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La femme au collier de velours

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CHAPITRE X
Arsène

Après avoir examiné la tabatière avec la plus grande attention, Hoffmann la rendit à son propriétaire en le remerciant, d'un signe silencieux de la tête, auquel le propriétaire répondit par un signe aussi courtois, mais, s'il est possible, plus silencieux encore.

«Voyons maintenant s'il parle», se demanda Hoffmann, et se tournant vers son voisin, il lui dit:

– Je vous prie d'excuser mon indiscrétion, monsieur, mais cette petite tête de mort en diamants qui orne votre tabatière m'avait étonné tout d'abord, car c'est un ornement rare sur une boîte à tabac.

– En effet, je crois que c'est la seule qu'on ait faite, répliqua l'inconnu d'une voix métallique, et dont les sons imitaient assez le bruit des pièces d'argent qu'on empile les unes sur les autres; elle me vient d'héritiers reconnaissants dont j'avais soigné le père.

– Vous êtes médecin?

– Oui, monsieur.

– Et vous aviez guéri le père de ces jeunes gens?

– Au contraire, monsieur, nous avons eu le malheur de le perdre.

– Je m'explique le mot reconnaissance.

Le médecin se mit à rire.

Ses réponses ne l'empêchaient pas de fredonner toujours, et, tout en fredonnant:

– Oui, reprit-il, je crois bien que j'ai tué ce vieillard.

– Comment tué?

– J'ai fait sur lui l'essai d'un remède nouveau. Oh! mon Dieu! au bout d'une heure il était mort. C'est vraiment fort drôle.

Et il se remit à chantonner.

– Vous paraissez aimer la musique, monsieur? demanda Hoffmann.

– Celle-ci surtout; oui, monsieur.

«Diable! pensa Hoffmann, voilà un homme qui se trompe en musique comme en médecine.

En ce moment on leva la toile.

L'étrange docteur huma une prise de tabac, et s'adossa le plus commodément possible dans sa stalle, comme un homme qui ne veut rien perdre du spectacle auquel il va assister.

Cependant, il dit à Hoffmann, comme par réflexion:

– Vous êtes allemand, monsieur?

– En effet.

– J'ai reconnu votre pays à votre accent. Beau pays, vilain accent.

Hoffmann s'inclina devant cette phrase faite d'une moitié de compliment et d'une moitié de critique.

– Et vous êtes venu en France, pourquoi?

– Pour voir.

– Et qu'est-ce que vous avez déjà vu?

– J'ai vu guillotiner, monsieur.

– Étiez-vous aujourd'hui à la place de la Révolution?

– J'y étais.

– Alors vous avez assisté à la mort de madame Du Barry?

– Oui, fit Hoffmann avec un soupir.

– Je l'ai beaucoup connue, continua le docteur avec un regard confidentiel, et qui poussait le mot connue jusqu'au bout de sa signification. C'était une belle fille, ma foi!

– Est-ce que vous l'avez soignée aussi?

– Non, mais j'ai soigné son Noir, Zamore.

– Le misérable! on m'a dit que c'est lui qui a dénoncé sa maîtresse.

– En effet, il était fort patriote, ce petit négrillon.

– Vous auriez bien dû faire de lui ce que vous avez fait du vieillard, vous savez, du vieillard à la tabatière.

– À quoi bon? il n'avait point d'héritiers, lui.

Et le rire du docteur tinta de nouveau.

– Et vous, monsieur, vous n'assistiez pas à cette exécution tantôt? reprit Hoffmann, qui se sentait pris d'un irrésistible besoin de parler de la pauvre créature dont l'image sanglante ne le quittait pas.

– Non. Était-elle maigrie?

– Qui?

– La comtesse.

– Je ne puis vous le dire, monsieur.

– Pourquoi cela?

– Parce que je l'ai vue pour la première fois sur la charrette.

– Tant pis. J'aurais voulu le savoir, car, moi, je l'avais connue très grasse; mais demain j'irai voir son corps. Ah! tenez, regardez cela.

Et en même temps le médecin montrait la scène où, en ce moment, M. Vestris, qui jouait le rôle de Pâris, apparaissait sur le mont Ida, et faisait toutes sortes de marivaudages avec la nymphe Œnone.

