublé la cervelle. Mais c'est un double meurtre, c'est une lâcheté et une infamie! Que dirait-on d'un soldat qui, en face de l'ennemi, se déchargerait son fusil dans la tête? La nouvelle génération littéraire n'a qu'à pousser dédaigneusement du pied le cadavre de Chatterton, pour passer et aller à l'avenir.

D'ailleurs, c'était là une pose, pas davantage. La vanité était grande, en 1830; et, naturellement, les poètes se taillaient eux-mêmes le rôle qu'il leur plaisait de jouer. La mode était au dégoût de la vie, au mépris de l'argent, aux invectives contre la société; mais, en somme, les poètes – et je parle des plus grands – faisaient très bon ménage avec tout cela. Malgré leur désespérance et leur amour de la mort, ces messieurs ont presque tous vécu très vieux; en outre, leur mépris de l'argent n'est pas allé jusqu'à leur faire refuser, les sommes énormes qu'ils ont gagnées, et ils se sont très bien accommodés de la société, qui les a comblés d'honneurs et d'argent. Tous blagueurs!

J'ai entendu défendre Chatterton d'une façon bien hypocrite. Oui sans doute, dit-on, le personnage est démodé, mais quel temps regrettable il rappelle! En ce temps-là, on croyait à l'âme, on était plein d'élan, on aspirait en haut, on élargissait l'horizon de la foi et de la poésie. Quelle plaisanterie énorme! La vérité est que le mouvement de 1830 a été superbe comme mise en scène. Si l'on gratte les personnages factices, on reste stupéfait en arrivant aux hommes vrais. Ils ne valaient pas plus que nous, soyez-en sûrs; même beaucoup valaient moins. Il y a eu bien de la vilenie derrière cette pompe Qu'on ne nous force pas à des comparaisons, car nous répondrions avec sévérité. Nous autres, nous croyons à la vérité, nous sommes pleins de courage et de force, nous aspirons à la science, nous élargissons l'enquête humaine, sur laquelle seront basées les lois de demain. Eux autres, ils nient le présent, que nous affirmons. De quel côté sont la virilité et l'espoir? Et qu'on attende: aux oeuvres, on mesurera les ouvriers!

Certes, le romantisme est bien mort. Je n'en veux pour preuve que l'attitude stupéfiée des spectateurs, l'autre soir, à la Comédie-Française. Pendant les deux premiers actes surtout, on se regardait, on se tâtait. Chatterton faisait l'effet d'un habitant de la lune tombé parmi nous. Que voulait donc ce monsieur, qui se désespérait, sans qu'on sût pourquoi, et qui se fâchait de tirer de son travail un gain légitime? Le quaker paraissait tout aussi surprenant. Étrange, ce quaker qui lâche, sans crier gare, des maximes à se faire immédiatement sauter la cervelle! Pourquoi diable se promène-t-il là dedans! Quant à, John Bell, le tyran, le mari implacable, il est certainement le seul personnage sympathique de la pièce. Au moins celui-là travaille, et il apparaît comme un sage au milieu de tous les fous qui l'entourent.

On s'extasie beaucoup sur la figure de Ketty Bell. C'est une des créations les plus pures, dit-on, qui soient dans notre théâtre. Je le veux bien. Mais ce personnage est un personnage négatif; j'entends que la pureté, la résignation, la tendresse discrète de Ketty sont obtenues par un effacement continu. Jusqu'au dernier acte, elle n'a pas une scène en relief. C'est une déclamation à vide sans arrêt. Elle n'agit pas, elle se raidit dans une attitude. Le personnage, dans ces conditions, devient une simple silhouette et ne demandait pas un grand effort de talent.

