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Le comte de Monte Cristo

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XX. Le cimetière du château d’If

Sur le lit, couché dans le sens de la longueur, et faiblement éclairé par un jour brumeux qui pénétrait à travers la fenêtre, on voyait un sac de toile grossière, sous les larges plis duquel se dessinait confusément une forme longue et raide: c’était le dernier linceul de Faria, ce linceul qui, au dire des guichetiers, coûtait si peu cher. Ainsi, tout était fini. Une séparation matérielle existait déjà entre Dantès et son vieil ami, il ne pouvait plus voir ses yeux qui étaient restés ouverts comme pour regarder au-delà de la mort, il ne pouvait plus serrer cette main industrieuse qui avait soulevé pour lui le voile qui couvrait les choses cachées. Faria, l’utile, le bon compagnon auquel il s’était habitué avec tant de force, n’existait plus que dans son souvenir. Alors il s’assit au chevet de ce lit terrible, et se plongea dans une sombre et amère mélancolie.

Seul! il était redevenu seul! il était retombé dans le silence, il se retrouvait en face du néant!

Seul, plus même la vue, plus même la voix du seul être humain qui l’attachait encore à la terre! Ne valait-il pas mieux comme Faria, s’en aller demander à Dieu l’énigme de la vie, au risque de passer par la porte lugubre des souffrances!

L’idée du suicide, chassée par son ami, écartée par sa présence, revint alors se dresser comme un fantôme près du cadavre de Faria.

«Si je pouvais mourir, dit-il, j’irais où il va, et je le retrouverais certainement. Mais comment mourir? C’est bien facile, ajouta-t-il en riant; je vais rester ici, je me jetterai sur le premier qui va entrer, je l’étranglerai et l’on me guillotinera.»

Mais, comme il arrive que, dans les grandes douleurs comme dans les grandes tempêtes, l’abîme se trouve entre deux cimes de flots, Dantès recula à l’idée de cette mort infamante, et passa précipitamment de ce désespoir à une soif ardente de vie et de liberté.

«Mourir! oh! non, s’écria-t-il, ce n’est pas la peine d’avoir tant vécu, d’avoir tant souffert, pour mourir maintenant! Mourir, c’était bon quand j’en avais pris la résolution, autrefois, il y a des années; mais maintenant ce serait véritablement trop aider à ma misérable destinée. Non, je veux vivre, je veux lutter jusqu’au bout; non, je veux reconquérir ce bonheur qu’on m’a enlevé! Avant que je meure, j’oubliais que j’ai mes bourreaux à punir, et peut-être bien aussi, qui sait? quelques amis à récompenser. Mais à présent on va m’oublier ici, et je ne sortirai de mon cachot que comme Faria.»

Mais à cette parole, Edmond resta immobile, les yeux fixes comme un homme frappé d’une idée subite, mais que cette idée épouvante; tout à coup il se leva, porta la main à son front comme s’il avait le vertige, fit deux ou trois tours dans la chambre et revint s’arrêter devant le lit…

«Oh! oh! murmura-t-il, qui m’envoie cette pensée? est-ce vous, mon Dieu? Puisqu’il n’y a que les morts qui sortent librement d’ici, prenons la place des morts.»

Et sans perdre le temps de revenir sur cette décision, comme pour ne pas donner à la pensée le terne de détruire cette résolution désespérée, il se pencha vers le sac hideux, l’ouvrit avec le couteau que Faria avait fait, retira le cadavre du sac, l’emporta chez lui, le coucha dans son lit, le coiffa du lambeau de linge dont il avait l’habitude de se coiffer lui-même, couvrit de sa couverture, baisa une dernière fois ce front glacé, essaya de refermer ces yeux rebelles, qui continuaient de rester ouverts, effrayants par l’absence de la pensée, tourna la tête le long du mur afin que le geôlier, en apportant son repas du soir, crût qu’il était couché, comme c’était souvent son habitude, rentra dans la galerie, tira le lit contre la muraille, rentra dans l’autre chambre, prit dans l’armoire l’aiguille, le fil, jeta ses haillons pour qu’on sentît bien sous la toile les chairs nues, se glissa dans le sac éventré, se plaça dans la situation où était le cadavre, et referma la couture en dedans.