Hoffmann regarda ce que lui montrait son voisin mais après s'être assuré que ce sombre médecin était réellement attentif à la scène, et que ce qu'il venait d'entendre et de dire n'avait laissé aucune trace dans son esprit:

«Cela serait curieux de voir pleurer cet homme-là, se dit Hoffmann.

– Connaissez-vous le sujet de la pièce? reprit le docteur, après un silence de quelques minutes.

– Non, monsieur.

– Oh! c'est très intéressant. Il y a même des situations touchantes. Un de mes amis et moi, nous avions l'autre fois les larmes aux yeux.

– Un de mes amis, murmura le poète; qu'est-ce que cela peut être que l'ami de cet homme-là? Cela doit être un fossoyeur.

– Ah! bravo! bravo! Vestris, criota le petit homme en tapotant dans ses mains.

Le médecin avait choisi pour manifester son admiration le moment où Pâris, comme le disait le livre qu'Hoffmann avait acheté à la porte, saisit son javelot et vole au secours des pasteurs qui fuient épouvantés devant un lion terrible.

– Je ne suis pas curieux, mais j'aurais voulu voir le lion.

Ainsi se terminait le premier acte.

Alors le docteur se leva, se retourna, s'adossa à la stalle placée devant la sienne, et substituant une petite lorgnette à sa tabatière, il commença à lorgner les femmes qui composaient la salle.

Hoffmann suivait machinalement la direction de la lorgnette, et il remarquait avec étonnement que la personne sur qui elle se fixait tressaillait instantanément et tournait aussitôt les yeux vers celui qui la lorgnait, et cela comme si elle y eût été contrainte par une force invisible. Elle gardait cette position jusqu'à ce que le docteur cessât de la lorgner.

– Est-ce que cette lorgnette vous vient encore d'un héritier, monsieur? demanda Hoffmann.

– Non, elle me vient de M. de Voltaire.

– Vous l'avez donc connu aussi?

– Beaucoup, nous étions très liés.

– Vous étiez son médecin?

– Il ne croyait pas à la médecine. Il est vrai qu'il ne croyait pas à grand-chose.

– Est-il vrai qu'il soit mort en se confessant?

– Lui, monsieur, lui! Arouet! allons donc! non seulement il ne s'est pas confessé, mais encore il a joliment reçu le prêtre qui était venu l'assister. Je puis vous en parler savamment, j'étais là.

– Que s'est-il donc passé?

– Arouet allait mourir; Tersac, son curé, arrive et lui dit tout d'abord, comme un homme qui n'a pas de temps à perdre: Monsieur, reconnaissez-vous la trinité de Jésus-Christ?

– Monsieur, laissez-moi mourir tranquille, je vous prie, lui répond Voltaire.

– Cependant, monsieur, continue Tersac, il importe que je sache si vous reconnaissez Jésus-Christ comme fils de Dieu.

– Au nom du diable! s'écrie Voltaire, ne me parlez plus de cet homme-là. Et, réunissant le peu de force qui lui restait, il flanque un coup de poing sur la tête du curé, et il meurt. Ai-je ri, mon Dieu! ai-je ri!

– En effet, c'était risible, fit Hoffmann d'une voix dédaigneuse, et c'est bien ainsi que devait mourir l'auteur de La Pucelle.

– Ah oui, La Pucelle! s'écria l'homme noir, quel chef d'œuvre! monsieur, quelle admirable chose! Je ne connais qu'un livre qui puisse rivaliser avec celui-là.

– Lequel?

– Justine, de M. de Sade; connaissez-vous Justine?

– Non, monsieur.

– Et le marquis de Sade?

– Pas davantage.

– Voyez-vous, monsieur, reprit le docteur avec enthousiasme, Justine, c'est tout ce qu'on peut lire de plus immoral, c'est du Crébillon fils tout nu, c'est merveilleux. J'ai soigné une jeune fille qui l'avait lu.

– Et elle est morte comme votre vieillard?

– Oui, monsieur, mais elle est morte bien heureuse.

Et l'œil du médecin pétilla d'aise au souvenir des causes de cette mort.

On donna le signal du second acte. Hoffmann n'en fut pas fâché, son voisin l'effrayait.

