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Les Quarante-Cinq — Tome 2

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LX

COMMENT SAINTE-MALINE ENTRA DANS LA TOURELLE ET DE CE QUI S'ENSUIVIT



Le premier soin d'Ernauton, lorsqu'il vit la porte de l'antichambre se fendre sous les coups de Sainte-Maline, fut de souffler la bougie qui éclairait la tourelle.



Cette précaution, qui pouvait être bonne, mais qui n'était que momentanée, ne rassurait cependant pas la duchesse, lorsque tout à coup dame Fournichon, qui avait épuisé toutes ses ressources, eut recours à un dernier moyen et se mit à crier:



— Monsieur de Sainte-Maline, je vous préviens que les personnes que vous troublez sont de vos amis: la nécessité me force à vous l'avouer.



— Eh bien! raison de plus pour que nous leur présentions nos compliments, dit Perducas de Pincorney d'une voix avinée, et trébuchant derrière Sainte-Maline sur la dernière marche de l'escalier.



— Et quels sont ces amis, voyons? dit Sainte-Maline.



— Oui, voyons-les, voyons-les, cria Eustache de Miradoux.



La bonne hôtesse, espérant toujours prévenir une collision qui pouvait, tout en honorant le

Fier-Chevalier

, faire le plus grand tort au

Rosier- d'Amour

, monta au milieu des rangs pressés des gentilshommes, et glissa tout bas le nom d'Ernauton à l'oreille de son agresseur.



— Ernauton! répéta tout haut Sainte-Maline, pour qui cette révélation était de l'huile au lieu d'eau jetée sur le feu, Ernauton! ce n'est pas possible.



— Et pourquoi, cela? demanda madame Fournichon.



— Et pourquoi cela? répétèrent plusieurs voix.



— Eh! parbleu! dit Sainte-Maline, parce que Ernauton est un modèle de chasteté, un exemple de continence, un composé de toutes les vertus. Non, non, vous vous trompez, dame Fournichon, ce n'est point M. de Carmainges qui est enfermé là-dedans.



Et il s'approcha vers la seconde porte pour en faire autant qu'il avait fait de la première, quand tout à coup cette porte s'ouvrit, et Ernauton parut debout sur le seuil, avec un visage qui n'annonçait point que la patience fût une de ces vertus qu'il pratiquait si religieusement, au dire de Sainte-Maline.



— De quel droit M. de Sainte-Maline a-t-il brisé cette première porte? demanda-t-il; et, ayant déjà brisé celle-là, veut-il encore briser celle- ci?



— Eh! c'est lui, en réalité, c'est Ernauton! s'écria Sainte-Maline; je reconnais sa voix, car, quant à sa personne, le diable m'emporte si je pourrais dire dans l'obscurité de quelle couleur elle est.



— Vous ne répondez pas à ma question, monsieur, réitéra Ernauton.



Sainte-Maline se mit à rire bruyamment, ce qui rassura ceux des quarante- cinq qui, à la voix grosse de menaces qu'ils venaient d'entendre, avaient jugé qu'il était prudent de descendre à tout hasard deux marches de l'escalier.



— C'est à vous que je parle, monsieur de Sainte-Maline, m'entendez-vous? s'écria Ernauton.



— Oui, monsieur, parfaitement, répondit celui-ci.



— Alors qu'avez-vous à dire?



— J'ai à dire, mon cher compagnon, que nous voulions savoir si c'était vous qui habitiez cette hôtellerie des amours.



— Eh bien maintenant, monsieur, que vous avez pu vous assurer que c'était moi, puisque je vous parle et qu'au besoin je pourrais vous toucher, laissez-moi en repos.



— Cap-de-Diou! dit Sainte-Maline, vous ne vous êtes pas fait ermite et vous ne l'habitez pas seul, je suppose.



— Quant à cela, monsieur, vous me permettrez de vous laisser dans le doute, en supposant que vous y soyez.