On aurait pu entendre battre son cœur si par malheur on fût entré en ce moment.

Dantès aurait bien pu attendre après la visite du soir, mais il avait peur que d’ici là le gouverneur ne changeât de résolution et qu’on n’enlevât le cadavre.

Alors sa dernière espérance était perdue.

En tout cas, maintenant son plan était arrêté.

Voici ce qu’il comptait faire.

Si pendant le trajet les fossoyeurs reconnaissaient qu’ils portaient un vivant au lieu de porter un mort, Dantès ne leur donnait pas le temps de se reconnaître; d’un vigoureux coup de couteau il ouvrait le sac depuis le haut jusqu’en bas, profitait de leur terreur et s’échappait; s’ils voulaient l’arrêter, il jouait du couteau.

S’ils le conduisaient jusqu’au cimetière et le déposaient dans une fosse, il se laissait couvrir de terre; puis, comme c’était la nuit, à peine les fossoyeurs avaient-ils le dos tourné, qu’il s’ouvrait un passage à travers la terre molle et s’enfuyait: il espérait que le poids ne serait pas trop grand pour qu’il pût le soulever.

S’il se trompait, si au contraire la terre était trop pesante, il mourait étouffé, et, tant mieux! tout était fini.

Dantès n’avait pas mangé depuis la veille, mais il n’avait pas songé à la faim le matin, et il n’y songeait pas encore. Sa position était trop précaire pour lui laisser le temps d’arrêter sa pensée sur aucune autre idée.

Le premier danger que courait Dantès, c’était que le geôlier, en lui apportant son souper de sept heures, s’aperçût de la substitution opérée; heureusement, vingt fois, soit par misanthropie, soit par fatigue, Dantès avait reçu le geôlier couché; et dans ce cas, d’ordinaire, cet homme déposait son pain et sa soupe sur la table et se retirait sans lui parler.

Mais, cette fois, le geôlier pouvait déroger à ses habitudes de mutisme, parler à Dantès, et voyant que Dantès ne lui répondait point, s’approcher du lit et tout découvrir.

Lorsque sept heures du soir approchèrent, les angoisses de Dantès commencèrent véritablement. Sa main, appuyée sur son cœur, essuyait d’en comprimer les battements, tandis que de l’autre il essuyait la sueur de son front qui ruisselait le long de ses tempes. De temps en temps des frissons lui couraient par tout le corps et lui serraient le cœur comme dans un étau glacé. Alors, il croyait qu’il allait mourir. Les heures s’écoulèrent sans amener aucun mouvement dans le château, et Dantès comprit qu’il avait échappé à ce premier danger; c’était d’un bon augure. Enfin, vers l’heure fixée par le gouverneur, des pas se firent entendre dans l’escalier. Edmond comprit que le moment était venu; il rappela tout son courage, retenant son haleine; heureux s’il eût pu retenir en même temps et comme elle les pulsations précipitées de ses artères.

On s’arrêta à la porte, le pas était double. Dantès devina que c’étaient les deux fossoyeurs qui le venaient chercher. Ce soupçon se changea en certitude, quand il entendit le bruit qu’ils faisaient en déposant la civière.

La porte s’ouvrit, une lumière voilée parvint aux yeux de Dantès. Au travers de la toile qui le couvrait, il vit deux ombres s’approcher de son lit. Une troisième à la porte, tenant un falot à la main. Chacun des deux hommes, qui s’étaient approchés du lit, saisit le sac par une de ses extrémités.

«C’est qu’il est encore lourd, pour un vieillard si maigre! dit l’un d’eux en le soulevant par la tête.

– On dit que chaque année ajoute une demi-livre au poids des os, dit l’autre en le prenant par les pieds.

– As-tu fait ton nœud? demanda le premier.

– Je serais bien bête de nous charger d’un poids inutile, dit le second, je le ferai là-bas.

– Tu as raison; partons alors.»

