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Le comte de Monte Cristo

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– Eh bien? demanda Caderousse en frémissant.

– Eh bien, je croirai que Dieu t’a pardonné, et je te pardonnerai aussi.

– Vrai comme je suis chrétien, balbutia Caderousse en reculant, vous me faites mourir de peur!

– Allons, va-t’en!» dit le comte en montrant du doigt la fenêtre à Caderousse.

Caderousse, encore mal rassuré par cette promesse, enjamba la fenêtre et mit le pied sur l’échelle.

Là, il s’arrêta tremblant.

«Maintenant descends», dit l’abbé en se croisant les bras.

Caderousse commença de comprendre qu’il n’y avait rien à craindre de ce côté, et descendit.

Alors le comte s’approcha avec la bougie, de sorte qu’on pût distinguer des Champs-Élysées cet homme qui descendait d’une fenêtre, éclairé par un autre homme.

– Que faites-vous donc, monsieur l’abbé? dit Caderousse; s’il passait une patrouille…»

Et il souffla la bougie. Puis il continua de descendre; mais ce ne fut que lorsqu’il sentit le sol du jardin sous son pied qu’il fut suffisamment rassuré.

Monte-Cristo rentra dans sa chambre à coucher, et jetant un coup d’œil rapide du jardin à la rue, il vit d’abord Caderousse qui, après être descendu, faisait un détour dans le jardin et allait planter son échelle à extrémité de la muraille, afin de sortir à une autre place que celle par laquelle il était entré.

Puis, passant du jardin à la rue, il vit l’homme qui semblait attendre courir parallèlement dans la rue et se placer derrière l’angle même près duquel Caderousse allait descendre.

Caderousse monta lentement sur l’échelle, et, arrivé aux derniers échelons, passa sa tête par-dessus le chaperon pour s’assurer que la rue était bien solitaire.

On ne voyait personne, on n’entendait aucun bruit.

Une heure sonna aux Invalides.

Alors Caderousse se mit à cheval sur le perron, et, tirant à lui son échelle, la passa par-dessus le mur, puis il se mit en devoir de descendre, ou plutôt de se laisser glisser le long des deux montants, manœuvre qu’il opéra avec une adresse qui prouva l’habitude qu’il avait de cet exercice.

Mais, une fois lancé sur la pente, il ne put s’arrêter. Vainement il vit un homme s’élancer dans l’ombre au moment où il était à moitié chemin; vainement il vit un bras se lever au moment où il touchait la terre; avant qu’il eût pu se mettre en défense, ce bras le frappa si furieusement dans le dos, qu’il lâcha l’échelle en criant:

«Au secours!»

Un second coup lui arriva presque aussitôt dans le flanc, et il tomba en criant:

«Au meurtre!»

Enfin, comme il se roulait sur la terre, son adversaire le saisit aux cheveux et lui porta un troisième coup dans la poitrine.

Cette fois Caderousse voulut crier encore, mais il ne put pousser qu’un gémissement, et laissa couler en gémissant les trois ruisseaux de sang qui sortaient de ses trois blessures.

L’assassin, voyant qu’il ne criait plus, lui souleva la tête par les cheveux; Caderousse avait les yeux fermés et la bouche tordue. L’assassin le crut mort, laissa retomber la tête et disparut.

Alors Caderousse, le sentant s’éloigner, se redressa sur son coude, et, d’une voix mourante, cria dans un suprême effort:

«À l’assassin! je meurs! à moi, monsieur l’abbé, à moi!»

Ce lugubre appel perça l’ombre de la nuit. La porte de l’escalier dérobé s’ouvrit, puis la petite porte du jardin, et Ali et son maître accoururent avec des lumières.

LXXXIII. La main de Dieu

Caderousse continuait de crier d’une voix lamentable: «Monsieur l’abbé, au secours! au secours!»

– Qu’y a-t-il? demanda Monte-Cristo.

– À mon secours! répéta Caderousse; on m’a assassiné!

– Nous voici! Du courage!

– Ah! c’est fini. Vous arrivez trop tard; vous arrivez pour me voir mourir. Quels coups! que de sang!»

Et il s’évanouit.

