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Il est vrai.
Je sais qu'elle existe, mais j'ignore son nom; quel est-il?
Un dieu dans ma patrie, et dans mon cœur un sentiment exalté et comme divin; mais j'avoue qu'il est seulement mortel, car mon ame est humble et pourtant heureuse, – c'est-à-dire, désirant de l'être; mais-
Il y a toujours un intervalle entre nous et ce que nous regardons comme le bonheur: laisse-moi écarter la barrière que ta voix hésitante m'indique devant le tien: celle qui s'oppose au mien sera en même tems rompue.
Mon Seigneur! -
Mon Seigneur, – mon roi, – sire, – souverain, – toujours ainsi, toujours me parler avec respect. Il est dit que jamais je n'obtiendrai un sourire, si ce n'est au milieu de l'étourdissante joie d'un banquet, alors que les bouffons ont, à force d'ivresse, reconquis leur égalité, ou que moi-même je me suis mis au niveau de leur abaissement. Mirrha, je puis souffrir tout cela; ces noms de seigneur, roi, sire, monarque, je les ai même quelque tems accueillis, ou plutôt soufferts de la bouche des esclaves et des nobles; mais quand ils s'échappent des lèvres que j'adore, des lèvres que les miennes ont tendrement pressées, un frisson se répand sur mon cœur; je reviens au sentiment de la fausseté d'une situation qui réprime toute espèce de tendresse chez ceux même qui m'en inspirent davantage, situation qui me fait souhaiter de pouvoir déposer enfin la pesante tiare pour me réfugier sous une chaumière du Caucase avec toi, et pour n'y plus jamais porter que des couronnes de fleurs.
Plût au ciel!
Aurais-tu les mêmes sentimens? – Pourquoi?
Tu connaîtrais alors ce que tu ne peux jamais connaître.
C'est-
Le véritable prix d'un cœur; celui d'une femme, du moins.
J'en ai éprouvé un, mille, – et mille, et mille.
Des cœurs?
Je l'imagine.
Aucun! mais le tems d'en éprouver un viendra peut-être.
Je l'espère. Écoute, Mirrha; Salemènes a déclaré-pourquoi ou comment l'a-t-il deviné, c'est ce que Bélus, le fondateur de mes états, connaît mieux que moi: – mais Salemènes a déclaré mon trône en péril.
Il a bien fait.
Et toi aussi! Toi qu'il a si rudement insultée; qu'il osait, il n'y a qu'un instant encore, chasser de notre présence, par ses grossières invectives; toi dont il excitait la rougeur et les larmes?
Je devrais les rappeler plus fréquemment: il a bien fait de m'indiquer mon devoir. Mais tu parles de péril-de péril pour toi-
Oui, il existe de conspirations, des noirs complots parmi les Mèdes: – les troupes et les peuples murmurent. Je ne sais ce que c'est: – un labyrinthe, – un abîme de mystères et de menaces. Tu connais Salemènes, c'est là son habitude; mais il est honnête. Allons, ne songeons plus à cela, – mais à la fête de minuit.
Il est tems de penser à tout autre chose. N'as-tu pas repoussé ses sages précautions?
Eh quoi! – aurais-tu peur?
Peur! – Je suis Grecque, comment aurais-je peur de la mort? je suis esclave, pourquoi redouterais-je l'instant de ma liberté?
Cependant, tu viens de pâlir?
C'est que j'aime.
Et moi? Je t'aime plus, – bien plus que tout ce que m'offrent cette courte vie, cet immense royaume, également menacés; – cependant, je ne pâlis pas.
Cela prouve que tu n'aimes ni toi-même ni moi; car celui qui aime un autre s'aime lui-même, quand ce ne serait que pour cela. Ce que je vois est trop révoltant: des royaumes et des vies ne doivent pas être ainsi sacrifiés.
Sacrifiés! – Et quel est donc l'ambitieux qui tenterait de les conquérir?
