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Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux

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XXXII
La maison vide

Jacques Mérey ne s'était pas trompé. Mlle de Chazelay était bien venue à Argenton, et, comme il était impossible d'aller en voiture au château, elle avait loué trois chevaux à la seule auberge de la ville, et s'était fait conduire à Chazelay par des hommes conduisant les trois montures au pas.

Les trois femmes y avaient passé une nuit, et le lendemain elles étaient revenues.

Puis on avait remis les chevaux de poste à la voiture, et cette fois on était parti pour La Châtre, Saint-Amand, Autun, la Bourgogne, etc., etc.

Or, comme Mlle de Chazelay avait cinq jours d'avance sur Jacques Mérey; comme, n'ayant pas reçu la dernière lettre de son frère qui lui annonçait son exécution, elle n'avait pu qu'obéir à l'avant-dernière lettre dans laquelle il lui ordonnait sans doute de le rejoindre; comme les eaux de Baden-Baden ou de Wiesbaden n'étaient qu'un moyen d'ouvrir aux trois fugitives les portes de l'Allemagne, Jacques Mérey, brisé de fatigue, ayant fait plus de six cents lieues par de mauvaises routes, ne jugea point urgent de se remettre en voyage, et se fit descendre à la porte de sa maison, si longtemps appelée la maison mystérieuse, et qui n'était plus que la maison vide.

Il y avait un peu plus de deux mois qu'il l'avait quittée.

Au bruit de la voiture s'arrêtant devant la porte, la vieille Marthe accourut et jeta un grand cri.

Elle avait cru ne jamais revoir son maître.

Lorsque Jacques Mérey fut entré et que la porte se fut refermée, il s'arrêta au bas de l'escalier, ne sachant où aller d'abord et tiré de tous côtés par ses souvenirs.

Sa mémoire réunissait dans un seul embrassement ces sept années qui, aujourd'hui qu'elles étaient écoulées, semblaient n'avoir eu que la durée d'un jour.

Il voyait Éva depuis le moment où il l'avait déroulée sur le tapis aux yeux de Marthe, objet informe, être inachevé, jusqu'à celui où elle avait été si cruellement arrachée de ses bras par un homme que la mort avait arraché de la vie avec la même cruauté, la même impitoyable froideur.

Et, quoiqu'elle ne fût plus dans la maison, elle y flottait comme flotte une ombre invisible, et perceptible cependant, aux lieux que son corps a habités.

Tout était comme Jacques Mérey l'avait laissé. Il monta d'abord à la chambre d'enfant d'Éva, et retrouva le berceau dans lequel elle était restée de sept à dix ans, c'est-à-dire à cette époque végétative de la vie où, chrysalide d'amour, la beauté et l'intelligence luttaient tout ensemble contre la laideur et le néant.

Puis à sa chambre de jeune fille, où elle commença devant le miroir magique à dérouler et à nouer ses longs cheveux en cambrant sa taille de roseau aussi onduleuse que ces beaux torses de Jean Goujon dont les bras soutiennent des corbeilles tandis que le bas du corps se perd et se divinise dans les draperies.

Puis de là il monta dans l'atelier, où l'orgue était resté ouvert et muet; il se rappela le jour où, à la suite d'une commotion électrique qui l'avait enveloppée d'un fluide vivifiant, elle était allée d'elle-même au piano, et, à son éternel étonnement, avait joué les mesures indécises, mais reconnaissables, d'un air entendu la veille. Là étaient les livres où ses yeux avaient déchiffré le premier mot, et lorsqu'il s'approcha sans le voir du haut de l'armoire où il était couché, le chat inapprivoisable bondit sur la fenêtre par laquelle il avait l'habitude de fuir.

Là, pêle-mêle sur les chaises, étaient les livres dans lesquels elle avait étudié la chimie, l'astronomie, la botanique; le dernier qu'elle avait ouvert, encore à l'endroit où la lecture s'était arrêtée.

Je ne connais pas d'endroits sous le vaste dôme des cieux où tombe du passé une mélancolie plus douce que dans une chambre devenue vide par une longue absence ou par la mort, après avoir été habitée, vivifiée, animée par une belle créature de quinze ans; son essence juvénile a passé dans tout; son haleine, l'émanation qui flotte autour de toute sa personne, composent une atmosphère à part qui vous fait amoureux avant qu'on ne sache même ce que c'est que l'amour.

Et qu'est-ce alors, quand on le sait!

Les bras tendus, car un voile flottait devant ses yeux, Jacques Mérey, ne la voyant plus au milieu de cette vapeur qui semblait, comme le nuage de Virgile, cacher une déesse, Jacques Mérey alla instinctivement à l'orgue et posa au hasard, on l'eût cru du moins, ses deux mains sur les touches.