«Pourquoi ce nœud?» se demanda Dantès.

On transporta le prétendu mort du lit sur la civière.

Edmond se raidissait pour mieux jouer son rôle de trépassé.

On le posa sur la civière; et le cortège, éclairé par l’homme au falot, qui marchait devant, monta l’escalier.

Tout à coup, l’air frais et âpre de la nuit l’inonda. Dantès reconnut le mistral. Ce fut une sensation subite, pleine à la fois de délices et d’angoisses.

Les porteurs firent une vingtaine de pas, puis ils s’arrêtèrent et déposèrent la civière sur le sol.

Un des porteurs s’éloigna, et Dantès entendit ses souliers retentir sur les dalles.

«Où suis-je donc?» se demanda-t-il.

«Sais-tu qu’il n’est pas léger du tout!» dit celui qui était resté près de Dantès en s’asseyant sur le bord de la civière.

Le premier sentiment de Dantès avait été de s’échapper, heureusement, il se retint.

«Éclaire-moi donc, animal, dit celui des deux porteurs qui s’était éloigné, ou je ne trouverai jamais ce que je cherche.»

L’homme au falot obéit à l’injonction, quoique, comme on l’a vu, elle fût faite en termes peu convenables.

«Que cherche-t-il donc? se demanda Dantès. Une bêche sans doute.»

Une exclamation de satisfaction indiqua que le fossoyeur avait trouvé ce qu’il cherchait.

«Enfin, dit l’autre, ce n’est pas sans peine.

– Oui, répondit-il, mais il n’aura rien perdu pour attendre.»

À ces mots, il se rapprocha d’Edmond, qui entendit déposer près de lui un corps lourd et retentissant; au même moment, une corde entoura ses pieds d’une vive et douloureuse pression.

«Eh bien, le nœud est-il fait? demanda celui des fossoyeurs qui était resté inactif.

– Et bien fait, dit l’autre; je t’en réponds.

– En ce cas, en route.»

Et la civière soulevée reprit son chemin.

On fit cinquante pas à peu près, puis on s’arrêta pour ouvrir une porte, puis on se remit en route. Le bruit des flots se brisant contre les rochers sur lesquels est bâti le château arrivait plus distinctement à l’oreille de Dantès à mesure que l’on avança.

«Mauvais temps! dit un des porteurs, il ne fera pas bon d’être en mer cette nuit.

 

– Oui, l’abbé court grand risque d’être mouillé» dit l’autre – et ils éclatèrent de rire.

Dantès ne comprit pas très bien la plaisanterie mais ses cheveux ne s’en dressèrent pas moins sur sa tête.

«Bon, nous voilà arrivés! reprit le premier.

– Plus loin, plus loin, dit l’autre, tu sais bien que le dernier est resté en route, brisé sur les rochers, et que le gouverneur nous a dit le lendemain que nous étions des fainéants.»

On fit encore quatre ou cinq pas en montant toujours, puis Dantès sentit qu’on le prenait par la tête et par les pieds et qu’on le balançait.

«Une, dirent les fossoyeurs.

– Deux.

– Trois!»

En même temps, Dantès se sentit lancé, en effet, dans un vide énorme, traversant les airs comme un oiseau blessé, tombant, tombant toujours avec une épouvante qui lui glaçait le cœur. Quoique tiré en bas par quelque chose de pesant qui précipitait son vol rapide, il lui sembla que cette chute durait un siècle. Enfin, avec un bruit épouvantable, il entra comme une flèche dans une eau glacée qui lui fit pousser un cri, étouffé à l’instant même par l’immersion.

Dantès avait été lancé dans la mer, au fond de laquelle l’entraînait un boulet de trente-six attaché à ses pieds.

La mer est le cimetière du château d’If.

