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Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I

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– Voyons, répondit M. Pickwick, en tirant sa montre. Il est maintenant près de trois heures. A cinq heures, si vous voulez.

– Convient parfaitement; cinq heures précises, jusqu'alors prenez soin de vous.»

Ainsi parla l'étranger, et il souleva de quelques pouces son chapeau à bords retroussés, le replaça négligemment sur le coin de l'oreille, traversa la cour d'un air délibéré, et tourna dans la grande rue, ayant toujours hors de sa poche la moitié du paquet de papier gris.

«Évidemment un grand voyageur dans divers climats et un profond observateur des hommes et des choses, dit M. Pickwick.

– J'aimerais à voir son poëme, reprit M. Snodgrass.

– Et moi je voudrais avoir vu son chien,» ajouta M. Winkle.

M. Tupman ne parla point, mais il pensa a doña Christina, à l'acide prussique, à la fontaine, et ses yeux se remplirent de larmes.

Après avoir retenu une salle à manger particulière, examiné les lits, commandé le dîner, nos voyageurs sortirent pour observer la ville et les environs.

Nous avons lu soigneusement les notes de M. Pickwick sur les quatre villes de Stroud, Rochester, Chatham et Brompton, et nous n'avons pas trouvé que ses opinions différassent matériellement de celles des autres savants qui ont parcouru les mêmes lieux. On peut résumer ainsi sa description.

Les principales productions de ces villes paraissent être des soldats, des matelote, des juifs, de la craie, des crevettes, des officiers et des employés de la marine. Les principales marchandises étalées dans les rues sont des denrées pour la marine, du caramel, des pommes, des poissons plats et des huîtres. Les rues ont un air vivant et animé, qui provient principalement de la bonne humeur des militaires. Quand ces vaillants hommes, sous l'influence d'un excès de gaieté et de spiritueux, font, en chantant, des zigzags dans les rues, ils offrent un spectacle vraiment délicieux pour un esprit philanthropique, surtout si nous considérons quel amusement innocent et peu cher ils fournissent à tous les enfants de la ville, qui les suivent en plaisantent avec eux. Rien (ajouta M. Pickwick), rien n'égale leur bonne humeur. La veille de mon arrivée, l'un d'eux avait été grossièrement insulté dans une auberge. La fille avait refusé de le laisser boire davantage. Sur quoi, et par pur badinage, le soldat tira sa baïonnette et blessa la servante à l'épaule: cependant, le lendemain, ce brave garçon se rendit dès le matin à l'auberge, et fut le premier à promettre de ne conserver aucun ressentiment, et d'oublier ce qui s'était passé.

«La consommation de tabac doit être très-grande dans cette ville, continue M. Pickwick; et l'odeur de ce végétal, répandue dans toutes les rues, doit être étonnamment délicieuse pour ceux qui aiment à fumer. Un voyageur superficiel critiquerait peut-être les boues qui caractérisent leur viabilité, mais elles offrent, au contraire, un véritable sujet de jouissance à ceux qui y découvrent un indice de mouvement et de prospérité commerciale.»

Cinq heures précises amenèrent à la fois le dîner et l'étranger. Il s'était débarrassé de son paquet de papier gris, mais il n'avait fait aucun changement dans son costume et déployait toujours sa loquacité accoutumée.

«Qu'est-ce que cela? demanda-t-il, comme le garçon ôtait une des cloches d'argent. Des soles! ha! fameux poisson; toutes soles viennent de Londres. Les entrepreneurs de diligences poussent aux dîners politiques pour avoir le transport des soles; des paniers par douzaines; ils savent bien ce qu'ils font. Eh! eh! Un verre de vin avec moi, monsieur.

– Avec plaisir,» répondit M. Pickwick. Et l'étranger prit du vin, d'abord avec lui, puis avec M. Snodgrass, puis avec M. Tupman, puis avec M. Winkle, puis enfin avec la société collectivement; et le tout sans cesser un seul instant de discourir.

«Diable de bacchanale sur l'escalier! Banquettes qu'on monte, charpentiers qui descendent, lampes, verres, harpe. Qu'y a-t-il donc, garçon?