Ali et son maître prirent le blessé et le transportèrent dans une chambre. Là, Monte-Cristo fit signe à Ali de le déshabiller, et il reconnut les trois terribles blessures dont il était atteint.

«Mon Dieu! dit-il, votre vengeance se fait parfois attendre; mais je crois qu’alors elle ne descend du ciel que plus complète.»

Ali regarda son maître comme pour lui demander ce qu’il y avait à faire.

«Va chercher M. le procureur du roi Villefort, qui demeure faubourg Saint-Honoré, et amène-le ici. En passant, tu réveilleras le concierge, et tu lui diras d’aller chercher un médecin.»

Ali obéit et laissa le faux abbé seul avec Caderousse, toujours évanoui. Lorsque le malheureux rouvrit les yeux, le comte, assis à quelques pas de lui, le regardait avec une sombre expression de pitié, et ses lèvres, qui s’agitaient, semblaient murmurer une prière.

«Un chirurgien, monsieur l’abbé, un chirurgien! dit Caderousse.

– On en est allé chercher un, répondit l’abbé.

– Je sais bien que c’est inutile, quant à la vie, mais il pourra me donner des forces peut-être, et je veux avoir le temps de faire ma déclaration.

– Sur quoi?

– Sur mon assassin.

– Vous le connaissez donc?

– Si je le connais! oui, je le connais, c’est Benedetto.

– Ce jeune Corse?

– Lui-même.

– Votre compagnon?

– Oui. Après m’avoir donné le plan de la maison du comte, espérant sans doute que je le tuerais et qu’il deviendrait ainsi son héritier, ou qu’il me tuerait et qu’il serait ainsi débarrassé de moi, il m’a attendu dans la rue et m’a assassiné.

– En même temps que j’ai envoyé chercher le médecin, j’ai envoyé chercher le procureur du roi.

– Il arrivera trop tard, il arrivera trop tard, dit Caderousse, je sens tout mon sang qui s’en va.

– Attendez», dit Monte-Cristo.

Il sortit et rentra cinq minutes après avec un flacon.

Les yeux du moribond, effrayants de fixité, n’avaient point en son absence quitté cette porte par laquelle il devinait instinctivement qu’un secours allait lui venir.

«Dépêchez-vous! monsieur l’abbé, dépêchez-vous! dit-il, je sens que je m’évanouis encore.»

Monte-Cristo s’approcha et versa sur les lèvres violettes du blessé trois ou quatre gouttes de la liqueur que contenait le flacon.

Caderousse poussa un soupir.

«Oh! dit-il, c’est la vie que vous me versez là; encore… encore…

– Deux gouttes de plus vous tueraient, répondit l’abbé.

– Oh! qu’il vienne donc quelqu’un à qui je puisse dénoncer le misérable.

– Voulez-vous que j’écrive votre déposition? vous la signerez.

– Oui… oui…» dit Caderousse, dont les yeux brillaient à l’idée de cette vengeance posthume.

Monte-Cristo écrivit:

«Je meurs assassiné par le Corse Benedetto, mon compagnon de chaîne à Toulon sous le n°59.»

«Dépêchez-vous! dépêchez-vous! dit Caderousse, je ne pourrais plus signer.»

Monte-Cristo présenta la plume à Caderousse, qui rassembla ses forces, signa et retomba sur son lit en disant:

«Vous raconterez le reste, monsieur l’abbé; vous direz qu’il se fait appeler Andrea Cavalcanti, qu’il loge à l’hôtel des Princes, que… Ah! ah! mon Dieu! mon Dieu! voilà que je meurs!»

Et Caderousse s’évanouit pour la seconde fois.

L’abbé lui fit respirer l’odeur du flacon; le blessé rouvrit les yeux.

Son désir de vengeance ne l’avait pas abandonné pendant son évanouissement.

«Ah! vous direz tout cela, n’est-ce pas, monsieur l’abbé?

– Tout cela, oui, et bien d’autres choses encore.

– Que direz-vous?

– Je dirai qu’il vous avait sans doute donné le plan de cette maison dans l’espérance que le comte vous tuerait. Je dirai qu’il avait prévenu le comte par un billet; je dirai que, le comte étant absent, c’est moi qui ai reçu ce billet et qui ai veillé pour vous attendre.

