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La San-Felice, Tome 09

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LXXXIX
UN HOMME QUI TIENT SA PAROLE

On se rappelle que, le jour même de l'arrivée du roi dans le golfe de Naples, un boulet anglais avait abattu la bannière tricolore qui flottait sur le château Saint-Elme, et que la bannière tricolore avait été remplacée par le drapeau parlementaire.

Ce drapeau parlementaire avait donné si bon espoir au roi, qu'il avait-on doit encore se le rappeler-écrit à Palerme qu'il espérait que la capitulation serait signée le lendemain.

Le roi se trompait; mais ce ne fut pas la faute du colonel Mejean, il faut lui rendre cette justice, s'il ne se rendit point le lendemain: ce fut celle du roi.

Le roi avait eu si grand'peur lorsque, le 10 au soir, le cadavre de Caracciolo lui était apparu, qu'il resta au lit le lendemain toute la journée, tremblant la fièvre et refusant de monter sur le pont. On avait beau lui dire que, selon la permission qu'il en avait donnée, le cadavre avait été enterré le matin à dix heures, dans l'église de Sainte-Lucie; il faisait un mouvement de tête qui voulait dire: «Avec un gaillard comme celui-là, je ne me fie à rien.»

Pendant la nuit, on changea d'ancrage et l'on alla jeter l'ancre entre le château de l'Oeuf et le Château-Neuf.

Prévenu de ce changement, le roi consentit à sortir de sa chambre; mais, avant de monter sur le pont, il s'informa soigneusement si l'on ne voyait pas flotter quelque chose à la surface de la mer.

Rien ne flottait, et pas un pli ne ridait la surface azurée.

Le roi respira.

Le duc della Salandra, lieutenant général des armées de Sa Majesté Sicilienne, l'attendait pour lui soumettre les conditions auxquelles le colonel Mejean offrait de rendre le fort.

Voici ces conditions:

«Article premier. – La garnison française du fort Saint-Elme se rendra prisonnière de guerre de Sa Majesté Sicilienne et de ses alliés, et ne servira point contre les puissances actuellement en guerre avec la république française, qu'elle ne soit régulièrement échangée.

»Art. II. – Les grenadiers anglais prendront possession de la porte du fort dans la journée même de la capitulation.

»Art. III. – La garnison française sortira du fort le lendemain du jour de la capitulation avec armes et bagages; hors de la porte du fort, elle attendra, pour être remplacée par lui, un détachement portugais, anglais, russe et napolitain, qui, la garnison sortie, prendra immédiatement possession du fort; là, elle déposera les armes.

»Art. IV. – Les officiers conserveront leur épée.

»Art. V. – La garnison sera embarquée sur l'escadre anglaise, jusqu'à ce que les bâtiments qui doivent la transporter en France soient prêts.

»Art. VI. – Quand les grenadiers anglais prendront possession de la porte, tous les sujets de Sa Majesté Sicilienne seront consignés aux alliés.

»Art. VII. – Une garde de soldats français sera mise autour du drapeau français pour empêcher qu'il ne soit détruit. Cette garde restera jusqu'à ce qu'un officier anglais et une garde anglaise viennent la relever; seulement alors, le pavillon de Sa Majesté pourra flotter sur le fort.

»Art. VIII. – Toutes les propriétés particulières seront conservées à chaque propriétaire; toute propriété de l'État sera consignée avec le fort, et également les effets provenant du pillage.

»Art. IX. – Les malades hors d'état d'être transportés resteront à Naples avec des chirurgiens français: ils y seront maintenus aux frais du gouvernement français et seront renvoyés en France aussitôt après leur guérison.»

Cette capitulation, rédigée et datée de la veille, était déjà signée MEJEAN, et n'attendait que l'approbation du roi pour recevoir les signatures du duc della Salandra, du capitaine Troubridge et du capitaine Baillie.

Le roi donna son autorisation, et elle fut signée le même jour.

La signature du cardinal Ruffo manque à cette capitulation; ce qui prouve qu'il s'était complètement séparé des alliés.