— Ah! bah! continua Sainte-Maline en s'efforçant de pénétrer dans la tourelle, est-ce que vraiment vous seriez seul? Ah! vous êtes sans lumière, bravo!



— Allons, messieurs, dit Ernauton d'un ton hautain, j'admets que vous soyez ivres, et je vous pardonne; mais il y a un terme même à la patience que l'on doit à des hommes hors de leur bon sens; les plaisanteries sont épuisées, n'est-ce pas? faites-moi donc le plaisir de vous retirer.



Malheureusement Sainte-Maline était dans un de ses accès de méchanceté envieuse.



— Oh! oh! nous retirer, dit-il, comme vous nous dites cela, monsieur Ernauton!



— Je vous dis cela de façon à ce que vous ne vous trompiez pas à mon désir, monsieur de Sainte-Maline, et, s'il le faut même, je le répète: retirez-vous, messieurs, je vous en prie.



— Oh! pas avant que vous ne nous ayez admis à l'honneur de saluer la personne pour laquelle vous désertez notre compagnie.



A cette insistance de Sainte-Maline, le cercle prêt à se rompre se reforma autour de lui.



— Monsieur de Montcrabeau, dit Sainte-Maline avec autorité, descendez, et remontez avec une bougie.



— Monsieur de Montcrabeau, s'écria Ernauton, si vous faites cela, souvenez-vous que vous m'offensez personnellement.



Montcrabeau hésita, tant il y avait de menaces dans la voix du jeune homme.



— Bon! répliqua Sainte-Maline, nous avons notre serment, et M. de Carmainges est si religieux en discipline qu'il ne voudra pas l'enfreindre; nous ne pouvons tirer l'épée les uns contre les autres; ainsi éclairez. Montcrabeau, éclairez.



Montcrabeau descendit, et, cinq minutes après, remonta avec une bougie qu'il voulut remettre à Sainte-Maline.



— Non pas, non pas, dit celui-ci, gardez, je vais peut-être avoir besoin de mes deux mains.



Et Sainte-Maline fit un pas en avant pour pénétrer dans la tourelle.



— Je vous prends à témoin, tous tant que vous êtes ici, dit Ernauton, qu'on m'insulte indignement et qu'on me fait violence sans motifs, et qu'en conséquence, — Ernauton tira vivement son épée, et qu'en conséquence j'enfonce cette épée dans la poitrine du premier qui fera un pas en avant.



Sainte-Maline, furieux, voulut mettre aussi l'épée à la main, mais il n'avait pas encore dégainé à moitié, qu'il vit briller sur sa poitrine la pointe de l'épée d'Ernauton.



Or, comme en ce moment il faisait un pas en avant, sans que M. de Carmainges eût besoin de se fendre, ou de pousser le bras, Sainte-Maline sentit le froid du fer, et recula en délire, comme un taureau blessé.



Alors, Ernauton fit en avant un pas égal au pas de retraite que faisait Sainte-Maline, et l'épée se retrouva menaçante sur la poitrine de ce dernier.



Sainte-Maline pâlit: si Ernauton s'était fendu, il le clouait à la muraille.



Il repoussa lentement son épée au fourreau.



— Vous mériteriez mille morts pour votre insolence, monsieur, dit Ernauton; mais le serment dont vous me parliez tout à l'heure me lie, et je ne vous toucherai pas davantage; laissez-moi le chemin libre.



Il fit un pas en arrière pour voir si l'on obéirait.



Et avec un geste suprême, qui eût fait honneur à un roi:



— Au large, messieurs, dit-il; venez, madame, je réponds de tout.



On vit alors apparaître au seuil de la tourelle une femme dont la tête était couverte d'une coiffe, dont le visage était couvert d'un voile, et qui prit toute tremblante le bras d'Ernauton.



Alors le jeune homme remit son épée au fourreau, et comme s'il était sûr de n'avoir plus rien à craindre, il traversa fièrement l'antichambre peuplée de ses compagnons inquiets et curieux à la fois.



