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Le vicomte de Bragelonne, Tome III.

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Chapitre CXXXVII – Tobie

Deux heures après que la voiture du surintendant était partie sur l'ordre d'Aramis, les emportant tous deux vers Fontainebleau avec la rapidité des nuages qui couraient au ciel sous le dernier souffle de la tempête, La Vallière était chez elle, en simple peignoir de mousseline, et achevant sa collation sur une petite table de marbre.

Tout à coup sa porte s'ouvrit, et un valet de chambre la prévint que M. Fouquet demandait la permission de lui rendre ses devoirs.

Elle fit répéter deux fois; la pauvre enfant ne connaissait M. Fouquet que de nom, et ne savait pas deviner ce qu'elle pouvait avoir de commun avec un surintendant des finances.

Cependant, comme il pouvait venir de la part du roi, et, d'après la conversation que nous avons rapportée, la chose était bien possible, elle jeta un coup d'oeil sur son miroir, allongea encore les longues boucles de ses cheveux, et donna l'ordre qu'il fût introduit.

La Vallière cependant ne pouvait s'empêcher d'éprouver un certain trouble. La visite du surintendant n'était pas un événement vulgaire dans la vie d'une femme de la Cour. Fouquet, si célèbre par sa générosité, sa galanterie et sa délicatesse avec les femmes, avait reçu plus d'invitations qu'il n'avait demandé d'audiences.

Dans beaucoup de maisons, la présence du surintendant avait signifié fortune. Dans bon nombre de coeurs, elle avait signifié amour.

Fouquet entra respectueusement chez La Vallière, se présentant avec cette grâce qui était le caractère distinctif des hommes éminents de ce siècle, et qui aujourd'hui ne se comprend plus, même dans les portraits de l'époque, où le peintre a essayé de les faire vivre.

La Vallière répondit au salut cérémonieux de Fouquet par une révérence de pensionnaire, et lui indiqua un siège.

Mais Fouquet, s'inclinant:

– Je ne m'assoirai pas, mademoiselle, dit-il, que vous ne m'ayez pardonné.

– Moi? demanda La Vallière.

– Oui, vous.

– Et pardonné quoi, mon Dieu?

Fouquet fixa son plus perçant regard sur la jeune fille, et ne crut voir sur son visage que le plus naïf étonnement.

– Je vois, mademoiselle, dit-il, que vous avez autant de générosité que d'esprit, et je lis dans vos yeux le pardon que le sollicitais. Mais il ne me suffit pas du pardon des lèvres, je vous en préviens, il me faut encore le pardon du coeur et de l'esprit.

– Sur ma parole, monsieur, dit La Vallière, je vous jure que je ne vous comprends pas.

– C'est encore une délicatesse qui me charme, répondit Fouquet, et je vois que ne voulez point que j'aie à rougir devant vous.

– Rougir! rougir devant moi! Mais, voyons, dites, de quoi rougiriez vous?

– Me tromperais-je, dit Fouquet, et aurais-je le bonheur que mon procédé envers vous ne vous eût pas désobligée?

La Vallière haussa les épaules.

– Décidément, monsieur, dit-elle, vous parlez par énigmes, et je suis trop ignorante, à ce qu'il paraît, pour vous comprendre.

– Soit, dit Fouquet, je n'insisterai pas. Seulement, dites-moi, je vous en supplie, que je puis compter sur votre pardon plein et entier.

– Monsieur, dit La Vallière avec une sorte d'impatience, je ne puis vous faire qu'une réponse, et j'espère qu'elle vous satisfera. Si je savais quel tort vous avez envers moi, je vous le pardonnerais. À plus forte raison, vous comprenez bien, ne connaissant pas ce tort…

Fouquet pinça ses lèvres comme eût fait Aramis.

– Alors, dit-il, je puis espérer que, nonobstant ce qui est arrivé, nous resterons en bonne intelligence, et que vous voudrez bien me faire la grâce de croire à ma respectueuse amitié.