– Un bal, monsieur.

– Un bal par souscription?

– Non, monsieur. Monsieur, un bal public au bénéfice des pauvres, monsieur.

– Monsieur, dit M. Tupman avec un vif intérêt, savez-vous si les femmes sont bien dans cette ville?

– Superbes, magnifiques. Kent, monsieur; tout le monde connaît le comté de Kent, célèbre pour ses pommes, ses cerises, son houblon et ses femmes. Un verre de vin, monsieur?

– Avec grand plaisir, répondit M. Tupman; et l'étranger emplit son verre, et le vida.

– J'aimerais beaucoup aller à ce bal, reprit M. Tupman, beaucoup.

– Nous avons des billets au comptoir, monsieur. Une demi-guinée chaque, monsieur, dit le garçon.»

M. Tupman exprima de nouveau le désir d'être présent à cette fête; mais ne rencontrant aucune réponse dans l'œil obscurci de M. Snodgrass, ni dans le regard distrait de M. Pickwick, il se rejeta, avec un nouvel intérêt, sur le vin de Porto et sur le dessert qu'on venait d'apporter. Le garçon se retira, et nos cinq voyageurs continuèrent à savourer les deux heures d'abandon qui suivent le dîner.

«Pardon, monsieur, dit l'étranger, la bouteille dort, faites-lui faire le tour comme le soleil, par la soute au pain, rubis sur l'ongle,» et il vida son verre qu'il avait rempli deux minutes auparavant, et s'en versa un autre avec l'aplomb d'un homme accoutumé à ce manège.

Le vin fut bu, et l'on en demanda d'autre: le visiteur parla, les pickwickiens écoutèrent; M. Tupman se sentait à chaque instant plus de disposition pour le bal; la figure de M. Pickwick brillait d'une expression de philanthropie universelle; MM. Winkle et Snodgrass étaient tombés dans un profond sommeil.

«Ils commencent là haut, dit l'étranger; écoutez, on accorde les violons, maintenant la harpe; les voilà partis.»

En effet, les sons variés qui descendaient le long de l'escalier annonçaient le commencement du premier quadrille.

«J'aimerais beaucoup aller à ce bal, répéta M. Tupman.

– Moi aussi; maudit bagage; bateau en retard: rien à mettre; drôle, hein?»

Une bienveillance générale était le trait caractéristique des pickwickiens, et M. Tupman en était doué plus qu'aucun autre. En feuilletant les procès-verbaux du club, on est étonné de voir combien de fois cet excellent homme envoya chez les autres membres de l'Association les infortunés qui s'adressaient à lui, pour en obtenir de vieux vêtements ou des secours pécuniaires.

«Je serais heureux de vous prêter un habit pour cette occasion, dit-il à l'étranger; mais vous êtes assez mince, et je suis…

– Assez gros. Bacchus sur le retour, descendu de son tonneau, les pampres au diable, portant des culottes. Ah! ah! Passez le vin.»

Nous ne saurions dire si M. Tupman fut indigné du ton péremptoire avec lequel l'étranger l'engageait à passer le vin, qui passait en effet si vite par son gosier, ou s'il était justement scandalisé de voir un membre influent de Pickwick-Club comparé ignominieusement à un Bacchus démonté; mais, après avoir passé le vin, il toussa deux fois et regarda l'étranger, durant quelques secondes, avec une fixité sévère. Cependant, cet individu étant demeuré parfaitement calme et serein sous son regard scrutateur, il en diminua par degrés l'intensité et recommença à parler du bal.

«J'étais sur le point d'observer, monsieur, lui dit-il, que si mes vêtements doivent vous être trop larges, ceux de mon ami, M. Winkle, pourraient peut-être vous aller mieux.»

L'étranger prit d'un coup d'œil la mesure de M. Winkle et s'écria avec satisfaction: «Justement ce qu'il me faut!»