– Et il sera guillotiné, n’est-ce pas? dit Caderousse, il sera guillotiné, vous me le promettez? Je meurs avec cet espoir-là, cela va m’aider à mourir.

– Je dirai, continua le comte, qu’il est arrivé derrière vous, qu’il vous a guetté tout le temps; que lorsqu’il vous a vu sortir, il a couru à l’angle du mur et s’est caché.

– Vous avez donc vu tout cela, vous?

– Rappelez-vous mes paroles: «Si tu rentres chez toi sain et sauf, je croirai que Dieu t’a pardonné, et je te pardonnerai aussi.»

– Et vous ne m’avez pas averti? s’écria Caderousse en essayant de se soulever sur son coude; vous saviez que j’allais être tué en sortant d’ici, et vous ne m’avez pas averti!

– Non, car dans la main de Benedetto je voyais la justice de Dieu, et j’aurais cru commettre un sacrilège en m’opposant aux intentions de la Providence.

– La justice de Dieu! ne m’en parlez pas, monsieur l’abbé: s’il y avait une justice de Dieu, vous savez mieux que personne qu’il y a des gens qui seraient punis et qui ne le sont pas.

– Patience, dit l’abbé d’un ton qui fit frémir le moribond, patience!»

Caderousse le regarda avec étonnement.

«Et puis, dit l’abbé, Dieu est plein de miséricorde pour tous, comme il a été pour toi: il est père avant d’être juge.

– Ah! vous croyez donc à Dieu, vous? dit Caderousse.

– Si j’avais le malheur de n’y pas avoir cru jusqu’à présent, dit Monte-Cristo, j’y croirais en te voyant.

Caderousse leva les poings crispés au ciel.

«Écoute, dit l’abbé en étendant la main sur le blessé comme pour lui commander la foi, voilà ce qu’il a fait pour toi, ce Dieu que tu refuses de reconnaître à ton dernier moment: il t’avait donné la santé, la force, un travail assuré, des amis même, la vie enfin telle qu’elle doit se présenter à l’homme pour être douce avec le calme de la conscience et la satisfaction des désirs naturels; au lieu d’exploiter ces dons du Seigneur, si rarement accordés par lui dans leur plénitude, voilà ce que tu as fait, toi: tu t’es adonné à la fainéantise à l’ivresse, et dans l’ivresse tu as trahi un de tes meilleurs amis.

– Au secours! s’écria Caderousse, je n’ai pas besoin d’un prêtre, mais d’un médecin; peut-être que je ne suis pas blessé à mort, peut-être que je ne vais pas encore mourir, peut-être qu’on peut me sauver!

 

– Tu es si bien blessé à mort que, sans les trois gouttes de liqueur que je t’ai données tout à l’heure, tu aurais déjà expiré. Écoute donc!

– Ah! murmura Caderousse, quel étrange prêtre vous faites, qui désespérez les mourants au lieu de les consoler.

– Écoute, continua l’abbé: quand tu as eu trahi ton ami, Dieu a commencé, non pas de te frapper, mais de t’avertir; tu es tombé dans la misère et tu as eu faim; tu avais passé à envier la moitié d’une vie que tu pouvais passer à acquérir, et déjà tu songeais au crime en te donnant à toi-même l’excuse de la nécessité, quand Dieu fit pour toi un miracle, quand Dieu, par mes mains, t’envoya au sein de ta misère une fortune, brillante pour toi, malheureux, qui n’avais jamais rien possédé. Mais cette fortune inattendue, inespérée, inouïe, ne te suffit plus du moment où tu la possèdes, tu veux la doubler: par quel moyen? par un meurtre. Tu la doubles, et alors Dieu te l’arrache en te conduisant devant la justice humaine.

– Ce n’est pas moi, dit Caderousse, qui ai voulu tuer le juif, c’est la Carconte.

– Oui, dit Monte-Cristo. Aussi Dieu toujours, je ne dirai pas juste cette fois, car sa justice t’eût donné la mort, mais Dieu, toujours miséricordieux, permit que tes juges fussent touchés à tes paroles et te laissassent la vie.

– Pardieu! pour m’envoyer au bagne à perpétuité: la belle grâce!