Le drame, d'ailleurs, est la négation du théâtre, tel qu'on l'entend aujourd'hui. Il ne contient pas une seule situation. C'est une élégie en quatre tableaux. Les deux premiers actes sont complètement vides. On a, dans la salle, l'impression de la nudité de l'oeuvre, maintenant qu'elle n'est plus échauffée par les phrases démodées qui passionnaient autrefois. Le premier tableau du troisième acte, long monologue de Chatterton dans sa mansarde, est peut-être ce qui a le plus vieilli. Rien d'incroyable comme ce poète, déclamant au lieu de travailler, et déclamant les choses les plus inacceptables du monde. Enfin, le tableau du dénouement est le seul qui reste dramatique. Un garçon qui s'empoisonne, une femme qui meurt de la mort de l'homme qu'elle aime, cela remuera toujours une salle.

L'avouerai-je? ma préoccupation, ma seule et grande préoccupation, pendant la soirée, a été le fameux escalier. Et je suis sorti avec la conviction que cet escalier est le personnage important du drame. Remarquez quel en est le succès. Au premier acte, quand Chatterton apparaît en haut de l'escalier et qu'il le descend, son entrée fait beaucoup plus d'effet que s'il poussait simplement une porte sur la scène. Au second acte, quand les enfants de Ketty Bell montent des fruits au pauvre poète, c'est une joie dans la salle de voir les petites jambes des deux adorables gamins se hisser sur chaque marche; encore l'escalier. Enfin, au quatrième acte, le rôle de l'escalier devient tout à fait décisif. C'est au pied de l'escalier que l'aveu de Chatterton et de Ketty a lieu, et c'est par dessus la rampe qu'ils échangent un baiser. L'agonie de Chatterton empoisonné est d'autant plus effrayante qu'il gravit l'escalier, en se traînant. Ensuite Ketty monte presque sur les genoux, elle entr'ouvre la porte du jeune homme, le voit mourir, et se renverse en arrière, glissant le long de la rampe, venant tourner et s'abattre à l'avant-scène. L'escalier, toujours l'escalier.

Admettez un instant que l'escalier n'existe pas, faites jouer tout cela à plat, et demandez-vous ce que deviendra l'effet. L'effet diminuera de moitié, la pièce perdra le peu de vie qui lui reste. Voyez-vous Ketty Bell ouvrant une porte au fond et reculant? Ce serait fort maigre. Voilà donc l'accessoire élevé au rôle de personnage principal. Et je pensais au cerisier vrai qui porte de vraies cerises, dans l'Ami Fritz. L'a-t-on assez foudroyé, ce cerisier! La Comédie-Française s'était déshonorée en le plantant sur ses planches. La profanation était dans le temple. Mais il me semble, à moi, que la profanation y était depuis quarante-deux ans, car l'escalier sort tout à fait de la tradition.

Je dirai même que cet escalier n'est pas excusable, au point de vue des théories théâtrales. Il n'est nécessité par rien dans la pièce, il n'est là que pour le pittoresque. Pas une phrase du drame ne parle de lui, aucune indication de l'auteur ne le rappelle. Au contraire, dans l'Ami Fritz, le cerisier a son rôle marqué; il donne un épisode charmant. On raconte que l'escalier est une invention, une trouvaille de madame Dorval. Cette grande artiste, qui avait certainement le sens dramatique très développé, avait dû très bien sentir la pauvreté scénique de Chatterton; elle ne savait comment dramatiser cette élégie monotone. Alors, sans doute, elle eut une inspiration, elle imagina l'escalier; et j'ajoute qu'un esprit rompu aux effets scéniques pouvait seul inventer un accessoire dont le succès a été si prodigieux. A mon point de vue, c'est l'escalier qui joue le rôle le plus réel et le plus vivant dans le drame.

Certes, le drame est très purement écrit. Mais cela ne me désarme pas. Cette langue correcte est aussi factice que les personnages. On n'y sent pas un instant la vibration d'un sentiment vrai. Il y a deux ou trois cris qui sont beaux; le reste n'est que de la rhétorique, et de la rhétorique dangereuse et ennuyeuse. Le public a formidablement baillé.