La Vallière crut qu'elle commençait à comprendre.

«Oh! se dit-elle en elle-même, je n'eusse pas cru M. Fouquet si avide de rechercher les sources d'une faveur si nouvelle.»

Puis tout haut:

– Votre amitié, monsieur? dit-elle, vous m'offrez votre amitié? Mais, en vérité, c'est pour moi tout l'honneur, et vous me comblez.

– Je sais, mademoiselle, répondit Fouquet, que l'amitié du maître peut paraître plus brillante et plus désirable que celle du serviteur; mais je vous garantis que cette dernière sera tout aussi dévouée, tout aussi fidèle, et absolument désintéressée.

La Vallière s'inclina: il y avait, en effet, beaucoup de conviction et de dévouement réel dans la voix du surintendant.

Aussi lui tendit-elle la main.

– Je vous crois, dit-elle.

Fouquet prit vivement la main que lui tendait la jeune fille.

– Alors, ajouta-t-il, vous ne verrez aucune difficulté, n'est-ce pas, à me rendre cette malheureuse lettre?

– Quelle lettre? demanda La Vallière.

Fouquet l'interrogea, il l'avait déjà fait, de toute la puissance de son regard.

Même naïveté de physionomie, même candeur de visage.

– Allons, mademoiselle, dit-il, après cette dénégation, je suis forcé d'avouer que votre système est le plus délicat du monde, et je ne serais pas moi-même un honnête homme si je redoutais quelque chose d'une femme aussi généreuse que vous.

– En vérité, monsieur Fouquet, répondit La Vallière, c'est avec un profond regret que je suis forcée de vous répéter que je ne comprends absolument rien à vos paroles.

– Mais, enfin, sur l'honneur, vous n'avez donc reçu aucune lettre de moi, mademoiselle?

– Sur l'honneur, aucune, répondit fermement La Vallière.

– C'est bien, cela me suffit, mademoiselle, permettez-moi de vous renouveler l'assurance de toute mon estime et de tout mon respect.

Puis, s'inclinant, il sortit pour aller retrouver Aramis, qui l'attendait chez lui, et laissant La Vallière se demander si le surintendant était devenu fou.

– Eh bien! demanda Aramis qui attendait Fouquet avec impatience, êtes vous content de la favorite?

– Enchanté, répondit Fouquet, c'est une femme pleine d'esprit et de coeur.

– Elle ne s'est point fâchée?

– Loin de là; elle n'a pas même eu l'air de comprendre.

– De comprendre quoi?

– De comprendre que je lui eusse écrit.

– Cependant, il a bien fallu qu'elle vous comprît pour vous rendre la lettre, car je présume qu'elle vous l'a rendue.

– Pas le moins du monde.

– Au moins, vous êtes-vous assuré qu'elle l'avait brûlée?

– Mon cher monsieur d'Herblay, il y a déjà une heure que je joue aux propos interrompus, et je commence à avoir assez de ce jeu, si amusant qu'il soit. Comprenez-moi donc bien; la petite a feint de ne pas comprendre ce que je lui disais; elle a nié avoir reçu aucune lettre; donc, ayant nié positivement la réception, elle n'a pu ni me la rendre, ni la brûler.

– Oh! oh! dit Aramis avec inquiétude, que me dites-vous là?

– Je vous dis qu'elle m'a juré sur ses grands dieux n'avoir reçu aucune lettre.

– Oh! c'est trop fort! Et vous n'avez pas insisté?

– J'ai insisté, au contraire, jusqu'à l'impertinence.

– Et elle a toujours nié?

– Toujours.

– Elle ne s'est pas démentie un seul instant?

– Pas un seul instant.

– Mais alors, mon cher, vous lui avez laissé notre lettre entre les mains?

– Il l'a, pardieu! bien fallu.

– Oh! C'est une grande faute.

– Que diable eussiez-vous fait à ma place, vous?