– Ah! fit le docteur en s'asseyant, et avec un sourire de satisfaction, nous allons voir Arsène.

– Qui est-ce, Arsène?

– Vous ne la connaissez pas?

– Non, monsieur.

– Ah ça! vous ne connaissez donc rien, jeune homme? Arsène, c'est Arsène, c'est tout dire; d'ailleurs, vous allez voir.

Et, avant que l'orchestre eût donné une note, le médecin avait recommencé à fredonner l'introduction du second acte.

La toile se leva.

Le théâtre représentait un berceau de fleurs et de verdure, que traversait un ruisseau qui prenait sa source au pied d'un rocher.

Hoffmann laissa tomber sa tête dans sa main.

Décidément, ce qu'il voyait, ce qu'il entendait ne pouvait parvenir à le distraire de la douloureuse pensée et du lugubre souvenir qui l'avaient amené là où il était.

«Qu'est-ce que cela eût changé? pensa-t-il en rentrant brusquement dans les impressions de la journée, qu'est-ce que cela eût changé dans le monde, si l'on eût laissé vivre cette malheureuse femme? Quel mal cela aurait-il fait si ce cœur eût continué de battre, cette bouche de respirer? Quel malheur en fût-il advenu? Pourquoi interrompre brusquement tout cela? De quel droit arrêter la vie au milieu de son élan? Elle serait bien au milieu de toutes ces femmes, tandis qu'à cette heure son pauvre corps, le corps qui fut aimé d'un roi, gît dans la boue d'un cimetière, sans fleurs, sans croix, sans tête. Comme elle criait, mon Dieu! comme elle criait! Puis tout à coup…»

Hoffmann cacha son front dans ses mains.

«Qu'est-ce que je fais ici, moi? se dit-il; oh! je vais m'en aller.»

Et il allait peut-être s'en aller en effet, quand, en relevant la tête, il vit sur la scène une danseuse qui n'avait pas paru au premier acte, et que la salle entière regardait danser sans faire un mouvement, sans exhaler un souffle.

– Oh! que cette femme est belle! s'écria Hoffmann assez haut pour que ses voisins et la danseuse même l'entendissent.

Celle qui avait éveillé cette admiration subite regarda le jeune homme qui avait, malgré lui, poussé cette exclamation, et Hoffmann crut qu'elle le remerciait du regard.

 

Il rougit et tressaillit comme s'il eût été touché par de l'étincelle électrique.

Arsène, car c'était elle, c'est-à-dire cette danseuse dont le petit vieillard avait prononcé le nom, Arsène était réellement une bien admirable créature, et d'une beauté qui n'avait rien de la beauté traditionnelle.

Elle était grande, admirablement faite, et d'une pâleur transparente sous le rouge qui couvrait ses joues. Ses pieds étaient tout petits, et quand elle retombait sur le parquet du théâtre, on eût dit que la pointe de son pied reposait sur un nuage car on n'entendait pas le plus petit bruit. Sa taille était si mince, si souple, qu'une couleuvre ne se fût pas retournée sur elle-même comme cette femme le faisait. Chaque fois que, se cambrant, elle se penchait en arrière, on pouvait croire que son corset allait éclater, et l'on devinait, dans l'énergie de sa danse et dans l'assurance de son corps, et la certitude d'une beauté complète et cette ardente nature qui, comme celle de la Messaline antique, peut être quelquefois lassée, mais jamais assouvie. Elle ne souriait pas comme sourient ordinairement les danseuses, ses lèvres de pourpre ne s'entrouvraient presque jamais, non pas qu'elles eussent de vilaines dents à cacher, non, car, dans le sourire qu'elle avait adressé à Hoffmann quand il l'avait si naïvement admirée tout haut, notre poète avait pu voir une double rangée de perles si blanches, si pures, qu'elle les cachait sans doute derrière ses lèvres pour que l'air ne les ternît point. Dans ses cheveux noirs et luisants, avec des reflets bleus, s'enroulaient de larges feuilles d'acanthe, et se suspendaient des grappes de raisin dont l'ombre courait sur ses épaules nues. Quant aux yeux, ils étaient grands, limpides, noirs, brillants, à ce point qu'ils éclairaient tout autour d'eux, et qu'eût-elle dansé dans la nuit, Arsène eût illuminé la place où elle eût dansé. Ce qui ajoutait encore à l'originalité de cette fille, c'est que, sans raison aucune, elle portait dans ce rôle de nymphe, car elle jouait ou plutôt elle dansait une nymphe, elle portait, disons-nous, un petit collier de velours noir, fermé par une boucle, ou, du moins, par un objet qui paraissait avoir la forme d'une boucle, et qui, fait en diamants, jetait des feux éblouissants.