XXI. L’île de Tiboulen

Dantès étourdi, presque suffoqué, eut cependant la présence d’esprit de retenir son haleine, et, comme sa main droite, ainsi que nous l’avons dit, préparé qu’il était à toutes les chances, tenait son couteau tout ouvert, il éventra rapidement le sac, sortit le bras, puis la tête; mais alors, malgré ses mouvements pour soulever le boulet, il continua de se sentir entraîné; alors il se cambra, cherchant la corde qui liait ses jambes, et, par un effort suprême, il la trancha précisément au moment où il suffoquait; alors, donnant un vigoureux coup de pied, il remonta libre à la surface de la mer, tandis que le boulet entraînait dans ses profondeurs inconnues le tissu grossier qui avait failli devenir son linceul.

Dantès ne prit que le temps de respirer, et replongea une seconde fois; car la première précaution qu’il devait prendre était d’éviter les regards.

Lorsqu’il reparut pour la seconde fois, il était déjà à cinquante pas au moins du lieu de sa chute; il vit au-dessus de sa tête un ciel noir et tempétueux, à la surface duquel le vent balayait quelques nuages rapides, découvrant parfois un petit coin d’azur rehaussé d’une étoile; devant lui s’étendait la plaine sombre et mugissante, dont les vagues commençaient à bouillonner comme à l’approche d’une tempête, tandis que, derrière lui, plus noir que la mer, plus noir que le ciel, montait, comme un fantôme menaçant, le géant de granit, dont la pointe sombre semblait un bras étendu pour ressaisir sa proie; sur la roche la plus haute était un falot éclairant deux ombres.

Il lui sembla que ces deux ombres se penchaient sur la mer avec inquiétude; en effet, ces étranges fossoyeurs devaient avoir entendu le cri qu’il avait jeté en traversant l’espace. Dantès plongea donc de nouveau, et fit un trajet assez long entre deux eaux; cette manœuvre lui était jadis familière, et attirait d’ordinaire autour de lui, dans l’anse du Pharo, de nombreux admirateurs, lesquels l’avaient proclamé bien souvent le plus habile nageur de Marseille.

Lorsqu’il revint à la surface de la mer, le falot avait disparu.

Il fallait s’orienter: de toutes les îles qui entourent le château d’If, Ratonneau et Pomègue sont les plus proches; mais Ratonneau et Pomègue sont habitées; il en est ainsi de la petite île de Daume; l’île la plus sûre était donc celle deTiboulen ou de Lemaire; les Îles de Tiboulen et de Lemaire sont à une lieue du château d’If.

Dantès ne résolut pas moins de gagner une de ces deux îles; mais comment trouver ces îles au milieu de la nuit qui s’épaississait à chaque instant autour de lui!

En ce moment, il vit briller comme une étoile le phare de Planier. En se dirigeant droit sur ce phare, il laissait l’île de Tiboulen un peu à gauche; en appuyant un peu à gauche, il devait donc rencontrer cette île sur son chemin.

Mais, nous l’avons dit, il y avait une lieue au moins du château d’If à cette île.

Souvent, dans la prison, Faria répétait au jeune homme, en le voyant abattu et paresseux:

«Dantès, ne vous laissez pas aller à cet amollissement; vous vous noierez, si vous essayez de vous enfuir, et que vos forces n’aient pas été entretenues»

Sous l’onde lourde et amère, cette parole était venue tinter aux oreilles de Dantès; il avait eu hâte de remonter alors et de fendre les lames pour voir si, effectivement, il n’avait pas perdu de ses forces; il vit avec joie que son inaction forcée ne lui avait rien ôté de sa puissance et de son agilité, et sentit qu’il était toujours maître de l’élément où, tout enfant, il s’était joué.

D’ailleurs la peur, cette rapide persécutrice, doublait la vigueur de Dantès; il écoutait, penché sur la cime des flots, si aucune rumeur n’arrivait jusque lui. Chaque fois qu’il s’élevait à l’extrémité d’une vague, son rapide regard embrassait l’horizon visible et essayait de plonger dans l’épaisse obscurité; chaque flot un peu plus élevé que les autres flots lui semblait une barque à sa poursuite, et alors il redoublait d’efforts, qui l’éloignaient sans doute, mais dont la répétition devait promptement user ses forces.

