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Contes de bord

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Je ne décrirai pas ici toute l'horreur du choc des deux navires ennemis et des équipages. Tout le monde en littérature a déjà raconté ce qu'était un abordage en mer. L'abordage même est devenu le pont-aux-ânes des romanciers maritimes, comme autrefois, depuis la tempête si classiquement essuyée par Énée, la tempête devint le pont-aux-ânes de tous les poètes. Je ne m'en mêlerai plus.

Mais avant l'accouplement terrible des deux frégates, un novice, à la mine encore toute barbouillée de suie et de fumée, s'était placé à l'une des pièces de l'avant de la batterie, près de la cuisine des aspirans. Ce novice-là c'était Faraud, le novice Faraud que nous avons un peu oublié. Dans les jours de combat, Faraud se trouvait être servant du dernier canon de 18 de la batterie. Quelle métamorphose pour un cuisinier! quitter la batterie de cuisine pour servir une pièce dans la batterie d'une frégate!

Deux ou trois minutes avant l'abordage, Faraud avait quitté sa pièce pour sauter sur le pont. Un sabre tout rouillé était tombé sous sa main calleuse. Le passage pour se jeter à bord de l'ennemi est étroit et périlleux; mais Faraud est leste et téméraire. Un de ses aspirans, n'écoutant que son courage; s'élance un des premiers: c'est son chef de gamelle; Faraud le suit par habitude, par zèle, comme s'il allait à la provision. Le voilà donc à bord de l'anglais. On se hache là comme chair à pâté. Tant mieux, c'est son métier; il s'y connaît, il hache aussi. Au bout d'un quart-d'heure de carnage, le nombre l'emporte, et quoique les Anglais se battent bien, ils sont écrasés par ceux qui se battent aussi bien qu'eux et qui sont plus forts. La victoire reste à l'équipage de la Topaze. On bat le roulement: le feu cesse; le massacre est suspendu, et Faraud revient à bord de sa frégate avec un coup de sabre sur la figure et un rayon de gloire sur le front.

Le commandant, qui a tout vu au sein de la confusion générale, le commandant, qui a tout fait faire et à qui aucun détail n'est échappé, ordonne au maître d'équipage de donner un coup de sifflet de silence....

Tout le monde se tait, même les blessés qui crient de douleur.

Le commandant prend la parole pour féliciter en quelques mots rapides et énergiques l'équipage qui s'est si bien conduit. Puis il proclame que le novice Faraud s'est montré dans la mêlée un des plus intrépides parmi 350 braves.

Le héros reçoit avec autant de surprise que de modestie le compliment solennel dont il est encore plus étourdi que de son coup de sabre sur la joue, puis il se rend au poste du chirurgien pour se faire appliquer un emplâtre sur le visage, à seule fin, dit-il, d'aller faire bien vite le dîner de ses pauvres maîtres, qui doivent avoir bien bon appétit après s'être si bien peignés.

Pendant le temps que Faraud emploie à faire cuire dix ou douze rations de boeuf salé, on coule la frégate anglaise, trop endommagée dans le combat et par le choc de l'abordage, pour pouvoir tenir long-temps à flot. C'est ainsi qu'en temps de guerre, des hommes qui quelquefois n'ont pas le sou en poche, envoient, pour le bien du service, des millions au fond de l'eau.

Les aspirans, après avoir satisfait noblement à tous les devoirs du service pendant l'action, viennent, midi sonnant, se réunir joyeusement autour de la table sur laquelle le chef de gamelle a fait servir un déjeuner improvisé. Tous les jeunes convives, en se revoyant remplis de gaîté et d'appétit, se félicitent de se retrouver aussi bien portans, aussi dispos, à la suite d'une affaire dans laquelle chacun d'eux ne s'est pas épargné. Ils s'embrassent, ils se complimentent, ils se racontent les détails particuliers qu'ils ont pu recueillir sur les incidens qu'ils ont été à portée d'observer dans la partie du navire où ils étaient placés. Tout s'est passé à merveille dans le combat. On nomme les morts; on s'apitoie sur le sort des blessés. On accorde un regret à l'un, une louange à l'autre. La conversation va grand train; les langues s'animent, les têtes s'exaltent. Une voix nasale au milieu de tout ce tumulte, se fait entendre et domine le bruit de tous les entretiens: c'est la voix de Faraud qui, en arrivant avec un grand plat sur lequel fume un gros morceau de salaison, annonce à ces messieurs que le déjeûner est servi.