La capitulation, quoiqu'elle portât la date du 11, n'avait été signée que le 12, comme nous avons dit. Ce fut donc le 13 seulement que les alliés se présentèrent à la porte du château Saint-Elme, pour prendre possession de la forteresse.

Une heure auparavant, Mejean fit prier Salvato de venir le trouver dans son cabinet.

Salvato se rendit à l'invitation.

Les deux hommes échangèrent un salut poli mais froid. Le colonel montra une chaise à Salvato: celui-ci s'assit.

Le colonel resta debout, appuyé au dos de sa chaise.

–Monsieur le général, dit-il à Salvato, vous rappelez-vous ce qui s'est passé dans cette salle la dernière fois que j'ai eu l'honneur de vous y recevoir?

–Parfaitement, colonel: nous y conclûmes un traité.

–Vous rappelez-vous dans quels termes le marché fut conclu?

–Il fut convenu que, moyennant vingt mille francs par personne, vous nous déposeriez, la signora San-Felice et moi, sur la terre de France.

–Les conditions ont-elles été remplies?

–Pour une personne seulement.

–Êtes-vous en mesure de les remplir pour l'autre?

–Non.

–Que faire?

–Mais c'est bien simple, il me semble: vous voudriez me rendre un service que je ne voudrais pas le recevoir de vous.

–Voilà qui me met à mon aise. Je devais recevoir quarante mille francs pour sauver deux personnes; j'en ai reçu vingt mille, j'en sauverai une seulement. Laquelle des deux dois-je sauver?

–La plus faible, celle qui ne pourrait se sauver elle-même.

–Avez-vous donc des chances de vous sauver, vous?

–J'en ai.

–Lesquelles?

–N'avez-vous pas vu ce papier qui remplaçait l'argent dans la cassette et qui m'annonçait que l'on veillait sur moi?

–Me donnerez-vous le déplaisir de vous livrer? Le sixième article de la capitulation dit que tous les sujets de Sa Majesté Sicilienne seront livrés aux alliés.

–Tranquillisez-vous: je me livrerai moi-même.

–Je vous ai dit tout ce que j'avais à vous dire, fit Mejean avec une inclination de tête qui signifiait: «Vous pouvez remonter chez vous.»

–Mais, moi, je ne vous ai pas tout dit, fit à son tour Salvato, sans que l'on pût remarquer la moindre altération dans sa voix.

–Parlez.

–Ai-je le droit de vous demander quel moyen vous emploierez pour assurer le salut de la signora San-Felice? Car, vous le comprenez, si je me dévoue c'est pour qu'elle soit sauvée.

–C'est trop juste, et vous avez le droit d'exiger sur ce point les détails les plus minutieux.

–J'écoute.

–Le neuvième article de la capitulation dit que les malades qui ne seront pas en état d'être transportés resteront à Naples. Une de nos vivandières est dans ce cas. Elle restera à Naples: la signora San-Felice prendra sa place, et son costume, et je vous réponds qu'il ne tombera pas un cheveu de sa tête.

–C'est tout ce que je voulais savoir, monsieur, dit Salvato en se levant. Il ne me reste plus qu'à, vous prier de fair porter le plus tôt possible chez la signora le costume qu'elle doit revêtir.

–Il y sera dans cinq minutes.

Les deux hommes se saluèrent. Salvato sortit.

Luisa attendait avec anxiété; elle n'ignorait point que Salvato n'avait pu payer que la moitié de la somme, et elle connaissait l'avarice du colonel Mejean.

Salvato entra dans la chambre le sourire sur les lèvres.

–Eh bien? lui demanda vivement Luisa.

–Eh bien, tout est arrangé.

–Il accepte ta parole?

–Non, je lui ai fait une obligation. Tu sors du château Saint-Elme déguisée en vivandière et protégée par l'uniforme français.

–Et toi?

–Moi, j'aurai une petite formalité à remplir, qui me séparera de toi un instant.

–Laquelle? demanda Luisa avec inquiétude.

–C'est de prouver que, quoique né à Molise, je suis au service de la France. Rien de plus facile, tu comprends: tous mes papiers sont au palais d'Angri.

–Mais tu me quittes?

–Pour quelques heures seulement.