M. Tupman regarda autour de lui. Le vin, qui avait exercé son influence somnifère sur MM. Snodgrass et Winkle, avait aussi appesanti les sens de M. Pickwick. Ce gentleman avait parcouru successivement les diverses phases qui précèdent la léthargie produite par le dîner et par le vin. Il avait subi les phases ordinaires depuis l'excès de la gaieté jusqu'à l'abîme de la tristesse. Comme un bec de gaz, dans une rue, lorsque le vent a pénétré dans le tuyau, il avait déployé par moments, une clarté extraordinaire, puis il était tombé si bas qu'on pouvait à peine l'apercevoir; après un court intervalle il avait fait jaillir de nouveau une éblouissante lumière, puis il avait oscillé rapidement, et il s'était éteint tout à fait. Sa tête était penchée sur sa poitrine, et un ronflement perpétuel, accompagné parfois d'un sourd grognement, étaient les seules preuves auriculaires qui pussent attester encore la présence de ce grand homme.

M. Tupman était violemment tenté d'aller au bal, pour porter son jugement sur les beautés du comté de Kent; il était également tenté d'emmener avec lui l'étranger; car il l'entendait parler des habitants et de la ville comme s'il y avait vécu depuis sa naissance, tandis que lui-même se trouvait entièrement dépaysé. M. Winkle dormait profondément, et M. Tupman avait assez d'expérience de l'état où il le voyait pour savoir que, suivant le cours ordinaire de la nature, son ami ne songerait point à autre chose, en s'éveillant, qu'à se traîner pesamment vers son lit. Cependant il restait encore dans l'indécision.

«Remplissez votre verre, et passez le vin;» dit l'infatigable visiteur.

M. Tupman fit comme il lui était demandé, et le stimulant additionnel du dernier verre le détermina.

«La chambre à coucher de Winkle, dit-il à l'étranger, ouvre dans la mienne; si je l'éveillais maintenant je ne pourrais pas lui faire comprendre ce que je désire: mais je sais qu'il a un costume complet dans son sac de nuit. Supposez que vous le mettiez pour aller au bal et que vous l'ôtiez en rentrant, je pourrais le replacer facilement, sans déranger notre ami le moins du monde.

– Admirable! répondit l'étranger; fameux plan! Damnée position, bizarre, quatorze habits dans ma malle et obligé de mettre celui d'un autre. Très-drôle! vraiment.

– Il faut prendre nos billets, dit M. Tupman.

 

– Pas la peine de changer une guinée. Jouons qui payera les deux, jetez une pièce en l'air, moi je nomme, allez. Femme, femme, femme enchanteresse! et le souverain étant tombé laissa voir sur sa face supérieure le dragon, appelé par courtoisie, une femme. Condamné par le sort, M. Tupman tira la sonnette, prit les billets et demanda de la lumière. Au bout d'un quart d'heure l'étranger était complétement paré des dépouilles de M. Nathaniel Winkle.

– C'est un habit neuf, dit M. Tupman, tandis que l'étranger se mirait avec complaisance: c'est le premier qui soit orné des boutons de notre club;» et il fit remarquer à son compagnon les larges boutons dorés, sur lesquels on voyait les lettres P.C. de chaque côté du buste de M. Pickwick.

«P.C. répéta l'étranger; drôle de devise, le portrait du vieux bonhomme, avec P.C. Qu'est-ce que P.C. signifie, portrait curieux, hein?»

M. Tupman, avec une grande importance et une indignation mal comprimée, expliqua le symbole mystique du Pickwick-Club, tandis que l'étranger se tordait pour apercevoir dans la glace le derrière de l'habit dont la taille lui montait au milieu du dos.

«Un peu court de taille, n'est-ce pas? Comme les vestes des facteurs: drôles d'habits, ceux-là, faits à l'entreprise, sans mesures: voies mystérieuses de la providence, à tous les petits hommes, de longs habits; à tous les grands, des habits courts.»

En babillant de cette manière, le nouveau compagnon de M. Tupman acheva d'ajuster son costume, ou plutôt celui de M. Winkle, et, bientôt après, les deux amateurs de fêtes montèrent ensemble l'escalier.