Cet avertissement, attendu avec une certaine impatience, rétablit pour un instant le silence dans le poste des aspirans. On se met à table, comme s'il s'agissait de faire un bon repas.

Le chef de gamelle, après s'être placé à l'une des extrémités du cordon formé par ses camarades assis par ordre d'ancienneté, se met en devoir de découper la pièce de boeuf, qui résiste long-temps sous le tranchant du large couteau dont il est armé; et tout en divisant les rations, il adresse à Faraud quelques mots que celui-ci écoute avec respect, sa main appliquée sur celle de ses joues qui a reçu provisoirement l'emplâtre destiné à couvrir sa blessure.

«Eh bien! Faraud, on dit, mon ami, que tu t'es vaillamment comporté dans le combat.

– Mais on dit qu'oui, monsieur. Quant à moi, ce que je sais, c'est que j'ai fait mon possible. J'ai marché devant moi, en tapant le mieux que j'ai pu.... Que voulez-vous! on ne peut pas toujours se sauver et prendre chasse, comme je l'ai fait, vous savez bien, dans la grande rue de Brest.

– Qui te parle de ta grande rue de Brest? je te parle du combat, aujourd'hui.

– Vous, je sais bien, messieurs. Mais tout l'équipage n'était pas comme vous: à chaque instant j'entendais dire, tribord et babord, de moi, des choses qui ne m'allaient pas trop. J'ai voulu faire voir à quelques-uns du bord que je savais aussi bien aller de l'avant que battre en retraite. Et avec ça, un sabre d'abordage, c'est plus facile à manier dans la main, qu'un canard escroqué.

– C'est bien cela, mon ami; tu auras de l'avancement, va; et nous saurons reconnaître ton zèle pour nous et le courage que tu as montré dans le service.... Et ton coup de sabre, qu'en dis-tu? te fait-il beaucoup souffrir?

– Mais, monsieur, je dis que pour celui-là, je ne l'ai pas volé, comme le canard et le chou-fleur.

– Ah ça! en finiras-tu avec ton maudit canard, qui commence à m'ennuyer à la fin? Qui te parle de voler et de battre en retraite? Ta conduite a tout expié depuis long-temps, et ta blessure suffit pour effacer le souvenir d'une bagatelle que personne, du reste, n'est en droit de te reprocher, maintenant surtout.... Messieurs, j'ai conçu un projet pour lequel je demanderai votre approbation et même votre coopération. Le commandant a fait solennellement l'éloge de la conduite de notre novice. Il paraît être des mieux disposés en sa faveur; croyez-vous que si nous saisissions ce moment opportun pour demander de l'avancement pour Faraud, nous ferions mal?

– Non, au contraire, nous ferions très-bien. Allons en corps demander de l'avancement pour Faraud.

– Oui, mes amis, mais après que nous aurons fini de déjeûner. Je n'ai pas encore mangé mon morceau de fromage, dit un des aspirans.

– A propos de fromage: dis donc, chef de gamelle, s'il était possible d'avoir, avec un bon à la cambuse, une demi-livre de tête de maure de plus? Ce n'est pas tous les jours fête, et après cinq heures de combat, c'est bien la moindre chose qu'on obtienne un petit supplément.

– Vous avez raison, mes amis; le commis aux vivres est bon enfant: je vais lui faire un bon pour une livre, afin d'obtenir, au moins, la demi-livre de tête-de-maure.... (Le chef de gamelle écrit....)

«Tiens, Faraud, va-t'en à la cambuse porter ce bon, et tâche de nous ramener quelque chose, car ils crèvent encore tous de faim....