Sainte-Maline, dont le fer avait légèrement effleuré la poitrine, avait reculé jusque sur le palier, tout étouffant de l'affront mérité qu'il venait de recevoir devant ses compagnons et devant la dame inconnue.



Il comprit que tout se réunissait contre lui, rieurs et hommes sérieux, si les choses demeuraient entre lui et Ernauton dans l'état où elles étaient; cette conviction le poussa à une dernière extrémité.



Il tira sa dague au moment où Carmainges passait devant lui.



Avait-il l'intention de frapper Carmainges? avait-il l'intention de faire ce qu'il fit? voilà ce qu'il serait impossible d'éclaircir sans avoir lu dans la ténébreuse pensée de cet homme, où lui-même peut-être ne pouvait lire dans ses moments de colère.



Toujours est-il que son bras s'abattit sur le couple, et que la lame de son poignard, au lieu d'entamer la poitrine d'Ernauton, fendit la coiffe de soie de la duchesse, et trancha un des cordons du masque.



Le masque tomba à terre.



Le mouvement de Sainte-Maline avait été si prompt, que, dans l'ombre, nul n'avait pu s'en rendre compte, nul n'avait pu s'y opposer.



La duchesse jeta un cri. Son masque l'abandonnait et, le long de son col, elle avait senti glisser le dos arrondi de la lame, qui cependant ne l'avait pas blessée.



Sainte-Maline eut donc, tandis qu'Ernauton s'inquiétait de ce cri poussé par la duchesse, tout le temps de ramasser le masque et de le lui rendre, de sorte qu'à la lueur de la bougie de Montcrabeau, il put voir le visage de la jeune femme, que rien ne protégeait.



— Ah! ah! dit-il de sa voix railleuse et insolente: c'est la belle dame de la litière: mes compliments, Ernauton, vous allez vite en besogne.



Ernauton s'arrêtait et avait déjà tiré à moitié du fourreau son épée, qu'il se repentait d'y avoir remise, lorsque la duchesse l'entraîna par les degrés en lui disant tout bas:



— Venez, venez, je vous en supplie, monsieur de Carmainges.



— Je vous reverrai, monsieur de Sainte-Maline, dit Ernauton en s'éloignant, et soyez tranquille, vous me paierez cette lâcheté avec les autres.



— Bien, bien! fit Sainte-Maline, tenez votre compte de votre côté; je tiens le mien; nous les réglerons tous deux un jour.



Carmainges entendit, mais ne se retourna même point, il était tout entier à la duchesse.



Arrivé au bas de l'escalier, personne ne s'opposa plus à son passage; ceux des quarante-cinq qui n'avaient pas monté l'escalier blâmaient sans doute tout bas la violence de leurs camarades.

 



Ernauton conduisit la duchesse à sa litière gardée par deux serviteurs.



Arrivée là et se sentant en sûreté, la duchesse serra la main de Carmainges et lui dit:



— Monsieur Ernauton, après ce qui vient de se passer, après l'insulte dont, malgré votre courage, vous n'avez pu me défendre, et qui ne manquerait pas de se renouveler, nous ne pouvons plus revenir ici; cherchez, je vous prie, dans les environs, quelque maison à vendre ou à louer en totalité; avant peu, soyez tranquille, vous recevrez de mes nouvelles.



— Dois-je prendre congé de vous, madame? dit Ernauton, en s'inclinant en signe d'obéissance aux ordres qui venaient de lui être donnés, et qui étaient trop flatteurs à son amour-propre pour qu'il les discutât.



— Pas encore, monsieur de Carmainges, pas encore; suivez ma litière jusqu'au nouveau pont, dans la crainte que ce misérable, qui m'a reconnue pour la dame de la litière, mais qui ne m'a point reconnue pour ce que je suis, ne marche derrière nous et ne découvre ainsi ma demeure.



Ernauton obéit, mais personne ne les espionna.



