Le Souvenir Zéro

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CHAPITRE DEUX

Zéro fut soulagé de ne pas avoir à parler d’elles. Et Alan n’était pas idiot : il n’avait posé aucune question sur les filles.

Reidigger resta encore quarante-cinq minutes avant de se lever de son transat, de s’étirer et d’annoncer comme à son habitude qu’il ferait mieux de retourner à son train-train.” Zéro lui fit une brève accolade, puis un signe de la main alors qu’il démarrait son pick-up et quittait l’allée, le remerciant silencieusement de ne pas avoir demandé des nouvelles de ses filles parce qu’en fait, si Alan lui avait demandé comment elles allaient, Zéro n’aurait pas été capable de répondre.

Il trouva Maria dans la cuisine avec un tablier par-dessus ses vêtements de travail, en train d’émincer un oignon. “Vous avez passé un bon moment ?”

“Ouais.”

Silence. Juste le bruit rythmé du couteau contre la planche à découper.

“Tu es prêt pour ce soir ?” demanda-t-elle au bout d’un long moment.

Il acquiesça. “Ouais, absolument.” Il ne l’était pas. “Qu’est-ce que tu prépares ?”

Bigos.” Elle vida ce qui se trouvait sur la planche à découper dans une grande cocotte sur le feu qui contenait déjà de la saucisse kielbasa fumée, du chou, et d’autres légumes. “C’est un ragoût polonais.”

Zéro fronça les sourcils. “Bigos. Depuis quand tu fais des bigos ?”

“C’est ma grand-mère qui m’a appris.” Elle esquissa un sourire énigmatique. “Il y a encore pas mal de choses que tu ne sais pas sur moi, Monsieur Steele.”

“J’imagine.” Il hésitait, se demandant quelle était la meilleure façon d’aborder le sujet qu’il avait en tête. Puis, il décida que le mieux était d’être direct. “Hum… Et au fait, ce soir, tu crois que tu pourrais essayer de ne pas m’appeler Kent ?”

Maria s’arrêta, la lame de son couteau au-dessus d’un champignon séché. Elle fronça les sourcils, mais hocha la tête. “Ok. Comment veux-tu que je t’appelle ? Reid ?”

“Je…” Il allait acquiescer, quand il réalisa qu’il ne le voulait pas vraiment non plus. “Je ne sais pas.” Peut-être, pensa-t-il, qu’elle pourrait juste éviter de m’appeler tout court.

“Euh.” À voir son expression, il était évident qu’elle était inquiète et qu’elle voulait savoir ce qui se passait dans sa tête, mais ce n’était pas le moment de discuter de tout ça. “Et si je t’appelais seulement ‘cookie’ ?”

“Très drôle.” Il sourit malgré lui.

“Ou ‘cupcake’ ?”

“Je vais aller me changer.” Il venait de quitter la cuisine quand Maria le rappela en rigolant.

“Attends, j’ai trouvé. Je vais t’appeler ‘mon petit cœur en sucre.’”

“Je t’ignorerai,” lui répondit-il. Il appréciait ce qu’elle était en train de faire : tenter de détendre l’atmosphère avec un peu d’humour. Mais, alors qu’il atteignait le sommet du petit escalier menant à la mezzanine, l’anxiété le gagna à nouveau. Il était content qu’Alan soit venu, car il avait pu penser à autre chose. Il remerciait Alan de ne pas avoir parlé des filles car, ainsi, il n’avait pas eu à affronter la réalité ou ses souvenirs. Mais il ne pouvait plus l’éviter maintenant.

Maya venait dîner chez eux ce soir.

Zéro inspecta son jean, s’assura qu’il était exempt de trous ou de taches de café, puis troqua son tee-shirt contre une chemise rayée.

Tu es un menteur.

Il passa un coup de peigne dans ses cheveux. Ils devenaient trop longs et viraient lentement au gris, en particulier au niveau des tempes.

Maman est morte à cause de toi.

Il se mit de profil et s’inspecta dans le miroir, rejetant ses épaules en arrière et essayant de rentrer la petite bedaine qui s’était développée autour de son nombril.

Je te déteste.