– Cette grâce, misérable! tu la regardas cependant comme une grâce quand elle te fut faite; ton lâche cœur, qui tremblait devant la mort, bondit de joie à l’annonce d’une honte perpétuelle, car tu t’es dit, comme tous les forçats: Il y a une porte au bagne, il n’y en a pas à la tombe. Et tu avais raison, car cette porte du bagne s’est ouverte pour toi d’une manière inespérée: un Anglais visite Toulon, il avait fait le vœu de tirer deux hommes de l’infamie: son choix tombe sur toi et sur ton compagnon; une seconde fortune descend pour toi du ciel, tu retrouves à la fois l’argent et la tranquillité, tu peux recommencer à vivre de la vie de tous les hommes, toi qui avais été condamné à vivre de celle des forçats; alors, misérable, alors tu te mets à tenter Dieu une troisième fois. Je n’ai pas assez, dis-tu, quand tu avais plus que tu n’avais possédé jamais, et tu commets un troisième crime, sans raison, sans excuse. Dieu s’est fatigué. Dieu t’a puni.»

Caderousse s’affaiblissait à vue d’œil.

«À boire, dit-il; j’ai soif… je brûle!»

Monte-Cristo lui donna un verre d’eau.

«Scélérat de Benedetto, dit Caderousse en rendant le verre: il échappera cependant, lui!

– Personne n’échappera, c’est moi qui te le dis, Caderousse… Benedetto sera puni!

– Alors vous serez puni, vous aussi, dit Caderousse; car vous n’avez pas fait votre devoir de prêtre… vous deviez empêcher Benedetto de me tuer.

– Moi! dit le comte avec un sourire qui glaça d’effroi le mourant, moi empêcher Benedetto de te tuer, au moment où tu venais de briser ton couteau contre la cotte de mailles qui me couvrait la poitrine!… Oui, peut-être si je t’eusse trouvé humble et repentant, j’eusse empêché Benedetto de te tuer, mais je t’ai trouvé orgueilleux et sanguinaire, et j’ai laissé s’accomplir la volonté de Dieu!

– Je ne crois pas à Dieu! hurla Caderousse, tu n’y crois pas non plus… tu mens… tu mens!…

– Tais-toi, dit l’abbé, car tu fais jaillir hors de ton corps les dernières gouttes de ton sang… Ah! tu ne crois pas en Dieu, et tu meurs frappé par Dieu!… Ah! tu ne crois pas en Dieu, et Dieu qui cependant ne demande qu’une prière, qu’un mot, qu’une larme pour pardonner… Dieu qui pouvait diriger le poignard de l’assassin de manière que tu expirasses sur le coup… Dieu t’a donné un quart d’heure pour te repentir… Rentre donc en toi-même, malheureux, et repens-toi!

– Non, dit Caderousse, non, je ne me repens pas; il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de Providence, il n’y a que du hasard.

– Il y a une Providence, il y a un Dieu, dit Monte-Cristo, et la preuve, c’est que tu es là gisant, désespéré reniant Dieu, et que, moi, je suis debout devant toi riche, heureux, sain et sauf, et joignant les mains devant Dieu auquel tu essaies de ne pas croire, et auquel cependant tu crois au fond du cœur.

– Mais qui donc êtes-vous, alors? demanda Caderousse en fixant ses yeux mourants sur le comte.

– Regarde-moi bien, dit Monte-Cristo en prenant la bougie et l’approchant de son visage.

– Eh bien, l’abbé… l’abbé Busoni…»

Monte-Cristo enleva la perruque qui le défigurait, et laissa retomber les beaux cheveux noirs qui encadraient si harmonieusement son pâle visage.

«Oh! dit Caderousse épouvanté, si ce n’étaient ces cheveux noirs, je dirais que vous êtes l’Anglais, je dirais que vous êtes Lord Wilmore.

– Je ne suis ni l’abbé Busoni ni Lord Wilmore, dit Monte-Cristo: regarde mieux, regarde plus loin, regarde dans tes premiers souvenirs.»

Il y avait dans cette parole du comte une vibration magnétique dont les sens épuisés du misérable furent ravivés une dernière fois.

«Oh! en effet, dit-il, il me semble que je vous ai vu, que je vous ai connu autrefois.

– Oui, Caderousse, oui, tu m’as vu, oui, tu m’as connu.