– Oui, monsieur. Attendez un instant, je reviens à la minute. L'équipage se priverait plutôt de sa ration que de vous laisser manquer de quelque chose, car c'est vous autres, mes aspirans, qui nous avez montré, à tous, le chemin pour aller à bord de la frégate anglaise.... Excusez, messieurs; mais voyez-vous, c'est que je suis si content aujourd'hui....

– C'est bon; cours en double, et reviens avec ton fromage. La sensibilité aura son tour une autre fois que nous serons moins pressés.»

Quand le demi-pain de fromage eut été dévoré, et cela fut fait vite, les aspirans, fidèles à leur promesse, se rendirent collectivement auprès de leur commandant, pour demander de l'avancement en faveur de leur novice. La chose était déjà faite, et Faraud, le soir de ce beau jour, prépara le maigre souper de ses maîtres, en qualité de matelot à vingt et un francs par mois. C'était le nouveau grade auquel il venait d'être promu pour sa belle action et son coup de sabre.

Une distinction aussi flatteuse, un avancement aussi subit étaient bien faits pour exciter un zèle nouveau chez celui qui venait d'être l'objet de tant de marques de bienveillance. Pendant tout le reste de la croisière, Faraud continua à mériter de plus en plus l'attachement que déjà lui avaient voué ses jeunes maîtres. Ceux-ci, croyant même avoir fait trop peu pour récompenser un dévoûment aussi long et aussi inaltérable, résolurent de prélever, une fois arrivés à terre, une certaine somme sur les fonds à venir de la gamelle, pour procurer à leur novice les moyens nécessaires d'acquérir la petite instruction qui pourrait le mettre à même de s'élever un jour au-dessus de la classe des simples matelots.

L'heureux Faraud ne savait que se trouver confondu de tant de témoignages d'intérêt et de sollicitude.

La Topaze revint enfin à Brest, après plusieurs mois de victorieuse et de productive campagne. En arrivant en quarantaine, car c'est toujours par des quarantaines ou l'hôpital que se terminent, pour les marins, les plus glorieuses croisières, le commandant s'empressa de signaler, en style énergique et pressant, au ministre de la marine, les officiers et les matelots qui s'étaient le plus distingués pendant le voyage.

 

Les récompenses avaient du prix alors, parce qu'elles avaient un motif, et qu'un mérite reconnu les justifiait presque toujours; et quoique l'on touchât d'assez près à la fin du règne de Napoléon, les croix d'honneur ne pleuvaient pas aussi fort qu'aujourd'hui. Cependant alors nous étions en guerre, et aujourd'hui nous sommes en paix. Mais revenons à notre affaire et au seul fait dont nous ayons encore à nous occuper.

Quinze étoiles de la Légion-d'Honneur arrivèrent, courrier pour courrier, pour être réparties entre les plus braves des braves de la frégate la Topaze. La plus stricte impartialité devait présider à la distribution de ces nobles récompenses.... L'opinion publique, qui existe à bord d'un vaisseau aussi bien que dans le plus grand des royaumes de la terre, avait déjà prononcé … le matelot Faraud fut nommé membre de la Légion-d'Honneur, et voilà le cuisinier des aspirans devenu chevalier!

Dites à présent, contempteurs d'un temps que vous n'avez pas connu ou que vous n'avez pas bien vu, dites-nous qu'alors tout se donnait aussi à l'intrigue et à la servilité!

Les aspirans de la frégate, en apprenant l'illustration subite de leur novice, comprirent assez tous les devoirs que leur imposaient les convenances, pour prendre une résolution qui pût s'accorder avec le rang auquel venait d'être élevé Faraud. Ils ne voulurent plus souffrir que celui-ci continuât à fricoter pour eux. Mais Faraud, plus attaché à son ancien métier que séduit par la grandeur de son nouvel état, s'obstina à vouloir encore cuisiner pour le compte de ses chers aspirans. Un grand débat s'émut à ce sujet. A la délicatesse des scrupules de ses maîtres, à la sagesse de leurs remontrances, le serviteur zélé opposait l'irrésistibilité de ses goûts, la considération qu'on devait à l'ancienneté de ses services. Le combat fut long et opiniâtre; la voix impérieuse du devoir militaire fut obligée de se faire entendre pour mettre fin à cette querelle de procédés et de sacrifices. Le commandant ordonna à Faraud de quitter le poste des aspirans, pour prendre rang à un plat de matelots à vingt et un.