Le médecin regardait cette femme de tous ses yeux, et son âme, l'âme qu'il pouvait avoir, semblait suspendue au vol de la jeune femme. Il est bien évident que, tant qu'elle dansait, il ne respirait pas.

Alors Hoffmann put remarquer une chose curieuse: qu'elle allât à droite, à gauche, en arrière ou en avant, jamais les yeux d'Arsène ne quittaient la ligne des yeux du docteur et une visible corrélation était établie entre les deux regards. Bien plus, Hoffmann voyait très distinctement les rayons que jetait la boucle du collier d'Arsène et ceux que jetait la tête de mort du docteur se rencontrer à moitié chemin dans une ligne droite, se heurter, se repousser et rejaillir en une même gerbe faite de milliers d'étincelles blanches, rouges et or.

– Voulez-vous me prêter votre lorgnette, monsieur? dit Hoffmann, haletant et sans détourner la tête, car il lui était impossible à lui aussi de cesser de regarder Arsène.

Le docteur étendit la main vers Hoffmann sans faire le moindre mouvement de la tête, si bien que les mains des deux spectateurs se cherchèrent quelques instants dans le vide avant de se rencontrer.

Hoffmann saisit enfin la lorgnette et y colla ses yeux.

– C'est étrange, murmura-t-il.

– Quoi donc? demanda le docteur.

– Rien, rien, reprit Hoffmann qui voulait donner toute son attention à ce qu'il voyait; en réalité ce qu'il voyait était étrange.

La lorgnette rapprochait tellement les objets à ses yeux, que deux ou trois fois Hoffmann étendit la main, croyant saisir Arsène qui ne paraissait plus être au bout du verre qui la reflétait, mais bien entre les deux verres de la lorgnette. Notre Allemand ne perdait donc aucun détail de la beauté de la danseuse, et ses regards, déjà si brillants de loin, entouraient son front d'un cercle de feu, et faisaient bouillir le sang dans les veines de ses tempes.

L'âme du jeune homme faisait un effroyable bruit dans son corps.

– Quelle est cette femme? dit-il d'une voix faible sans quitter la lorgnette et sans remuer.

– C'est Arsène, je vous l'ai déjà dit, répliqua le docteur, dont les lèvres seules semblaient vivantes et dont le regard immobile était rivé à la danseuse.

– Cette femme a un amant, sans doute?

– Quoi?

– Qu'elle aime?

– On le dit.

– Et il est riche?

– Très riche.

– Qui est-ce?

– Regardez à gauche dans l'avant-scène du rez-de-chaussée.

– Je ne puis pas tourner la tête.

– Faites un effort.

Hoffmann fit un effort si douloureux, qu'il poussa un cri, comme si les nerfs de son cou étaient devenus de marbre et se fussent brisés dans ce moment.

Il regarda dans l'avant-scène indiquée.

Dans cette avant-scène il n'y avait qu'un homme, mais, cet homme, accroupi comme un lion sur la balustrade de velours, semblait à lui seul remplir cette avant-scène.

C'était un homme de trente-deux ou trente-trois ans, au visage labouré par les passions; on eût dit que, non pas la petite vérole, mais l'éruption d'un volcan avait creusé les vallées dont les profondeurs s'entrecroisaient sur cette chair toute bouleversée; ses yeux avaient dû être petits, mais ils s'étaient ouverts par une espèce de déchirement de l'âme; tantôt ils étaient atones et vides comme un cratère éteint, tantôt ils versaient des flammes comme un cratère rayonnant. Il n'applaudissait pas en rapprochant ses mains l'une de l'autre, il applaudissait en frappant sur la balustrade, et, à chaque applaudissement, il semblait ébranler la salle.

