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Le comte de Monte Cristo

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Villefort fit un pas pour se retirer; mais un serrement de main de M. de Blacas le retint.

XI. L’Ogre de Corse

Louis XVIII, à l’aspect de ce visage bouleversé, repoussa violemment la table devant laquelle il se trouvait.

«Qu’avez-vous donc, monsieur le baron? s’écria-t-il, vous paraissez tout bouleversé: ce trouble, cette hésitation, ont-ils rapport à ce que disait M. de Blacas, et à ce que vient de me confirmer M. de Villefort?»

De son côté, M. de Blacas s’approchait vivement du baron, mais la terreur du courtisan empêchait de triompher l’orgueil de l’homme d’État; en effet, en pareille circonstance, il était bien autrement avantageux pour lui d’être humilié par le préfet de police que de l’humilier sur un pareil sujet.

«Sire… balbutia le baron.

– Eh bien, voyons!» dit Louis XVIII.

Le ministre de la Police, cédant alors à un mouvement de désespoir, alla se précipiter aux pieds de Louis XVIII, qui recula d’un pas, en fronçant le sourcil.

«Parlerez-vous? dit-il.

– Oh! Sire, quel affreux malheur! suis-je assez à plaindre? je ne m’en consolerai jamais!

– Monsieur, dit Louis XVIII, je vous ordonne de parler.

– Eh bien, Sire, l’usurpateur a quitté l’île d’Elbe le 28 février et a débarqué le 1er mars.

– Où cela? demanda vivement le roi.

– En France, Sire, dans un petit port; près d’Antibes, au golfe Juan.

– L’usurpateur a débarqué en France, près d’Antibes, au golfe Juan, à deux cent cinquante lieues de Paris, le 1er mars, et vous apprenez cette nouvelle aujourd’hui seulement 3 mars!… Eh! monsieur, ce que vous me dites là est impossible: on vous aura fait un faux rapport, ou vous êtes fou.

– Hélas! Sire, ce n’est que trop vrai!»

Louis XVIII fit un geste indicible de colère et d’effroi, et se dressa tout debout, comme si un coup imprévu l’avait frappé en même temps au cœur et au visage.

En France! s’écria-t-il, l’usurpateur en France! Mais on ne veillait donc pas sur cet homme? mais qui sait? on était donc d’accord avec lui?

– Oh! Sire, s’écria le duc de Blacas, ce n’est pas un homme comme M. Dandré que l’on peut accuser de trahison. Sire, nous étions tous aveugles, et le ministre de la Police a partagé l’aveuglement général voilà tout.

– Mais… dit Villefort; puis s’arrêtant tout à coup: Ah! pardon, pardon, Sire, fit-il en s’inclinant, mon zèle m’emporte, que Votre Majesté daigne m’excuser.

– Parlez, monsieur, parlez hardiment, dit le roi; vous seul nous avez prévenu du mal, aidez-nous à y chercher le remède.

– Sire, dit Villefort, l’usurpateur est déteste dans le Midi; il me semble que s’il se hasarde dans le Midi, on peut facilement soulever contre lui la Provence et le Languedoc.

– Oui, sans doute, dit le ministre, mais il s’avance par Gap et Sisteron.

– Il s’avance, il s’avance, dit Louis XVIII; il marche donc sur Paris?»

Le ministre de la Police garda un silence qui équivalait au plus complet aveu.

«Et le Dauphiné, monsieur, demanda le roi à Villefort, croyez-vous qu’on puisse le soulever comme la Provence?

– Sire, je suis fâché de dire à Votre Majesté une vérité cruelle; mais l’esprit du Dauphiné est loin de valoir celui de la Provence et du Languedoc. Les montagnards sont bonapartistes, Sire.

– Allons, murmura Louis XVIII, il était bien renseigné. Et combien d’hommes a-t-il avec lui?

– Sire, je ne sais, dit le ministre de la Police.

– Comment, vous ne savez! Vous avez oublié de vous informer de cette circonstance? Il est vrai qu’elle est de peu d’importance, ajouta-t-il avec un sourire écrasant.

– Sire, je ne pouvais m’en informer; la dépêche portait simplement l’annonce du débarquement et de la route prise par l’usurpateur.

– Et comment donc vous est parvenue cette dépêche?» demanda le roi.