Le dernier échange significatif qu’il avait eu avec sa fille aînée avait tourné au pugilat. Quand il lui avait dit la vérité sur la mort de leur mère dans la chambre d’hôtel du Plaza, Maya s’était levée de son lit. Elle avait commencé à parler d’une voix calme, mais elle était rapidement montée d’une octave. Son visage était devenu rouge pendant qu’elle l’insultait. Elle l’avait traité de tous les noms qu’il méritait. Elle lui avait dit exactement ce qu’elle pensait de lui, de sa vie et de ses mensonges.

Après ça, plus rien n’avait jamais été pareil. Leur relation avait instantanément et dramatiquement changé, mais ce n’était pas le plus triste. Au moins, elle était encore là physiquement à l’époque. Non, la combustion lente avait été bien pire. Après leur séjour à l’hôtel, une fois de retour dans leur maison d’Alexandria, Maya avait repris l’école afin de finir son année de première au lycée. Elle avait raté deux mois de cours, mais elle s’était plongée dans ses livres avec une intensité que Zéro avait rarement vue chez elle.

Puis, l’été était arrivé, mais elle était restée enfermée dans sa chambre à étudier. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre ce qui se passait. Maya était diablement intelligent… trop intelligente pour son propre bien, disait-il souvent. Mais, dans ce cas, elle avait été trop intelligente pour son bien à lui.

Maya avait étudié et travaillé dur. De plus, grâce à un règlement peu connu dans la charte du district de son école, elle avait pu sauter la dernière année de lycée en passant et en réussissant tous les examens par anticipation. Elle avait obtenu son diplôme de fin d’études secondaires avant la fin de ce premier été, même s’il n’y avait eu aucune cérémonie, pas de chapeau carré et de robe, pas de défilé avec ses camarades de classe. Pas non plus de fierté et de photo souriante aux côtés de son père et de sa sœur. Il y avait juste eu un courrier officiel et un diplôme reçu un jour dans la boîte aux lettres, ainsi que l’ahurissement dégoûté de Zéro qui venait de comprendre ce qu’elle tramait.

Et, seulement à ce moment-là, elle était partie.

Il soupira. Cela faisait maintenant plus d’un an. Il l’avait vue pour la dernière fois seulement l’été dernier, fin juillet ou début août, peu de temps après son quarantième anniversaire. Elle rentrait rarement de New York ces derniers temps. Cette fois-là, elle était revenue chercher certaines de ses affaires qu’il gardait stockées et elle avait accepté avec hésitation de déjeuner avec lui. Ce moment avait été bizarre, tendu, et le silence avait rarement été rompu. Il lui avait posé des questions, souhaitant qu’elle lui raconte sa vie, mais elle n’avait donné que des réponses succinctes en évitant de croiser son regard.

Et maintenant, voilà qu’elle venait dîner.

“Hé.” Il n’avait pas entendu Maria entrer dans la chambre, mais il sentit ses bras autour de sa taille, puis elle posa la tête contre son dos. “C’est normal d’être un peu nerveux.”

“Je ne suis pas nerveux.” Il était très nerveux. “Ça va faire du bien de la voir.”

“C’est vrai.” Maria avait tout organisé. C’était elle qui avait appelé Maya pour l’inviter la prochaine fois qu’elle serait en ville. L’invitation avait été lancée deux mois plus tôt. Maya était en Virginie ce week-end pour rendre visite à d’anciens amis d’école et avait accepté à contre-cœur de venir. Juste pour le dîner. Elle ne comptait pas rester. Elle avait été très claire là-dessus.

“Au fait,” dit doucement Maria derrière lui, “je sais que le moment est mal choisi, mais…”

Zéro fit la grimace. Il savait ce qu’elle s’apprêtait à dire et aurait préféré qu’elle n’aborde pas le sujet.

“Je suis en période d’ovulation.”

Il resta silencieux un long moment, assez long pour réaliser que ce silence devenait embarrassant en s’étendant entre eux.