Arrivée au pont Neuf, qui alors méritait ce nom, puisqu'il y avait à peine sept ans que l'architecte Ducerceau l'avait jeté sur la Seine, arrivée au pont Neuf, la duchesse tendit la main aux lèvres d'Ernauton en lui disant:



— Allez, maintenant, monsieur.



— Oserai-je vous demander quand je vous reverrai, madame?



— Cela dépend de la hâte que vous mettrez à faire ma commission, et cette hâte me sera une preuve du plus ou du moins de désir que vous aurez de me revoir.



— Oh! madame, en ce cas, rapportez-vous-en à moi.



— C'est bien, allez, mon chevalier.



Et la duchesse donna une seconde fois sa main à baiser à Ernauton, puis s'éloigna.



— C'est étrange, en vérité, dit le jeune homme revenant sur ses pas, cette femme a du goût pour moi, je n'en puis douter, et elle ne s'inquiète pas le moins du monde si je puis ou non être tué par ce coupe-jarret de Sainte-Maline.



Et un léger mouvement d'épaules prouva que le jeune homme estimait cette insouciance à sa valeur.



Puis revenant sur ce premier sentiment qui n'avait rien de flatteur pour son amour-propre:



— Oh! poursuivit-il, c'est qu'en effet elle était bien troublée, la pauvre femme, et que la crainte d'être compromise est, chez les princesses surtout, le plus fort de tous les sentiments.



Car, ajoutait-il en souriant à lui-même, elle est princesse.



Et comme ce dernier sentiment était le plus flatteur pour lui, ce fut ce dernier sentiment qui l'emporta.



Mais ce sentiment ne put effacer chez Carmainges le souvenir de l'insulte qui lui avait été faite; il retourna donc droit à l'hôtellerie, pour ne laisser à personne le droit de supposer qu'il avait eu peur des suites que pourrait avoir cette affaire.



Il était naturellement décidé à enfreindre toutes les consignes et tous les serments possibles, et à en finir avec Sainte-Maline au premier mot qu'il dirait ou au premier geste qu'il se permettrait de faire.



L'amour et l'amour-propre blessés du même coup lui donnaient une rage de bravoure qui lui eût certainement, dans l'état d'exaltation où il était, permis de lutter avec dix hommes.



Cette résolution étincelait dans ses yeux, lorsqu'il toucha le seuil de l'hôtellerie du

Fier-Chevalier

.



Madame Fournichon, qui attendait ce retour avec anxiété, se tenait toute tremblante sur le seuil.



A la vue d'Ernauton, elle s'essuya les yeux, comme si elle avait abondamment pleuré, et jetant ses deux bras au cou du jeune homme, elle lui demanda pardon, malgré tous les efforts de son mari, qui prétendait que, n'ayant aucun tort, sa femme n'avait aucun pardon à demander.



La bonne hôtelière n'était point assez désagréable pour que Carmainges, eût-il à se plaindre d'elle, lui tînt obstinément rancune; il assura donc dame Fournichon qu'il n'avait contre elle aucun levain de rancune, et que son vin seul était coupable.



Ce fut un avis que le mari parut comprendre, et dont par un signe de tête il remercia Ernauton.



Pendant que ces choses se passaient à la porte, tout le monde était à table, et l'on causait chaleureusement de l'événement qui faisait sans contredit le point culminant de la soirée.



Beaucoup donnaient tort à Sainte-Maline avec cette franchise qui est le principal caractère des Gascons lorsqu'ils causent entre eux.



Plusieurs s'abstenaient, voyant le sourcil froncé de leur compagnon et sa lèvre crispée par une réflexion profonde.



Au reste on n'en attaquait point avec moins d'enthousiasme le souper de maître Fournichon, mais on philosophait en l'attaquant, voilà tout.



— Quant à moi, disait tout haut M. Hector de Biran, je sais que M. de Sainte-Maline est dans son tort, et que si je me fusse appelé un instant Ernauton de Carmainges; M. de Sainte-Maline serait à cette heure couché sous cette table au lieu d'être assis devant.



Sainte-Maline leva la tête et regarda Hector de Biran.