Le ministre baissa la tête, et une vive rougeur envahit son front.

«Par le télégraphe, Sire», balbutia-t-il.

Louis XVIII fait un pas en avant et croisa les bras comme eût fait Napoléon.

«Ainsi, dit-il, pâlissant de colère, sept armées coalisées auront renversé cet homme; un miracle du ciel m’aura replacé sur le trône de mes pères après vingt-cinq ans d’exil; j’aurai, pendant ces vingt-cinq ans étudié, sondé, analysé les hommes et les choses de cette France qui m’était promise, pour qu’arrivé au but de tous mes vœux, une force que je tenais entre mes mains éclate et me brise!

– Sire, c’est de la fatalité, murmura le ministre, sentant qu’un pareil poids, léger pour le destin, suffisait à écraser un homme.

– Mais ce que disaient de nous nos ennemis est donc vrai: Rien appris, rien oublié? Si j’étais trahi comme lui, encore, je me consolerais; mais être au milieu de gens élevés par moi aux dignités, qui devaient veiller sur moi plus précieusement que sur eux-mêmes, car ma fortune c’est la leur, avant moi ils n’étaient rien, après moi ils ne seront rien, et périr misérablement par incapacité, par ineptie! Ah! oui, monsieur, vous avez bien raison, c’est de la fatalité.»

Le ministre se tenait courbé sous cet effrayant anathème.

M. de Blacas essuyait son front couvert de sueur; Villefort souriait intérieurement, car il sentait grandir son importance.

«Tomber, continuait Louis XVIII, qui du premier coup d’œil avait sondé le précipice où penchait la monarchie, tomber et apprendre sa chute par le télégraphe! Oh! j’aimerais mieux monter sur l’échafaud de mon frère Louis XVI, que de descendre ainsi l’escalier des Tuileries, chassé par le ridicule… Le ridicule, monsieur, vous ne savez pas ce que c’est, en France, et cependant vous devriez le savoir.

– Sire, Sire, murmura le ministre, par pitié!…

– Approchez, monsieur de Villefort, continua le roi s’adressant au jeune homme, qui, debout, immobile et en arrière, considérait la marche de cette conversation où flottait éperdu le destin d’un royaume, approchez et dites à monsieur qu’on pouvait savoir d’avance tout ce qu’il n’a pas su.

– Sire, il était matériellement impossible de deviner les projets que cet homme cachait à tout le monde.

– Matériellement impossible! oui, voilà un grand mot, monsieur; malheureusement, il en est des grands mots comme des grands hommes, je les ai mesurés. Matériellement impossible à un ministre, qui a une administration, des bureaux, des agents, des mouchards, des espions et quinze cent mille francs de fonds secrets, de savoir ce qui se passe à soixante lieues des côtes de France! Eh bien, tenez, voici monsieur, qui n’avait aucune de ces ressources à sa disposition, voici monsieur, simple magistrat, qui en savait plus que vous avec toute votre police, et qui eût sauvé ma couronne s’il eût eu comme vous le droit de diriger un télégraphe.»

Le regard du ministre de la Police se tourna avec une expression de profond dépit sur Villefort, qui inclina la tête avec la modestie du triomphe.

«Je ne dis pas cela pour vous, Blacas, continua Louis XVIII, car si vous n’avez rien découvert, vous, au moins avez-vous eu le bon esprit de persévérer dans votre soupçon: un autre que vous eût peut-être considéré la révélation de M. de Villefort comme insignifiante, ou bien encore suggérée par une ambition vénale.»

Ces mots faisaient allusion à ceux que le ministre de la Police avait prononcés avec tant de confiance une heure auparavant.

Villefort comprit le jeu du roi. Un autre peut-être se serait laissé emporter par l’ivresse de la louange; mais il craignit de se faire un ennemi mortel du ministre de la Police, bien qu’il sentît que celui-ci était irrévocablement perdu. En effet, le ministre qui n’avait pas, dans la plénitude de sa puissance, su deviner le secret de Napoléon, pouvait, dans les convulsions de son agonie, pénétrer celui de Villefort: il ne lui fallait, pour cela, qu’interroger Dantès. Il vint donc en aide au ministre au lieu de l’accabler.