Magnanime courage en effet! Quand celui qui les gouverne s'oublie lui-même, est-ce à eux de le lui rappeler?
Mirrha!
Ne fronce pas ainsi le sourcil: trop souvent j'ai recueilli ton sourire pour que la seule expression de ton courroux ne soit pas à mes yeux plus amère que le châtiment le plus cruel. – Roi, je suis ta sujette; maître, je suis ton esclave! homme, je t'ai aimé! – aimé, j'ignore par quelle fatale faiblesse, bien que la Grèce soit ma patrie, et que j'aie sucé la haine des rois. – Esclave, je devrais haïr les chaînes; Ionienne, je me sens, en aimant un étranger, plus avilie encore par cette passion que par l'esclavage! pourtant, je t'ai aimé. Si cet amour a eu le pouvoir d'étouffer tous les premiers sentimens de la nature, dis-moi, ne peut-il réclamer le privilége de te sauver?
Me sauver, ma belle maîtresse! Tu es mille fois trop belle; et ce que j'implore de toi, c'est ton amour, et non ta protection.
Et quelle sécurité peut exister loin de l'amour?
Je parle de l'amour des femmes.
La première source de la vie humaine jaillit du sein de la femme; vos premiers bégaiemens sont recueillis de ses lèvres, elle tarit vos premières larmes, elle recueille trop souvent vos derniers soupirs alors que les hommes ont déposé l'ignoble soin de garder la dernière heure de celui qui les commandait.
Ma sublime Ionienne! tes accens sont de la mélodie; c'est le chœur de ces tragédies dont je t'ai entendu parler comme du plaisir favori de tes antiques aïeux. Va, ne pleure pas, – calme-toi.
Je ne pleure pas. – Mais, je te prie, ne parle jamais de mes pères ou de ma patrie.
Pourtant, tu en parles souvent toi-même.
Oui, je l'avoue, l'opiniâtre pensée se fait souvent jour, malgré moi, dans mes paroles; mais quand un autre parle de la Grèce, il m'offense.
Eh bien donc, comment voudrais-tu me sauver, comme tu parles?
En t'apprenant à te sauver toi-même; et non pas toi seul, mais ton vaste empire, de la rage de la plus cruelle guerre-la guerre des concitoyens.
Ignores-tu donc, mon enfant, que j'ai en horreur et la guerre et les guerriers? Je vis dans la paix et les plaisirs: que peut-on exiger de plus d'un homme?
Hélas! seigneur, il faut trop souvent montrer à la multitude l'apparence de la guerre, pour obtenir les bienfaits de la paix; et, pour un roi, il vaut bien mieux être craint qu'aimé.
Je n'ai jamais recherché que ce dernier sentiment.
Et l'un et l'autre t'est échappé.
Est-ce toi, Mirrha, qui parles ainsi?
Je parle de l'amour populaire, amour égoïste, qui témoigne toujours que les hommes sont gouvernés par la crainte et par les lois, sans pourtant être opprimés; – du moins ne le supposent-ils pas. Ou, s'ils l'imaginent, ils le jugent nécessaire pour les préserver d'une tyrannie plus cruelle, celle de leurs passions. Pour un roi de fête, de fleurs, de vin, de banquets, d'amour et d'allégresse, jamais il ne sera un roi de gloire.
Gloire! Qu'est-ce que cela?
Demande-le aux dieux tes ancêtres.
Ils ne me répondront pas; quand les prêtres parlent pour eux, c'est pour obtenir quelques collectes nouvelles pour leurs temples.
Vois les annales des fondateurs de ton empire.
Elles sont tellement souillées de sang, que cela m'est impossible; mais que prétendrais-tu? L'empire a été fondé; je ne puis fonder empire sur empire.
Conserve du moins le tien.