Il nageait cependant, et déjà le château terrible s’était un peu fondu dans la vapeur nocturne: il ne le distinguait pas mais il le sentait toujours.

Une heure s’écoula pendant laquelle Dantès, exalté par le sentiment de la liberté qui avait envahi toute sa personne, continua de fendre les flots dans la direction qu’il s’était faite.

«Voyons, se disait-il, voilà bientôt une heure que je nage, mais comme le vent m’est contraire j’ai dû perdre un quart de ma rapidité; cependant, à moins que je ne me sois trompé de ligne, je ne dois pas être loin de Tiboulen maintenant… Mais, si je m’étais trompé!»

Un frisson passa par tout le corps du nageur, il essaya de faire un instant la planche pour se reposer; mais la mer devenait de plus en plus forte, et il comprit bientôt que ce moyen de soulagement, sur lequel il avait compté, était impossible.

«Eh bien, dit-il, soit, j’irai jusqu’au bout, jusqu’à ce que mes bras se lassent, jusqu’à ce que les crampes envahissent mon corps, et alors je coulerai à fond!»

Et il se mit à nager avec la force et l’impulsion du désespoir.

Tout à coup, il lui sembla que le ciel, déjà si obscur s’assombrissait encore, qu’un nuage épais, lourd compact s’abaissait vers lui; en même temps, il sentit une violente douleur au genou: l’imagination, avec son incalculable vitesse, lui dit alors que c’était le choc d’une balle, et qu’il allait immédiatement entendre l’explosion du coup de fusil; mais l’explosion ne retentit pas. Dantès allongea la main et sentit une résistance, il retira son autre jambe à lui et toucha la terre; il vit alors quel était l’objet qu’il avait pris pour un nuage.

À vingt pas de lui s’élevait une masse de rochers bizarres qu’on prendrait pour un foyer immense pétrifié au moment de sa plus ardente combustion: c’était l’île de Tiboulen.

Dantès se releva, fit quelques pas en avant, et s’étendit, en remerciant Dieu, sur ces pointes de granit, qui lui semblèrent à cette heure plus douces que ne lui avait jamais paru le lit le plus doux.

Puis, malgré le vent, malgré la tempête, malgré la pluie qui commençait à tomber, brisé de fatigue qu’il était, il s’endormit de ce délicieux sommeil de l’homme chez lequel le corps s’engourdit. mais dont l’âme veille avec la conscience d’un bonheur inespéré.

Au bout d’une heure, Edmond se réveilla sous le grondement d’un immense coup de tonnerre: la tempête était déchaînée dans l’espace et battait l’air de son vol éclatant; de temps en temps un éclair descendait du ciel comme un serpent de feu, éclairant les flots et les nuages qui roulaient au-devant les uns des autres comme les vagues d’un immense chaos.

Dantès, avec son coup d’œil de marin, ne s’était pas trompé: il avait abordé à la première des deux îles, qui est effectivement celle de Tiboulen. Il la savait nue, découverte et n’offrant pas le moindre asile; mais quand la tempête serait calmée il se remettrait à la mer et gagnerait à la nage l’île Lemaire, aussi aride, mais plus large, et par conséquent plus hospitalière.

Une roche qui surplombait offrit un abri momentané à Dantès, il s’y réfugia, et presque au même instant la tempête éclata dans toute sa fureur.

Edmond sentait trembler la roche sous laquelle il s’abritait; les vagues, se brisant contre la base de la gigantesque pyramide, rejaillissaient jusqu’à lui; tout en sûreté qu’il était, il était au milieu de ce bruit profond, au milieu de ces éblouissements fulgurants, pris d’une espèce de vertige: il lui semblait que l’île tremblait sous lui, et d’un moment à l’autre allait, comme un vaisseau à l’ancre, briser son câble, et l’entraîner au milieu de l’immense tourbillon.

Il se rappela alors que, depuis vingt-quatre heures, il n’avait pas mangé: il avait faim, il avait soif.

Dantès étendit les mains et la tête, et but l’eau de la tempête dans le creux d’un rocher.