Un frémissement sonore s'échappa de l'instrument divin; pendant dix minutes, Jacques Mérey n'en tira que des harmonies, au milieu desquelles une plainte revenant sans cesse laissait tomber une larme sur le cœur, éveillant la même sensation que, dans un caveau sombre, fait éprouver la goutte d'eau qui tombe régulièrement dans un bassin de cristal.

Au bout de quelques instants cette plainte mélodieuse fut insuffisante, elle se traduisit par le nom d'Éva; mais, à peine Jacques Mérey l'avait-il prononcé trois fois, qu'il ne put supporter ce crescendo de douleur et que son cœur éclata en sanglots.

Le docteur s'élança hors de la chambre sans avoir rien vu de ses anciens instruments de chimie: creusets à poussière de mercure, cornues impuissantes et oubliées, matrice rouge de cinabre, aux rebords de laquelle s'est figée une écume d'argent vermeil, vase dans lequel le carbone pur a commencé de se transformer en diamant, il oublia tout. Ce nom d'Éva était le glas funèbre qui mettait au tombeau tous ces rêves que la science avait caressés, comme Ixion la nuée de laquelle naquit le peuple fabuleux des Centaures.

En deux bonds il franchit l'escalier, et du troisième il se trouva dans le jardin.

Là ses souvenirs étaient non moins pressés, non moins vivants, non moins tendres, et, par conséquent, non moins douloureux.

Là était le ruisseau dans lequel, pour la première fois, elle se regarda en buvant; la tonnelle où elle écoutait chanter le rossignol jusqu'à une heure du matin; l'arbre où, pour la première fois, en se dressant pour cueillir la pomme vermeille, elle s'aperçut qu'elle était nue et rougit de pudeur.

Et Jacques Mérey allait du ruisseau à la tonnelle, de la tonnelle à l'arbre de la science, se disant que son espoir était insensé, et n'en espérant pas moins voir tout à coup apparaître Éva à l'angle de quelque buisson, au détour de quelque allée.

Mais ce fut surtout en s'approchant de la grotte que le cœur lui battit; c'était là, au murmure de cette source, qui, avec le ruisseau échappé du pied de l'arbre de la science, alimentait la petite rivière du jardin, qu'appuyés tous deux à la roche moussue, Éva lui avait dit pour la première fois qu'elle l'aimait.

Cette voix chérie, cet accent mélodieux qui pénètre jusqu'au fond du cœur, ce mot pour lequel toutes les langues de la terre ont choisi leurs plus douces voyelles, leurs consonnes les plus euphoniques, ne l'entendrait-il plus?

Pour lui seul n'y aurait-il plus de printemps, plus de soleil, plus d'amour?

Dans quelle erreur profonde était-il lorsque, jeté dans ces débats solennels de la tribune qui faisaient et qui défaisaient des monarchies, dans ces grandes luttes de la guerre qui chassaient la terreur d'un camp dans l'autre et qui renvoyaient éclater sur l'Allemagne l'orage qui grondait sur la France, dans quelle erreur profonde était-il quand il avait espéré donner tout cela en pâture à son cœur, à la place de son amour?

Oh! son amour, il était, certes, depuis son départ d'Argenton, demeuré au fond de toute chose; pas un jour, pas une heure, pas un instant, il n'avait cessé d'y songer, et voilà que, depuis qu'il était rentré dans cette maison, pas une seconde il n'avait pensé à ces grandes catastrophes au milieu desquelles il avait déjà joué et allait encore jouer un rôle.

Voilà qu'il avait oublié, comme si jamais ils n'eussent existé, Danton, Dumouriez, Kellermann, Valmy, le roi de Prusse, Brunswick, la Montagne, la Gironde, l'éloquent Vergniaud, Mme Roland la sainte, Mme Danton la martyre, l'immonde Marat laissant derrière lui chez Talma sa trace fétide, et le faible roi prisonnier au Temple, avec une femme coupable, deux enfants innocents, une sœur angélique.

Où retrouver Éva? Vivre tous les jours qui lui restaient à vivre sans jamais entendre parler de princes ou de rois, sans jamais voir reluire au soleil d'or d'une épaulette ou la lame d'un sabre, sans savoir s'il y avait un monde autour de cette maison et de ce jardin qui étaient son univers, voilà le seul bonheur qu'il eût demandé à Dieu, s'il n'eût placé Dieu si haut, que nos douleurs les plus poignantes, comme nos joies les plus sublimes, ne pouvaient, partant de si bas, monter jusqu'à lui.