«Sire, dit Villefort, la rapidité de l’événement doit prouver à Votre Majesté que Dieu seul pouvait l’empêcher en soulevant une tempête; ce que Votre Majesté croit de ma part l’effet d’une profonde perspicacité est dû, purement et simplement, au hasard; j’ai profité de ce hasard en serviteur dévoué, voilà tout. Ne m’accordez pas plus que je ne mérite, Sire, pour ne revenir jamais sur la première idée que vous aurez conçue de moi.»

Le ministre de la Police remercia le jeune homme par un regard éloquent, et Villefort comprit qu’il avait réussi dans son projet, c’est-à-dire que, sans rien perdre de la reconnaissance du roi, il venait de se faire un ami sur lequel, le cas échéant, il pouvait compter.

«C’est bien, dit le roi. Et maintenant, messieurs, continua-t-il en se retournant vers M. de Blacas et vers le ministre de la Police, je n’ai plus besoin de vous, et vous pouvez vous retirer: ce qui reste à faire est du ressort du ministre de la Guerre.

– Heureusement, Sire, dit M. de Blacas, que nous pouvons compter sur l’armée. Votre Majesté sait combien tous les rapports nous la peignent dévouée à votre gouvernement.

– Ne me parlez pas de rapports: maintenant, duc, je sais la confiance que l’on peut avoir en eux. Eh! mais, à propos de rapports, monsieur le baron, qu’avez-vous appris de nouveau sur l’affaire de la rue Saint-Jacques?

– Sur l’affaire de la rue Saint-Jacques!» s’écria Villefort, ne pouvant retenir une exclamation.

Mais s’arrêtant tout à coup:

«Pardon, Sire, dit-il, mon dévouement à Votre Majesté me fait sans cesse oublier, non le respect que j’ai pour elle, ce respect est trop profondément gravé dans mon cœur, mais les règles de l’étiquette.

– Dites et faites, monsieur, reprit Louis XVIII; vous avez acquis aujourd’hui le droit d’interroger.

– Sire, répondit le ministre de la Police, je venais justement aujourd’hui donner à Votre Majesté les nouveaux renseignements que j’avais recueillis sur cet événement, lorsque l’attention de Votre Majesté a été détournée par la terrible catastrophe du golfe; maintenant, ces renseignements n’auraient plus aucun intérêt pour le roi.

 

– Au contraire, monsieur, au contraire, dit Louis XVIII, cette affaire me semble avoir un rapport direct avec celle qui nous occupe, et la mort du général Quesnel va peut-être nous mettre sur la voie d’un grand complot intérieur.»

À ce nom du général Quesnel, Villefort frissonna.

«En effet, Sire, reprit le ministre de la Police, tout porterait à croire que cette mort est le résultat, non pas d’un suicide, comme on l’avait cru d’abord, mais d’un assassinat: le général Quesnel sortait, à ce qu’il paraît, d’un club bonapartiste lorsqu’il a disparu. Un homme inconnu était venu le chercher le matin même, et lui avait donné rendez-vous rue Saint-Jacques; malheureusement, le valet de chambre du général, qui le coiffait au moment où cet inconnu a été introduit dans le cabinet, a bien entendu qu’il désignait la rue Saint-Jacques, mais n’a pas retenu le numéro.»

À mesure que le ministre de la Police donnait au roi Louis XVIII ces renseignements, Villefort, qui semblait suspendu à ses lèvres, rougissait et pâlissait.

Le roi se retourna de son côté.

«N’est-ce pas votre avis, comme c’est le mien, monsieur de Villefort, que le général Quesnel, que l’on pouvait croire attaché à l’usurpateur, mais qui, réellement, était tout entier à moi, a péri victime d’un guet-apens bonapartiste?

– C’est probable, Sire, répondit Villefort; mais ne sait-on rien de plus?

– On est sur les traces de l’homme qui avait donné le rendez-vous.

– On est sur ses traces? répéta Villefort.

– Oui, le domestique a donné son signalement: c’est un homme de cinquante à cinquante-deux ans, brun, avec des yeux noirs couverts d’épais sourcils, et portant moustaches; il était vêtu d’une redingote bleue, et portait à sa boutonnière une rosette d’officier de la Légion d’honneur. Hier on a suivi un individu dont le signalement répond exactement à celui que je viens de dire, et on l’a perdu au coin de la rue de la Jussienne et de la rue Coq-Héron.»