«Quels noms, messieurs? dit l'homme qui se tenait à la porte. M. Tupman s'avançait pour énoncer ses titres et qualités, quand l'étranger l'arrêta en disant:

– Pas de nom du tout; et il murmura à l'oreille de M. Tupman: «Les noms ne valent rien; inconnus, excellents noms dans leur genre, mais pas illustres; fameux noms dans une petite réunion, mais qui ne feraient pas d'effet dans une grande assemblée. Incognito, voilà la chose. Gentlemen de Londres, nobles étrangers, n'importe quoi.»

La porte s'ouvrit à ces derniers mots prononcés à voix haute, et M. Tupman entra dans la salle de bal avec l'étranger.

C'était une longue chambre garnie de banquettes cramoisies, et éclairée par des bougies, placées dans des lustres de cristal. Les musiciens étaient soigneusement retranchés sur une haute estrade, et trois ou quatre quadrilles se mêlaient et se démêlaient d'une manière scientifique. Dans une pièce voisine on apercevait deux tables à jouer, sur lesquelles quatre vieilles dames, avec un pareil nombre de gros messieurs, exécutaient gravement leur whist.

La finale terminée, les danseurs se promenèrent dans la salle, et nos deux compagnons se plantèrent dans un coin pour observer la compagnie.

«Charmantes femmes! soupira M. Tupman.

– Attendez un instant. Vous allez voir tout à l'heure. Les gros bonnets pas encore venus. Drôle d'endroit. Les employés supérieurs de la marine ne parlent pas aux petits employés, les petits employés ne parlent pas à la bourgeoisie, la bourgeoisie ne parle pas aux marchands, le commissaire du gouvernement ne parle à personne.

– Quel est ce petit garçon aux cheveux blonds, aux yeux rouges, avec un habit de fantaisie?

– Silence, s'il vous plaît! yeux rouges, habit de fantaisie, petit garçon, allons donc! Chut! chut! c'est un enseigne du 97e, l'honorable Wilmot-Bécasse. Grande famille, les Bécasses, famille nombreuse.

– Sir Thomas Clubber, lady Clubber et Mlles Clubber! cria d'une voix de stentor l'homme qui annonçait.»

Une profonde sensation se propagea dans toute la salle, à l'entrée d'un énorme gentleman, en habit bleu, avec des boutons brillants; d'une vaste lady en satin bleu, et de deux jeunes ladies taillées sur le même patron et parées de robes élégantes de la même couleur.

«Commissaire du gouvernement, chef de la marine, grand homme, remarquablement grand! dit tout bas l'étranger à M. Tupman, pendant que les commissaires du bal conduisaient sir Thomas Clubber et sa famille jusqu'au haut bout de la salle. L'honorable Wilmot-Bécasse et les meneurs de distinction s'empressèrent de présenter leurs hommages aux demoiselles Clubber, et sir Thomas Clubber, droit comme un i, contemplait majestueusement l'assemblée du haut de sa cravate noire.»

M. Smithie, Mme Smithie et mesdemoiselles Smithie, furent annoncés immédiatement après.

«Qu'est-ce que M. Smithie? demanda M. Tupman.

– Quelque chose de la marine,» répondit l'étranger.

M. Smithie s'inclina avec déférence devant sir Thomas Clubber, et sir Thomas Clubber lui rendit son salut avec une condescendance marquée. Lady Clubber examina à travers son lorgnon Mme Smithie et sa famille; et à son tour Mme Smithie regarda du haut en bas madame je ne sais qui, dont le mari n'était pas dans la marine.

«Colonel Bulder, Mme Bulder et miss Bulder!

– Chef de la garnison,» dit l'étranger, en réponse à un coup d'œil interrogateur de M. Tupman.

Miss Bulder fut chaudement accueillie par les miss Clubber; les salutations entre Mme Bulder et lady Clubber furent des plus affectueuses; le colonel Bulder et sir Thomas s'offrirent mutuellement une prise de tabac, et tous deux regardèrent autour d'eux comme une paire d'Alexandre Selkirk, monarques de tout ce qui les entourait.