– Certes, on ne pouvait la forcer, mais cela est inquiétant; une pareille lettre ne peut demeurer contre nous.

– Oh! cette jeune fille est généreuse.

– Si elle l'eût été réellement, elle vous eût rendu votre lettre.

– Je vous dis qu'elle est généreuse; j'ai vu ses yeux, je m'y connais.

– Alors, vous la croyez de bonne foi?

– Oh! de tout mon coeur.

– Eh bien! moi, je crois que nous nous trompons.

– Comment cela?

– Je crois qu'effectivement, comme elle vous l'a dit, elle n'a point reçu la lettre.

– Comment! point reçu la lettre?

– Non.

– Supposeriez-vous!..

– Je suppose que, par un motif que nous ignorons, votre homme n'a pas remis la lettre.

Fouquet frappa sur un timbre.

Un valet parut.

– Faites venir Tobie, dit-il.

Un instant après parut un homme à l'oeil inquiet, à la bouche fine, aux bras courts, au dos voûté.

Aramis attacha sur lui son oeil perçant.

– Voulez-vous me permettre de l'interroger moi-même? demanda

Aramis.

– Faites, dit Fouquet.

Aramis fit un mouvement pour adresser la parole au laquais, mais il s'arrêta.

– Non, dit-il, il verrait que nous attachons trop d'importance à sa réponse; interrogez-le, vous; moi, je vais feindre d'écrire.

Aramis se mit en effet à une table, le dos tourné au laquais dont il examinait chaque geste et chaque regard dans une glace parallèle.

– Viens ici, Tobie, dit Fouquet.

Le laquais s'approcha d'un pas assez ferme.

– Comment as-tu fait ma commission? lui demanda Fouquet.

– Mais je l'ai faite comme à l'ordinaire, monseigneur, répliqua l'homme.

– Enfin, dis.

– J'ai pénétré chez Mlle de La Vallière, qui était à la messe et j'ai mis le billet sur sa toilette. N'est-ce point ce que vous m'aviez dit?

– Si fait; et c'est tout?

– Absolument tout, monseigneur.

– Personne n'était là?

– Personne.

– T'es-tu caché comme je te l'avais dit, alors?

– Oui.

– Et elle est rentrée?

– Dix minutes après.

– Et personne n'a pu prendre la lettre?

– Personne, car personne n'est entré.

– De dehors, mais de l'intérieur?

– De l'endroit où j'étais caché, je pouvais voir jusqu'au fond de la chambre.

– Écoute, dit Fouquet, en regardant fixement le laquais, si cette lettre s'est trompée de destination, avoue-le-moi; car s'il faut qu'une erreur ait été commise, tu la paieras de ta tête.

Tobie tressaillit, mais se remit aussitôt.

– Monseigneur, dit-il, j'ai déposé la lettre à l'endroit où j'ai dit, et je ne demande qu'une demi-heure pour vous prouver que la lettre est entre les mains de Mlle de La Vallière ou pour vous rapporter la lettre elle-même.

 

Aramis observait curieusement le laquais.

Fouquet était facile dans sa confiance; vingt ans cet homme l'avait bien servi.

– Va, dit-il, c'est bien; mais apporte-moi la preuve que tu dis.

Le laquais sortit.

– Eh bien! qu'en pensez-vous? demanda Fouquet à Aramis.

– Je pense qu'il faut, par un moyen quelconque, vous assurer de la vérité. Je pense que la lettre est ou n'est pas parvenue à La Vallière; que, dans le premier cas, il faut que La Vallière vous la rende ou vous donne la satisfaction de la brûler devant vous; que, dans le second, il faut ravoir la lettre, dût-il nous en coûter un million. Voyons, n'est-ce pas votre avis?

– Oui; mais cependant, mon cher évêque, je crois que vous vous exagérez la situation.

– Aveugle, aveugle que vous êtes! murmura Aramis.