Je remercie cependant la Comédie-Française d'avoir remonté Chatterton. J'estime qu'on rend un grand service à noire génération littéraire, en lui montrant le vide des succès romantiques d'autrefois. Que tous les drames vieillis de 1840 défilent tour à tour, et que les jeunes écrivains sachent de quels mensonges ils sont faits. Voilà les guenilles d'il y a quarante ans, tâchez de ne plus recommencer un pareil carnaval, et n'ayez qu'une passion, la vérité. Celle-là ne vous ménagera aucun mécompte; on ne rira, on ne baillera jamais devant elle, parce qu'elle est toujours la vérité, celle qui existe.

II

Le théâtre de la Porte-Saint-Martin, auquel appartient la propriété du répertoire de Casimir Delavigne, paraît user de cette propriété avec la plus grande prudence. Il attend l'été, les lourdes chaleurs, qui vident toutes les salles, pour hasarder un drame en vers, bien convaincu que les recettes sont compromises à l'avance et que la prose elle-même devient d'une digestion impossible. Casimir Delavigne est simplement là pour boucher un trou, entre une pièce à spectacle, comme le Tour du monde en 80 jours, et un mélodrame populaire, comme les Deux orphelines.

Et telle est, au bout de trente ans, la gloire d'un poète acclamé, d'un académicien, d'une personnalité littéraire, considérable en son temps, qui a contrebalancé autrefois les succès de Victor Hugo! Il y a là matière à de sages réflexions. On se demande où l'on jouera dans trente ans les pièces applaudies cette année sur nos grandes scènes, signées de noms retentissants, déclarées de purs chefs-d'oeuvre par la bourgeoisie qui tient à suivre la mode. Évidemment, on les jouera l'été, sur des planches encanaillées par les féeries et les pièces militaires; et les banquettes elles-mêmes bâilleront.

J'estime qu'on est bien sévère pour Casimir Delavigne. Autour de moi, pendant la représentation de Louis XI, j'ai entendu des ricanements, des plaisanteries, toute une «blague» préméditée. Vraiment, des critiques, qui ont discuté sérieusement et sans se fâcher les Danicheff et l'Étrangère, des écrivains qui trouvent du génie à M. Dumas fils et qui lui accordent en outre de l'esprit, sont singulièrement mal venus de traiter avec cette légèreté une oeuvre de grand mérite, dont certaines parties sont fort belles en somme. Il n'y a pas aujourd'hui un seul de nos auteurs dramatiques qui pourrait composer un acte aussi large que le quatrième acte de Louis XI.

Certes, la tragédie classique est morte, le drame romantique est mort. Qu'ils reposent en paix, ce n'est pas moi qui demanderai leur résurrection! Casimir Delavigne a, dans notre histoire littéraire, une situation d'autant plus fâcheuse, qu'il a voulu rester en équilibre entre les deux formules, demeurer le petit-neveu de Racine et devenir le filleul de Shakespeare. Le génie ne s'accommode jamais de ces arrangements; il est extrême et entier. Tout concilier, croire qu'on atteindra la perfection en prenant à chaque école ses meilleurs préceptes, conduit droit au simple talent, et même au très petit talent. Un tempérament d'écrivain original ne choisit pas; il crée, il marche à l'intensité la plus grande possible des notes personnelles qu'il apporte. Mais si Casimir Delavigne nous apparaît aujourd'hui ce qu'il est réellement, un arrangeur habile, un esprit souple et intelligent, il n'en est pas moins d'une étude intéressante et il n'en reste pas moins très supérieur aux arrangeurs de notre époque.

Et voyez l'aventure, ce qui fait sourire maintenant dans ses oeuvres, ce sont justement la rhétorique classique et la rhétorique romantique, tout le clinquant littéraire des modes d'autrefois. Les vers, par moment, sont abominablement plats, alourdis de périphrases, d'une banalité de mauvaise prose; là est l'apport classique. Quant à l'apport romantique, il est aussi fâcheux, il consiste dans la stupéfiante façon de présenter l'histoire et dans l'étalage grotesque des guenilles du moyen âge. Rien ne me paraît comique comme les romantiques impénitents d'aujourd'hui, qui ricanent à une reprise de Louis XI. Eh! bonnes gens, ce sont justement les panaches et les mensonges en pourpoint abricot de 1830, qui ont vieilli et qui gâtent l'oeuvre à cette heure!