Villefort s’était appuyé au dossier d’un fauteuil car à mesure que le ministre de la Police parlait, il sentait ses jambes se dérober sous lui; mais lorsqu’il vit que l’inconnu avait échappé aux recherches de l’agent qui le suivait, il respira.

«Vous chercherez cet homme, monsieur, dit le roi au ministre de la Police; car, si, comme tout me porte à le croire, le général Quesnel, qui nous eût été si utile en ce moment, a été victime d’un meurtre, bonapartistes ou non, je veux que ses assassins soient cruellement punis.»

Villefort eut besoin de tout son sang-froid pour ne point trahir la terreur que lui inspirait cette recommandation du roi.

«Chose étrange! continua le roi avec un mouvement d’humeur, la police croit avoir tout dit lorsqu’elle a dit: un meurtre a été commis, et tout fait lorsqu’elle a ajouté: on est sur la trace des coupables.

– Sire, Votre Majesté, sur ce point du moins, sera satisfaite, je l’espère.

– C’est bien, nous verrons; je ne vous retiens pas plus longtemps, baron; monsieur de Villefort, vous devez être fatigué de ce long voyage, allez vous reposer. Vous êtes sans doute descendu chez votre père?»

Un éblouissement passa sur les yeux de Villefort.

«Non, Sire, dit-il, je suis descendu hôtel de Madrid, rue de Tournon.

– Mais vous l’avez vu?

– Sire, je me suis fait tout d’abord conduire chez M. le duc de Blacas.

– Mais vous le verrez, du moins?

– Je ne le pense pas, Sire.

– Ah! c’est juste, dit Louis XVIII en souriant de manière à prouver que toutes ces questions réitérées n’avaient pas été faites sans intention, j’oubliais que vous êtes en froid avec M. Noirtier, et que c’est un nouveau sacrifice fait à la cause royale, et dont il faut que je vous dédommage.

– Sire, la bonté que me témoigne Votre Majesté est une récompense qui dépasse de si loin toutes mes ambitions, que je n’ai rien à demander de plus au roi.

– N’importe, monsieur, et nous ne vous oublierons pas, soyez tranquille; en attendant (le roi détacha la croix de la Légion d’honneur qu’il portait d’ordinaire sur son habit bleu, près de la croix de Saint-Louis, au-dessus de la plaque de l’ordre de Notre-Dame du mont Carmel et de Saint-Lazare, et la donnant à Villefort), en attendant, dit-il, prenez toujours cette croix.

– Sire, dit Villefort, Votre Majesté, se trompe, cette croix est celle d’officier.

– Ma foi, monsieur, dit Louis XVIII, prenez-la telle qu’elle est; je n’ai pas le temps d’en faire demander une autre. Blacas, vous veillerez à ce que le brevet soit délivré à M. de Villefort.»

Les yeux de Villefort se mouillèrent d’une larme d’orgueilleuse joie; il prit la croix et la baisa.

«Et maintenant, demanda-t-il, quels sont les ordres que me fait l’honneur de me donner Votre Majesté?

– Prenez le repos qui vous est nécessaire et songez que, sans force à Paris pour me servir, vous pouvez m’être à Marseille de la plus grande utilité.

– Sire, répondit Villefort en s’inclinant, dans une heure j’aurai quitté Paris.

– Allez, monsieur, dit le roi, et si je vous oubliais – la mémoire des rois est courte – ne craignez pas de vous rappeler à mon souvenir… Monsieur le baron, donnez l’ordre qu’on aille chercher le ministre de la Guerre. Blacas, restez.

– Ah! monsieur, dit le ministre de la Police à Villefort en sortant des Tuileries, vous entrez par la bonne porte et votre fortune est faite.

– Sera-t-elle longue?» murmura Villefort en saluant le ministre, dont la carrière était finie, et en cherchant des yeux une voiture pour rentrer chez lui.

Un fiacre passait sur le quai, Villefort lui fit un signe, le fiacre s’approcha; Villefort donna son adresse et se jeta dans le fond de la voiture, se laissant aller à ses rêves d’ambition. Dix minutes après, Villefort était rentré chez lui; il commanda ses chevaux pour dans deux heures, et ordonna qu’on lui servît à déjeuner.