– Mais qui donc êtes-vous, alors? et pourquoi, si vous m’avez vu, si vous m’avez connu, pourquoi me laissez-vous mourir?

– Parce que rien ne peut te sauver, Caderousse, parce que tes blessures sont mortelles. Si tu avais pu être sauvé, j’aurais vu là une dernière miséricorde du Seigneur, et j’eusse encore, je te le jure par la tombe de mon père, essayé de te rendre à la vie et au repentir.

– Par la tombe de ton père! dit Caderousse, ranimé par une suprême étincelle et se soulevant pour voir de plus près l’homme qui venait de lui faire ce serment sacré à tous les hommes: Eh! qui es-tu donc?»

Le comte n’avait pas cessé de suivre le progrès de l’agonie. Il comprit que cet élan de vie était le dernier; il s’approcha du moribond, et le couvrant d’un regard calme et triste à la fois:

«Je suis… lui dit-il à l’oreille, je suis…»

Et ses lèvres, à peine ouvertes, donnèrent passage à un nom prononcé si bas, que le comte semblait craindre de l’entendre lui-même.

Caderousse, qui s’était soulevé sur ses genoux, étendit les bras, fit un effort pour se reculer, puis joignant les mains et les levant avec un suprême effort:

«Ô mon Dieu, mon Dieu, dit-il, pardon de vous avoir renié; vous existez bien, vous êtes bien le père des hommes au ciel et le juge des hommes sur la terre. Mon Dieu, seigneur, je vous ai longtemps méconnu! mon Dieu, Seigneur, pardonnez-moi! mon Dieu, Seigneur, recevez-moi!»

Et Caderousse, fermant les yeux, tomba renversé en arrière avec un dernier cri et avec un dernier soupir.

Le sang s’arrêta aussitôt aux lèvres de ses larges blessures.

Il était mort.

«Un!» dit mystérieusement le comte, les yeux fixés sur le cadavre déjà défiguré par cette horrible mort.

Dix minutes après, le médecin et le procureur du roi arrivèrent, amenés, l’un par le concierge, l’autre par Ali, et furent reçus par l’abbé Busoni, qui priait près du mort.

LXXXIV. Beauchamp

Pendant quinze jours il ne fut bruit dans Paris que de cette tentative de vol faite si audacieusement chez le comte. Le mourant avait signé une déclaration qui indiquait Benedetto comme son assassin. La police fut invitée à lancer tous ses agents sur les traces du meurtrier.

Le couteau de Caderousse, la lanterne sourde, le trousseau de clefs et les habits, moins le gilet, qui ne put se retrouver, furent déposés au greffe; le corps fut emporté à la Morgue.

À tout le monde le comte répondit que cette aventure s’était passée tandis qu’il était à sa maison d’Auteuil, et qu’il n’en savait par conséquent que ce que lui en avait dit l’abbé Busoni, qui, ce soir-là, par le plus grand hasard, lui avait demandé à passer la nuit chez lui pour faire des recherches dans quelques livres précieux que contenait sa bibliothèque.

Bertuccio seul pâlissait toutes les fois que ce nom de Benedetto était prononcé en sa présence, mais il n’y avait aucun motif pour que quelqu’un s’aperçût de la pâleur de Bertuccio.

Villefort, appelé à constater le crime, avait réclamé l’affaire et conduisait l’instruction avec cette ardeur passionnée qu’il mettait à toutes les causes criminelles où il était appelé à porter la parole.

Mais trois semaines s’étaient déjà passées sans que les recherches les plus actives eussent amené aucun résultat, et l’on commençait à oublier dans le monde la tentative de vol faite chez le comte et l’assassinat du voleur par son complice, pour s’occuper du prochain mariage de Mlle Danglars avec le comte Andrea Cavalcanti.

Ce mariage était à peu près déclaré, le jeune homme était reçu chez le banquier à titre de fiancé.

On avait écrit à M. Cavalcanti père, qui avait fort approuvé le mariage, et qui, en exprimant tous ses regrets de ce que son service l’empêchait absolument de quitter Parme où il était, déclarait consentir à donner le capital de cent cinquante mille livres de rente.