–Quelques heures? Tu avais dit un instant.

–Un instant, quelques heures. Diable! comme il faut être positif avec toi.

Luisa lui jeta les bras autour du cou et l'embrassa tendrement.

–Tu es homme, tu es fort, tu es un chêne, dit-elle; moi, je suis un roseau. Si tu t'éloignes de moi, je plie à tout vent. Que veux-tu! ton amour est le dévouement, le mien n'est que l'égoïsme.

Salvato la serra contre son coeur, et, malgré lui, ses nerfs de fer tressaillirent si violemment, que Luisa le regarda étonnée.

En ce moment, la porte s'ouvrit: on apportait l'habit de vivandière promis à Luisa.

Salvato profita de cet incident pour changer le cours des pensées de Luisa. Il lui montra en riant les diverses pièces du costume qu'elle devait revêtir, et la toilette commença.

Il était visible, à la sérénité du front de Luisa, que ses soupçons d'un instant étaient effacés. Elle était charmante dans sa jupe courte à revers rouges, et avec son chapeau orné de la cocarde tricolore.

Salvato ne se lassait pas de la regarder et de lui dire. «Je t'aime! je t'aime! je t'aime!»

Elle souriait, et son sourire était plus éloquent que toutes les paroles.

L'heure passa comme une seconde.

Le tambour battit. Ce tambour annonçait que les grenadiers anglais prenaient possession de la porte du fort.

Salvato tressaillit malgré lui; une légère pâleur envahit son visage.

Il jeta un regard sur la cour où était la garnison sous les armes.

–Il est temps de descendre, dit-il à Luisa, et de prendre notre place dans les rangs.

Tous deux descendirent; mais, sur le seuil, Salvato s'était arrêté, et, une dernière fois, en soupirant et en embrassant la chambre d'un regard, avait pressé Luisa contre son coeur.

Là aussi, ils avaient été heureux.

Par ces mots: Les sujets de Sa Majesté Sicilienne seront consignés aux alliés, on avait entendu les otages qui avaient été confiés à Mejean. Ces otages, au nombre de cinq, étaient déjà dans la cour et formaient un groupe à part.

 

Mejean fit signe à Salvato d'aller se joindre à eux et à Luisa de se mettre en serre-file.

Il la plaça le plus près de lui possible, afin de pouvoir, en cas de besoin, lui porter la plus immédiate protection.

Il n'y avait rien à dire: le colonel Mejean exécutait ses engagements avec la plus scrupuleuse régularité.

Les tambours battirent: le cri «Marche!» retentit.

Les rangs s'ouvrirent, les otages prirent leurs places.

Les tambours débouchèrent par la porte du fort toute l'armée russe, anglaise et napolitaine attendait à l'extérieur.

En avant de cette armée, les trois officiers supérieurs, le duc della Salandra, le capitaine Troubridge et le capitaine Baillie formaient un groupe.

Pour faire honneur à la garnison, ils tenaient d'une main leur chapeau, de l'autre leur épée nue.

Arrivé à l'endroit indiqué, le colonel Mejean fit entendre le mot «Halte!»

Les soldats s'arrêtèrent, les otages sortirent des rangs.

Puis, comme il était dit dans la capitulation, les soldats déposèrent leurs armes; les officiers gardèrent leur épée, qu'ils remirent au fourreau.

Alors, le colonel Mejean s'avança vers le groupe des officiers alliés et dit:

–Messieurs, en vertu de l'article 6 de la capitulation, j'ai l'honneur de vous remettre les otages qui étaient enfermés dans le fort.

–Nous reconnaissons les avoir reçus, dit le duc della Salandra.

Puis, jetant les yeux sur le groupe qui s'avançait:

–Mais, dit-il, nous ne comptions que sur cinq, et il sont six.

–Le sixième n'est point un otage, dit Salvato; le sixième est un ennemi.

Puis, comme les regards des trois officiers étaient fixés sur lui, tandis que le colonel Mejean, ayant à son tour remis son épée au fourreau, allait reprendre son rang à la tête de la garnison:

–Je suis, continua le jeune homme d'une voix haute et fière, je suis Salvato Palmieri, sujet napolitain, mais général au service de la France.