– La Vallière, que nous prenons pour une politique de première force, est tout simplement une coquette qui espère que je lui ferai la cour parce que je la lui ai déjà faite, et qui, maintenant qu'elle a reçu confirmation de l'amour du roi, espère me tenir en lisière avec la lettre. C'est naturel.

Aramis secoua la tête.

– Ce n'est point votre avis? dit Fouquet.

– Elle n'est pas coquette.

– Laissez-moi vous dire…

– Oh! je me connais en femmes coquettes, fit Aramis.

– Mon ami! mon ami!

– Il y a longtemps que j'ai fait mes études, voulez-vous dire.

Oh! les femmes ne changent pas.

– Oui, mais les hommes changent, et vous êtes aujourd'hui plus soupçonneux qu'autrefois.

Puis, se mettant à rire:

– Voyons, dit-il, si La Vallière veut m'aimer pour un tiers et le roi pour deux tiers, trouvez-vous la condition acceptable?

Aramis se leva avec impatience.

– La Vallière, dit-il, n'a jamais aimé et n'aimera jamais que le roi.

– Mais enfin, dit Fouquet, que feriez-vous?

– Demandez-moi plutôt ce que j'eusse fait.

– Eh bien! qu'eussiez-vous fait?

– D'abord, je n'eusse point laissé sortir cet homme.

– Tobie?

– Oui, Tobie; c'est un traître!

– Oh!

– J'en suis sûr! je ne l'eusse point laissé sortir qu'il ne m'eût avoué la vérité.

– Il est encore temps.

– Comment cela?

– Rappelons-le, et interrogez-le à votre tour.

– Soit!

– Mais je vous assure que la chose est bien inutile. Je l'ai depuis vingt ans, et jamais il ne m'a fait la moindre confusion, et cependant, ajouta Fouquet en riant, c'était facile.

– Rappelez-le toujours. Ce matin, il m'a semblé voir ce visage-là en grande conférence avec un des hommes de M. Colbert.

– Où donc cela?

– En face des écuries.

– Bah! tous mes gens sont à couteaux tirés avec ceux de ce cuistre.

– Je l'ai vu, vous dis-je! et sa figure, qui devait m'être inconnue quand il est entré tout à l'heure, m'a frappé désagréablement.

– Pourquoi n'avez-vous rien dit pendant qu'il était là?

– Parce que c'est à la minute seulement que je vois clair dans mes souvenirs.

– Oh! oh! voilà que vous m'effrayez, dit Fouquet.

Et il frappa sur le timbre.

– Pourvu qu'il ne soit pas trop tard, dit Aramis.

Fouquet frappa une seconde fois.

Le valet de chambre ordinaire parut.

– Tobie! dit Fouquet, faites venir Tobie.

Le valet de chambre referma la porte.

– Vous me laissez carte blanche, n'est-ce pas?

– Entière.

– Je puis employer tous les moyens pour savoir la vérité?

– Tous.

– Même l'intimidation?

– Je vous fais procureur à ma place.

On attendit dix minutes, mais inutilement.

Fouquet, impatienté, frappa de nouveau sur le timbre.

– Tobie! cria-t-il.

– Mais, monseigneur, dit le valet, on le cherche.

– Il ne peut être loin, je ne l'ai chargé d'aucun message.

– Je vais voir, monseigneur.

Aramis, pendant ce temps, se promenait impatiemment mais silencieusement dans le cabinet.

On attendit dix minutes encore.

Fouquet sonna de manière à réveiller toute une nécropole.

Le valet de chambre rentra assez tremblant pour faire croire à une mauvaise nouvelle.

– Monseigneur se trompe, dit-il avant même que Fouquet l'interrogeât, Monseigneur aura donné une commission à Tobie, car il a été aux écuries prendre le meilleur coureur, et, monseigneur, il l'a sellé lui-même.

– Eh bien?

– Il est parti.

– Parti?.. s'écria Fouquet. Que l'on coure, qu'on le rattrape!

– Là! là! dit Aramis en le prenant par la main, calmons-nous; maintenant, le mal est fait.