 

Je ne parle pas des anachronismes qui font de Louis XI le plus singulier cours d'histoire qu'on puisse imaginer; il est entendu que l'anachronisme est une licence nécessaire, sans laquelle toute composition dramatique se trouverait entravée. Mais je parle de la grande vérité humaine, de la vérité des caractères. Le Louis XI de Casimir Delavigne, assassin, fou, lugubre, est une figure ridicule, si on le, compare au véritable Louis XI, que la critique historique moderne a su enfin dégager des brouillards sanglants de la légende. Il est vu à la manière romantique, une manière noire, avec des clairs de lune par derrière, éclairant des gibets, avec des donjons et des tourelles, des ferrailles et des poignards, tout un tra la la de grand opéra. La vérité se trouve à chaque scène sacrifiée à l'effet, les personnages ne sont plus que des pantins qui montent sur des échasses pour paraître des colosses. C'est ainsi que Casimir Delavigne a transformé en un héros de ballade le grand roi si énergique et si habile qui travailla un des premiers à la France actuelle.

Nous sommes ici dans la question grave, dans le mouvement fatal de science qui doit peu à peu influer sur notre théâtre et le renouveler. Pendant que le romantisme combattait pour la liberté des lettres et substituait fâcheusement une rhétorique à une rhétorique, il ne s'apercevait pas que, parallèlement à lui, les sciences critiques marchaient et devaient un jour le dépasser et le vaincre, comme-il venait de vaincre l'esprit classique. Il a conquis la liberté de tout écrire, rien de moins, rien de plus; il a été une insurrection nécessaire. On peut indiquer ainsi les trois phases: règne classique, épuisement de la langue, immobilité des formules, mort lente des lettres; règne romantique, révolution dans les mots, déclaration des droits illimités de l'écrivain, bataille des opinions et fondation d'une nouvelle Église; règne naturaliste, plus d'Église d'aucune sorte, création d'une méthode, enquête universelle à la seule clarté de la vérité.

Ce qui rend aujourd'hui certaines oeuvres romantiques presque comiques, ce qui fait que la jeune génération les trouve si vieilles et ne peut les lire sans un sourire, c'est que la critique a marché, que l'histoire vraie commence à se dégager des documents, que nous nous sommes mis à étudier l'homme et à en connaître les ressorts. Interrogez les jeunes gens de vingt-cinq ans, demandez-leur ce qu'ils pensent des plus grands poètes romantiques, ils vous répondront que la lecture leur en est devenue impossible et qu'ils sont obligés de se rejeter sur Stendhal et Balzac; car ce qu'ils cherchent, avant tout, c'est la science exacte de l'homme. Cela est un symptôme décisif. Évidemment, pour tout esprit juste, le mouvement naturaliste s'accentue, le besoin de méthode s'est propagé des sciences à la littérature; on ne peut plus mentir, sous peine de n'être pas écouté.

J'insiste, on ne doit pas chercher ailleurs les causes de la mort du drame. L'esprit moderne, façonné à la vérité, ne tolère plus au théâtre, même à son insu, les contes à dormir debout qui amusaient nos pères. Certes, le drame historique peut renaître, mais il faudra qu'il soit vrai, qu'il ressuscite l'histoire et ne la mette pas en complainte pour les petits et les grands enfants. Dès qu'un auteur dramatique se dégage des draperies de convention et pousse un cri de vérité humaine, un frémissement passionne la salle. Le trait restera éternel, on l'applaudira toujours, en dehors des modes littéraires.