Quand ils avaient emménagé ensemble, ils avaient convenu qu’aucun des deux n’était vraiment intéressé par le mariage. Il n’avait d’ailleurs même pas envisagé d’avoir des enfants avec elle. Mais Maria n’avait que deux ans de moins que lui. Elle approchait donc rapidement de la quarantaine. Il n’y avait plus de bouton pause sur l’alarme de son horloge biologique. Au départ, elle l’avait juste mentionné dans la conversation, l’air de rien. Puis elle avait cessé de prendre la pilule et commencé à surveiller son cycle.

Pourtant, ils ne s’étaient jamais véritablement posés pour en parler. C’était comme si Maria avait simplement jugé que puisqu’il avait déjà endossé ce rôle deux fois par le passé, il serait d’accord pour être père à nouveau. Même s’il ne l’avait jamais dit clairement, il suspectait secrètement que c’était la raison pour laquelle elle ne l’avait pas poussé à retourner à l’agence, ou même à reprendre son activité de professeur. Elle l’aimait où il était, parce que ça impliquait qu’il y aurait quelqu’un à la maison pour s’occuper d’un bébé.

Comment est-il possible, songea-t-il amèrement, que ma vie de civil sans emploi soit plus compliquée que celle d’agent sous couverture ?

Il avait attendu trop longtemps pour répondre et, quand il finit par le faire, ça sonnait faux et forcé. “Je pense,” dit-il enfin, “que nous devrions mettre ça de côté pour l’instant.”

Il sentit ses bras tomber de sa taille et il se hâta d’ajouter, “Juste le temps que cette visite soit passée. Ensuite, nous en discuterons et nous déciderons…”

“Attendre encore.” Elle avait presque craché ces mots et, quand il se retourna vers elle, elle regardait par terre avec une déception non dissimulée.

“Ce n’est pas ce que je dis.”

Si, ça l’est.

“Il me semble juste que ça mérite une discussion approfondie,” dit-il.

Histoire que je rassemble assez de courage pour lui dire que je n’en veux pas.

“Nous devrions déjà faire face à ce qui nous attend ce soir.”

Comme le fait que les deux enfants que j’ai déjà élevés me détestent.

“Ouais,” dit Maria à voix basse. “Tu as raison. Nous allons attendre encore.” Elle se tourna pour quitter la chambre.

“Maria, attends…”

“Je dois finir de préparer le dîner.” Il entendit le bruit de ses pas dans l’escalier et se maudit d’avoir si mal géré la situation. Mais c’était à peu près le cours normal de sa vie ces derniers temps.

 

C’est alors que la sonnette retentit. Le son envoya une décharge électrique dans son système nerveux.

Il entendit la porte d’entrée s’ouvrir, puis la voix joyeuse de Maria : “Salut ! Ça fait plaisir de te voir. Entre, entre.”

Elle était là. Soudain, Zéro eut l’impression d’avoir des poids lestés dans ses chaussures. Il n’avait pas envie de descendre. Il ne voulait pas affronter ça.

“Et tu dois être Greg…” dit Maria.

Greg ? C’est qui ce Greg ? Soudain, il trouva la volonté d’avancer. Il descendit une marche à la fois et elle apparût lentement. Ils s’étaient vus il y a quelques mois à peine, pourtant il eut le souffle coupé en la voyant.

Maya avait dix-huit ans à présent. Ce n’était plus une enfant et ça se voyait bien plus qu’il ne voulait l’admettre. Lorsqu’ils s’étaient retrouvés pour déjeuner l’été précédent, ses cheveux étaient encore longs et remontés en chignon, comme le règlement de l’armée le réclamait, mais elle les avait fait raccourcir depuis, arborant une coupe courte à l’arrière et sur les côtés, avec de grandes mèches qui balayaient son front en accentuant son visage fin qui devenait ainsi plus mature et anguleux. Elle avait l’air plus forte et les muscles de ses bras s’étaient développés, petits mais compacts.

Elle lui ressemblait de plus en plus, alors qu’il avait de moins en moins l’impression d’être lui-même à chaque jour qui passait.

Maya leva les yeux vers lui, alors qu’il atteignait le bas des marches. “Salut.” C’était un salut passif, ni enjoué, ni dédaigneux. Neutre. Comme quelqu’un salue un étranger.