Quoi qu'il arrive, j'en veux jouir. Viens, Mirrha, avance vers l'Euphrate, l'heure nous invite, la barque est prête, et le pavillon disposé pour notre retour après nous avoir offert la décoration d'un nocturne banquet, offrira à nos yeux ravis un globe lumineux, tel qu'un astre opposé aux étoiles célestes qui marcheront sur nos têtes; et cependant nous reposerons couronnés de fleurs, semblables-
A des victimes.
Non, non, mais comme ces souverains rois pasteurs, des tems reculés, qui ne connaissaient pas de plus brillantes pierreries que les guirlandes de l'été, et dont les triomphes ne coûtaient jamais de larmes. Allons.
Vive à jamais le roi!
Pas une heure après qu'il aura cessé d'aimer. Combien je hais ce langage, qui, faisant de la vie un mensonge, ose flatter la fragile poussière, de l'espoir de l'éternité! Eh bien, Pania, sois bref.
Je suis chargé par Salemènes de renouveler au roi sa prière, de ne pas, au moins pour aujourd'hui, sortir du palais: quand le général reviendra, il donnera des motifs capables de justifier sa hardiesse, et peut-être lui feront-ils obtenir le pardon de sa présomption.
Eh quoi! suis-je donc cerné? Suis-je déjà captif? Ne puis-je même respirer l'air du ciel? Dis au prince Salemènes que, toute la Syrie se pressât-elle en fureur et par millions autour de ces murailles, je sortirais.
Je dois obéir, et cependant-
De grâce, roi, écoute. – Combien de jours et de nuits es-tu resté renfermé dans ces murs, dans des robes de soies; combien de fois refusas-tu de te montrer aux vœux du peuple; laissant tes sujets privés de ta vue, les satrapes libres de le tourmenter, les dieux privés de leur culte, tout enfin dans l'anarchie, produit de ton indolence; tout, dans ton royaume assoupi, excepté le génie du mal! Et maintenant tu ne peux demeurer un seul jour, un jour d'où ton salut dépend? Oh! n'accorderas-tu pas au petit nombre de ceux qui te sont encore fidèles quelques heures pour eux, pour toi, pour la vieille race de tes pères, pour l'héritage enfin de tes fils?
Il est vrai! l'empressement extrême avec lequel le prince m'envoya devant votre personne sacrée m'oblige à joindre ma faible voix à celle qui vient de se faire entendre.
Non, il n'en sera rien.
Par le salut de ton royaume!
Sortons!
Par celui de tous tes fidèles sujets qui vont se rallier autour de toi et des tiens.
Pure chimère; il n'y a pas de danger; – c'est une habile invention de Salemènes pour justifier son zèle et pour se rendre plus nécessaire à nos yeux.
Au nom de tout ce qui est bon et glorieux, suis ce conseil.
Les affaires à demain.
Oui, ou la mort à la nuit.
Eh bien, laissons-la venir, inattendue, au milieu de la joie et des grâces, des plaisirs et de l'amour; qu'elle me fasse tomber comme une rose effeuillée, – plus heureuse ainsi que de vieillir fanée.
Ainsi, tu ne veux pas consentir, même au prix de tout ce qui jamais réveilla l'activité d'un monarque, à renoncer à un frivole festin?
Non.
Cède donc au moins pour moi, pour mon salut!
Le tien, chère Mirrha?
C'est la première demande que j'aie faite à un roi d'Assyrie.
Je le sais; et serait-ce celle de mon royaume, qu'il faudrait te l'accorder. Eh bien! pour ton salut, je cède. Pania, hors d'ici! tu as entendu.
Et j'obéis.
Tu me surprends. Quel est donc, Mirrha, le motif de pareilles instances?
Le soin de ta conservation, et la conviction que rien dans le monde, que le plus imminent danger, ne pourrait forcer le prince ton parent à te faire une prière aussi pressante.
Mais ce danger, si je le brave, pourquoi le craindrais-tu?
C'est justement parce que tu ne crains pas, que je crains pour toi.
Demain, tu riras de ces vaines imaginations.
Si j'ai cessé d'espérer, je serai alors au lieu où personne ne pleure, et j'y serai mieux que s'il me restait la liberté de sourire. Et toi?