Luisa, qui avait suivi toute la scène, avec le regard d'une amante, jeta un cri.

–Il se perd, dit Mejean. Pourquoi a-t-il parlé? Il était si simple de ne rien dire!

–Mais, s'il se perd, s'écria Luisa, je dois, je veux me perdre avec lui! Salvato! mon Salvato! attends-moi!

Et, s'élançant hors des rangs, en écartant le colonel Mejean, qui lui barrait le passage, elle se jeta dans les bras du jeune homme en criant:

–Et moi, je suis Luisa San-Felice! Tout avec lui! la vie ou la mort!

–Messieurs, vous l'entendez, dit Salvato. Nous n'avons plus qu'une grâce à vous demander, c'est, pour le peu de temps que nous avons à vivre, de ne point nous séparer.

Le duc della Salandra se retourna vers les deux autres officiers, comme pour les consulter.

Ceux-ci regardaient les deux jeunes gens avec une certaine compassion.

–Vous savez, dit le duc, qu'il y a des instructions toutes particulières du roi qui ordonnent de condamner à mort la San-Felice.

–Mais elles ne défendent point de la condamner à mort avec son amant, fit observer Troubridge.

–Non.

–Eh bien, faisons pour eux ce qui dépend de nous: donnons-leur cette dernière satisfaction.

–Le duc della Salandra fit un signe: quatre soldats napolitains sortirent des rangs.

–Conduisez ces deux prisonniers au Château-Neuf, dit-il: vous en répondez sur votre tête.

–Est-il permis à madame de quitter ce déguisement et de reprendre ses habits? demanda Salvato.

–Et où sont ses habits? demanda le duc.

–Dans sa chambre du château Saint-Elme.

–Jurez-vous que ce n'est pas un prétexte que vous prenez pour essayer de fuir?

–Je vous jure que madame et moi, dans un quart d'heure, viendrons nous remettre entre vos mains.

–Allez! nous nous fions à votre parole.

Les deux hommes se saluèrent, et Salvato et Luisa rentrèrent dans le fort.

En rouvrant la porte de cette chambre, qu'elle croyait avoir quittée pour la liberté, l'amour et le bonheur, et où elle rentrait prisonnière et condamnée, Luisa se laissa tomber dans un fauteuil et éclata en sanglots.

Salvato se mit à genoux devant elle.

–Luisa, lui dit-il, Dieu m'est témoin que j'ai fait tout au monde pour te sauver. Tu as toujours refusé de me quitter; tu as dit: «Vivre ou mourir ensemble!» Nous avons vécu, nous avons été heureux ensemble; en quelques mois, nous avons épuisé plus de joie que la moitié des créatures humaines n'en éprouvent dans toute leur vie. Aujourd'hui, que l'heure de l'épreuve est venue, manqueras-tu de courage? Pauvre enfant! as-tu trop présumé de tes forces? Chère âme, t'es-tu mal jugée?

Luisa souleva sa tête cachée dans la poitrine de Salvato, secoua ses longs cheveux qui lui retombaient sur le visage, et le regarda à travers ses larmes.

–Pardonne-moi un moment de faiblesse, Salvato, lui dit-elle; tu vois que je n'ai pas peur de la mort, puisque c'est moi qui l'ai cherchée quand j'ai vu que tu m'avais trompée et que tu voulais mourir sans moi, mon bien-aimé. Tu as vu si j'ai hésité et si le cri qui devait nous réunir s'est fait attendre.

–Chère Luisa!

–Mais, en revoyant cette chambre, en songeant aux douces heures que nous y avons passées, en songeant que les portes d'un cachot vont s'ouvrir pour nous, en songeant que nous allons peut-être, éloignés l'un de l'autre, marcher à la mort séparés, oh! oui, mon coeur s'est brisé. Mais, à ta voix, regarde! les larmes tarissent, le sourire revient sur mes lèvres. Tant que la vie battra dans nos veines, nous nous aimerons, et, tant que nous nous aimerons, nous serons heureux. Vienne la mort! si la mort est l'éternité, la mort sera pour nous l'éternel amour.