Il était convenu que les trois millions seraient placés chez Danglars, qui les ferait valoir; quelques personnes avaient bien essayé de donner au jeune homme des doutes sur la solidité de la position de son futur beau-père qui, depuis quelque temps, éprouvait à la Bourse des pertes réitérées; mais le jeune homme, avec un désintéressement et une confiance sublimes, repoussa tous ces vains propos, dont il eut la délicatesse de ne pas dire une seule parole au baron.

Aussi le baron adorait-il le comte Andrea Cavalcanti.

Il n’en était pas de même de Mlle Eugénie Danglars. Dans sa haine instinctive contre le mariage, elle avait accueilli Andrea comme un moyen d’éloigner Morcerf; mais maintenant qu’Andrea se rapprochait trop, elle commençait à éprouver pour Andrea une visible répulsion.

Peut-être le baron s’en était-il aperçu; mais comme il ne pouvait attribuer cette répulsion qu’à un caprice, il avait fait semblant de ne pas s’en apercevoir.

Cependant le délai demandé par Beauchamp était presque écoulé. Au reste, Morcerf avait pu apprécier la valeur du conseil de Monte-Cristo, quand celui-ci lui avait dit de laisser tomber les choses d’elles-mêmes; personne n’avait relevé la note sur le général, et nul ne s’était avisé de reconnaître dans l’officier qui avait livré le château de Janina le noble comte siégeant à la Chambre des pairs.

Albert ne s’en trouvait pas moins insulté, car l’intention de l’offense était bien certainement dans les quelques lignes qui l’avaient blessé. En outre, la façon dont Beauchamp avait terminé la conférence avait laissé un amer souvenir dans son cœur. Il caressait donc dans son esprit l’idée de ce duel, dont il espérait, si Beauchamp voulait bien s’y prêter, dérober la cause réelle même à ses témoins.

Quant à Beauchamp on ne l’avait pas revu depuis le jour de la visite qu’Albert lui avait faite; et à tous ceux qui le demandaient, on répondait qu’il était absent pour un voyage de quelques jours.

Où était-il? personne n’en savait rien.

Un matin, Albert fut réveillé par son valet de chambre, qui lui annonçait Beauchamp.

Albert se frotta les yeux, ordonna que l’on fît attendre Beauchamp dans le petit salon fumoir du rez-de-chaussée, s’habilla vivement, et descendit.

Il trouva Beauchamp se promenant de long en large; en l’apercevant, Beauchamp s’arrêta.

«La démarche que vous tentez en vous présentant chez moi de vous-même, et sans attendre la visite que je comptais vous faire aujourd’hui, me semble d’un bon augure, monsieur, dit Albert. Voyons, dites vite, faut-il que je vous tende la main en disant: «Beauchamp, avouez un tort et conservez-moi un ami?» ou faut-il que tout simplement je vous demande: «Quelles sont vos armes?»

– Albert, dit Beauchamp avec une tristesse qui frappa le jeune homme de stupeur, asseyons-nous d’abord, et causons.

– Mais il me semble, au contraire, monsieur, qu’avant de nous asseoir, vous avez à me répondre?

– Albert, dit le journaliste, il y a des circonstances où la difficulté est justement dans la réponse.

– Je vais vous la rendre facile, monsieur, en vous répétant la demande: Voulez-vous vous rétracter, oui ou non?

– Morcerf, on ne se contente pas de répondre oui ou non aux questions qui intéressent l’honneur, la position sociale, la vie d’un homme comme M. le lieutenant général comte de Morcerf, pair de France.

– Que fait-on alors?

– On fait ce que j’ai fait, Albert; on dit: L’argent, le temps et la fatigue ne sont rien lorsqu’il s’agit de la réputation et des intérêts de toute une famille; on dit: Il faut plus que des probabilités, il faut des certitudes pour accepter un duel à mort avec un ami; on dit: Si je croise l’épée, ou si je lâche la détente d’un pistolet sur un homme dont j’ai, pendant trois ans, serré la main, il faut que je sache au moins pourquoi je fais une pareille chose, afin que j’arrive sur le terrain avec le cœur en repos et cette conscience tranquille dont un homme a besoin quand il faut que son bras sauve sa vie.

 

– Eh bien, eh bien, demanda Morcerf avec impatience, que veut dire cela?

– Cela veut dire que j’arrive de Janina.

– De Janina? vous!