Je serai roi comme précédemment.
Où?
Avec Baal, Nemrode et Sémiramis; seul en Assyrie, ou bien avec eux ailleurs. Le destin m'a fait ce que je suis, – il peut m'anéantir; – mais il faut que je sois ou roi, ou rien: je ne vivrai pas dégradé.
Ah! si toujours tu avais eu les mêmes sentimens, personne jamais n'eût songé à te dégrader.
Et qui maintenant y songerait?
N'as-tu de soupçons sur personne?
Des soupçons! – c'est là le métier des espions. Mais nous perdons mille momens précieux en paroles vaines, en craintes plus vaines encore. Renfermons-nous! – Vous, esclaves, préparez la salle de Nemrode pour la fête du soir. S'il faut faire une prison de notre palais, nous voulons du moins porter gaiement nos fers; l'Euphrate nous est-il interdit, et la demeure où l'été nous conviait sur ses charmans rivages? Eh bien, nous sommes ici hors d'atteinte. Allons, rentrons.
Et cet homme, je le chéris! Les filles de ma patrie n'aiment que des héros; mais je n'ai pas de patrie: l'esclave a tout perdu, excepté ses fers. Je l'aime, et l'anneau le plus pesant d'une longue chaîne est d'aimer ce que nous ne pouvons estimer. Soit: l'heure approche où il aura besoin de l'amour de tous, où il n'en trouvera nulle part. Me séparer de lui en ce moment serait plus infâme que ne serait glorieux, dans l'opinion de ma patrie, de l'avoir poignardé sur son trône, lorsqu'il y était le mieux affermi: je ne suis capable de l'un ni de l'autre. Si je pouvais le sauver, j'aimerais mieux, non pas lui, mais moi-même; et j'ai besoin de ce dernier sentiment: car je me suis avilie dans ma propre pensée en aimant ce séduisant étranger. Il me semble pourtant que je l'aime davantage depuis que je le vois haï de ces barbares, les ennemis naturels de la race grecque. Si je pouvais seulement éveiller dans son cœur une seule pensée comme celle qui animait les Phrygiens eux-mêmes quand ils combattaient entre les murs d'Ilion et les bords de la mer! Il voudrait écraser ces tumultueux barbares, et triompher de leur révolte. Il m'aime, et je l'aime moi-même: que l'esclave, en chérissant son maître, cherche à l'affranchir de ses vices. Si je n'y puis parvenir, il me reste un chemin vers la liberté; et si je ne puis lui apprendre à régner, je lui montrerai comment un roi peut seulement abandonner son trône. Il ne faut pas le perdre de vue.
Le soleil descend; il me semble marcher plus lentement, en jetant un dernier regard sur l'empire d'Assyrie. De quel rouge éclat, semblable aux flots de sang qu'il nous prédit, il colore les épais nuages! Oh! soleil, qui vas disparaître; étoiles, qui commencez votre course, si ce n'est pas en vain que je vous ai poursuivis, lisant dans chacun de vos rayons ces arrêts de vos orbes, que le tems frémit d'apporter aux nations, voici la dernière heure des années assyriennes. Quel calme, cependant! Une catastrophe que devraient annoncer des tremblemens de terre, – c'est un soleil d'été qui la révèle. Son disque offre sur son immortelle page, à l'œil du savant Chaldéen, la fin de ce qui semblait infini. Mais d'où vient donc que ce véridique soleil, cet oracle embrasé de tout ce qui respire, cette fontaine de toute vie, symbole de celui qui la donne, pourquoi restreint-il ses instructions dans les bornes du malheur? pourquoi n'éclaircit-il pas à nos yeux la venue de jours plus dignes de son glorieux essor de l'océan? pourquoi ne jette-t-il pas sur les années futures un rayon d'espérance, quand il en jette un de rage sur les présens jours? Écoute! oh! daigne m'écouter! Je suis ton adorateur, ton prêtre, ton esclave: – j'ai porté mes regards sur toi à ton lever comme à ton déclin; j'ai courbé ma tête sous les rayons de ton midi, alors que mes yeux n'osaient te fixer. J'ai veillé pour toi et après toi, j'ai prié vers toi, je t'ai offert des sacrifices, j'ai tremblé devant toi, je t'ai consulté, j'ai lu et tu as répondu. – Le tems fuit; l'astre, tandis que je parle, tombe; – il n'est plus. – Il va porter sa beauté, et non les mêmes arrêts, à l'heureux couchant, qui trouvera dans les couleurs de sa gloire déclinante des causes d'allégresse. Qu'est-ce, après tout, que la mort, pourvu qu'elle soit glorieuse? un soleil couchant; et les mortels sont peut-être heureux de ressembler, même en cessant d'exister, aux dieux du ciel.