Fatale élévation, décevant honneur, qui venaient de condamner Faraud à abandonner une profession, au prix de laquelle tous les honneurs du monde et leur vain éclat n'étaient rien pour lui! Pourquoi, se disait-il souvent, ai-je été chercher, le sabre à la main, à bord de la frégate anglaise, cette diable de croix qui me force de renoncer au métier que je faisais depuis si long-temps? La belle avance à présent! N'aurais-je pas cent fois mieux fait de rester tranquillement dans ma cuisine? c'était là le vrai poste où je devais mourir. L'ambition, que je n'aurais jamais dû avoir, m'a perdu. Oh! que si je pouvais remettre cette croix d'honneur à qui me l'a donnée, je quitterais bientôt tout ce bataclan, pour le plaisir seulement de faire cuire encore une bonne grillade pour ces messieurs!… Mais il n'y a plus moyen: un autre m'a remplacé dans mes fonctions, et me voilà condamné au matelotage pour le restant de mes jours!

Que de fois, cédant à la tentation qui le tourmentait jour et nuit, on vit l'infortuné se glisser à l'improviste dans la bien-aimée cuisine qui lui était interdite! Avec quelle volupté il s'empressait alors de jeter une poignée de sel dans la chaudière de ses aspirans, de fourrer un morceau de bois dans le feu qu'il accusait son successeur de ne pas faire assez pétiller! Puis, après avoir ainsi contribué clandestinement à faire bouillir sa chère marmite, il se sentait plus content de lui-même et moins fatigué du poids de son insupportable dignité.

Une chose bien douce venait encore le consoler un peu du triste veuvage auquel la fortune l'avait condamné. Ses jeunes maîtres, en le perdant, lui avaient conservé toute leur ancienne bienveillance. Jamais un grand dîner ne se donnait au poste des aspirans, sans que Faraud ne fût invité à jeter un coup d'oeil sur les préparatifs du festin. Avec ses conseils tout allait bien. Sans son approbation tout aurait paru aller mal. C'était un vieil ami de la maison, sans lequel rien n'aurait été bon, avant qu'il y eût mis le doigt. Faraud, malgré sa réclusion forcée dans son nouveau grade, n'avait jamais cessé, au reste, d'être commensal du poste. Il partageait, avec le personnel des serviteurs des aspirans, tous les rares débris des repas ordinaires ou extraordinaires. Outre ces petites douceurs, il recevait encore, pour les bons offices qu'il rendait à ses ex-patrons, les vieilles paires de bottes, les vieux habits que ceux-ci ne pouvaient plus porter. Des cadeaux fastueux, faits à Faraud par d'autres mains que celles des aspirans, auraient révolté sa dignité; mais venant d'eux, tout lui semblait acceptable et presque sacré.

Tant de dévoûment devait un jour recevoir son prix, obtenir sa couronne, et cette couronne fut celle du martyre.

Dans une rixe sanglante, au milieu de laquelle un de ses maîtres d'autrefois s'était vu forcé de mettre le sabre à la main pour résister à l'attaque de plusieurs matelots furieux, Faraud, n'écoutant que l'instinct de toute sa vie, se précipita au-devant du coup qui menaçait un de ses aspirans. Le coup destiné au jeune officier alla frapper la victime qui s'immolait pour lui. Le malheureux succomba quelques heures après que son généreux sang eut éteint l'ardeur des révoltés, et en expirant sur un lit d'hôpital, il fit entendre, avec l'accent d'une âme satisfaite, ces mots touchans, que le corps des aspirans n'oubliera jamais: Je meurs content: j'ai sauvé l'un d'eux!

LE FORBAN MON AMI.