— Je dis ce que je dis, répondit celui-ci, et tenez, voilà là-bas sur le seuil de la porte quelqu'un qui paraît être de mon avis.



Tous les regards se tournèrent vers l'endroit indiqué par le jeune gentilhomme, et l'on aperçut Carmainges, pâle et debout dans le cadre formé par la porte.



A cette vue qui semblait une apparition, chacun sentit un frisson lui courir par tout le corps.



Ernauton descendit du seuil, comme eût fait la statue du commandeur de son piédestal, et marcha droit à Sainte-Maline, sans provocation réelle, mais avec une fermeté qui fit battre plus d'un coeur.



A cette vue, de toutes parts on cria à M. de Carmainges:



— Venez par ici, Ernauton; venez de ce côté, Carmainges, il y a une place près de moi.



— Merci, répondit le jeune homme, c'est près de M. de Sainte-Maline que je veux m'asseoir.



Sainte-Maline se leva; tous les yeux étaient fixés sur lui.



Mais, dans le mouvement qu'il fit en se levant, sa figure changea complètement d'expression.



— Je vais vous faire la place que vous désirez, monsieur, dit-il sans colère, et en vous la faisant, je vous adresserai des excuses bien franches et bien sincères, pour ma stupide agression de tout à l'heure; j'étais ivre, vous l'avez dit vous-même; pardonnez-moi.



Cette déclaration, faite au milieu du silence général, ne satisfit point Ernauton, quoiqu'il fût évident que pas une syllabe n'en avait été perdue pour les quarante-trois convives, qui regardaient avec anxiété de quelle façon se terminerait cette scène.



Mais aux dernières paroles de Sainte-Maline, les cris de joie de ses compagnons montrèrent à Ernauton qu'il devait paraître satisfait, et qu'il était pleinement vengé.



Son bon sens le força donc à se taire.



En même temps, un regard jeté sur Sainte-Maline lui indiquait qu'il devait se défier de lui plus que jamais.



— Ce misérable est brave, cependant, se dit tout bas Ernauton, et s'il cède en ce moment, c'est par suite de quelque odieuse combinaison qui le satisfait davantage.



Le verre de Sainte-Maline était plein; il remplit celui d'Ernauton.



— Allons, allons! la paix, la paix! crièrent toutes les voix: à la réconciliation de Carmainges et de Sainte-Maline!



Carmainges profita du choc des verres et du bruit de toutes les voix, et se penchant vers Sainte-Maline, avec le sourire sur les lèvres pour qu'on ne pût soupçonner le sens des paroles qu'il lui adressait:



— Monsieur de Sainte-Maline, lui dit-il, voilà la seconde fois que vous m'insultez sans m'en faire réparation; prenez garde: à la troisième offense, je vous tuerai comme un chien.



— Faites, monsieur, si vous trouvez votre belle, répondit Sainte-Maline, car, foi de gentilhomme, à votre place, j'en ferais autant que vous.



Et les deux ennemis mortels choquèrent leurs verres, comme eussent pu faire les deux meilleurs amis.





LXI

CE QUI SE PASSAIT DANS LA MAISON MYSTÉRIEUSE



Tandis que l'hôtellerie du

Fier-Chevalier

, séjour apparent de la concorde la plus parfaite, laissait, portes closes, mais caves ouvertes, filtrer, à travers les fentes de ses volets, la lumière des bougies et la joie des convives, un mouvement inaccoutumé avait lieu dans cette maison mystérieuse, que nos lecteurs n'ont jamais vue qu'extérieurement dans les pages de ce récit.



Le serviteur, au front chauve, allait et venait d'une chambre à l'autre, portant ça et là des objets empaquetés qu'il enfermait dans une caisse de voyage.



Ces premiers préparatifs terminés, il chargea un pistolet et fit jouer dans sa gaîne de velours un large poignard; puis il le suspendit, à l'aide d'un anneau, à la chaîne qui lui servait de ceinture, à laquelle il attacha, en outre, son pistolet, un trousseau de clefs et un livre de prières relié en chagrin noir.