– Oh! fit Hoffmann, est-ce un homme que je vois là?

– Oui, oui, c'est un homme, répondit le petit homme noir; oui, c'est un homme, et un fier homme même.

– Comment s'appelle-t-il?

– Vous ne le connaissez pas?

– Mais non, je suis arrivé hier seulement.

– Eh bien! c'est Danton.

– Danton! fit Hoffmann en tressaillant. Oh! oh! Et c'est l'amant d'Arsène?

– C'est son amant.

– Et sans doute il l'aime?

– À la folie. Il est d'une jalousie féroce.

Mais si intéressant que fût Danton, Hoffmann avait déjà reporté les yeux sur Arsène, dont la danse silencieuse avait une apparence fantastique.

– Encore un renseignement, monsieur.

– Parlez.

– Quelle forme a l'agrafe qui ferme son collier?

– C'est une guillotine.

– Une guillotine!

– Oui. On en fait de charmantes, et toutes nos élégantes en portent au moins une. Celle que porte Arsène, c'est Danton qui la lui a donnée.

– Une guillotine, une guillotine au cou d'une danseuse! répéta Hoffmann, qui sentait son cerveau se gonfler; une guillotine, pourquoi?..

Et notre Allemand, qu'on eût pu prendre pour un fou, allongeait les bras devant lui, comme pour saisir un corps, car, par un effet étrange d'optique, la distance qui le séparait d'Arsène disparaissait par moments, et il lui semblait sentir l'haleine de la danseuse sur son front, et entendre la brûlante respiration de cette poitrine, dont les seins, à moitié nus, se soulevaient comme sous une étreinte de plaisir. Hoffmann en était à cet état d'exaltation où l'on croit respirer du feu, et où l'on craint que les sens ne fassent éclater le corps.

– Assez! assez! disait-il.

Mais la danse continuait, et l'hallucination était telle, que, confondant ses deux impressions les plus fortes de la journée, l'esprit d'Hoffmann mêlait à cette scène le souvenir de la place de la Révolution, et que tantôt il croyait voir madame Du Barry, pâle et la tête tranchée, danser à la place d'Arsène, et tantôt Arsène arriver en dansant jusqu'au pied de la guillotine et jusqu'aux mains du bourreau.

Il se faisait dans l'imagination exaltée du jeune homme un mélange de fleurs et de sang, de danse et d'agonie, de vie et de mort.

Mais ce qui dominait tout cela, c'était l'attraction électrique qui le poussait vers cette femme. Chaque fois que ces deux jambes fines passaient devant ses yeux, chaque fois que cette jupe transparente se soulevait un peu plus, un frémissement parcourait tout son être, sa lèvre devenait sèche, son haleine brûlante, et le désir entrait en lui comme il entre dans un homme de vingt ans.

Dans cet état, Hoffmann n'avait plus qu'un refuge, c'était le portrait d'Antonia, c'était le médaillon qu'il portait sur sa poitrine, c'était l'amour pur à opposer à l'amour sensuel; c'était la force du chaste souvenir à mettre en face de l'exigeante réalité.

Il saisit ce portrait et le porta à ses lèvres; mais, à peine avait-il fait ce mouvement, qu'il entendit le ricanement aigu de son voisin qui le regardait d'un air railleur.

– Laissez-moi sortir, s'écria-t-il, laissez-moi sortir; je ne saurais rester plus longtemps ici!

Et, semblable à un fou, il quitta l'orchestre, marchant sur les pieds, heurtant les jambes des tranquilles spectateurs, qui maugréaient contre cet original à qui il prenait ainsi fantaisie de sortir au milieu d'un ballet.

CHAPITRE XI
La deuxième représentation du «Jugement de Paris»

Mais l'élan d'Hoffmann ne le poussa pas bien loin. Au coin de la rue Saint-Martin il s'arrêta.

Sa poitrine était haletante, son front ruisselant de sueur.

Il passa la main gauche sur son front, appuya sa main droite sur sa poitrine et respira.

En ce moment on lui toucha sur l'épaule.

Il tressaillit.

– Ah! pardieu, c'est lui! dit une voix.