Comme il se relevait, un éclair qui semblait ouvrir le ciel jusqu’au pied du trône éblouissant de Dieu illumina l’espace; à la lueur de cet éclair, entre l’île Lemaire et le cap Croisille, à un quart de lieue de lui, Dantès vit apparaître, comme un spectre glissant du haut d’une vague dans un abîme, un petit bâtiment pêcheur emporté à la fois par l’orage et par le flot; une seconde après, à la cime d’une autre vague, le fantôme reparut, s’approchant avec une effroyable rapidité. Dantès voulut crier, chercha quelque lambeau de linge à agiter en l’air pour leur faire voir qu’ils se perdaient, mais ils le voyaient bien eux-mêmes. À la lueur d’un autre éclair, le jeune homme vit quatre hommes cramponnés aux mâts et aux étais; un cinquième se tenait à la barre du gouvernail brisé. Ces hommes qu’il voyait le virent aussi sans doute, car des cris désespérés, emportés par la rafale sifflante, arrivèrent à son oreille. Au-dessus du mât, tordu comme un roseau, claquait en l’air, à coups précipités, une voile en lambeaux; tout à coup les liens qui la retenaient encore se rompirent, et elle disparut, emportée dans les sombres profondeurs du ciel, pareille à ces grands oiseaux blancs qui se dessinent sur les nuages noirs.

En même temps, un craquement effrayant se fit entendre, des cris d’agonie arrivèrent jusqu’à Dantès. Cramponné comme un sphinx à son rocher, d’où il plongeait sur l’abîme, un nouvel éclair lui montra le petit bâtiment brisé, et, parmi les débris, des têtes aux visages désespérés, des bras étendus vers le ciel.

Puis tout rentra dans la nuit, le terrible spectacle avait eu la durée de l’éclair.

Dantès se précipita sur la pente glissante des rochers, au risque de rouler lui-même dans la mer; il regarda, il écouta, mais il n’entendit et ne vit plus rien: plus de cris, plus d’efforts humains; la tempête seule, cette grande chose de Dieu, continuait de rugir avec les vents et d’écumer avec les flots.

Peu à peu, le vent s’abattit; le ciel roula vers l’occident de gros nuages gris et pour ainsi dire déteints par l’orage; l’azur reparut avec les étoiles plus scintillantes que jamais; bientôt, vers l’est, une longue bande rougeâtre dessina à l’horizon des ondulations d’un bleu-noir; les flots bondirent, une subite lueur courut sur leurs cimes et changea leurs cimes écumeuses en crinières d’or.

C’était le jour.

Dantès resta immobile et muet devant ce grand spectacle, comme s’il le voyait pour la première fois. En effet, depuis le temps qu’il était au château d’If, il avait oublié. Il se retourna vers la forteresse interrogeant à la fois d’un long regard circulaire la terre et la mer.

Le sombre bâtiment sortait du sein des vagues avec cette imposante majesté des choses immobiles, qui semblent à la fois surveiller et commander.

Il pouvait être cinq heures du matin; la mer continuait de se calmer.

«Dans deux ou trois heures, se dit Edmond, le porte-clefs va entrer dans ma chambre, trouvera le cadavre de mon pauvre ami, le reconnaîtra, me cherchera vainement et donnera l’alarme. Alors on trouvera le trou, la galerie; on interrogera ces hommes qui m’ont lancé à la mer et qui ont dû entendre le cri que j’ai poussé. Aussitôt, des barques remplies de soldats armés courront après le malheureux fugitif qu’on sait bien ne pas être loin. Le canon avertira toute la côte qu’il ne faut point donner asile à un homme qu’on rencontrera, nu et affamé. Les espions et les alguazils de Marseille seront avertis et battront la côte, tandis que le gouverneur du château d’If fera battre la mer. Alors, traqué sur l’eau, cerné sur la terre, que deviendrai-je? J’ai faim, j’ai froid, j’ai lâché jusqu’au couteau sauveur qui me gênait pour nager; je suis à la merci du premier paysan qui voudra gagner vingt francs en me livrant; je n’ai plus ni force, ni idée, ni résolution. Ô mon Dieu! mon Dieu! voyez si j’ai assez souffert, et si vous pouvez faire pour moi plus que je ne puis faire moi-même.»