Tandis qu'il s'occupait ainsi, un pas léger comme celui d'une ombre effleurait le plancher du premier étage et glissait le long de l'escalier.



Tout à coup une femme pâle et pareille à un fantôme, sous les plis de son voile blanc, apparut au seuil de la porte, et une voix, douce et triste comme un chant d'oiseau au fond d'un bois, se fit entendre.



— Remy, dit cette voix, êtes-vous prêt?



— Oui, madame, et je n'attends plus, à cette heure, que votre cassette pour la joindre à la mienne.



— Croyez-vous donc que ces boîtes seront facilement chargées sur nos chevaux?



— J'en réponds, madame; d'ailleurs, si cela vous inquiète le moins du monde, nous pouvons nous dispenser d'emporter la mienne: n'ai-je point là- bas tout ce qu'il me faut?



— Non, Remy, non, sous aucun prétexte je ne veux que vous manquiez du nécessaire en route; et puis, une fois là-bas, le pauvre vieillard étant malade, tous les domestiques seront occupés autour de lui. O Remy! j'ai hâte de rejoindre mon père; j'ai de tristes pressentiments, et il me semble que depuis un siècle je ne l'ai pas vu.



— Cependant, madame, dit Remy, vous l'avez quitté il y a trois mois, et il n'y a pas entre ce voyage et le dernier plus d'intervalle qu'entre les autres.



— Remy, vous qui êtes si bon médecin, ne m'avez-vous pas avoué vous-même, en le quittant la dernière fois, que mon père n'avait plus longtemps à vivre?



— Oui, sans doute, mais c'était une crainte exprimée et non une prédiction faite; Dieu prend parfois en oubli les vieillards, et ils vivent, c'est étrange à dire, par l'habitude de vivre; il y a même plus: parfois encore le vieillard est comme l'enfant, malade aujourd'hui, dispos demain.



— Hélas! Remy, et comme l'enfant aussi, le vieillard, dispos aujourd'hui, demain est mort.



Remy ne répondit pas, car aucune réponse rassurante ne pouvait réellement sortir de sa bouche, et un silence lugubre succéda pendant quelques minutes au dialogue que nous venons de rapporter.



Chacun des deux interlocuteurs resta dans sa position morne et pensive.



— Pour quelle heure avez-vous demandé les chevaux, Remy? reprit enfin la dame mystérieuse.



— Pour deux heures après minuit.



— Une heure vient de sonner.



— Oui, madame.



— Personne ne guette au dehors, Remy?



— Personne.



— Pas même ce malheureux jeune homme?



— Pas même lui!



Remy soupira.



— Vous me dites cela d'une façon étrange, Remy.



— C'est que celui-là aussi a pris une résolution.



— Laquelle? demanda la dame en tressaillant.



— Celle de ne plus nous voir, ou du moins de ne plus essayer à nous voir.



— Et où va-t-il?



— Où nous allons tous: au repos.



— Dieu le lui donne éternel, répondit la dame d'une voix grave et froide comme un glas de mort, et cependant...



Elle s'arrêta.



— Cependant? reprit Remy.



— N'avait-il rien à faire en ce monde.



— Il avait à aimer si on l'eût aimé.



— Un homme de son nom, de son rang et de son âge devrait compter sur l'avenir.



— Y comptez-vous, vous, madame, qui êtes d'un âge, d'un rang et d'un nom qui n'ont rien à envier au sien?



Les yeux de la dame lancèrent une sinistre lueur.

 



— Oui, Remy, dit-elle, j'y compte, puisque je vis; mais attendez donc...



Elle prêta l'oreille.



— N'est-ce pas le trot d'un cheval que j'entends?



— Oui, ce me semble.



— Serait-ce déjà notre conducteur?



— C'est possible; mais, en ce cas, il aurait devancé le rendez-vous de près d'une heure.



— On s'arrête à la porte, Remy.



— En effet.