Dans l'étroit logement que l'on nous avait affecté à bord d'un petit bâtiment convoyeur, et que l'on nommait pompeusement à bord le Poste des aspirans, le hasard ou plutôt la destinée m'avait donné pour camarade de hamac un bon et excellent petit aspirant de seconde classe, dont le caractère arrangeant convenait au mieux à mon humeur un peu exigeante.

N'ayant qu'un hamac pour deux, il fallait que l'un de nous se trouvât toujours sur le pont quand l'autre était couché, et mon ami Mainfroy, sans cesse disposé à s'accommoder de tout ce qui pouvait me faire plaisir, se promenait plus souvent qu'à son tour sur le pont, pendant que je dormais pour lui. Il ne reculait jamais, au reste, devant quelques heures de quart, qu'il fit beau ou mauvais temps; et, par un goût tout particulier à sa nature de marin, il arrivait toujours que c'était lorsqu'il ventait le plus fort ou que la pluie tombait avec le plus de violence, que mon camarade se plaisait à affronter en face la tempête ou l'orage. Rien ne lui allait aussi bien que le gros temps et les choses périlleuses.

Le partage de hamac que je faisais avec lui, d'une manière au reste assez inégale, nous avait conduits à mettre aussi en commun, comme dans une tirelire, notre peu d'argent, nos peines et nos plaisirs, et jusqu'à nos vêtemens.

Voici comment s'exécutaient, par exemple, les articles de notre communauté d'habits.

Les aspirans ne pouvaient aller en corvée, ni s'absenter du bord, sans être décorés des trèfles en or qu'ils portaient sur leur petit frac bleu, en guise d'épaulettes, comme marque distinctive de leur grade.

Comme nous n'avions à nous deux qu'une paire de trèfles par économie, et que nous n'étions jamais de service ensemble, lorsque je quittais le quart, je remettais mes insignes à Mainfroy, et avec ces insignes quelquefois aussi le frac râpé auquel ils tenaient.

Tout s'arrangeait ainsi au mieux entre lui et moi, et le plus simplement du monde, à la satisfaction des deux parties contractantes.

L'ami Mainfroy avait embrassé le métier de marin par goût, et l'on pouvait même dire par passion; l'idée de devenir un jour amiral de France lui était venue à Paris en lisant Robinson Crusoé ou les Mémoires de Duguay-Trouin.

Ses parens, qui étaient des gens fort paisibles et peu fortunés, n'avaient d'abord voulu faire de lui qu'un avocat ou tout au plus un médecin. La vocation du jeune homme l'emporta sur les arrangemens de famille. Un beau jour il quitta les brillantes études qu'il avait à moitié terminées, et sans autre recommandation que sa charmante figure, et sans autre fortune qu'une pièce de cinq francs, il arriva de Paris à Brest vêtu de la seule petite veste qu'il eût emportée du collège.

Le père Mainfroy ne tarda pas à découvrir les traces du fugitif. Mais, en homme sage, il se résigna à laisser son fils parcourir la carrière qu'il s'était ouverte si résolument. En peu de temps, et après une campagne fort dure, le drôle apprit tout ce qu'il fallait pour être reçu dans la marine en qualité d'aspirant de deuxième classe, à 50 francs par mois.

Sa gaîté insouciante nous réjouissait fort. A toutes les allusions qu'il puisait avec originalité dans les habitudes du métier, il manquait rarement d'ajouter une foule de citations poétiques, un déluge de distiques latins qu'il exhumait en lambeaux de tous les vieux auteurs que sa mémoire lui rappelait encore. Il excellait à habiller sa vive conversation, des guenilles des études qu'il avait abandonnées pour courir les mers. Ses entretiens étaient de vrais habits d'arlequin, et nous nous amusions beaucoup de son érudition de carnaval, comme nous disions, sans qu'il se fâchât jamais.