–Ah! je reconnais ma Luisa, dit Salvato.

Puis, se levant et passant son bras autour de la taille de Luisa, tandis que de sa bouche il effleurait ses lèvres:

–Debout, lui dit-il, debout, Romaine! debout, Aria! Nous leur avons promis d'être de retour dans un quart d'heure: ne les faisons pas attendre une seconde.

Luisa avait repris son courage. Elle dépouilla rapidement son costume de vivandière et revêtit ses anciens habits; puis, avec la majesté d'une reine, avec ce pas que Virgile donne à la mère d'Énée et qui révèle les déesses, elle descendit l'escalier, traversa la cour, et, appuyée au bras de Salvato, sortit de la forteresse et marcha droit aux trois chefs de l'armée alliée.

–Messieurs, leur dit-elle avec une grâce suprême et avec les accents les plus mélodieux de sa voix, recevez, à la fois, les remercîments d'une femme et les bénédictions d'une mourante, – car, je vous l'ai déjà dit, je suis condamnée d'avance, – pour avoir permis que nous ne fussions point séparés! Et, si vous pouvez faire que nous soyons enfermés ensemble, que nous marchions au supplice ensemble, que nous montions au même échafaud, cette bénédiction, je la renouvellerai sous la hache du bourreau.

Salvato détacha son épée et la tendit à Baillie et à Troubridge, qui se reculèrent, – puis au duc della Salandra.

–Je la prends, parce je suis forcé de la prendre, monsieur, dit celui-ci; mais Dieu m'est témoin que j'aimerais mieux vous la laisser. Je dirai plus, monsieur: je suis un soldat et non un gendarme, et, comme je n'ai aucun ordre relativement à vous…

Il regarda les deux officiers, qui firent signe au duc qu'ils le laissaient absolument le maître.

–En me rendant la liberté, dit Salvato, qui comprit ce que voulaient dire et les paroles interrompues et le signe qui achevait la pensée du duc della Salandra, – en me rendant la liberté, la rendez-vous à madame?

–Impossible, monsieur! dit le duc: madame est nominativement désignée par le roi; madame doit être jugée. De toute mon âme, je désire qu'elle ne soit pas condamnée.

Salvato salua.

–Ce qu'elle a fait pour moi, je le fais pour elle; nos deux destinées sont inséparables dans la vie comme dans la mort.

Et Salvato déposa un baiser sur le front de celle à laquelle il venait de se fiancer pour l'éternité.

–Madame, dit le duc della Salandra, j'ai fait approcher une voiture, vous n'aurez pas l'ennui de traverser les rues de Naples entre quatre soldats.

Luisa fit un signe de remercîment.

Tous deux, précédés des quatre soldats, descendirent la route du Petraïo jusqu'au vico de Santa-Maria-Apparente. Là, une voiture les attendait au milieu d'une grande foule de curieux rassemblés.

Au premier rang de cette foule, était un moine de l'ordre de Saint-Benoît.

Au moment où Salvato passa devant lui, le moine leva son capuchon.

Salvato tressaillit.

–Qu'as-tu? lui demanda Luisa.

–Mon père! lui murmura Salvato à l'oreille; rien n'est perdu!

XC
LA FOSSE DU CROCODILE

Si vous demandez à voir, au Château-Neuf, le cachot qui porte le nom de Fosse du crocodile, le concierge vous montrera d'abord le squelette du gigantesque saurien qui lui a donné son nom, et que la tradition prétend avoir été pris dans cette fosse; puis il vous fera passer sous la porte au-dessus de laquelle il s'étend, puis il vous conduira à une porte étroite qui donne sur un escalier de vingt-deux degrés et qui mène à une troisième porte de chêne massif, garnie de fer, laquelle s'ouvre enfin sur une profonde et obscure caverne.

Au milieu de ce sépulcre, oeuvre impie, creusé par la main des hommes pour ensevelir les cadavres vivants de leurs semblables, on se heurte à une masse de granit, sur laquelle on n'a d'autre prise que la barre de fer qui la traverse. Cette masse de granit ferme l'orifice d'un puits qui communique avec la mer. Dans les jours d'orage, la vague tourmentée et bondissante lance son écume à travers les interstices de la pierre mal jointe au pavé; l'eau salée envahit alors la caverne et poursuit le prisonnier jusque dans les angles les plus éloignés de sa prison.