“Salut, Maya.” Il allait la serrer dans ses bras, mais il lut une pointe d’appréhension sur son visage. Il l’étreignit à moitié, un bras autour de ses épaules en lui tapotant le dos. “Tu as… tu as l’air en forme.”

“C’est le cas.” Elle se râcla la gorge et aborda le sujet gênant. “Je te présente Greg.”

Le garçon, si on pouvait l’appeler ainsi, s’avança et tendit la main avec enthousiasme. “Monsieur Lawson, c’est un plaisir de vous rencontrer.” Il était grand, un mètre quatre-vingt-trois, avec de courts cheveux blonds, une dentition parfaite et des bras bronzés qui testaient les limites des manches de son polo.

On aurait dit le quarterback du lycée.

“Euh, enchanté, Greg.” Zéro serra la main du gamin. Greg avait une forte poigne, plus ferme que nécessaire.

Zéro le détesta immédiatement. “Tu es un, euh, un ami d’école de Maya ?”

“Petit ami,” dit Maya sans flancher.

Ce type ? Zéro l’aimait encore moins à présent. Son sourire, ses dents… Il se retrouva consumé par la jalousie. Cet idiot souriant était proche de sa fille. Plus proche que Zéro n’était autorisé à l’être.

“Pourquoi est-ce qu’on reste plantés là ? Venez, suivez-moi.” Maria referma la porte et les conduisit au salon. “Asseyez-vous. Le dîner n’est pas encore tout à fait prêt. Je vous sers quelque chose à boire ?”

Ils répondirent, mais Zéro ne les entendit même pas. Il était bien trop occupé à examiner cette personne relativement inconnue dans sa maison… et il ne parlait pas de Greg. Maya était en train de devenir une jeune femme, avec sa nouvelle coupe et ses vêtements impeccables, son petit ami, son école et ses objectifs de carrière… et il n’était pas inclus là-dedans. Dans rien de tout ça.

Malgré tout ce qui s’était passé, Maya n’avait pas dévié de l’objectif qu’elle s’était fixé presque deux ans plus tôt. Elle voulait être agent de la CIA. Plus que ça, elle voulait devenir la plus jeune agente de toute l’histoire de la CIA. Mais ça n’avait rien à voir avec le fait de suivre les traces de son père. Elle avait vécu des expériences traumatisantes, en particulier le fait d’avoir été kidnappée et remise à un réseau de trafiquants d’êtres humains. Voilà pourquoi elle voulait faire partie des protecteurs qui se battaient pour empêcher que ça n’arrive à d’autres jeunes femmes.

Une fois achevée sa dernière année de lycée, Maya avait postulé à l’académie militaire de West Point dans le dos de Zéro. Même si son bulletin était excellent, elle n’avait aucune expérience du corps d’entraînement des officiers réservistes, ni aucun plan de service militaire, donc elle ne représentait pas la candidate idéale. Mais elle avait une fois de plus prévu son coup.

Avec une ruse sacrément fourbe qui laissait présager d’une illustre carrière dans les opérations sous couverture, Maya était passée outre son père pour s’adresser à son collègue agent (et ami) Todd Strickland. Par son intermédiaire, et sous le prétexte d’être la fille de l’Agent Zéro, elle avait réussi à obtenir une lettre de recommandation du président de l’époque, Eli Pierson, qui avait pensé accorder ainsi une faveur personnelle à Zéro. Elle avait été acceptée à West Point et avait déménagé à New York avant la fin de ce premier été qui avait suivi la découverte de la vérité à propos de sa mère.

Zéro avait découvert tout ça alors qu’elle faisait ses valises. Il était déjà trop tard pour l’arrêter, même si ce n’était pas faute d’avoir essayé. Mais aucune supplique ne l’avait dissuadée.

Elle était à présent en deuxième année et, même si les liens entre le père et la fille étaient presque coupés, Maria prenait des nouvelles de Maya aussi régulièrement que possible et tenait Zéro au courant. Il savait qu’elle était la meilleure de sa classe, excellant dans tout ce qu’elle entreprenait et faisant la fierté de son université. Il savait qu’elle se dirigeait vers une grande carrière.