Personne au reste n'aurait deviné, sous la douce enveloppe de mon ami Mainfroy, l'âme que ce petit diable tenait comme en réserve pour les circonstances décisives ou les événemens périlleux. En le voyant pour la première fois, on aurait dit d'une belle petite fille travestie en aspirant de marine. Mais, pour peu qu'on le poussât trop à bout, on rencontrait, sous cet extérieur naïf et séduisant, tout l'entêtement d'un vieux soldat et l'audace d'un damné de corsaire. Au surplus, avec nous il était le meilleur enfant de toute l'armée navale: il ne se donnait de coups d'épée qu'avec les étrangers, et toujours pour des bagatelles dont il riait lui-même jusque sur le terrain, où bien rarement d'ailleurs il se rendait pour son propre compte.

La vie un peu trop uniforme que menaient les aspirans à bord des bâtimens de l'Etat finit par l'ennuyer. Dans les relâches que faisait notre petit navire sur les côtes de Bretagne, nous avions quelquefois l'occasion de fraterniser avec des officiers de corsaire. L'existence de ces messieurs parut convenir à notre ami, et un beau jour, sans en avoir parlé à qui que ce fût, il vint nous annoncer qu'ayant obtenu du ministre de la marine la permission d'embarquer en course, il venait nous faire ses adieux pour aller courir les grandes aventures.

«Mais à bord de quel corsaire t'es-tu embarqué?

– A bord d'un beau lougre de Saint-Malo, mes amis: tenez, d'ici vous pouvez voir si j'ai eu bon goût: voilà désormais mon navire.

– Et quand appareilles-tu?

– Demain, et je compte sur vous pour me faire la conduite, et sur toi particulièrement, mon vieux, me dit-il en me frappant affectueusement sur l'épaule:

Car lorsque je retrouve un ami si fidèle, Ma fortune doit prendre une face nouvelle.

Il est entendu que nous boirons un bol de punch avant de nous quitter. A demain donc, vous autres.»

Le lendemain nous nous trouvâmes sur le rivage à l'heure du rendez-vous.

Le bol de punch fut exactement bu: Mainfroy, à l'instant dit, s'embarqua en nous criant à tous: «Adieu, les enfans: Audaces fortuna juvat. Portez-vous bien, et moi aussi.» C'était sa formule ordinaire d'adieu. Il s'éloigna de nous dans la petite embarcation qui le conduisait à bord, en prenant lui-même la barre du gouvernail, et en ordonnant à un de ses canotiers de border un peu l'écoute de misaine.

On ne pouvait quitter plus gaîment ses amis. Il partit.

Quinze à vingt jours après l'appareillage du corsaire qui avait emporté sur les mers notre camarade et sa fortune, ou plutôt ses espérances de fortune, nous apprîmes que le malheureux lougre avait été capturé par un croiseur anglais. Voilà donc le pauvre Mainfroy prisonnier en Angleterre, au bout de deux ou trois semaines de course. Ce n'était pas, hélas! ce qu'il s'était promis, ni ce que nous avions souhaité pour lui.

Nous le supposions le plus sincèrement du monde, rongeant tristement son frein sur quelque ponton de la Tamise ou de Chatam, et nous avions déjà même fait le deuil de notre infortuné collègue, lorsqu'un jour, mouillés sur notre navire dans une petite rade fort ignorée de la côte du Finistère, nous vîmes arriver du large, et toutes voiles dehors, une espèce de barque toute noire, toute charbonnée, portant fièrement, au bout du pic de sa brigantine enfumée, un pavillon anglais renversé. Rien de plus grotesque ne s'était encore offert sur mer à nos yeux. Nous nous primes d'abord à rire beaucoup de la prise qui nous arrivait. Quel corsaire maudit du sort, nous disions-nous, a pu mettre la patte sur une telle barquasse! Il faut apparemment qu'il n'ait eu rien de mieux à faire. La belle capture, et que le capteur est à plaindre! C'est probablement quelque brick charbonnier de Dublin ou de Corck. Il n'a pas pour plus de cinquante francs de voilure au vent, et il veut faire encore la frégate!

 

La prise avançait toujours vers nous, et, quelque piètre que fût sa mine, nous allâmes au-devant d'elle dans nos embarcations pour lui offrir notre assistance, s'il était besoin, soit pour la piloter dans le port ou la traîner à terre à coups d'aviron.