Pourquoi, Belèses, te vois-je ainsi ravi dans tes pratiques dévotes? Suivrais-tu la trace de ton dieu disparu dans quelques royaumes d'un jour interdit à nos yeux? Soyons tout à la nuit: – elle est venue.
Elle n'est pas terminée.
Qu'elle se passe, – nous sommes prêts.
Oui, que n'est-elle écoulée!
Le prophète aurait-il des doutes, lui auquel les astres viennent de promettre la victoire?
Je ne doute pas de la victoire, – mais du vainqueur.
Eh bien, c'est à ta science à te rassurer. En attendant, j'ai disposé assez de glaives étincelans pour obscurcir l'éclat de tes astres nos alliés: rien ne doit plus nous arrêter. Le roi femme, et même moins que femme, vogue en ce moment sur les ondes, avec ses compagnons féminins; l'ordre est donné pour la fête dans le pavillon: et la première coupe qu'il portera à ses lèvres sera la dernière vidée par la race de Nemrod.
Ce fut une brave race.
Elle n'est plus que faible; – elle est usée: – nous la restaurerons.
Es-tu sûr de cela?
Son fondateur était un chasseur; – je suis un soldat: – que doit-on ici craindre?
Le soldat.
Et le prêtre, peut-être. Mais si vous en jugiez, ou en jugez ainsi, pourquoi ne pas garder votre roi de concubines? pourquoi me solliciter, m'entraîner à cette entreprise, la vôtre non moins que la mienne?
Regarde le ciel!
Je regarde.
Qu'y vois tu?
Un beau crépuscule d'été, et l'assemblée des étoiles.
Au milieu d'elles, vois la plus avancée et la plus radieuse; comme elle sautille et semble vouloir abandonner sa place dans le dais d'azur!
Eh bien!
C'est ta propre étoile, la planète qui présida à ta naissance.
Mon étoile est dans ce fourreau: quand elle brillera, elle effacera l'éclat des comètes. Mais songeons à ce qu'il faut faire pour justifier tes planètes et leur prophétie. Quand nous aurons vaincu, elles auront des temples, – oui, et des prêtres: – tu seras le pontife-des dieux que tu choisiras; car j'observe qu'ils sont toujours justes, et qu'ils ne manquent pas d'avouer le plus brave pour celui qui les aime le mieux.
Oui, et le plus dévot pour brave. – Tu ne m'as pas vu reculer dans le combat?
Non; je te reconnais aussi brave dans une bataille qu'un capitaine babylonien, aussi intrépide que savant dans les mystères chaldéens. Mais consens-tu pour le moment à oublier le prêtre pour ne plus être que guerrier?
Pourquoi pas tous les deux?
Mieux encore! et pourtant j'ai presque honte d'avoir si peu de chose à faire. La défaite de cette guerre de femme dégrade le vainqueur lui-même. Renverser de son trône un brave et sanguinaire despote, lutter avec lui, croiser fer contre fer, voilà ce qu'il serait héroïque de tenter, même en vain; mais lever mon glaive contre ce ver-à-soie, l'entendre répandre des larmes, peut-être-
Ne le suppose pas: il y a dans lui de quoi vous donner des traverses; et fût-il ce que vous croyez, ses gardes sont vaillantes, et conduites par le prudent et intrépide Salemènes.