Par cette bouche de l'abîme, dit la lugubre légende, sortant du vaste sein de la mer, apparaissait autrefois l'immonde reptile qui a donné son nom à cette fosse.

Presque toujours, il trouvait dans le cachot une proie humaine, et, après l'avoir dévorée, il se replongeait au gouffre.

Là, dit encore le bruit populaire, furent jetés par les Espagnols la femme et les quatre enfants de Masaniello, ce roi des lazzaroni, qui entreprit de délivrer Naples, et qui eut le vertige du pouvoir, ni plus ni moins qu'un Caligula ou un Néron.

Le peuple avait dévoré le père et le mari; le crocodile, qui a bien quelque ressemblance avec le peuple, dévora la mère et les enfants.

Ce fut dans ce cachot que le commandant du Château-Neuf ordonna de conduire Salvato et Luisa.

A la lueur d'une lampe pendue au plafond, les deux amants virent plusieurs prisonniers qui, à leur entrée, s'interrompirent dans leur conversation et jetèrent sur eux des regards inquiets. Mais, plus habitués aux demi-ténèbres de ce cachot, les yeux des prisonniers reconnurent les nouveaux venus, et un cri, tout à la fois de joie et de compassion, les accueillit. Un homme se jeta aux pieds de Luisa, une femme se jeta à son cou; trois prisonniers entourèrent Salvato et se saisirent de ses mains; et tous ne formèrent bientôt plus qu'un groupe, dans les accents confus duquel il eût été difficile de distinguer s'il y avait plus de contentement que de douleur.

L'homme qui s'était jeté aux pieds de Luisa était Michele; la femme qui s'était jetée à son cou était Éléonor Pimentel; les trois prisonniers qui avaient entouré Salvato étaient Dominique Cirillo, Manthonnet et Velasco.

–Ah! pauvre chère petite soeur! s'écria le premier Michele; qui nous eût dit que la sorcière Nanno prédisait si juste et devinait si vrai?

Luisa ne put s'empêcher de frissonner, et, avec un sourire mélancolique, elle passa la main sur son cou si frêle et si délicat, et secoua la tête comme pour dire qu'il ne donnerait pas grand'peine au boureau.

Hélas! elle se trompait, même dans cette dernière espérance.

Le désordre causé parmi les prisonniers par l'arrivée de Salvato et de Luisa n'était pas encore calmé, lorsque la porte se rouvrit de nouveau et que l'on vit apparaître sur le sombre seuil un homme de haute taille, vêtu du costume de général républicain, déjà porté par Manthonnet.

–Diable! dit-il en entrant, je suis tenté de dire, comme Jugurtha: «Les étuves de Rome ne sont pas chaudes.»

–Hector Caraffa! s'écrièrent deux ou trois voix.

–Dominique Cirillo! Velasco! Manthonnet! Salvato! Dans tous les cas, il y a meilleure compagnie ici que dans la prison Mamertine. Mesdames, votre serviteur! Comment donc! la signora Pimentel! la signora San-Felice! mais tout est réuni ici: la science, le courage, la poésie, l'amour, la musique. Nous n'aurons pas le temps de nous ennuyer.

 

–Je ne crois pas qu'on nous le laisse, dit Cirillo de sa voix douce et triste.

–Mais d'où venez-vous donc, mon cher Hector? demanda Manthonnet. Je vous croyais bien loin de nous, en sûreté derrière les murs de Pescara.