En approchant du navire, nous vîmes derrière, un grand jeune homme effilé qui se promenait sur le gaillard en se donnant des airs de commandement sous un gros bonnet rouge qui lui couvrait la moitié du visage. Avant de répondre aux questions que nous lui adressions comme au capitaine de la prise, il s'appuya les deux coudes sur le bastingage, et après nous avoir assez long-temps examinés, il s'écria d'une voix que nous crûmes tous reconnaître:

Beatus ille qui, etc.

«Le diable m'emporte, je crois que c'est vous autres!»

Nous ne fîmes tous qu'un seul cri en reconnaisant dans le capitaine de prise du charbonnier, notre bon ami Mainfroy!

«Et d'où viens-tu ainsi, notre brave camarade?

– Tiens, parbleu, je viens de la mer! Et mon corsaire, en avez-vous eu des nouvelles?

– Les journaux ont annoncé dernièrement qu'il venait d'être pris.

– Pris! Et le gaillard! tant mieux. Mon gueux de capitaine, pour se débarrasser de moi au bout de huit jours de mer, m'a donné le commandement de ce mauvais bateau avec cet équipage de canailles que vous voyez là. Et il se trouve que je suis attéri, et que c'est lui qui a été mis dans le sac! C'est charmant.

(S'adressant à son équipage.) «Voyons, tas de carognes, brasse un peu babord devant, et borde deux pouces de l'écoute de guy.... Croiriez-vous, mes amis, que voilà sept nuits que je passe sans fermer l'oeil?

– Tu as donc éprouvé bien du mauvais temps à la mer?

– Non pas précisément; mais j'ai été obligé de veiller pour faire aller mon monde à coups de trique. Quel chien de métier! si vous saviez? Mais enfin, me voilà rendu au port, Dieu merci, et comme dit Horace:

 
Non semper imbres nubibus hispidos
Manant in agros, etc.»
 

Nous nous mîmes en devoir, au moyen de nos embarcations, d'aider le navire assez lourd de notre ami, à arriver à terre. Le calme était survenu, et notre secours ne fut pas inutile au capitaine Mainfroy. «Mais, à propos, nous cria-t-il pendant que nous traînions son gros bâtiment à force de rames, ayez soin, mes camarades, de conduire ma barque dans l'anse la plus déserte de la côte; et dans l'endroit surtout où il y aura le moins de douaniers!

– Pourquoi cela?

– La bonne question, pourquoi cela! C'est afin d'avoir le moins possible de surveillans incommodes. Quoique mon brick ne soit chargé à peu près que de charbon de terre, j'ai ici quelque petite chose que je serais bien aise de pouvoir débarquer sans visa et sans contrôle importun. Et vous le savez bien:

Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude.

Vous m'entendez, n'est-ce pas? C'est pourquoi je ne vous en dirai pas davantage pour le moment.»

Les intentions de l'intègre capitaine furent comprises à merveille et exécutées avec ponctualité. Nous le nichâmes entre deux rochers, à l'abri de tous vents et près d'une partie du rivage où l'on ne pouvait se rendre que par des chemins à peu près impraticables. Le douanier même qui montait la garde en face de ce mouillage, avait de la peine à se promener pour se chauffer les pieds dans un aussi mauvais endroit. Le capitaine Mainfroy déclara que nous l'avions piloté avec une intelligence digne d'éloges. Il nous poussa sur cette circonstance, une citation latine ou peut-être bien même grecque, qu'il me serait difficile de me rappeler aujourd'hui. Il fit encore mieux: il ne consentit à nous laisser partir de son bord avec nos embarcations, qu'après nous avoir fourré en contrebande, dans le fond de nos canots, quelques pièces de cordage qu'il nous engagea à mettre à terre le plus vite et le plus adroitement que nous pourrions. »Demain, dit-il, nous nous reverrons. J'espère bien qu'alors je serai débarrassé de toutes les tracasseries de l'arrivée, et que j'aurai mis en lieu de sûreté tout ce qu'il y a de portatif à bord.»