Tandis que l'aristocratie de l'endroit, les Bulder, les Clubber et les Bécasse conservaient ainsi leur dignité au haut bout de la salle, les autres classes de la société les imitaient, au bas bout, autant qu'il leur était possible. Les officiers les moins aristocratiques du 97e se dévouaient aux familles des fonctionnaires les moins importants de la marine; les femmes des avoués et la femme du marchand de vin étaient à la tête d'une faction; la femme du brasseur visitait les Bulder; et Mme Tomlinson, directrice du bureau de poste, semblait avoir été choisie par un assentiment universel, pour diriger le parti marchand.

Un des personnages les plus populaires dans son propre cercle était un gros petit homme, dont le crâne chauve était entouré d'une couronne de cheveux noirs et roides; c'était le docteur Slammer, chirurgien du 97e. Le docteur Slammer prenait du tabac avec tout le monde, riait, dansait, plaisantait, jouait au whist, était partout, faisait tout. A ces occupations, toutes nombreuses qu'elles fussent déjà, le docteur en joignait une autre, plus importante encore: il enveloppait des attentions les plus dévouées, les plus infatigables, une vieille petite veuve, dont la riche toilette et les nombreux bijoux annonçaient une fortune qui en faisait un parti fort désirable pour un homme d'un revenu limité.

Les yeux de M. Tupman et de son compagnon avaient été fixés sur le docteur et sur la veuve depuis quelque temps, lorsque l'étranger rompit le silence.

«Un tas d'argent, vieille fille, le docteur fait sa tête, excellente idée, bonne charge.»

Tandis que ces sentences peu intelligibles s'échappaient de la bouche de l'étranger, M. Tupman le regardait d'un air interrogateur.

«Je vais danser avec la veuve.

– Qui est-elle?

– N'en sais rien, jamais vue. Supplanter le docteur. En avant, marche!»

En achevant ces mots, l'étranger traversa la pièce, s'appuya contre le manteau de la cheminée, et attacha ses regards, avec un air d'admiration respectueuse et mélancolique, sur la grosse figure de la vieille petite dame. M. Tupman regardait muet d'étonnement. L'étranger faisait évidemment des progrès rapides: le docteur dansait avec une autre dame! La veuve laissa tomber son éventail; l'étranger le releva, et le lui rendit avec empressement: un sourire, un salut, une révérence, quelques paroles de conversation. L'étranger retraversa hardiment la salle, pour chercher le maître des cérémonies, retourna avec lui près de la veuve, et, après quelques instants de pantomime introductrice, il saisit la main de sa conquête et prit place avec elle dans un quadrille.

Grande fut la surprise de M. Tupman à ce procédé sommaire; mais l'étonnement du petit docteur paraissait encore plus grand. L'étranger était jeune; la veuve était flattée; elle ne prenait plus garde aux attentions du docteur, et l'indignation de celui-ci ne faisait aucune impression sur son imperturbable rival. Le docteur Slammer resta paralysé. Lui, le docteur Slammer, du 97e, être anéanti en un moment, par un homme que personne n'avait jamais vu, que personne ne connaissait! Le docteur Slammer! le docteur Slammer, du 97e! Incroyable! cela ne se pouvait pas. Et pourtant cela était. Bon, voilà que l'étranger présente son ami? Le docteur pouvait-il en croire ses yeux? Il regarda de nouveau et il se trouva dans la pénible nécessité de reconnaître la véracité de ses nerfs optiques. Mme Budger dansait avec M. Tupman, il n'y avait pas moyen de s'y tromper. Sa veuve elle-même est là devant lui, en chair et en os, bondissant avec une vigueur inaccoutumée. Là aussi était M. Tupman, sautant à droite et à gauche, d'un air plein de gravité, et dansant (ce qui arrive à beaucoup de personnes) comme si la contredanse était une épreuve solennelle, et qu'il fallût, pour s'en tirer, armer son moral d'une inflexible résolution.