–J'y étais en effet, dit Hector. Mais vous avez capitulé, le cardinal Ruffo m'a envoyé un double de votre capitulation, et m'a écrit d'en faire autant que vous autres; l'abbé Pronio m'écrivait, en même temps, de me rendre aux mêmes conditions, me promettant non-seulement la vie sauve, mais encore l'autorisation de me rendre en France. Je ne me suis pas cru déshonoré de faire ce que vous aviez fait; j'ai signé et livré la ville, comme vous avez livré les forts. Le lendemain, l'abbé est venu à moi, l'oreille basse et ne sachant comment m'annoncer la nouvelle. La nouvelle n'était pas bonne, en effet. Le roi lui avait écrit qu'ayant traité avec moi sans pouvoir, il eût à me remettre à lui pieds et poings liés, ou sinon sa tête lui répondait de la mienne. Pronio tenait à sa tête, quoiqu'elle ne fût pas belle; il m'a fait lier les pieds, il m'a fait lier les poings et m'a envoyé à Naples dans une charrette comme on envoie un veau au marché. Ce n'est qu'a l'intérieur du Château-Neuf, et quand la porte en a été refermée sur moi, qu'on m'a débarrassé de mes cordes et que l'on m'a conduit ici. Voilà toute mon histoire. A votre tour de conter les vôtres.

Chacun raconta la sienne, à commencer par Salvato et Luisa. Nous la connaissons. Nous connaissons aussi celles de Cirillo, de Velasco, de Manthonnet, de Pimentel. Ils étaient descendus dans les felouques, sur la foi des traités, et Nelson les avait retenus prisonniers.

–A propos, dit Ettore Caraffa quand chacun eut fait son récit, j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer: Nicolino est sauvé.

Une joyeuse exclamation s'échappa de toutes les bouches, et l'on demanda des détails.

On se rappelle que, prévenu par le cardinal Ruffo, Salvato avait chargé à son tour Nicolino de prévenir l'amiral que sa vie était menacée; Nicolino était arrivé à la ferme où était caché son oncle une heure après que celui-ci avait été arrêté. Il avait appris la trahison du fermier, n'en avait point demandé davantage et était allé rejoindre Ettore Caraffa.

Ettore Caraffa l'avait reçu à Pescara, où il avait pris part à la défense de la ville pendant les derniers jours; mais, lorsqu'il s'était agi de se rendre et de se livrer à l'abbé Pronio, Nicolino n'avait pas eu confiance, avait revêtu un habit de paysan et avait gagné la montagne. Des six conjurés que nous avons vus au château de la reine Jeanne au commencement de notre récit, c'était le seul qui ne fût point tombé aux mains de la réaction.

Cette bonne nouvelle avait, en effet, fort réjoui les prisonniers; puis, comme nous l'avons dit, ils éprouvaient, au milieu de leur tristesse, une grande joie d'être réunis. Selon toute probabilité, ils seraient jugés et exécutés ensemble. Les girondins avaient joui du même bonheur, et l'on sait qu'ils l'avaient mis à profit.

On apporta le souper pour tous, et des matelas pour les nouveaux venus. Tout en mangeant, Cirillo mit ses trois nouveaux compagnons au courant des us et coutumes de la prison, qu'ils habitaient déjà depuis treize jours et treize nuits.

Les prisons étaient combles: le roi, nous l'avons vu dans une de ses lettres, avouait huit mille prisonniers.

Chacun de ces cercles de l'enfer, qui aurait eu besoin d'un Dante pour être bien décrit, avait ses démons spéciaux chargés de tourmenter les damnés.

Ils devaient rendre les chaînes plus pesantes, irriter la soif, prolonger les jeûnes, enlever la lumière, souiller les aliments, et, tout en faisant de la vie un cruel supplice, empêcher les prisonniers de mourir.

Et, en effet, on devait penser que, soumis à de pareilles tortures précédant des supplices infamants, le suicide serait invoqué par les prisonniers comme un ange libérateur.

Trois ou quatre fois pendant la nuit, on entrait dans les cachots sous prétexte de perquisition, et l'on réveillait ceux qui pouvaient dormir. Tout était défendu, non-seulement les couteaux et les fourchettes, mais encore les verres, sous prétexte qu'avec un fragment de verre, on pouvait s'ouvrir les veines; – les draps et les serviettes, sous prétexte qu'en les découpant et en les tressant, on pouvait s'en servir comme de cordes ou même en faire des échelles.

L'histoire a conservé le nom de trois de ces tourmenteurs.