Il se retourna et laissa échapper un cri.

C'était son ami Zacharias Werner. Les deux jeunes gens se jetèrent dans les bras l'un de l'autre.

Puis ces deux questions se croisèrent:

– Que faisais-tu là?

– Où vas-tu?

– Je suis arrivé d'hier, dit Hoffmann, j'ai vu guillotiner Mme Du Barry, et, pour me distraire, je suis venu à l'Opéra.

– Moi, je suis arrivé depuis six mois, depuis cinq je vois guillotiner tous les jours vingt ou vingt-cinq personnes, et, pour me distraire, je vais au jeu.

– Ah!

– Viens-tu avec moi?

– Non, merci.

– Tu as tort, je suis en veine; avec ton bonheur habituel, tu ferais fortune. Tu dois t'ennuyer horriblement à l'Opéra, toi qui es habitué à de la vraie musique; viens avec moi, je t'en ferai entendre.

– De la musique?

– Oui, celle de l'or; sans compter que là où je vais tous les plaisirs sont réunis: des femmes charmantes, des soupers délicieux, un jeu féroce!

– Merci, mon ami, impossible! j'ai promis, mieux que cela, j'ai juré.

– À qui?

– À Antonia.

– Tu l'as donc vue?

– Je l'aime, mon ami, je l'adore.

– Ah! je comprends, c'est cela qui t'a retardé, et tu lui as juré?..

– Je lui ai juré de ne pas jouer, et…

Hoffmann hésita.

– Et puis quoi encore?

– Et de lui rester fidèle, balbutia-t-il.

– Alors il ne faut pas venir au 113.

– Qu'est-ce que le 113?

– C'est la maison dont je te parlais tout à l'heure; moi, comme je n'ai rien juré, j'y vais. Adieu, Théodore.

– Adieu, Zacharias.

Et Werner s'éloigna, tandis qu'Hoffmann demeurait cloué à sa place.

Quand Werner fut à cent pas, Hoffmann se rappela qu'il avait oublié de demander à Zacharias son adresse, et que la seule adresse que Zacharias lui eût donnée, c'était celle de la maison de jeu.

Mais cette adresse était écrite dans le cerveau d'Hoffmann comme sur la porte de la maison fatale, en chiffres de feu!

Cependant ce qui venait de se passer avait un peu calmé les remords d'Hoffmann. La nature humaine est ainsi faite, toujours indulgente pour soi, attendu que son indulgence c'est de l'égoïsme.

Il venait de sacrifier le jeu à Antonia, et il se croyait quitte de son serment: oubliant que c'était parce qu'il était tout prêt à manquer à la moitié la plus importante de ce serment, qu'il était là cloué au coin du boulevard et de la rue Saint-Martin.

Mais, je l'ai dit, sa résistance à l'endroit de Werner lui avait donné de l'indulgence à l'endroit d'Arsène. Il résolut donc de prendre un terme moyen, et, au lieu de rentrer dans la salle de l'Opéra, action à laquelle le poussait de toutes ses forces son démon tentateur, d'attendre à la porte des acteurs pour la voir sortir.

Cette porte des acteurs, Hoffmann connaissait trop la topographie des théâtres pour ne pas la trouver bientôt. Il vit, rue de Bondy, un long couloir éclairé à peine, sale et humide, dans lequel passaient, comme des ombres, des hommes aux vêtements sordides, et il comprit que c'était par cette porte qu'entraient et sortaient les pauvres mortels que le rouge, le blanc, le bleu, la gaze, la soie et les paillettes transformaient en dieux et déesses.

 