Il espérait juste que son chemin de carrière soit plus heureux que le sien qui avait conduit au meurtre de sa mère et ruiné ses relations avec son père.

“Alors.” Greg se râcla la gorge, assis à côté de Maya sur le canapé, tandis que Zéro était face à eux dans un fauteuil. “Maya m’a dit que vous êtes comptable ?”

Zéro esquissa un léger sourire. Bien sûr, Maya avait choisi un travail particulièrement fade pour sa couverture. “En effet,” dit-il. “En finance d’entreprise.”

“C’est… intéressant.” Greg s’efforça de sourire en retour.

Quel flagorneur. Qu’est-ce qu’elle lui trouve à ce type ? “Et toi, Greg ?” demanda-t-il. “Qu’est-ce que tu comptes faire ensuite ? Devenir officier ?”

“Non, non, je ne crois pas que ce soit fait pour moi.” Le gamin secoua la main comme s’il rejetait cette idée. “Je prévois de rejoindre la NCAVC. À l’UAC exactement…” Il s’interrompit et émit un petit rire. “Désolé, Monsieur Lawson, j’avais oublié que je parlais à un civil. Je veux devenir agent du FBI de l’Unité d’Analyses Comportementales à la Division des Crimes Violents. Vous savez, les types qui traquent les tueurs en série, les terroristes nationaux, etc.”

“Ça a l’air cool,” répondit platement Zéro. Bien sûr qu’il savait ce qu’était la NCAVC et l’UAC, tout comme n’importe quelle personne qui allume la télévision en prime time, mais il ne s’en vanta pas. En fait, il était presque sûr que si ce sale gosse en face de lui savait qu’il était l’Agent Zéro, il ravalerait son sourire mielleux pour se transformer en admirateur à ses pieds en moins de cinq secondes.

Mais il ne pouvait rien dire de tout ça. Aussi, il ajouta, “Ça semble ambitieux également.”

“Greg peut le faire,” claironna Maya. “C’est le premier des deuxièmes classes.”

“Ça veut dire ‘junior,’” expliqua Greg à Zéro. “Mais nous ne l’appelons pas ainsi à West Point. Et Maya est la meilleure des troisièmes classes.” Il tendit la main et serra doucement le genou de Maya.

Zéro dut se retenir physiquement de grimacer de dégoût. Soudain, il comprit pourquoi Maya était venue avec ce garçon. Il jouait plus qu’un simple rôle de tampon entre eux. Puisqu’il était ici, ils ne pouvaient pas parler ouvertement. Il n’y aurait pas de discussion sur la CIA ou sur le passé. Bon sang, il n’était même pas sûr de pouvoir lui demander ce qu’il voulait savoir avant tout, c’est-à-dire des avoir des nouvelles de Sara.

Le départ de l’école de Maya l’avait anéanti. Mais Sara… même après tout ce temps, c’était comme si le clou dans le cercueil avait directement transpercé son cœur.

Greg parlait toujours, à propos du FBI et de faire le ménage à la suite du scandale qui avait ébranlé l’ancienne administration, et de sa famille qui avait des connexions, ou quelque chose du genre. Zéro ne l’écoutait pas. Il la regardait elle, sa fille, la jeune femme qu’il avait élevée et à qui il avait donné tout ce qu’il pouvait. Il avait changé ses couches, lui avait appris à marcher, à parler, à écrire, à jouer au ballon et à utiliser une fourchette. Il l’avait éduquée, prise dans ses bras quand elle pleurait, égayé ses journées quand elle n’avait pas le moral, collé des pansements sur ses genoux éraflés. Il lui avait sauvé la vie et causé la mort de sa mère.

Quand il levait les yeux vers elle pour essayer de croiser son regard, elle détournait les yeux.

Et c’est à ce moment-là qu’il comprit qu’il n’y aurait pas de réconciliation, du moins pas ce soir. C’était une formalité. C’était le moyen que Maya avait trouvé pour dire tu mérites de savoir que je suis vivante et que je vais bien, mais rien de plus.