Silencieusement et patiemment le docteur supporta tout ceci. Il vit l'étranger offrir du vin chaud, remporter les verres, se précipiter sur des biscuits; il vit mille coquetteries échangées, et il ne dit rien: mais quelques secondes après que l'étranger eut disparu avec Mme Budger, pour la conduire à sa voiture, il s'élança hors de la chambre, et chaque particule de sa colère, longtemps contenue, sembla s'échapper de son visage en un ruisseau de sueur.

L'étranger revenait, il parlait à voix basse à M. Tupman, il riait, il était radieux, il avait triomphé. Le petit docteur eut soif de sa vie.

«Monsieur! dit-il d'une voix terrible, en montrant sa carte et en se retirant dans un angle du passage: mon nom est Slammer! Le docteur Slammer, monsieur! 97e régiment, caserne de Chatham. Ma carte, monsieur! ma carte! Il aurait voulu poursuivre, mais son indignation l'étouffait.

– Ah! répliqua l'étranger négligemment, Slammer, bien obligé; merci, merci de votre attention délicate, pas malade maintenant, Slammer, quand je le serai, m'adresserai a vous.

– Vous… vous êtes un intrigant… un poltron… un lâche… un menteur… un… un… Vous déciderez-vous à me donner votre carte, monsieur?

– Ah! je vois, dit l'étranger à demi-voix, punch trop fort, hôte libéral. La limonade beaucoup meilleure, des chambres trop chaudes, gentlemen d'un certain âge, s'en ressentent le lendemain, cruelles souffrances… et il fit quelques pas.

– Vous demeurez dans cette maison, monsieur? cria le petit homme furieux; vous êtes ivre maintenant, monsieur! Vous entendrez parler de moi, monsieur! Je vous retrouverai, monsieur! je vous retrouverai!

– Vous ferez bien d'abord de retrouver votre lit,» répondit l'impassible étranger.

Le docteur Slammer le regarda avec une férocité inexprimable, et en s'éloignant il enfonça son chapeau sur sa tête d'une manière qui indiquait toute son indignation.

Cependant l'étranger et M. Tupman montèrent dans la chambre de celui-ci pour restituer le plumage qu'ils avaient emprunté à l'innocent M. Winkle. Ils le trouvèrent profondément endormi, et la restitution fut bientôt faite. L'étranger était extrêmement facétieux, et M. Tupman, étourdi par le vin, par le punch, par les lumières, par la vue de tant de femmes, regardait toute cette affaire comme une excellente plaisanterie. Après le départ de son nouvel ami, il éprouva quelque difficulté à découvrir l'ouverture de son bonnet de nuit: dans ses efforts pour le mettre sur sa tête, il renversa son flambeau, et ce fut seulement par une série d évolutions très-compliquées qu'il parvint à entrer dans son lit. Malgré ces petits accidents il ne tarda pas à trouver le repos.

Le lendemain matin, sept heures avaient à peine cessé de sonner, quand l'esprit universel de M. Pickwick fut tiré de l'état de torpeur où l'avait plongé le sommeil, par des coups violents frappés à sa porte.

«Qui est la? cria-t-il, se dressant sur son séant.

– Le garçon, monsieur.

– Que voulez-vous?

– Pourriez-vous me dire, monsieur, quelle personne de votre société a un habit bleu à boutons dorés, avec P.C. dessus?»

On le lui aura donné pour le brosser, pensa M. Pickwick, et il a oublié à qui il appartient. «M. Winkle, cria-t-il, la troisième chambre à droite.

– Merci, monsieur, dit le garçon; et il passa.

– Qu'est-ce que c'est? demanda M. Tupman, en entendant frapper violemment à sa porte.

– Puis-je parler à M. Winkle, monsieur? répliqua le garçon du dehors.

– Winkle! Winkle! cria M. Tupman.

– Ohé! répondit une faible voix qui sortait du lit de la chambre intérieure.

 

– On vous demande… Quelqu'un à la porte; et ayant articulé avec effort ces paroles, M. Tupman se retourna et se rendormit immédiatement.

– On me demande? dit M. Winkle en sautant hors de son lit et en s'habillant rapidement. A cette distance de Londres, qui diable peut me demander?