– Oui, moi.

– Impossible.

– Mon cher Albert, voici mon passeport; voyez les visas: Genève, Milan, Venise, Trieste, Delvino, Janina. En croirez-vous la police d’une république, d’un royaume et d’un empire?»

Albert jeta les yeux sur le passeport, et les releva, étonnés, sur Beauchamp.

«Vous avez été à Janina? dit-il.

– Albert, si vous aviez été un étranger, un inconnu, un simple lord comme cet Anglais qui est venu me demander raison il y a trois ou quatre mois, et que j’ai tué pour m’en débarrasser, vous comprenez que je ne me serais pas donné une pareille peine; mais j’ai cru que je vous devais cette marque de considération. J’ai mis huit jours à aller, huit jours à revenir, plus quatre jours de quarantaine, et quarante-huit heures de séjour, cela fait bien mes trois semaines. Je suis arrivé cette nuit, et me voilà.

– Mon Dieu, mon Dieu! que de circonlocutions, Beauchamp, et que vous tardez à me dire ce que j’attends de vous!

– C’est qu’en vérité, Albert…

– On dirait que vous hésitez.

– Oui, j’ai peur.

– Vous avez peur d’avouer que votre correspondant vous avait trompé? Oh! pas d’amour-propre Beauchamp; avouez, Beauchamp, votre courage ne peut être mis en doute.

– Oh! ce n’est point cela, murmura le journaliste; au contraire…»

Albert pâlit affreusement: il essaya de parler, mais la parole expira sur ses lèvres.

«Mon ami, dit Beauchamp du ton le plus affectueux, croyez que je serais heureux de vous faire mes excuses, et que ces excuses, je vous les ferais de tout mon cœur; mais hélas…

– Mais, quoi?

– La note avait raison, mon ami.

– Comment! cet officier français…

– Oui.

– Ce Fernand?

– Oui.

– Ce traître qui a livré les châteaux de l’homme au service duquel il était…

– Pardonnez-moi de vous dire ce que je vous dis, mon ami: cet homme, c’est votre père!»

Albert fit un mouvement furieux pour s’élancer sur Beauchamp; mais celui-ci le retint bien plus encore avec un doux regard qu’avec sa main étendue.

«Tenez, mon ami, dit-il en tirant un papier de sa poche, voici la preuve.»

Albert ouvrit le papier; c’était une attestation de quatre habitants notables de Janina, constatant que le colonel Fernand Mondego, colonel instructeur au service du vizir Ali-Tebelin, avait livré le château de Janina moyennant deux mille bourses.

Les signatures étaient légalisées par le consul.

Albert chancela et tomba écrasé sur un fauteuil.

Il n’y avait point à en douter cette fois, le nom de famille y était en toutes lettres.

Aussi, après un moment de silence muet et douloureux, son cœur se gonfla, les veines de son cou s’enflèrent, un torrent de larmes jaillit de ses yeux.

Beauchamp, qui avait regardé avec une profonde pitié ce jeune homme cédant au paroxysme de la douleur, s’approcha de lui.

«Albert, lui dit-il, vous me comprenez maintenant, n’est-ce pas? J’ai voulu tout voir, tout juger par moi-même, espérant que l’explication serait favorable à votre père, et que je pourrais lui rendre toute justice. Mais au contraire les renseignements pris constatent que cet officier instructeur, que ce Fernand Mondego, élevé par Ali-Pacha au titre de général gouverneur, n’est autre que le comte Fernand de Morcerf: alors je suis revenu me rappelant l’honneur que vous m’aviez fait de m’admettre à votre amitié, et je suis accouru à vous.»

Albert, toujours étendu sur son fauteuil, tenait ses deux mains sur ses yeux, comme s’il eût voulu empêcher le jour d’arriver jusqu’à lui.