Remy descendit précipitamment, et arriva au bas de l'escalier au moment où trois coups, rapidement heurtés, se faisaient entendre.



— Qui va là? demanda Remy.



— Moi, répondit une voix cassée et tremblante, moi, Grandchamp, le valet de chambre du baron.



— Ah! mon Dieu! vous, Grandchamp, vous à Paris! Attendez que je vous ouvre; mais parlez bas.



Et il ouvrit la porte.



— D'où venez-vous donc? demanda Remy à voix basse.



— De Méridor.



— De Méridor?



— Oui, cher monsieur Remy. Hélas!



— Entrez, entrez vite. Mon Dieu!



— Eh bien! Remy, dit du haut de l'escalier la voix de la dame, sont-ce nos chevaux?



— Non, non, madame, ce ne sont pas eux.



Puis, revenant au vieillard:



— Qu'y a-t-il, mon bon Grandchamp?



— Nous ne devinez pas? répondit le serviteur.



— Hélas! si, je devine; mais au nom du ciel ne lui annoncez pas cette nouvelle tout d'un coup. Oh! que va-t-elle dire, la pauvre dame!



— Remy, Remy, dit la voix, vous causez avec quelqu'un, ce me semble?



— Oui, madame, oui.



— Avec quelqu'un dont je reconnais la voix.



— En effet, madame... Comment la ménager, Grandchamp? la voilà.



La dame, qui était descendue du premier au rez-de-chaussée, comme elle était descendue déjà du second au premier, apparut à l'extrémité du corridor.



— Qui est là? demanda-t-elle; on dirait que c'est Grandchamp.



— Oui madame, c'est moi, répondit humblement et tristement le vieillard en découvrant sa tête blanchie.



— Grandchamp, toi! oh! mon Dieu! mes pressentiments ne m'avaient point trompée, mon père est mort!



— En effet, madame, répondit Grandchamp oubliant toutes les recommandations de Remy, en effet, Méridor n'a plus de maître.



Pâle, glacée, mais immobile et ferme, la dame supporta le coup sans fléchir.



Remy, la voyant si résignée et si sombre, alla à elle, et lui prit doucement la main.



— Comment est-il mort? demanda la dame, dites, mon ami.



— Madame, M. le baron, qui ne quittait plus son fauteuil, a été frappé, il y a huit jours, d'une troisième attaque d'apoplexie. Il a pu une dernière fois balbutier votre nom, puis, il a cessé de parler et dans la nuit il est mort.



Diane fit au vieux serviteur un geste de remercîment; puis, sans ajouter un mot, elle remonta dans sa chambre.



— Enfin la voilà libre, murmura Remy, plus sombre et plus pâle qu'elle.



Venez, Grandchamp, venez.



La chambre de la dame était située au premier étage, derrière un cabinet qui avait vue sur la rue, tandis que cette chambre elle-même ne tirait son jour que d'une petite fenêtre percée sur une cour.



L'ameublement de cette pièce était sombre, mais riche; les tentures, en tapisseries d'Arras, les plus belles de l'époque, représentaient les divers sujets de la Passion.



Un prie-Dieu en chêne sculpté, une stalle de la même matière et du même travail, un lit à colonnes torses, avec des tapisseries pareilles à celles des murs, enfin un tapis de Bruges, voilà tout ce qui ornait la chambre.



Pas une fleur, pas un joyau, pas une dorure; le bois et le fer bruni remplaçaient partout l'argent et l'or; un cadre de bois noir enfermait un portrait d'homme placé dans un pan coupé de la chambre et sur lequel donnait le jour de la fenêtre, évidemment percée pour l'éclairer.



Ce fut devant ce portrait que la dame alla s'agenouiller, avec un coeur gonflé, mais des yeux arides.



Elle attacha sur cette figure inanimée un long et indicible regard d'amour, comme si cette noble image allait s'animer pour lui répondre.



Noble image, en effet, et l'épithète semblait faite pour elle.