Ils ne résisteront pas.
Et pourquoi? ils sont soldats.
Il est vrai, et c'est pourquoi il leur faut un soldat pour les commander.
Salemènes l'est.
Mais non leur roi. D'ailleurs il hait l'automate efféminé qui gouverne, à cause de la reine sa sœur. Avez-vous remarqué comme il se tient à l'écart de toutes les fêtes?
Mais non du conseil, auquel il ne manque jamais.
Il y est toujours contredit; quoi de plus pour décider sa révolte? Un fou sur le trône, sa famille déshonorée, et lui-même abreuvé de dédains: c'est pour le venger que nous travaillons.
Puisse-t-il être conduit à le penser! mais j'en doute.
Si nous le sondions?
Oui, – si le tems nous favorisait.
Satrapes, le roi vous ordonne de venir à la fête de cette nuit.
Entendre c'est obéir. Dans le pavillon?
Non, ici dans le palais.
Dans le palais? Comment! ce n'était pas là l'ordre?
C'est celui du moment.
Et pourquoi?
Je ne sais. Puis-je me retirer?
Reste.
Chut! laisse-le aller. (Puis à Baléa.) Oui, Baléa, remercie le monarque, baise la frange de son impériale robe, et dis-lui que ses esclaves ramasseront les miettes qu'il daignera jeter de sa table royale. Et l'heure, n'est-ce pas minuit?
Oui; le lieu, la salle de Nemrod. Seigneurs, je m'incline devant vous, et je vous quitte. (Baléa sort.)
Je n'aime pas ce changement subit; il y a quelque mystère: qui peut l'avoir occasionné?
Et ne change-t-il pas mille fois en un jour? la paresse est de toutes les choses la plus capricieuse; elle a dans ses projets plus de détours que n'en mettent les généraux dans leur marche, quand ils songent à dérouter leurs ennemis. – Pourquoi cet air rêveur?
Il aimait ce riant pavillon; c'était, pendant l'été, sa fureur.
Il aimait aussi la reine-et de plus, trois mille courtisanes. – Il aima toutes choses les unes après les autres, sauf la gloire et la sagesse.
Quoi qu'il en soit, je n'aime pas cela. S'il a changé, il faut faire de même. Dans un bosquet isolé, au milieu de gardes endormis et de courtisans ivres, l'attaque était facile, mais dans la salle de Nemrod-
En est-il ainsi? J'imaginais que le fier soldat tremblait de conquérir trop facilement un trône: et maintenant le voilà désappointé de rencontrer une ou deux marches plus glissantes qu'il ne s'y attendait!
Une fois l'heure venue, tu jugeras si je crains peu ou beaucoup. Tu as vu ma vie exposée au hasard: – je la jouais gaiement; mais ici il s'agit d'une plus haute chance, – un royaume.
Je l'ai prévu d'avance, – tu le gagneras; en avant donc, et réussis.
Va, si j'étais un prophète, je me serais gratifié de la même prédiction. Mais obéissons aux étoiles, – je ne dois pas quereller avec elles ou avec leur interprète. Qui vient?
Satrapes!
Mon prince!
Bien! Ici réunis? – Je vous cherchais tous deux; mais ailleurs que dans le palais.
Pourquoi cela?
Ce n'est pas l'heure.
L'heure? – quelle heure?
De minuit.
Minuit, seigneur?
Quoi! n'êtes-vous pas invités?
Oh! oui, – nous l'avions oublié.
Est-il donc ordinaire d'oublier une invitation du souverain?
Pourquoi? – nous ne faisons que de la recevoir.
Pourquoi donc êtes-vous ici?
Notre devoir nous y appelle.
Quel devoir?