Il allait se mettre à table lorsque le timbre de la sonnette retentit sous une main franche et ferme: le valet de chambre alla ouvrir, et Villefort entendit une voix qui prononçait son nom.

«Qui peut déjà savoir que je suis ici?» se demanda le jeune homme.

En ce moment, le valet de chambre rentra.

«Eh bien, dit Villefort, qu’y a-t-il donc? qui a sonné? qui me demande?

– Un étranger qui ne veut pas dire son nom.

– Comment! un étranger qui ne veut pas dire son nom? et que me veut cet étranger?

– Il veut parler à monsieur.

– À moi?

– Oui.

– Il m’a nommé?

– Parfaitement.

– Et quelle apparence a cet étranger?

– Mais, monsieur, c’est un homme d’une cinquantaine d’années.

– Petit? grand?

– De la taille de monsieur à peu près.

– Brun ou blond?

– Brun, très brun: des cheveux noirs, des yeux noirs, des sourcils noirs.

– Et vêtu, demanda vivement Villefort, vêtu de quelle façon?

– D’une grande lévite bleue boutonnée du haut en bas; décoré de la Légion d’honneur.

– C’est lui, murmura Villefort en pâlissant.

– Eh pardieu! dit en paraissant sur la porte l’individu dont nous avons déjà donné deux fois le signalement, voilà bien des façons; est-ce l’habitude à Marseille que les fils fassent faire antichambre à leur père?

– Mon père! s’écria Villefort; je ne m’étais donc pas trompé… et je me doutais que c’était vous.

– Alors, si tu te doutais que c’était moi, reprit le nouveau venu, en posant sa canne dans un coin et son chapeau sur une chaise, permets-moi de te dire, mon cher Gérard, que ce n’est guère aimable à toi de me faire attendre ainsi.

– Laissez-nous, Germain», dit Villefort.

Le domestique sortit en donnant des marques visibles d’étonnement.

XII. Le père et le fils

M. Noirtier, car c’était en effet lui-même qui venait d’entrer, suivit des yeux le domestique jusqu’à ce qu’il eût refermé la porte; puis, craignant sans doute qu’il n’écoutât dans l’antichambre, il alla rouvrir derrière lui: la précaution n’était pas inutile, et la rapidité avec laquelle maître Germain se retira prouva qu’il n’était point exempt du péché qui perdit nos premiers pères. M. Noirtier prit alors la peine d’aller fermer lui-même la porte de l’antichambre, revint fermer celle de la chambre à coucher, poussa les verrous, et revint tendre la main à Villefort, qui avait suivi tous ces mouvements avec une surprise dont il n’était pas encore revenu.

«Ah çà! sais-tu bien, mon cher Gérard, dit-il au jeune homme en le regardant avec un sourire dont il était assez difficile de définir l’expression, que tu n’as pas l’air ravi de me voir?

– Si fait, mon père, dit Villefort, je suis enchanté; mais j’étais si loin de m’attendre à votre visite, qu’elle m’a quelque peu étourdi.

– Mais, mon cher ami, reprit M. Noirtier en s’asseyant, il me semble que je pourrais vous en dire autant. Comment! vous m’annoncez vos fiançailles à Marseille pour le 28 février, et le 3 mars vous êtes à Paris?

– Si j’y suis, mon père, dit Gérard en se rapprochant de M. Noirtier, ne vous en plaignez pas, car c’est pour vous que j’étais venu, et ce voyage vous sauvera peut-être.

– Ah! vraiment, dit M. Noirtier en s’allongeant nonchalamment dans le fauteuil où il était assis; vraiment! contez-moi donc cela, monsieur le magistrat, ce doit être curieux.

– Mon père, vous avez entendu parler de certain club bonapartiste qui se tient rue Saint-Jacques?

– No 53? Oui, j’en suis vice-président.

– Mon père, votre sang-froid me fait frémir.

– Que veux-tu, mon cher? quand on a été proscrit par les montagnards, qu’on est sorti de Paris dans une charrette de foin, qu’on a été traqué dans les landes de Bordeaux par les limiers de Robespierre, cela vous a aguerri à bien des choses. Continue donc. Eh bien, que s’est-il passé à ce club de la rue Saint-Jacques?

– Il s’y est passé qu’on y a fait venir le général Quesnel, et que le général Quesnel, sorti à neuf heures du soir de chez lui, a été retrouvé le surlendemain dans la Seine.