Le lendemain, quand nous revîmes notre ami, il avait réussi à dévaliser, à très-peu de choses près, toute sa prise. Il ne restait plus à bord que le charbon qu'il n'avait pas pu enlever. Mais les câbles, les embarcations et la plupart des voiles, avaient passé sous le nez de la douane et du syndic de la marine, pour être vendus à des receleurs du pays.

«A présent, nous dit Mainfroy, je puis attendre paisiblement la part qui me reviendra légitimement sur cette prise. J'ai commencé par faire comme le roi des animaux, et en vertu d'un droit qui se résume en un hémistiche.... Sic nominor leo. Et si nous bambochions un peu maintenant, mes amis! Car nous pouvons dire enfin avec Horace:

Nunc est bibendum.

– Bambocher, bambocher! cela est bien facile à dire. Mais quelles bamboches veux-tu faire dans un pays à peu près sauvage?

– Un pays sauvage où j'ai trouvé à vendre toute ma contrebande en quelques heures! Vous allez voir comme on improvise des fredaines avec de l'argent. N'y a-t-il pas des filles ici?

– Oui, des filles sales à faire mal au coeur!

– On fait laver et brosser ces filles-là.

– Dans un trou où l'on ne trouverait seulement pas une baignoire au poids de l'or?

– On envoie ces filles-là se baigner à la mer.

– Dans le mois de janvier?

– Les bains froids à la lame sont toniques. Mais, au surplus, à défaut de filles, on fait du punch avec du rhum et du sucre, et j'ai encore de tout cela à bord de ma prise.»

Nous bambochâmes donc avec du punch, et du sein d'une orgie qui dura quarante-huit heures, notre ami partit à cheval pour Paris, afin, disait-il, de dépenser son argent sur un théâtre plus vaste. Il voulait aussi revoir sa famille.

Nous n'entendîmes plus parler de lui.

Deux mois s'étaient écoulés depuis notre séparation, lorsque nous le vîmes revenir à Brest dans un costume tout différent de celui sous lequel il était parti après notre bamboche sur la côte de Bretagne.

Notre ami Mainfroy nous apparut en habit marron, suivi par un faiseur de commissions qui marchait à cinq pas de lui, portant sans beaucoup d'efforts une valise. Cette valise était vide. Notre camarade, au-devant duquel je me précipitai tendrement du plus loin que je le vis, me demanda une dizaine de sous pour payer le jeune homme qui portait ses effets.

– Je n'ai plus le sou, me dit-il, et ma valise vaut à peine les cinquante centimes que tu vas donner pour elle. Je ne l'ai fait venir derrière moi que pour le décorum.

– Comment, tu portes des éperons d'or, et tu as le gousset à sec!

– Dis donc des éperons de cuivre doré, malheureux! Toujours pour le décorum. Il vaut mieux faire envie que pitié. Va, je me suis joliment amusé à Paris. C'est ça une ville civilisée! A propos, as-tu toujours l'habitude de déjeûner?

– Cette question!

– Non, je te demande cela parce que depuis cinq jours que je voyage, j'ai perdu cette bonne habitude par nécessité.... Déjeûnons pour me refaire un peu l'estomac à la vie de province.»

Nous déjeûnâmes.

Pendant plusieurs jours Mainfroy dîna, coucha ad turnum sur chacun des navires de guerre mouillés en rade. Il avait à bord de ces bâtimens assez d'amis pour vivre une ou deux semaines très-agréablement sans être obligé de porter deux fois un appétit à bord du même navire. Quant au blanchissage de son linge, il employait un procédé qui depuis a été renouvelé avec succès, mais dont, à coup sur, il peut passer pour l'inventeur. Un cahier de papier à lettres lui suffisait pour changer chaque jour, pendant une quinzaine, le col de l'unique chemise qu'il possédât; et quand il se promenait d'un air grave, l'habit boutonné jusqu'au menton, on aurait juré, à quatre pas de lui, que le liseré blanc qui relevait l'éclat de sa haute cravate noire, n'était rien moins que de la batiste nouvellement repassée. Ce n'était pourtant autre chose qu'une rognure de papier vélin. La nécessité, comme il disait, est bien la plus ingénieuse de toutes les couturières.

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