Le temps s'écoulait, la neige tombait, mais Hoffmann était si agité par cette étrange apparition, qui avait quelque chose de surnaturel, qu'il n'éprouvait pas cette sensation de froid qui semblait poursuivre les passants. Vainement condensait-il en vapeurs presque palpables le souffle qui sortait de sa bouche, ses mains n'en restaient pas moins brûlantes et son front humide. Il y a plus: arrêté contre la muraille, il y était resté immobile, les yeux fixés sur le corridor; de sorte que la neige, qui allait toujours tombant en flocons plus épais, couvrait lentement le jeune homme comme d'un linceul; et du jeune étudiant coiffé de sa casquette et vêtu de la redingote allemande, faisait peu à peu une statue de marbre. Enfin commencèrent à sortir, par ce vomitoire, les premiers libérés par le spectacle, c'est-à-dire la garde de la soirée, puis les machinistes, puis tout ce monde sans nom qui vit du théâtre, puis les artistes mâles, moins longs à s'habiller que les femmes, puis enfin les femmes, puis enfin là belle danseuse, qu'Hoffmann reconnut non seulement à son charmant visage, mais à ce souple mouvement de hanches qui n'appartenait qu'à elle, mais encore à ce petit collier de velours qui serrait son col, et sur lequel étincelait l'étrange bijou que la Terreur venait de mettre à la mode.

À peine Arsène apparut-elle sur le seuil de la porte, qu'avant même qu'Hoffmann eût le temps de faire un mouvement, une voiture s'avança rapidement, la portière s'ouvrit, la jeune fille s'y élança aussi légère que si elle bondissait encore sur le théâtre. Une ombre apparut à travers les vitres, qu'Hoffmann crut reconnaître pour celle de l'homme de l'avant-scène, laquelle ombre reçut la belle nymphe dans ses bras; puis, sans qu'aucune voix eût eu besoin de désigner un but au cocher, la voiture s'éloigna au galop.

Tout ce que nous venons de raconter en quinze ou vingt lignes s'était passé aussi rapidement que l'éclair.

Hoffmann jeta une espèce de cri en voyant fuir la voiture, se détacha de la muraille, pareil à une statue qui s'élance de sa niche, et, secouant par le mouvement la neige dont il était couvert, se mit à la poursuite de la voiture.

Mais elle était emportée par deux trop puissants chevaux, pour que le jeune homme, si rapide que fût sa course irréfléchie, pût les rejoindre.

Tant qu'elle suivit le boulevard, tout alla bien; tant qu'elle suivit même la rue de Bourbon-Villeneuve, qui venait d'être débaptisée pour prendre le nom de rue Neuve-Égalité, tout alla bien encore; mais, arrivée à la place des Victoires, devenue la place de la Victoire Nationale, elle prit à droite, et disparut aux yeux d'Hoffmann.

N'étant plus soutenue ni par le bruit ni par la vue, la course du jeune homme faiblit un instant. Il s'arrêta au coin de la rue Neuve-Eustache, s'appuya à la muraille pour reprendre haleine, puis, ne voyant plus rien, n'entendant plus rien, il s'orienta, jugeant qu'il était temps de rentrer chez lui.

Ce ne fut pas chose facile pour Hoffmann que de se tirer de ce dédale de rues, qui forment un réseau presque inextricable de la pointe Saint-Eustache au quai de la Ferraille. Enfin, grâce aux nombreuses patrouilles qui circulaient dans les rues, grâce à son passeport bien en règle, grâce à la preuve qu'il n'était arrivé que la veille, preuve que le visa de la barrière lui donnait la facilité de fournir, il obtint de la milice citoyenne des renseignements si précis, qu'il parvint à regagner son hôtel et à retrouver sa petite chambre, où il s'enferma seul en apparence, mais, en réalité, avec le souvenir ardent de ce qui s'était passé.

À partir de ce moment, Hoffmann fut éminemment en proie à deux visions: dont l'une s'effaçait peu à peu, dont l'autre prenait peu à peu plus de consistance.

La vision qui s'effaçait, c'était la figure pâle et échevelée de la Du Barry, traînée de la Conciergerie à la charrette et de la charrette à l'échafaud.

La vision qui prenait de la réalité, c'était la figure animée et souriante de la belle danseuse, bondissant du fond du théâtre à la rampe, et tourbillonnant de la rampe à l'une et à l'autre avant-scène.

Hoffmann fit tous ses efforts pour se débarrasser de cette vision. Il tira ses pinceaux de sa malle et peignit; il tira son violon de sa boîte et joua du violon; il demanda une plume et de l'encre et fit des vers. Mais ces vers qu'il composait, c'étaient des vers à la louange d'Arsène; cet air qu'il jouait, c'était l'air sur lequel elle lui était apparue, et dont les notes bondissantes la soulevaient, comme si elles eussent eu des ailes; enfin, les esquisses qu'il faisait, c'était son portrait avec ce même collier de velours, étrange ornement fixé au cou d'Arsène par une si étrange agrafe.