– Et qui vous a conté cette belle histoire?

– Le roi lui-même, monsieur.

– Eh bien, moi, en échange de votre histoire, continua Noirtier, je vais vous apprendre une nouvelle.

– Mon père, je crois savoir déjà ce que vous allez me dire.

– Ah! vous savez le débarquement de Sa Majesté l’Empereur?

– Silence, mon père, je vous prie, pour vous d’abord, et puis ensuite pour moi. Oui, je savais cette nouvelle, et même je la savais avant vous, car depuis trois jours je brûle le pavé, de Marseille à Paris, avec la rage de ne pouvoir lancer à deux cents lieues en avant de moi la pensée qui me brûle le cerveau.

– Il y a trois jours! êtes-vous fou? Il y a trois jours, l’Empereur n’était pas embarqué.

– N’importe, je savais le projet.

– Et comment cela?

– Par une lettre qui vous était adressée de l’île d’Elbe.

– À moi?

– À vous, et que j’ai surprise dans le portefeuille du messager. Si cette lettre était tombée entre les mains d’un autre, à cette heure, mon père, vous seriez fusillé, peut-être.»

Le père de Villefort se mit à rire.

«Allons, allons, dit-il, il paraît que la Restauration a appris de l’Empire la façon d’expédier promptement les affaires… Fusillé! mon cher, comme vous y allez! et cette lettre, où est-elle? Je vous connais trop pour craindre que vous l’ayez laissée traîner.

– Je l’ai brûlée, de peur qu’il n’en restât un seul fragment: car cette lettre, c’était votre condamnation.

– Et la perte de votre avenir, répondit froidement Noirtier; oui, je comprends cela; mais je n’ai rien à craindre puisque vous me protégez.

– Je fais mieux que cela, monsieur, je vous sauve.

– Ah! diable! ceci devient plus dramatique; expliquez-vous.

– Monsieur, j’en reviens à ce club de la rue Saint-Jacques.

– Il paraît que ce club tient au cœur de messieurs de la police. Pourquoi n’ont-ils pas mieux cherché? ils l’auraient trouvé.

– Ils ne l’ont pas trouvé, mais ils sont sur la trace.

– C’est le mot consacré, je le sais bien: quand la police est en défaut, elle dit qu’elle est sur la trace, et le gouvernement attend tranquillement le jour où elle vient dire, l’oreille basse, que cette trace est perdue.

– Oui, mais on a trouvé un cadavre: le général Quesnel a été tué, et dans tous les pays du monde cela s’appelle un meurtre.

– Un meurtre, dites-vous? mais rien ne prouve que le général ait été victime d’un meurtre: on trouve tous les jours des gens dans la Seine, qui s’y sont jetés de désespoir, qui s’y sont noyés ne sachant pas nager.

 

– Mon père, vous savez très bien que le général ne s’est pas noyé par désespoir, et qu’on ne se baigne pas dans la Seine au mois de janvier. Non, non, ne vous abusez pas, cette mort est bien qualifiée de meurtre.

– Et qui l’a qualifiée ainsi?

– Le roi lui-même.

– Le roi! Je le croyais assez philosophe pour comprendre qu’il n’y a pas de meurtre en politique. En politique, mon cher, vous le savez comme moi, il n’y a pas d’hommes, mais des idées; pas de sentiments, mais des intérêts; en politique, on ne tue pas un homme: on supprime un obstacle, voilà tout. Voulez-vous savoir comment les choses se sont passées? eh bien, moi, je vais vous le dire. On croyait pouvoir compter sur le général Quesnel: on nous l’avait recommandé de l’île d’Elbe, l’un de nous va chez lui, l’invite à se rendre rue Saint-Jacques à une assemblée où il trouvera des amis; il y vient, et là on lui déroule tout le plan, le départ de l’île d’Elbe, le débarquement projeté; puis, quand il a tout écouté tout entendu, qu’il ne reste plus rien à lui apprendre, il répond qu’il est royaliste: alors chacun se regarde; on lui fait faire serment, il le fait, mais de si mauvaise grâce vraiment, que c’était tenter Dieu que de jurer ainsi; eh bien, malgré tout cela, on a laissé le général sortir libre, parfaitement libre. Il n’est pas rentré chez lui, que voulez-vous, mon cher? Il est sorti de chez nous: il se sera trompé de chemin, voilà tout. Un meurtre! en vérité vous me surprenez, Villefort, vous, substitut du procureur du roi, de bâtir une accusation sur de si mauvaises preuves. Est-ce que jamais je me suis avisé de vous dire à vous, quand vous exercez votre métier de royaliste, et que vous faites couper la tête à l’un des miens: «Mon fils, vous avez commis un meurtre!» Non, j’ai dit: «Très bien, monsieur, vous avez combattu victorieusement; à demain la revanche.»