Elle regardait au sol, le regard pensif, pendant que Greg pérorait sur une chose ou une autre. Son sourire s’évanouit et, alors qu’il disparaissait, les espoirs de récupérer sa fille s’envolèrent chez Zéro.

CHAPITRE TROIS

Maya trempa un bout de pain dans le ragoût polonais et se mit à le mâcher lentement. C’était délicieux, bien meilleur que la bouffe qu’ils servaient à l’académie, mais elle n’avait pas beaucoup d’appétit. Son père était assis en face d’elle à la petite table, avec Maria à sa gauche et Greg à sa droite.

Il la regardait à nouveau.

Elle regrettait d’être venue. Elle ne lui devait rien. Et elle savait qu’elle ne parviendrait pas à lever les yeux, à le regarder en face et à voir la douleur démasquée dans leurs regards. Au lieu de ça, elle gardait les yeux rivés sur un bout de kielbasa dans son assiette.

Être ici, dans cette nouvelle maison, et le voir vivre avec Maria, des cernes noirs se formant sous ses yeux et de l’embonpoint naissant au niveau du vente, son propre père lui semblait être un étranger. Il n’avait plus la lueur jeune et joyeuse dans ses yeux qu’il possédait dans leur enfance. Elle n’avait pas entendu son rire depuis plus d’un an. Leurs échanges sarcastiques et moqueurs, ainsi que leurs débats parfois animés lui manquaient.

“N’est-ce pas, Maya ?”

“Quoi ?” Elle leva les yeux en entendant son nom, et vit Greg la regarder avec l’air d’attendre sa réponse. “Oh. Ouais. C’est vrai.” Bon sang, il est encore en train de parler ?

Greg n’était pas vraiment son petit ami. Du moins, ce n’était pas comme ça qu’elle voyait les choses. Ce n’était pas officiellement une relation sérieuse et engagée. Elle savait qu’il l’aimait bien, et ils s’étaient embrassés à quelques reprises, même si elle ne comptait pas le laisser aller plus loin que ça. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de penser que c’était plus une question de statut pour lui qu’autre chose. Il venait d’une bonne famille, avec une mère en politique et un père haut placé à la NSA. Elle était la meilleure de sa classe et, selon l’avis de beaucoup, sûrement meilleure que lui dans la plupart des domaines, en particulier académiques. Certains des autres cadets de deuxième et troisième année plaisantaient en disant d’eux deux qu’ils étaient “le roi et la reine de la promo de West Point.”

Il était beau, athlétique, et généralement plutôt gentil. Mais c’était aussi un égocentrique pur et dur, totalement inconscient de ses propres défauts.

“Si vous voulez mon avis,” disait Greg, “Pierson aurait dû faire de la prison. Ma mère dit… Ma mère a été mairesse de Baltimore pendant deux ans, vous le saviez ? En tout cas, elle dit que sa négligence aurait suffi à le faire destituer ou, au moins, à le faire accuser quand il a quitté son poste…”

Arrête de m’observer. Elle avait envie de le dire à haute voix, de le crier même, mais elle tint sa langue. Elle pouvait sentir à quel point son père voulait désespérément lui parler. C’était en partie pour ça qu’elle avait emmené Greg avec elle, afin qu’ils ne puissent pas aborder certains sujets durant sa visite. Elle savait qu’il voulait lui demander des nouvelles de Sara, qu’il voulait s’excuser, faire amende honorable et laisser toute cette sale histoire derrière eux.

En vérité, elle ne le détestait pas. Plus maintenant. Haïr quelqu’un nécessitait de l’énergie, et elle mettait toute celle qu’elle possédait dans ses cours. Pour elle, c’était un faux problème. Cette visite n’était pas réconciliatoire, c’était de la bureaucratie. Du décorum. De l’étiquette. Les valeurs que l’académie instillait à ses cadets n’étaient pas entièrement applicables à la situation unique de Maya, mais elle en avait conclu qu’elle devait au moins garder contact avec l’homme qui l’avait élevée, cette coquille de son ancienne vie. Aussi, il fallait qu’elle se prouve qu’elle pouvait encore se tenir dans la même pièce que lui.