– Un gentleman, en bas, au café, monsieur. Il dit qu'il ne vous dérangera qu'un instant, monsieur; mais il ne veut accepter aucun délai.

– Fort étrange! répliqua M. Winkle. Dites que je descends.»

Il s'enveloppa d'une robe de chambre; mit un châle de voyage autour de son cou, et descendit. Une vieille femme et une couple de garçons balayaient la salle du café. Auprès de la fenêtre était un officier en petite tenue, qui se retourna en entendant entrer M. Winkle, le salua d'un air roide, fit retirer les domestiques, ferma soigneusement les portes, et dit: «M. Winkle, je présume.

– Oui, monsieur, mon nom est Winkle.

– Je viens, monsieur, de la part de mon ami, le docteur Slammer, du 97e. Cela ne doit pas vous surprendre.

– Le docteur Slammer! répéta M. Winkle.

– Le docteur Slammer. Il m'a chargé de vous dire de sa part que votre conduite d'hier au soir n'était pas celle d'un gentleman, et qu'un gentleman ne pouvait pas la supporter.»

L'étonnement de M. Winkle était trop réel et trop évident pour n'être pas remarqué par le député du docteur Slammer, c'est pourquoi il poursuivit ainsi: «Mon ami, le docteur Slammer, m'a paru fermement convaincu que, pendant une partie de la soirée vous étiez gris, et peut-être hors d'état de sentir l'étendue de l'insulte dont vous vous êtes rendu coupable. Il m'a chargé de vous dire que si vous plaidiez cette raison comme une excuse de votre conduite, il consentirait à recevoir des excuses, écrites par vous sous ma dictée.

– Des excuses écrites! répéta de nouveau M. Winkle avec le ton de la plus grande surprise.

– Autrement, reprit froidement l'officier, vous connaissez l'alternative.

– Avez-vous été chargé de ce message pour moi nominativement? demanda M. Winkle, dont l'intelligence était singulièrement désorganisée par cette conversation extraordinaire.

– Je n'étais pas présent à la scène, et, en conséquence de votre refus obstiné de donner votre carte au docteur Slammer, j'ai été prié par lui de rechercher qui était porteur d'un habit très-remarquable: un habit bleu clair avec des boutons dorés, portant un buste, et les lettres P.C.»

M. Winkle chancela d'étonnement, en entendant décrire si minutieusement son propre costume. L'ami du docteur Slammer continua:

«J'ai appris dans la maison que le propriétaire de l'habit en question était arrivé ici hier avec trois messieurs. J'ai envoyé auprès de celui qui paraissait être le principal de la société, et c'est lui qui m'a adressé à vous.»

Si la grosse tour du château de Rochester s'était soudainement détachée de ses fondations, et était venue se placer en face de la fenêtre, la surprise de M. Winkle aurait été peu de chose, comparée avec celle qu'il éprouva en écoutant ce discours. Sa première idée fut qu'on avait pu lui voler son habit, et il dit à l'officier: «Voulez-vous avoir la bonté de m'attendre un instant?

– Certainement;» répondit son hôte malencontreux.

M. Winkle monta rapidement les escaliers; il ouvrit son sac de nuit d'une main tremblante, l'habit bleu s'y trouvait à sa place habituelle; mais, en l'examinant avec soin, on voyait clairement qu'il avait été porté la nuit précédente.

«C'est vrai, dit M. Winkle, en laissant tomber l'habit de ses mains. J'ai bu trop de vin hier, après dîner, et j'ai une vague idée d'avoir ensuite marché dans les rues, et d'avoir fumé un cigare. Le fait est que j'étais tout à fait dedans. J'aurai changé d'habit; j'aurai été quelque part; j'aurai insulté quelqu'un: je n'en doute plus, et ce message en est le terrible résultat.» Tourmenté par ces idées, il redescendit au café avec la sombre résolution d'accepter le cartel du vaillant docteur et d'en subir les conséquences les plus funestes.