«Je suis accouru à vous, continua Beauchamp, pour vous dire: Albert, les fautes de nos pères, dans ces temps d’action et de réaction, ne peuvent atteindre les enfants. Albert, bien peu ont traversé ces révolutions au milieu desquelles nous sommes nés, sans que quelque tache de boue ou de sang ait souillé leur uniforme de soldat ou leur robe de juge. Albert, personne au monde, maintenant que j’ai toutes les preuves, maintenant que je suis maître de votre secret, ne peut me forcer à un combat que votre conscience, j’en suis certain, vous reprocherait comme un crime; mais ce que vous ne pouvez plus exiger de moi, je viens vous l’offrir. Ces preuves, ces révélations, ces attestations que je possède seul, voulez-vous qu’elles disparaissent? ce secret affreux, voulez-vous qu’il reste entre vous et moi? Confié à ma parole d’honneur, il ne sortira jamais de ma bouche; dites, le voulez-vous, Albert? dites, le voulez-vous, mon ami?»

Albert s’élança au cou de Beauchamp.

«Ah! noble cœur! s’écria-t-il.

– Tenez», dit Beauchamp en présentant les papiers à Albert.

Albert les saisit d’une main convulsive, les étreignit, les froissa, songea à les déchirer; mais, tremblant que la moindre parcelle enlevée par le vent ne le revînt un jour frapper au front, il alla à la bougie toujours allumée pour les cigares et en consuma jusqu’au dernier fragment.

«Cher ami, excellent ami! murmurait Albert tout en brûlant les papiers.

– Que tout cela s’oublie comme un mauvais rêve, dit Beauchamp, s’efface comme ces dernières étincelles qui courent sur le papier noirci, que tout cela s’évanouisse comme cette dernière fumée qui s’échappe de ces cendres muettes.

– Oui, oui, dit Albert, et qu’il n’en reste que l’éternelle amitié que je voue à mon sauveur, amitié que mes enfants transmettront aux vôtres, amitié qui me rappellera toujours que le sang de mes veines, la vie de mon corps, l’honneur de mon nom, je vous les dois; car si une pareille chose eût été connue, oh! Beauchamp, je vous le déclare, je me brûlais la cervelle, ou non, pauvre mère! car je n’eusse pas voulu la tuer du même coup, ou je m’expatriais.

– Cher Albert!» dit Beauchamp.

Mais le jeune homme sortit bientôt de cette joie inopinée et pour ainsi dire factice, et retomba plus profondément dans sa tristesse.

«Eh bien, demanda Beauchamp, voyons, qu’y a-t-il encore? mon ami.

– Il y a, dit Albert, que j’ai quelque chose de brisé dans le cœur. Écoutez, Beauchamp, on ne se sépare pas ainsi en une seconde de ce respect, de cette confiance et de cet orgueil qu’inspire à un fils le nom sans tache de son père. Oh! Beauchamp, Beauchamp! comment à présent vais-je aborder le mien? Reculerai-je donc mon front dont il approchera ses lèvres, ma main dont il approchera sa main?… Tenez Beauchamp, je suis le plus malheureux des hommes. Ah! ma mère, ma pauvre mère, dit Albert en regardant à travers ses yeux noyés de larmes le portrait de sa mère, si vous avez su cela, combien vous avez dû souffrir!

– Voyons, dit Beauchamp, en lui prenant les deux mains; du courage, ami!

– Mais d’où venait cette première note insérée dans votre journal? s’écria Albert; il y a derrière tout cela une haine inconnue, un ennemi invisible.

– Eh bien, dit Beauchamp, raison de plus. Du courage, Albert! pas de traces d’émotion sur votre visage; portez cette douleur en vous comme le nuage porte en soi la ruine et la mort, secret fatal que l’on ne comprend qu’au moment où la tempête éclate. Allez, ami, réservez vos forces pour le moment où l’éclat se ferait.

– Oh! mais vous croyez donc que nous ne sommes pas au bout? dit Albert épouvanté.

– Moi, je ne crois rien, mon ami; mais enfin tout est possible. À propos…

– Quoi? demanda Albert, en voyant que Beauchamp hésitait.

– Épousez-vous toujours Mlle Danglars?

– À quel propos me demandez-vous cela dans un pareil moment, Beauchamp?

– Parce que, dans mon esprit, la rupture ou l’accomplissement de ce mariage se rattache à l’objet qui nous occupe en ce moment.

– Comment! dit Albert dont le front s’enflamma, vous croyez que M. Danglars…

– Je vous demande seulement où en est votre mariage. Que diable! ne voyez pas dans mes paroles autre chose que je ne veux y mettre, et ne leur donnez pas plus de portée qu’elles n’en ont!

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