Nous avons raconté les rêves du jour, nous n'essayerons pas de peindre ceux de la nuit.

Le premier bruit qu'entendit Jacques Mérey dans la maison fut celui d'Antoine ouvrant sa porte et frappant du pied en criant:

– Cercle de vérité, centre de justice!

Jacques Mérey eut du bonheur à revoir celui à qui il avait rendu un éclair de raison, n'ayant pas pu lui rendre sa raison tout entière.

Derrière lui monta Baptiste, qu'il reconnut à son tour au bruit que faisait sa jambe de bois frappant chaque marche de l'escalier.

Si Antoine lui devait une partie de sa raison, celui-là lui devait une partie de son corps.

C'étaient deux hommes à qui Jacques Mérey eût pu dire «Mourez pour moi,» et qui seraient morts sans demander pour quelle cause il demandait leur vie.

Au reste, toute la ville d'Argenton était rassemblée devant la porte de la maison mystérieuse. Seulement, comme on savait Jacques Mérey triste, on avait banni toute gaieté de la réception qu'on voulait lui faire.

C'étaient des électeurs qui venaient remercier leur mandataire d'avoir déjà illustré son mandat. Et, en effet, on avait appris à Argenton la conduite que Jacques Mérey avait menée à Verdun. On savait qu'il s'était chaudement battu à Grand-Pré, et que c'était lui enfin qui avait rapporté à la Convention les trois drapeaux conquis dans la campagne.

 

Ils avaient lu dans le journal la mort du seigneur de Chazelay; il était peu regretté dans le pays: on savait tout le mal qu'il avait fait à Jacques Mérey. Et cependant, comme on connaissait l'amour immense qu'il avait pour sa fille, toute cette foule, toute vulgaire qu'elle fût, qui attendait Jacques pour le remercier du passé et le prier de se continuer dans l'avenir, eut la délicatesse de ne pas lui dire un mot du père ni de la fille.

Mais ce fut à qui lui parlerait, obtiendrait un mot de lui, lui toucherait la main, lui jetterait son vœu de bonheur. Si l'on eût osé, pour gagner sa voiture, Jacques Mérey eût marché sur des jonchées de feuilles et de fleurs.

Les chevaux arrivèrent; au bruit des grelots, chacun s'écarta.

Au moment de monter en voiture, Jacques Mérey fit signe qu'il voulait parler.

Aussitôt il se fit un grand silence.

– Mes amis, dit-il, nous allons entrer dans une série de luttes terribles. Peut-être y laisserai-je ma vie, mais à coup sûr je n'y laisserai pas mon honneur, et vous serez toujours non seulement contents, mais fiers de votre élu. Si je viens à succomber dans la lutte, je vous recommande ma vieille Marthe et mes deux bons amis Antoine et Baptiste, c'est tout ce que je laisserai sur la terre après moi.

Puis, comme la voiture s'ébranlait pour partir, il n'y put résister plus longtemps, et ce cri échappa de son cœur:

– Si elle revient, n'est-ce pas, vous me le ferez savoir?

Et, de toutes ces bouches qui semblaient attendre cette confidence pour parler, de tous ces cœurs qui semblaient attendre cet appel pour s'ouvrir, s'échappa cette promesse unanime:

– Oh oui! oui! oui!

Pas une voix n'avait nommé Éva, et tous savaient que c'était d'elle qu'il avait voulu parler.

XXXIII
Où Jacques Mérey perd la piste

En quittant Argenton, la voiture prit la route de Saint-Amand. C'était le même postillon qui avait conduit Mlle de Chazelay qui conduisait Jacques Mérey.

À la première poste, c'est-à-dire à La Châtre, de nouvelles informations furent prises, et de postillon à postillon on eut encore une certitude.

À Saint-Amand, les renseignements commencèrent à être plus difficiles; il fallut consulter les livres de poste, très exactement tenus à cette époque à cause des lois contre les émigrés.

À Autun, on perdit la trace. Probablement les voyageuses avaient passé pendant la nuit, et le maître de poste n'avait pas jugé à propos de se lever pour inscrire les chevaux sur son registre.

À Dijon, comme on dit en termes de chasse, on en revit, puis on continua, sur des indices plus ou moins certains, la route jusqu'à Strasbourg.

À Strasbourg, on se retrouva dans l'incertitude. Les trois dames avaient logé à l'Hôtel du Corbeau. Le nom de Mlle de Chazelay, voyageant avec une femme de chambre, était écrit sur les registres, et le maître de l'hôtel avait été faire virer le passeport au comité, qui avait envoyé un de ses membres accompagné d'un médecin pour s'assurer si véritablement une des dames était malade et avait besoin de prendre les eaux.