La représentation de Louis XI à la Porte-Saint-Martin a été caractéristique. Rien n'est long et pénible comme les trois premiers actes. Casimir Delavigne les a employés à peindre un Louis XI légendaire, une figure sombre dans laquelle la cruauté domine, malgré les touches familières et comiques. Je ne parle pas de la fable romanesque, de ce Nemours dont le père a été assassiné sur l'ordre de Louis XI, et qui revient à la cour comme ambassadeur de Charles le Téméraire, avec des pensées de vengeance. Cette fable, compliquée des tendresses de Nemours et de Marie de Comines, n'a d'autre intérêt que de ménager une belle scène au quatrième acte. Les personnages entrent, disent ce qu'ils ont à dire, puis s'en vont. On ne peut guère détacher que la scène où Louis XI vient assister aux danses des paysans et la scène dans laquelle Nemours, accomplissant sa mission, jette aux pieds du roi son gant, que le dauphin relève.

Mais, je l'ai dit, le quatrième acte garde encore aujourd'hui une belle largeur. Louis XI se traînant aux genoux de François de Paule, le suppliant de prolonger son existence par un miracle, puis confessant ses crimes; et ensuite Nemours apparaissant un poignard à la maintenant le roi grelottant de peur, lui laissant la vie comme vengeance: ce sont là des situations superbes et profondes qui ont de l'au delà. Même les vers prennent plus de concision et de force, s'élèvent, sinon à la poésie, du moins à la correction et à la netteté. Il faut citer encore la mort de Louis XI, au cinquième acte, l'épisode emprunté à Shakespeare du roi agonisant qui voit le dauphin, la couronne sur la tête, jouer déjà son rôle royal.

III

Je parlerai de deux reprises, celles de la Tour de Nesle et du Chandelier, qui me paraissent soulever d'intéressantes réflexions, au point de vue de la philosophie théâtrale.

L'Ambigu, éprouvé par une longue suite de désastres, a eu l'excellente idée de rouvrir ses portes en jouant la Tour de Nesle, dont le succès est toujours certain. La fortune de ce drame est d'être une pièce typique, contenant la formule la plus complète d'une forme dramatique particulière. En littérature, aussi bien au théâtre que dans le roman, l'oeuvre qui reste est l'oeuvre intense que l'écrivain a poussé le plus loin possible dans un sens donné. Elle demeure un patron, la manifestation absolue d'un certain art à une certaine époque.

Que l'on songe au mélodrame de 1830, et aussitôt l'idée de la Tour de Nesle vient à l'esprit. Elle est encore à cette heure le modèle indiscuté d'une forme dramatique qui s'est imposée pendant de longues années; et même aujourd'hui que cette forme est usée, la pièce conserve presque toute sa puissance sur la foule. Telle est, je le répète, la fortune des oeuvres typiques.

La formule que représente la Tour de Nesle est une des plus caractéristiques dans notre histoire littéraire. On pourrait dire qu'elle exprime le romantisme intransigeant et radical. Je ne connais pas de réaction plus violente contre notre théâtre classique, immobilisé dans l'analyse des sentiments et des passions. Le théâtre de Victor Hugo laisse encore des coins aux développements analytiques des personnages. Mais le théâtre de MM. Dumas et Gaillardet coupe carrément toutes ces choses inutiles et s'en tient d'une façon stricte aux faits, à l'intrigue nouée de la façon la plus puissante, sans avoir le moindre égard à la vraisemblance et aux documents humains.

En somme, cette formule peut se réduire à ceci: poser en principe que seul le mouvement existe; faire ensuite des personnages de simples pièces d'échec, impersonnelles et taillées sur un patron convenu, dont l'auteur usera à son gré; combiner alors l'armée de ces personnages de bois de façon à tirer de la bataille le plus grand effet possible; et aller carrément à cette besogne, ne pas faire la petite bouche devant les mensonges monstrueux, agir seulement en vue du résultat final, qui est d'étourdir le public par une série de coups de théâtre, sans lui laisser le temps de protester.

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