 

Au moment où Edmond, dans une espèce de délire occasionné par l’épuisement de sa force et le vide de son cerveau, prononçait, anxieusement tourné vers le château d’If, cette prière ardente, il vit apparaître, à la pointe de l’île de Pomègue, dessinant sa voile latine à l’horizon, et pareil à une mouette qui vole en rasant le flot, un petit bâtiment que l’œil d’un marin pouvait seul reconnaître pour une tartane génoise sur la ligne encore à demi obscure de la mer. Elle venait du port de Marseille et gagnait le large en poussant l’écume étincelante devant la proue aiguë qui ouvrait une route plus facile à ses flancs rebondis.

«Oh! s’écria Edmond, dire que dans une demi-heure j’aurais rejoint ce navire si je ne craignais pas d’être questionné, reconnu pour un fugitif et reconduit à Marseille! Que faire? que dire? quelle fable inventer dont ils puissent être la dupe? Ces gens sont tous des contrebandiers, des demi-pirates. Sous prétexte de faire le cabotage, ils écument les côtes; ils aimeront mieux me vendre que de faire une bonne action stérile.

«Attendons.

«Mais attendre est chose impossible: je meurs de faim; dans quelques heures, le peu de forces qui me reste sera évanoui: d’ailleurs l’heure de la visite approche; l’éveil n’est pas encore donné, peut-être ne se doutera-t-on de rien: je puis me faire passer pour un des matelots de ce petit bâtiment qui s’est brisé cette nuit. Cette fable ne manquera point de vraisemblance; nul ne viendra pour me contredire, ils sont bien engloutis tous. Allons.»

Et, tout en disant ces mots, Dantès tourna les yeux vers l’endroit où le petit navire s’était brisé, et tressaillit. À l’arête d’un rocher était resté accroché le bonnet phrygien d’un des matelots naufragés, et tout près de là flottaient quelques débris de la carène, solives inertes que la mer poussait et repoussait contre la base de l’île, qu’elles battaient comme d’impuissants béliers.

En un instant, la résolution de Dantès fut prise; il se remit à la mer, nagea vers le bonnet, s’en couvrit la tête, saisit une des solives et se dirigea pour couper la ligne que devait suivre le bâtiment.

«Maintenant, je suis sauvé», murmura-t-il.

Et cette conviction lui rendit ses forces.

Bientôt, il aperçut la tartane, qui, ayant le vent presque debout, courait des bordées entre le château d’If et la tour de Planier. Un instant, Dantès craignit qu’au lieu de serrer la côte le petit bâtiment ne gagnât le large, comme il eût fait par exemple si sa destination eût été pour la Corse ou la Sardaigne: mais, à la façon dont il manœuvrait, le nageur reconnut bientôt qu’il désirait passer, comme c’est l’habitude des bâtiments qui vont en Italie, entre l’île de Jaros et l’île de Calaseraigne.

Cependant, le navire et le nageur approchaient insensiblement l’un de l’autre; dans une de ses bordées, le petit bâtiment vint même à un quart de lieue à peu près de Dantès. Il se souleva alors sur les flots, agitant son bonnet en signe de détresse; mais personne ne le vit sur le bâtiment, qui vira le bord et recommença une nouvelle bordée. Dantès songea à appeler; mais il mesura de l’œil la distance et comprit que sa voix n’arriverait point jusqu’au navire, emportée et couverte qu’elle serait auparavant par la brise de la mer et le bruit des flots.

C’est alors qu’il se félicita de cette précaution qu’il avait prise de s’étendre sur une solive. Affaibli comme il était, peut-être n’eût-il pas pu se soutenir sur la mer jusqu’à ce qu’il eût rejoint la tartane; et, à coup sûr, si la tartane, ce qui était possible, passait sans le voir, il n’eût pas pu regagner la côte.