 

Mais, à présent, elle souhaitait ne jamais être venue ce soir.

“Alors,” dit soudain Maria. Greg s’était arrêté de parler assez longtemps pour fourrer un peu de ragoût dans sa bouche, et Maria sauta sur l’occasion de ce répit temporaire. “Maya, tu as parlé à ta sœur récemment ?”

Elle fut prise de court par la question. Elle se serait attendue à ce que son père la lui pose, mais pas Maria. Toutefois, c’était une occasion comme une autre de mettre en pratique les compétences qu’elle avait développées. Elle refoula l’instinct d’afficher la moindre expression pouvant la trahir et se contenta d’un léger sourire.

“Oui,” répondit Maya. “Pas plus tard qu’hier, en fait. Elle va bien.” Seule la moitié de ce qu’elle venait de dire était un mensonge.

“Tu as une sœur ?” demanda Greg.

Maya acquiesça. “Elle a deux ans de moins que moi. Elle est en Floride dans un programme étude-travail. Elle est très occupée.” Un autre mensonge, mais elle le débita avec facilité. Elle devenait meilleure de jour en jour et en disait souvent des petits, au pied levé, juste pour s’entraîner et, devait-elle admettre, pour ressentir une pointe de frisson.

“Et, euh…” Son père se râcla la gorge. “Elle s’en sort ? Elle a tout ce qu’il lui faut ?”

“Mm-hum,” répondit brièvement Maya sans le regarder. “Tout va bien.”

Greg minauda en se tournant vers son père. “Vous demandez ça comme si vous ne lui parliez pas, Monsieur Lawson.”

“Comme Maya l’a dit,” répondit son père à voix basse, “Sara est très occupée.”

Maya savait que son propre départ soudain avait été un véritable coup dur pour lui. Mais si tel était le cas, alors celui de Sara avait été une attaque mortelle.

Durant ce premier été, seulement quelques mois après que leur père sauve la vie du Président Pierson, qu’il leur révèle la vérité sur la mort de leur mère et que la tension à la maison atteigne des sommets, Maya avait fait part de ses plans à sa sœur. Elle avait dit à Sara qu’elle avait passé l’examen de fin de lycée et qu’elle était en cours d’admission à West Point.

De toute sa vie, elle n’oublierait jamais l’expression paniquée sur le visage de sa petite sœur. Je t’en prie. S’il te plaît, ne fais pas ça, l’avait suppliée Sara. Ne me laisse pas seule avec lui. Je ne le supporterai pas.

Même si ça lui avait brisé le cœur, Maya avait un plan et comptait le mener à bien. Aussi, Sara avait fait le sien. Elle était allée sur internet et avait trouvé un avocat qui pouvait s’occuper de son cas pro bono. Puis, elle avait rempli un dossier d’émancipation. Elle savait que ce combat serait de longue haleine : il n’y avait aucune preuve ou indice de négligence, d’abus ou de quoi que ce soit du genre.

Mais, à la grande surprise des deux sœurs, leur père ne s’était pas battu. Moins de deux semaines après le départ de Maya pour l’école militaire à New York, son père s’était rendu à la convocation du tribunal et, devant le juge, avait dit à sa fille âgée de quinze ans à l’époque que si elle désirait tant être libre qu’elle était prête à aller devant les tribunaux pour ça, alors elle pouvait avoir sa liberté.

Ce soir-là, un autre événement s’était produit que Maya n’était pas près d’oublier. Son père l’avait appelée. Elle n’avait pas répondu. Elle le détestait toujours à l’époque. Il avait laissé un message sur sa boîte vocale qu’elle n’avait écouté que deux jours plus tard. Quand elle avait fini par le faire, elle l’avait regretté. D’une voix tremblante et hachée, il lui avait dit que Sara était partie. Il lui avait avoué mériter tout ça et plus encore. Il s’était excusé par trois fois et lui avait dit qu’il l’aimait.

Il allait s’écouler six mois de plus avant qu’ils ne se parlent à nouveau.