Le médecin trouva, en effet, la plus jeune des trois voyageuses si faible, si pâle, si souffrante, qu'il ne fit aucune difficulté pour lui laisser continuer son voyage.

Mlle de Chazelay avait passé le Rhin à Kehl, et s'était arrêtée à Baden, à l'Hôtel des Ruines.

Là, elle avait annoncé qu'elle comptait rester un mois tandis que sa nièce prendrait les eaux; elle avait fait son prix avec le maître de l'hôtel, puis tout à coup, à la lecture d'un journal, la plus âgée des voyageuses était tombée dans une attaque de nerfs et avait déclaré qu'elle voulait partir à l'instant pour Mayence.

Mais la plus jeune des voyageuses était si souffrante, que le médecin des eaux, qui l'avait déjà visitée, avait déclaré qu'elle ne pouvait supporter la voiture.

On avait alors, comme faisaient les voyageurs à cette époque, frêté une jolie barque, et l'on avait pris la voie du Rhin.

Il n'y avait dans tout cela aucun doute pour Jacques Mérey, ces dames étaient venues à Baden-Baden, en effet, avec l'intention d'y prendre les eaux, puis Mlle de Chazelay avait lu dans un journal, tombé par hasard entre ses mains, l'exécution de son frère.

De là l'attaque de nerfs et la résolution de partir à l'instant pour Mayence.

Mais Jacques Mérey savait d'avance que Mlle de Chazelay ne trouverait sur l'exécution de son frère que les renseignements vagues qu'il eût trouvés lui-même s'il n'avait pas eu une mission spéciale à ce sujet.

Les voyageuses seraient donc forcées d'aller jusqu'à Francfort. Mais à Francfort aucune pièce ne leur serait communiquée, si ce n'est une copie de l'interrogatoire et le procès-verbal d'exécution pour servir d'extrait mortuaire.

Maintenant Custine serait-il toujours à Francfort? Dans ce temps de rapides conquêtes, on ne savait jamais où retrouver les généraux.

Il s'informerait en passant par Mayence.

Le hasard servit Jacques Mérey à merveille; depuis la veille le général Custine avait établi son quartier à Mayence, laissant garnison à Francfort, qui était encore fortifié à cette époque.

C'était un jour de voyage de moins, et, on se le rappelle, le docteur n'avait que quinze jours de congé.

Il arriva le 2 novembre à Mayence.

Il alla serrer la main du général, qui paraissait fort triste. Il était question de faire le procès de Louis XVI.

La Convention le jugerait.

Louis XVI, jugé par la Convention, était d'avance condamné à mort.

M. de Custine, homme de vieille race, pouvait-il rester au service d'un gouvernement qui aurait condamné son roi?

Toutes ces choses ne furent pas dites mais devinées, après quoi Jacques demanda s'il pourrait revoir son jeune ami Charles André?

Le général sonna.

– Voyez dans les bureaux, dit-il, si le citoyen Charles André s'y trouve.

Puis, se tournant vers le docteur:

– À propos, lui dit-il, n'oubliez pas de lui demander une lettre arrivée pour vous le lendemain ou le surlendemain de votre départ. Charles André, ne sachant où vous l'envoyer, l'aura gardée.

Les deux hommes se quittèrent poliment, mais sans regrets. Ces deux natures opposées s'emboîtaient mal l'une avec l'autre.

Quelle différence avec Charles André! Les deux jeunes gens n'avaient eu besoin que d'un regard pour lire au fond du cœur l'un de l'autre; aussi fut-ce les bras ouverts qu'ils s'abordèrent.

En deux mots, Jacques lui expliqua la cause de son retour.

– Je les ai vues, dit Charles André; c'est à moi qu'elles se sont adressées.

– Éva était bien souffrante? demanda Jacques.

– Bien souffrante, mais bien belle.

Jacques hésita un instant; il avait les timidités d'un premier amour.

– Vous lui avez parlé? demanda-t-il en hésitant.

– Oui, j'ai eu le bonheur de rester seul avec elle, elle qui semblait muette ou trop faible pour parler. Je m'approchai d'elle et lui dis:

» – Mademoiselle, je l'ai vu.

»Elle bondit.

» – Vous avez vu Jacques Mérey? dit-elle.

»Elle avait deviné que c'était de vous que je voulais parler.

» – J'ai vu Jacques Mérey, repris-je; j'ai vu l'homme qui vous aime plus que sa vie.

»Elle poussa un cri et me jeta les bras au cou.