Celui de notre rang. Nous avons le privilége d'approcher le monarque, mais nous l'avons trouvé absent.
Et moi aussi, je suis à mon devoir.
Pouvons-nous savoir à quoi il vous oblige?
A arrêter deux traîtres: holà! gardes.
Satrapes, vos épées!
Seigneur, voilà mon cimeterre.
Viens la prendre.
Volontiers.
Oui, mais le fer touchera ton cœur, – et la poignée ne quittera pas ma main.
Comment, veux-tu me braver? Fort bien! – cela te sauvera un jugement et une pitié intempestive. Soldats, terrassez le rebelle!
Tes soldats! oui, – seul tu ne l'oserais pas.
Seul! téméraire esclave. – Et qu'y a-t-il en toi qu'un prince puisse trembler de subjuguer? Nous craignons ta trahison, et non pas ta force. Ta dent serait impuissante sans son venin: – c'est celle du serpent, et non pas du lion. Terrassez-le.
Êtes-vous fou, Arbaces? N'ai-je pas rendu mon épée? Confiez-vous donc comme moi dans la justice de notre souverain.
Non: – j'ai plutôt confiance dans les étoiles que tu fais bavarder, et dans la dextérité de ce bras; je mourrai roi, du moins de mon ame et de mon corps, et personne ne pourra jamais les enchaîner.
Vous nous entendez, lui et moi: ne l'enchaînez pas. La mort. (Les gardes attaquent Arbaces, qui se défend lui-même avec vaillance et adresse, jusqu'à ce qu'ils paraissent hésiter.) Ah! c'est ainsi; et je me vois contraint à faire l'office du bourreau! Lâches! voyez comme on doit frapper un traître.
Arrêtez! – sur vos vies, arrêtez! Eh quoi! êtes-vous ivres ou sourds? Mon épée! Insensé! je ne porte pas d'épée: toi, mon ami, donne-moi ton glaive. (Il arrache une épée à l'un des soldats, et se place entre les combattans. – Ils se séparent.) Dans mon propre palais! querelleurs insolens! Qui m'empêcherait de vous fendre, la tête?
Votre justice, sire.
Oui; ou bien-votre faiblesse.
Comment?
Frappez! pourvu que vous mêliez mon sang à celui de ce traître, – que, j'espère, vous n'épargnez en ce moment que pour le réserver aux tortures: – je ne me plaindrai pas.
Eh quoi! – qui ose donc attaquer Arbaces?
Moi!
Vraiment! vous vous oubliez, prince. Sur quelle garantie?
La tienne.
Le sceau du roi!
Oui; et c'est au roi à confirmer sa confiance.
Je ne l'ai pas donnée pour une pareille fin.
Vous me l'avez accordée pour votre salut: – j'en ai fait le meilleur usage. – Prononcez en personne. Ici, je ne suis que votre esclave; – j'étais, il n'y a qu'un moment, un autre vous-même.
Alors, cachez vos épées.
La mienne est rentrée; mais, je vous en conjure, ne rentrez pas la vôtre: c'est le seul sceptre que vous puissiez aujourd'hui porter prudemment.
Il est lourd; la poignée me froisse la main. (Au garde.) Tiens, ami, prends ce noir glaive. Eh bien! messieurs, que nous annonce tout cela?
C'est au prince à nous le dire.
Loyauté de ma part, trahison de la leur.
Trahison! Arbaces, vous, Belèses, un traître! Voilà deux mots que je ne croirai jamais unis ensemble.
Quelle en est la preuve?
Je la donnerai, si le roi redemande l'épée de votre complice.
Une épée qui fut aussi souvent que la tienne tirée contre ses ennemis.
Et maintenant contre son frère, et dans une heure contre lui-même.
Cela n'est pas possible: il n'oserait; non, non, – je ne veux rien entendre de pareil. Ces vains propos sont dans les cours l'ouvrage d'intrigues basses et d'ambitieux plus vils encore, vivant des calomnies qu'ils déversent sur les gens de bien. Il faut que l'on vous ait trompé, mon frère.