Mais Maya avait gardé le contact avec sa sœur. Après son émancipation, Sara avait empaqueté tout ce qu’elle pouvait emporter et était montée dans un bus. Elle avait atterri en Floride et pris le premier boulot qu’elle avait trouvé, en tant que caissière dans une friperie. Elle y travaillait toujours. Elle vivait en colocation dans une maison louée avec cinq autres personnes. Elle partageait une chambre avec une fille âgée de deux ans de plus qu’elle, et une salle de bains avec tous les autres.

Maya s’assurait d’appeler sa sœur au moins une fois par semaine, et plus souvent encore quand son emploi du temps le lui permettait. Sara affirmait toujours qu’elle allait bien, mais Maya n’était pas sûre de pouvoir la croire. Elle avait quitté le lycée en promettant qu’elle y retournerait, mais elle ne l’avait jamais fait. Ces derniers temps, Maya n’essayait même plus de la convaincre d’y retourner. Elle poussait plutôt Sara à passer les tests GED, équivalence du diplôme académique de niveau lycée. Encore une chose que Sara clamait qu’elle ferait… un jour.

Maya vivait à l’année à l’académie qui lui donnait une bourse chaque semestre pour les uniformes, les livres et le reste. En général, il ne lui restait pas grand-chose, mais elle envoyait un peu d’argent à sa sœur quand elle le pouvait. Sara lui en était toujours reconnaissante.

Aucune des deux n’avait plus besoin de quoi que ce soit venant de lui. Elles ne voulaient plus rien qui puisse venir de lui.

Elles s’étaient vraiment parlé la veille, cette partie-là n’était pas un mensonge. Sara avait seize ans à présent et une de ses colocataires lui apprenait à conduire. Maya était peinée de rater ces parties si importantes de la vie de Sara, mais elle avait ses propres objectifs et était bien déterminée à les atteindre.

En résumé, la vérité sur la mort de leur mère et les mensonges de leur père avaient creusé non seulement un fossé entre elles et leur père, mais également entre les deux filles. Elles avaient pris des chemins distincts et, même si elles gardaient contact et s’entraidaient quand c’était possible, aucune n’irait désormais jusqu’à perturber sa propre vie pour l’autre.

“Quelqu’un en veut encore ?” proposa Maria. “Il en reste plein.”

L’attention de Maya revint à la table du dîner. Elle était perdue dans ses propres pensées et, quand elle regarda autour d’elle, elle vit que tout le monde avait fini son assiette. Aussi, elle posa sa fourchette. Elle voulait juste que cette visite se termine, les remercier pour le repas et se casser d’ici. “Non, merci. C’était très bon en tout cas.”

“Je suis d’accord,” dit Greg avec enthousiasme. “Absolument délicieux.” C’est alors que l’idiot blond ouvrit sa grande bouche une fois de trop. “Merci, Madame Lawson.”

Une boule de colère enfla en elle comme un ballon qu’on gonfle. Les mots sortirent de la bouche de Maya avant même qu’elle ait eu le temps de réfléchir. “Elle n’est pas Madame Lawson.”

Maria fut prise de court. Son père la regardait toujours mais, à présent, ses yeux étaient écarquillés de surprise et il avait la bouche entrouverte.

Greg se râcla nerveusement la gorge. “Désolé,” murmura-t-il. “J’ai juste cru…”

La colère monta d’un cran en elle. “Je te l’ai dit sur la route en venant ici. Tu n’aurais pas à croire quoi que ce soit si tu arrêtais de parler de toi, ne serait-ce que pendant cinq putains de minutes !”

“Hé,” riposta Greg. “Tu ne peux pas me parler comme ça…”

“Ah ouais ? Et pourquoi pas ?” le défia-t-elle. “Est-ce que ta maman va me disputer ? Ouais, Greg, je sais, c’était la mairesse de Baltimore pendant deux ans. Tu le sors pratiquement à chaque phrase. Mais tout le monde s’en fout !”

Sa gorge se serra et son visage devint rouge, mais il ne répondit pas.

“Maya,” dit Maria gentiment, mais avec fermeté. “Je comprends que tu sois contrariée, mais c’était juste un accident. Ce n’est pas la peine d’être désagréable. Nous sommes tous des adultes ici…”

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