» – Vous êtes mon ami pour toujours, dit-elle. Oh! moi aussi je l'aime! je l'aime! je l'aime!

»Et elle ferma les yeux comme si elle allait mourir.

» – Mademoiselle, lui dis-je, votre tante peut revenir d'un moment à l'autre; laissez-moi vous dire.

» – Oui, dites, dites.

» – Une lettre que vous lui aviez écrite se trouvait dans les papiers de votre père.

» – Comment cela?

» – Je l'ignore. Mais, en visitant les papiers, il a reconnu l'écriture et m'a demandé de copier cette lettre.

» – Oh! cher Jacques!

» – Puis, la lettre copiée, j'ai pris la copie et lui ai laissé l'original.

» – Vous avez fait cela? s'écria la belle enfant folle de joie.

» – Oui. Ai-je eu tort?

» – Comment vous appelez-vous, monsieur?

» – Charles André.

» – Votre nom est là, dit-elle en mettant la main sur son cœur.

»Je m'inclinai.

» – Ah! lui dis-je, mademoiselle, c'est trop de reconnaissance.

» – Vous ne savez pas tout ce que je lui dois, à cet homme, à ce génie, à cet ange du ciel! J'étais une pauvre créature, dénuée, abandonnée, ne connaissant rien à sept ans qu'un chien, Scipion; c'était mon seul ami. Je ne parlais pas, je ne voyais pas, je ne pensais pas. Il m'a donné la voix; il m'a soufflé la pensée pendant sept ans, comme le sculpteur florentin penché sur les portes du baptistère de Notre-Dame-des-Fleurs. Il a ciselé mon corps, mon cœur, mon esprit; tout ce que je sais, je le lui dois; tout entière je suis à lui. Pourquoi me trouvez-vous froide à la mort de mon père? c'est que je ne connais mon père que pour nous avoir séparés. Je n'avais jamais pleuré, je ne savais pas ce que c'était que les larmes: mon père m'est apparu et j'ai manqué mourir de douleur!

»En ce moment, sa tante rentra.

» – Si vous le revoyez jamais, me dit-elle en me serrant la main, dites-lui que je l'aime.

»Mlle de Chazelay entendit ces derniers mots.

» – Qui aimez-vous si fort? demanda-t-elle sèchement.

» – Jacques Mérey, madame, répondit la jeune fille.

» – Vous êtes folle, dit Mlle de Chazelay.

» – Je le serai peut-être un jour, répondit la jeune fille; mais qui m'aura rendue folle? vous le savez.

» – Dans tous les cas, à partir d'aujourd'hui, dites-lui adieu pour toujours; jamais nous ne rentrerons en France. Venez.

»Mlle de Chazelay suivit sa tante, et je ne les ai pas revues.»

– Merci, mon ami, merci, s'écria Jacques Mérey au comble de la joie. J'en sais tout ce que je pouvais espérer de savoir. Elles vont ou à Vienne ou à Berlin. Elles émigrent.

Un soupir passa à travers ses lèvres.

– Je ne puis les suivre à l'étranger, et d'ailleurs le général m'a dit que vous aviez une dépêche à me remettre.

– Ah! c'est vrai, dit Charles André.

Et il tira d'un portefeuille une lettre portant le grand cachet de la République et le timbre du ministère de l'Intérieur.

Jacques Mérey décacheta la lettre et la lut.

Lecture faite, il tendit la main au jeune officier.

– Adieu, lui dit-il, je pars.

– Vous partez ainsi, à l'instant même?

– Quel jour du mois sommes-nous? depuis huit ou dix jours que je cours la poste, je suis brouillé avec les dates.

– Nous sommes le 2 novembre, répondit le jeune officier.

Jacques calcula de tête.

– Je serai le 5, dans la journée, près de Dumouriez, dit-il.

– Près de Dumouriez? fit Charles André avec étonnement.

– La Convention m'attache à lui dans sa campagne de Belgique, comme elle m'a attaché à lui dans sa campagne de Champagne.

– Est-ce que vous avez confiance dans cet homme? demanda le jeune officier.

– Dans son génie, oui; dans sa moralité, non. Mais quels que soient ses projets, il a besoin d'une grande victoire. Attendez-vous à un second Valmy.

– Par où allez-vous le rejoindre?

– Ma route est toute tracée: Hombourg, Trèves, Mézières. À Mézières, je saurai où rejoindre Dumouriez.

Les deux jeunes gens se dirent adieu, et, comme Jacques Mérey avait fait renouveler les chevaux de poste pendant sa visite chez le général, il n'eut qu'à monter en voiture et à crier au postillon:

– Route de France, par Hombourg et Mézières!

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