L'un était un Suisse nommé Duece, qui donnait pour excuse de sa cruauté une famille nombreuse qu'il avait à nourrir.

L'autre était un colonel de Gambs, un Allemand qui avait été sous les ordres de Mack et avait fui comme lui.

Enfin, le troisième, notre ancienne connaissance, Scipion Lamarra, le porte-enseigne de la reine, que celle-ci avait si chaudement recommandé au cardinal, et qui avait fait honneur à sa royale protectrice en arrêtant, par trahison, Caracciolo, et en le conduisant à bord du Foudroyant.

Mais il était convenu entre les prisonniers qu'ils ne donneraient pas à leurs bourreaux le plaisir du spectacle de leurs souffrances. S'ils venaient le jour, ils continuaient leur conversation, changeant de place, voilà tout, selon l'ordre des visiteurs; tandis que Velasco, charmant musicien, auquel on avait permis d'emporter sa guitare, accompagnait leurs perquisitions de ses airs les plus gais et de ses chants les plus joyeux. Si c'était la nuit, chacun se levait sans plaintes ni murmures, – et c'était vite fait, attendu que chacun, n'ayant que son matelas, se jetait dessus tout habillé.

Pendant ce temps, on transformait, avec toute la célérité possible, le couvent de Monte-Olivetto en tribunal. Ce couvent avait été fondé en 1411, par Cuzella d'Origlia, favori du roi Ladislas; le Tasse y avait trouvé un asile et fait une halte entre la folie et la prison: les prévenus devaient y faire une halte entre la prison et la mort.

La halte était courte, et la mort ne se faisait point attendre. La junte d'État agissait selon le code sicilien, c'est-à-dire en vertu de l'antique procédure des barons siciliens rebelles. On prenait, pour l'appliquer, une loi du code de Roger, et l'on oubliait que Roger, moins jaloux de ses prérogatives que ne l'était le roi Ferdinand, n'avait point déclaré qu'un roi ne traitait point avec ses sujets rebelles, mais, au contraire, après avoir signé un traité avec les habitants de Bari et de Trani, qui s'étaient révoltés contre lui, l'avait ponctuellement exécuté.

Cette procédure, qui ressemblait fort à celle de la chambre obscure, était terrible, en ce qu'elle ne présentait aucune sécurité aux prévenus. Les dénonciations et les espionnages étaient admis comme preuves, et les dénonciateurs et les espions comme témoins. Si le juge le jugeait utile, la torture accourait en aide à la vengeance, pour laquelle elle était encore un soutien, accusateurs et défenseurs étaient tous les hommes de la junte, c'est-à-dire les hommes du roi. Ni les uns ni les autres n'étaient les hommes des accusés. En outre, les accusateurs à charge, entendus secrètement et sans confrontation avec les accusés, n'avaient point pour contre-poids les témoins à décharge, qui, n'étant appelés ni publiquement ni secrètement, laissaient le prévenu tout entier sous le poids de son accusation et à la merci de ses juges. La sentence, remise alors à la conscience de ceux qui étaient chargés de se prononcer, demeurait sous le funeste arbitrage de la haine royale, sans appel, sans sursis, sans recours. Le gibet était dressé à la porte du tribunal; la sentence était prononcée dans la nuit, publiée le lendemain, et, le jour suivant, exécutée. Vingt-quatre heures de chapelle, puis l'échafaud.

Pour ceux à qui Sa Majesté faisait grâce, restait la fosse de Favignana, c'est-à-dire une tombe.

Avant d'arriver en Sicile, le voyageur qui va d'orient en occident, voit s'élancer, du sein de la mer, entre Marsala et Trapani, un écueil surmonté d'un fort, c'est-à-dire l'Agusa des Romains, île fatale qui était déjà une prison du temps des empereurs païens. Un escalier, creusé dans la pierre, conduit de son sommet à une caverne placée au niveau de la mer. Une lumière funèbre y pénètre, sans que jamais cette lumière soit réchauffée par un rayon de soleil. Enfin, de sa voûte tombe une eau glacée, pluie éternelle qui ronge le granit le plus dur, qui tue l'homme le plus robuste.

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