Pendant toute la nuit, pendant toute la journée du lendemain, pendant toute la nuit et toute la journée du surlendemain, Hoffmann ne vit qu'une chose ou plutôt que deux choses: c'était, d'un côté, la fantastique danseuse, et, de l'autre côté, le non moins fantastique docteur. Il y avait entre ces deux êtres une telle corrélation, qu'Hoffmann ne comprenait pas l'un sans l'autre. Aussi n'était-ce pas, pendant cette hallucination qui lui offrait Arsène toujours bondissant sur le théâtre, l'orchestre qui bruissait à ses oreilles; non, c'était le petit chantonnement du docteur, c'était le petit tambourinement de ses doigts sur la tabatière d'ébène; puis, de temps en temps, un éclair passait devant ses yeux, l'aveuglant d'étincelles jaillissantes; c'était le double rayon qui s'élançait de la tabatière du docteur et du collier de la danseuse; c'était l'attraction sympathique de cette guillotine de diamants avec cette tête de mort en diamants; c'était enfin la fixité des yeux du médecin qui semblaient à sa volonté attirer et repousser la charmante danseuse, comme l'œil du serpent attire et repousse l'oiseau qu'il fascine.

Vingt fois, cent fois, mille fois, l'idée s'était présentée à Hoffmann de retourner à l'Opéra; mais, tant que l'heure n'était pas venue, Hoffmann s'était bien promis de ne pas céder à la tentation; d'ailleurs, cette tentation, il l'avait combattue de toutes manières, en ayant recours à son médaillon d'abord, puis ensuite en essayant d'écrire à Antonia; mais le portrait d'Antonia semblait avoir pris un visage si triste, qu'Hoffmann refermait le médaillon presque aussitôt qu'il l'avait ouvert; mais les premières lignes de chaque lettre qu'il commençait étaient si embarrassées, qu'il avait déchiré dix lettres avant d'être au tiers de la première page.

Enfin, ce fameux surlendemain s'écoula; enfin l'ouverture du théâtre s'approcha; enfin sept heures sonnèrent, et, à ce dernier appel, Hoffmann, enlevé comme malgré lui, descendit tout courant son escalier, et s'élança dans la direction de la rue Saint-Martin.

Cette fois, en moins d'un quart d'heure, cette fois, sans avoir besoin de demander son chemin à personne, cette fois, comme si un guide invisible lui eût montré sa route, en moins de dix minutes il arriva à la porte de l'Opéra.

Mais, chose singulière! cette porte, comme deux jours auparavant, n'était pas encombrée de spectateurs, soit qu'un incident inconnu d'Hoffmann eût rendu le spectacle moins attrayant, soit que les spectateurs fussent déjà dans l'intérieur du théâtre.

Hoffmann jeta son écu de six livres à la buraliste, reçut son carton et s'élança dans la salle.

Mais l'aspect de la salle était bien changé. D'abord elle n'était qu'à moitié pleine; puis, à la place de ces femmes charmantes, de ces hommes élégants qu'il avait cru revoir, il ne vit que des femmes en casaquin et des hommes en carmagnole; pas de bijoux, pas de fleurs, pas de seins nus s'enflant et se désenflant sous cette atmosphère voluptueuse des théâtres aristocratiques; des bonnets ronds et des bonnets rouges, le tout orné d'énormes cocardes nationales; des couleurs sombres dans les vêtements, un nuage triste sur les figures; puis, des deux côtés de la salle, deux bustes hideux, deux têtes grimaçant, l'une le rire, l'autre la douleur, les bustes de Voltaire et de Marat enfin.

Enfin, à l'avant-scène, un trou à peine éclairé, une ouverture sombre et vide. La caverne toujours, mais plus de lion.

Il y avait à l'orchestre deux places vacantes à côté l'une de l'autre. Hoffmann gagna l'une de ces deux places, c'était celle qu'il avait occupée. L'autre était celle qu'avait occupée le docteur, mais, comme nous l'avons dit, cette place était vacante.

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