Il était poussé à cette détermination par des considérations diverses. La première de toutes était le soin de sa réputation auprès du club. Il y avait toujours été regardé comme une autorité imposante dans tous les exercices du corps, soit offensifs, soit défensifs, soit inoffensifs. S'il venait à reculer, dès la première épreuve, sous les yeux de son chef, sa position dans l'association était perdue pour toujours. En second lieu, il se souvenait d'avoir entendu dire (par ceux qui ne sont point initiés à ces mystères) que les témoins se concertent ordinairement pour ne point mettre de balles dans les pistolets. Enfin, il pensait qu'en choisissant M. Snodgrass pour second et en lui dépeignant avec force le danger, ce gentleman pourrait bien en faire part à M. Pickwick; lequel, assurément, s'empresserait d'informer les autorités locales, dans la crainte de voir tuer ou détériorer son disciple.

Ayant calculé toutes ces chances, il revint dans la salle du café et déclara qu'il acceptait le défi du docteur.

– Voulez-vous m'indiquer un ami, pour régler l'heure et le lieu du rendez-vous, dit alors l'obligeant officier.

– C'est tout à fait inutile. Veuillez me les nommer, et j'amènerai mon témoin avec moi.

– Hé bien! reprit l'officier d'un ton indifférent, ce soir, si cela vous convient; au coucher du soleil.

– Très-bien, répliqua M. Winkle, pensant dans son cœur que c'était très-mal.

– Vous connaissez le fort Pitt?

– Oui, je l'ai vu hier.

– Prenez la peine d'entrer dans le champ qui borde le fossé; suivez le sentier à gauche quand vous arriverez à un angle des fortifications, et marchez droit devant vous jusqu'à ce que vous m'aperceviez; vous me suivrez alors et je vous conduirai dans un endroit solitaire où l'affaire pourra se terminer sans crainte d'interruption.

– Crainte d'interruption! pensa M. Winkle.

– Nous n'avons plus rien, je crois, à arranger?

– Pas que je sache.

– Alors je vous salue.

– Je vous salue.» Et l'officier s'en alla lestement en sifflant un air de contredanse.

Le déjeuner de ce jour-là se passa tristement pour nos voyageurs. M. Tupman, après les débauches inaccoutumées de la nuit précédente, n'était point en état de se lever; M. Snodgrass paraissait subir une poétique dépression d'esprit; M. Pickwick lui-même montrait un attachement inaccoutumé à l'eau de seltz et au silence; quant à M. Winkle il épiait soigneusement une occasion de retenir son témoin. Cette occasion ne tarda pas à se présenter: M. Snodgrass proposa de visiter le château, et comme M. Winkle était le seul membre de la société qui fût disposé à faire une promenade, ils sortirent ensemble.

«Snodgrass, dit M. Winkle, lorsqu'ils eurent tourné le coin de la rue, Snodgrass, mon cher ami, puis-je compter sur votre discrétion? Et en parlant ainsi il désirait ardemment de n'y pouvoir point compter.

– Vous le pouvez, répliqua M. Snodgrass. Je jure…

– Non, non! interrompit M. Winkle, épouvanté par l'idée que son compagnon pouvait innocemment s'engager à ne pas le dénoncer. Ne jurez pas, ne jurez pas; cela n'est point nécessaire.»

M. Snodgrass laissa retomber la main qu'il avait poétiquement levée vers les nuages, et prit une attitude attentive.

«Mon cher ami, dit alors M. Winkle, j'ai besoin de votre assistance dans une affaire d'honneur.

– Vous l'aurez, répliqua M. Snodgrass, en serrant la main de son compagnon.

– Avec un docteur, le docteur Slammer, du 97e, ajouta M. Winkle, désirant faire paraître la chose aussi solennelle que possible. Une affaire avec un officier, ayant pour témoin un autre officier; ce soir, au coucher du soleil, dans un champ solitaire, au delà du fort Pitt.

– Comptez sur moi, répondit M. Snodgrass, avec étonnement, mais sans être autrement affecté. En effet, rien n'est plus remarquable que la froideur avec laquelle on prend ces sortes d'affaires, quand on n'y est point partie principale. M. Winkle avait oublié cela: il avait jugé les sentiments de son ami d'après les siens.

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