Le peintre avait représenté un jeune homme de vingt-huit à trente ans, couché à moitié nu sur un lit de repos; de son sein entr'ouvert tombaient encore quelques gouttes de sang; une de ses mains, la main droite, pendait mutilée, et cependant elle tenait encore un tronçon d'épée.



Ses yeux se fermaient comme ceux d'un homme qui va mourir; la pâleur et la souffrance donnaient à cette physionomie un caractère divin que le visage de l'homme ne commence à prendre qu'au moment où il quitte la vie pour l'éternité.



Pour toute légende, pour toute devise, on lisait sous ce portrait, en lettres rouges comme du sang:





Aut Cesar aut nihil.





La dame étendit le bras vers cette image, et lui adressant la parole comme elle eût fait à un dieu:



« Je t'avais supplié d'attendre, quoique ton âme irritée dût être altérée de vengeance, dit-elle; et comme les morts voient tout, ô mon amour, tu as vu que je n'ai supporté la vie que pour ne pas devenir parricide; toi mort, j'eusse dû mourir; mais, en mourant, je tuais mon père.



Et puis, tu le sais encore, sur ton cadavre sanglant j'avais fait un voeu, j'avais juré de payer la mort par la mort, le sang par le sang; mais alors je chargeais d'un crime la tête blanchie du vénérable vieillard qui m'appelait son innocente enfant.



Tu as attendu, merci, bien-aimé, tu as attendu, et maintenant je suis libre; le dernier lien qui m'enchaînait à la terre vient d'être brisé par le Seigneur, au Seigneur grâces soient rendues. Je suis tout à toi: plus de voiles, plus d'embûches, je puis agir au grand jour, car, maintenant, je ne laisserai plus personne après moi sur la terre, j'ai le droit de la quitter. »



Elle se releva sur un genou et baisa la main qui semblait pendre hors du cadre.



« Tu me pardonnes, ami, dit-elle, d'avoir les yeux arides, c'est en pleurant sur ta tombe que mes yeux se sont desséchés, ces yeux que tu aimais tant.



Dans peu de mois j'irai te rejoindre, et tu me répondras enfin, chère ombre à qui j'ai tant parlé sans jamais obtenir de réponse. »



A ces mots, Diane se releva respectueusement, comme si elle eût fini de converser avec Dieu; elle alla s'asseoir sur sa stalle de chêne.



— Pauvre père! murmura-t-elle d'un ton froid et avec une expression qui semblait n'appartenir à aucune créature humaine.



Puis elle s'abîma dans une rêverie sombre qui lui fit oublier, en apparence, le malheur présent et les malheurs passés.



Tout à coup elle se dressa, la main appuyée au bras du fauteuil.



— C'est cela, dit-elle, et ainsi tout sera mieux. Remy!



Le fidèle serviteur écoutait sans doute à la porte, car il apparut aussitôt.



— Me voici, madame, répondit-il.



— Mon digne ami, mon frère, dit Diane, vous la seule créature qui me connaisse en ce monde, dites-moi adieu.



— Pourquoi cela, madame?



— Parce que l'heure est venue de nous séparer, Remy.



— Nous séparer! s'écria le jeune homme avec un accent qui fit tressaillir sa compagne. Que dites-vous, madame?



— Oui, Remy. Ce projet de vengeance me paraissait noble et pur, tant qu'il y avait un obstacle entre lui et moi, tant que je ne l'apercevais qu'à l'horizon; ainsi sont les choses de ce monde: grandes et belles de loin. Maintenant que je touche à l'exécution, maintenant que l'obstacle a disparu, je ne recule pas, Remy; mais je ne veux pas entraîner à ma suite, dans le chemin du crime, une âme généreuse et sans tache: ainsi, vous me quitterez, mon ami. Toute cette vie passée dans les larmes me comptera comme une expiation devant Dieu et devant vous, et elle vous comptera aussi à vous, je l'espère; et vous, qui n'avez jamais fait et qui ne ferez jamais de mal, vous serez deux fois sûr d

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