Avant tout, faites-lui rendre son arme, et avouer par là qu'il reste votre sujet: je répondrai ensuite.
Comment? si je le pensais! – Mais non, c'est impossible; le Mède Arbaces, – le loyal, le brave, le fidèle soldat, – le meilleur capitaine qui ait conduit nos peuples: – non, non, je n'irai pas l'insulter en lui ordonnant de rendre le glaive qu'il n'a jamais laissé prendre à nos ennemis. Guerrier, gardez votre arme.
Monarque, reprenez votre seing.
Non, garde-le; seulement use-s-en avec plus de modération.
Sire, j'en ai usé pour votre honneur; je vous le rends, parce que je ne le puis garder sans perdre le mien: confiez-le à Arbaces.
Je le devrais; il ne l'a jamais demandé.
N'en doutez pas; il le possédera sans avoir besoin de l'implorer respectueusement de vous.
J'ignore ce qui a pu irriter aussi vivement le prince contre deux sujets dont personne ne surpasse le zèle pour le bonheur de l'Assyrie.
Silence, prêtre factieux, soldat sans foi! Dans ta personne se trouvent réunis les plus détestables vices de la caste la plus dangereuse; garde tes doucereuses paroles et tes hypocrites homélies pour ceux qui ne te connaissent pas. Le crime de ton complice est hardi du moins, il ne se cache pas sous les ruses que tu as apprises des Chaldéens.
Vous l'entendez, mon roi, – vous le fils de Bélus! Il blasphème le culte de la contrée qui fléchit le genou devant vos ancêtres.
Oh! pour cela, je vous prie, veuillez lui accorder absolution complète. Je le dispense du culte des hommes morts; je sens que je suis mortel, et je crois que ceux desquels je reçus la vie étaient, – ce que je les vois en effet, – des cendres.
Ne le croyez pas, ô roi! ils sont au rang des astres, et-
Vous pourriez bien aller les rejoindre, à moins qu'ils ne se lèvent, si vous prêchez davantage. – Comment! c'est là une audacieuse trahison!
Seigneur!
Venir m'édifier en parlant du culte des idoles assyriennes! Qu'on le relâche, – et qu'on lui donne son épée.
Mon Seigneur, mon roi, mon frère, arrêtez, de grâce.
Oui, pour être sermoné, fatigué, assourdi de l'histoire des morts, de Baal, et de tous les mystères radieux de la Chaldée.
Respectez-les, monarque.
Oh! pour ces derniers, – je les aime; j'aime à les contempler dans le sombre azur des cieux, et à les comparer avec les yeux de ma Mirrha; j'aime à voir leur étincelle se réfléchir dans le mobile argent du grand fleuve, alors que la brise légère de minuit en ride la nappe mobile et soupire à travers les joncs qui bordent ces rivages; mais qu'ils soient des dieux, comme quelques-uns le disent, ou bien les demeures des dieux comme d'autres le prétendent, plutôt que de simples fanaux nocturnes, mondes ou flambeaux de monde, je ne le sais ou m'en inquiète; il y a dans mon incertitude quelque chose de doux que je ne voudrais pas changer pour vos connaissances chaldéennes. D'ailleurs, je sais sur ce point tout ce que la matière peut savoir de ce qui se trouve au-dessus ou au-dessous d'elle, – c'est-à-dire, rien. Je vois leur éclat, je sens leur beauté; – et quand ils éclaireront mon tombeau, j'ignorerai également l'un et l'autre.
Au lieu de ni l'un ni l'autre, sire, dites mieux que l'un et l'autre.
J'attendrai, si vous le trouvez bon, pontife, que je reçoive cette connaissance. En attendant, reprenez votre épée; et sachez que je préfère vos services militaires à votre ministère pieux: – sans pourtant aimer l'un ni l'autre.
Ses débauches l'ont rendu fou. Je le sauverai donc en dépit de lui-même.
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