Dantès, quoiqu’il fût à peu près certain de la route que suivait le bâtiment, l’accompagna des yeux avec une certaine anxiété, jusqu’au moment où il lui vit faire son abattée et revenir à lui.

Alors il s’avança à sa rencontre; mais avant qu’ils se fussent joints, le bâtiment commença à virer de bord.

Aussitôt Dantès, par un effort suprême, se leva presque debout sur l’eau, agitant son bonnet, et jetant un de ces cris lamentables comme en poussent les marins en détresse, et qui semblent la plainte de quelque génie de la mer.

Cette fois, on le vit et on l’entendit. La tartane interrompit sa manœuvre et tourna le cap de son côté. En même temps, il vit qu’on se préparait à mettre une chaloupe à la mer.

Un instant après, la chaloupe, montée par deux hommes, se dirigea de son côté, battant la mer de son double aviron. Dantès alors laissa glisser la solive dont il pensait n’avoir plus besoin, et nagea vigoureusement pour épargner la moitié du chemin à ceux qui venaient à lui.

Cependant, le nageur avait compté sur des forces presque absentes; ce fut alors qu’il sentit de quelle utilité lui avait été ce morceau de bois qui flottait déjà, inerte, à cent pas de lui. Ses bras commençaient à se roidir, ses jambes avaient perdu leur flexibilité; ses mouvements devenaient durs et saccadés, sa poitrine était haletante.

Il poussa un grand cri, les deux rameurs redoublèrent d’énergie, et l’un deux lui cria en italien:

«Courage!»

Le mot lui arriva au moment où une vague, qu’il n’avait plus la force de surmonter, passait au-dessus de sa tête et le couvrait d’écume.

Il reparut battant la mer de ces mouvements inégaux et désespérés d’un homme qui se noie, poussa un troisième cri, et se sentit enfoncer dans la mer comme s’il eût eu encore au pied le boulet mortel.

L’eau passa par-dessus sa tête, et à travers l’eau, il vit le ciel livide avec des taches noires.

Un violent effort le ramena à la surface de la mer. Il lui sembla alors qu’on le saisissait par les cheveux; puis il ne vit plus rien, il n’entendit plus rien; il était évanoui.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, Dantès se retrouva sur le pont de la tartane, qui continuait son chemin; son premier regard fut pour voir quelle direction elle suivait: on continuait de s’éloigner du château d’If.

Dantès était tellement épuisé, que l’exclamation de joie qu’il fit fut prise pour un soupir de douleur.

Comme nous l’avons dit, il était couché sur le pont: un matelot lui frottait les membres avec une couverture de laine; un autre, qu’il reconnut pour celui qui lui avait crié: «Courage!» lui introduisait l’orifice d’une gourde dans la bouche; un troisième, vieux marin, qui était à la fois le pilote et le patron, le regardait avec le sentiment de pitié égoïste qu’éprouvent en général les hommes pour un malheur auquel ils ont échappé la veille et qui peut les atteindre le lendemain.

Quelques gouttes de rhum, que contenait la gourde, ranimèrent le cœur défaillant du jeune homme, tandis que les frictions que le matelot, à genoux devant lui, continuait d’opérer avec de la laine rendaient l’élasticité à ses membres.

«Qui êtes-vous? demanda en mauvais français le patron.

– Je suis, répondit Dantès en mauvais italien, un matelot maltais; nous venions de Syracuse, nous étions chargés de vin et de panoline. Le grain de cette nuit nous a surpris au cap Morgiou, et nous avons été brisés contre ces rochers que vous voyez là-bas.

– D’où venez-vous?

– De ces rochers où j’avais eu le bonheur de me cramponner, tandis que notre pauvre capitaine s’y brisait la tête. Nos trois autres compagnons se sont noyés. Je crois que je suis le seul qui reste vivant; j’ai aperçu votre navire, et, craignant d’avoir longtemps à attendre sur cette île isolée et déserte, je me suis hasardé sur un débris de notre bâtiment pour essayer de venir jusqu’à vous. Merci, continua Dantès, vous m’avez sauvé la vie; j’étais perdu quand l’un de vos matelots m’a saisi par les cheveux.

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