– Mais, mon père, prenez garde, cette revanche sera terrible quand nous la prendrons.

– Je ne vous comprends pas.

– Vous comptez sur le retour de l’usurpateur?

– Je l’avoue.

– Vous vous trompez, mon père, il ne fera pas dix lieues dans l’intérieur de la France sans être poursuivi, traqué, pris comme une bête fauve.

– Mon cher ami, l’Empereur est, en ce moment, sur la route de Grenoble, le 10 ou le 12 il sera à Lyon, et le 20 ou le 25 à Paris.

– Les populations vont se soulever…

– Pour aller au-devant de lui.

– Il n’a avec lui que quelques hommes, et l’on enverra contre lui des armées.

– Qui lui feront escorte pour rentrer dans la capitale. En vérité, mon cher Gérard, vous n’êtes encore qu’un enfant; vous vous croyez bien informé parce qu’un télégraphe vous dit, trois jours après le débarquement: «L’usurpateur est débarqué à Cannes avec quelques hommes; on est à sa poursuite.» Mais où est-il? que fait-il? vous n’en savez rien: on le poursuit, voilà tout ce que vous savez. Eh bien, on le poursuivra ainsi jusqu’à Paris, sans brûler une amorce.

– Grenoble et Lyon sont des villes fidèles, et qui lui opposeront une barrière infranchissable.

– Grenoble lui ouvrira ses portes avec enthousiasme, Lyon tout entier ira au-devant de lui. Croyez-moi, nous sommes aussi bien informés que vous, et notre police vaut bien la vôtre: en voulez-vous une preuve? c’est que vous vouliez me cacher votre voyage, et que cependant j’ai su votre arrivée une demi-heure après que vous avez eu passé la barrière; vous n’avez donné votre adresse à personne qu’à votre postillon, eh bien, je connais votre adresse, et la preuve en est que j’arrive chez vous juste au moment où vous allez vous mettre à table; sonnez donc, et demandez un second couvert; nous dînerons ensemble.

– En effet, répondit Villefort, regardant son père avec étonnement, en effet, vous me paraissez bien instruit.

– Eh! mon Dieu, la chose est toute simple; vous autres, qui tenez le pouvoir, vous n’avez que les moyens que donne l’argent; nous autres, qui l’attendons, nous avons ceux que donne le dévouement.

– Le dévouement? dit Villefort en riant.

– Oui, le dévouement; c’est ainsi qu’on appelle en termes honnêtes, l’ambition qui espère.»

Et le père de Villefort étendit lui-même la main vers le cordon de la sonnette pour appeler le domestique que n’appelait pas son fils. Villefort lui arrêta le bras.

«Attendez, mon père, dit le jeune homme, encore un mot.

– Dites.

– Si mal faite que soit la police royaliste, elle sait cependant une chose terrible.

– Laquelle?

– C’est le signalement de l’homme qui, le matin du jour où a disparu le général Quesnel, s’est présenté chez lui.

– Ah! elle sait cela, cette bonne police? et ce signalement, quel est-il?

– Teint brun, cheveux, favoris et yeux noirs redingote bleue boutonnée jusqu’au menton, rosette d’officier de la Légion d’honneur à la boutonnière, chapeau à larges bords et canne de jonc.

– Ah! ah! elle sait cela? dit Noirtier, et pourquoi donc, en ce cas, n’a-t-elle pas mis la main sur cet homme?

– Parce qu’elle l’a perdu, hier ou avant-hier, au coin de la rue Coq-Héron.

– Quand je vous disais que votre police était une sotte?

– Oui, mais d’un moment à l’autre elle peut le trouver.

– Oui, dit Noirtier en regardant insoucieusement autour de lui, oui, si cet homme n’est pas averti, mais il l’est; et, ajouta-t-il en souriant, il va changer de visage et de costume»

À ces mots, il se leva, mit bas sa redingote et sa cravate, alla vers une table sur laquelle étaient préparées toutes les pièces du nécessaire de toilette de son fils, prit un rasoir, se savonna le visage, et d’une main parfaitement ferme abattit ces favoris compromettants qui donnaient à la police un document si précieux.

Villefort le regardait faire avec une terreur qui n’était pas exempte d’admiration.

Ses favoris coupés, Noirtier donna un autre tour à ses cheveux: prit, au lieu de sa cravate noire, une cravate de couleur qui se présentait à la surface d’une malle ouverte; endossa, au lieu de sa redingote bleue et boutonnante, une redingote de Villefort, de couleur marron et de forme évasée; essaya devant la glace le chapeau à bords retroussés du jeune homme parut satisfait de la manière dont il lui allait, et, laissant la canne de jonc dans le coin de la cheminée où il l’avait posée, il fit siffler dans sa main nerveuse une petite badine de bambou avec laquelle l’élégant substitut donnait à sa démarche la désinvolture qui en était une des principales qualités.

«Eh bien, dit-il, se retournant vers son fils stupéfait, lorsque cette espèce de changement à vue fut opéré, eh bien, crois-tu que ta police me reconnaisse maintenant?

– Non, mon père, balbutia Villefort; je l’espère, du moins.

– Maintenant, mon cher Gérard, continua Noirtier, je m’en rapporte à ta prudence pour faire disparaître tous les objets que je laisse à ta garde.

– Oh! soyez tranquille, mon père, dit Villefort.

– Oui, oui! et maintenant je crois que tu as raison, et que tu pourrais bien, en effet, m’avoir sauvé la vie; mais, sois tranquille, je te rendrai cela prochainement.»

Villefort hocha la tête.

«Tu n’es pas convaincu?

– J’espère, du moins, que vous vous trompez.

– Reverras-tu le roi?

– Peut-être.

– Veux-tu passer à ses yeux pour un prophète?

– Les prophètes de malheur sont mal venus à la cour, mon père.

– Oui, mais, un jour ou l’autre, on leur rend justice; et suppose une seconde Restauration, alors tu passeras pour un grand homme.

– Enfin, que dois-je dire au roi?

– Dis-lui ceci: «Sire, on vous trompe sur les dispositions de la France, sur l’opinion des villes, sur l’esprit de l’armée; celui que vous appelez à Paris l’ogre de Corse, qui s’appelle encore l’usurpateur à Nevers, s’appelle déjà Bonaparte à Lyon, et l’Empereur à Grenoble. Vous le croyez traqué, poursuivi, en fuite; il marche, rapide comme l’aigle qu’il rapporte. Les soldats, que vous croyez mourants de faim, écrasés de fatigue, prêts à déserter, s’augmentent comme les atomes de neige autour de la boule qui se précipite. Sire, partez; abandonnez la France à son véritable maître, à celui qui ne l’a pas achetée, mais conquise; partez, Sire, non pas que vous couriez quelque danger, votre adversaire est assez fort pour faire grâce, mais parce qu’il serait humiliant pour un petit-fils de saint Louis de devoir la vie à l’homme d’Arcole, de Marengo et d’Austerlitz.» Dis-lui cela, Gérard; ou plutôt, va, ne lui dis rien; dissimule ton voyage; ne te vante pas de ce que tu es venu faire et de ce que tu as fait à Paris; reprends la poste; si tu as brûlé le chemin pour venir, dévore l’espace pour retourner; rentre à Marseille de nuit; pénètre chez toi par une porte de derrière, et là reste bien doux, bien humble, bien secret, bien inoffensif surtout, car cette fois, je te le jure, nous agirons en gens vigoureux et qui connaissent leurs ennemis. Allez, mon fils, allez, mon cher Gérard, et moyennant cette obéissance aux ordres paternels, ou, si vous l’aimez mieux, cette déférence pour les conseils d’un ami, nous vous maintiendrons dans votre place. Ce sera, ajouta Noirtier en souriant, un moyen pour vous de me sauver une seconde fois, si la bascule politique vous remet un jour en haut et moi en bas. Adieu, mon cher Gérard; à votre prochain voyage, descendez chez moi.»

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