– Le mal est fait?

– Sans doute, j'en étais sûr. Maintenant, ne donnons pas l'éveil; calculons le résultat du coup et parons-le, si nous pouvons.

– Après tout, dit Fouquet, le mal n'est pas grand.

– Vous trouvez cela? dit Aramis.

– Sans doute. Il est bien permis à un homme d'écrire un billet d'amour à une femme.

– À un homme, oui; à un sujet, non; surtout quand cette femme est celle que le roi aime.

– Eh! mon ami, le roi n'aimait pas La Vallière il y a huit jours; il ne l'aimait même pas hier, et la lettre est d'hier; je ne pouvais pas deviner l'amour du roi, quand l'amour du roi n'existait pas encore.

– Soit, répliqua Aramis; mais la lettre n'est malheureusement pas datée. Voilà ce qui me tourmente surtout. Ah! si elle était datée d'hier seulement, je n'aurais pas pour vous l'ombre d'une inquiétude.

Fouquet haussa les épaules.

– Suis-je donc en tutelle, dit-il, et le roi est-il donc roi de mon cerveau et de ma chair?

– Vous avez raison, répliqua Aramis; ne donnons pas aux choses plus d'importance qu'il ne convient; puis d'ailleurs… eh bien! si nous sommes menacés, nous avons des moyens de défense.

– Oh! menacés! dit Fouquet, vous ne mettez pas cette piqûre de fourmi au nombre des menaces qui peuvent compromettre ma fortune et ma vie, n'est ce pas?

– Eh! pensez-y, monsieur Fouquet, la piqûre d'une fourmi peut tuer un géant, si la fourmi est venimeuse.

– Mais cette toute-puissance dont vous parliez, voyons, est-elle déjà évanouie?

– Je suis tout-puissant, soit; mais je ne suis pas immortel.

– Voyons, retrouver Tobie serait le plus pressé, ce me semble.

N'est-ce point votre avis?

– Oh! quant à cela, vous ne le retrouverez pas, dit Aramis, et, s'il vous était précieux, faites-en votre deuil.

– Enfin, il est quelque part dans le monde, dit Fouquet.

– Vous avez raison; laissez-moi faire, répondit Aramis.

Chapitre CXXXVIII – Les quatre chances de Madame

La reine Anne avait fait prier la jeune reine de venir lui rendre visite.

Depuis quelque temps, souffrante et tombant du haut de sa beauté, du haut de sa jeunesse, avec cette rapidité de déclin qui signale la décadence des femmes qui ont beaucoup lutté, Anne d'Autriche voyait se joindre au mal physique la douleur de ne plus compter que comme un souvenir vivant au milieu des jeunes beautés, des jeunes esprits et des jeunes puissances de sa Cour.

Les avis de son médecin, ceux de son miroir, la désolaient bien moins que ces avertissements inexorables de la société des courtisans qui, pareils aux rats du navire, abandonnent la cale où l'eau va pénétrer grâce aux avaries de la vétusté.

Anne d'Autriche ne se trouvait pas satisfaite des heures que lui donnait son fils aîné.

Le roi, bon fils, plus encore avec affectation qu'avec affection, venait d'abord passer chez sa mère une heure le matin et une heure le soir; mais, depuis qu'il s'était chargé des affaires de l'État, la visite du matin et celle du soir s'étaient réduites d'une demi- heure; puis, peu à peu, la visite du matin avait été supprimée.

On se voyait à la messe; la visite même du soir était remplacée par une entrevue, soit chez le roi en assemblée, soit chez Madame, où la reine venait assez complaisamment par égard pour ses deux fils.

Il en résultait cet ascendant immense sur la Cour que Madame avait conquis, et qui faisait de sa maison la véritable réunion royale.

Anne d'Autriche le sentit.

Se voyant souffrante et condamnée par la souffrance à de fréquentes retraites, elle fut désolée de prévoir que la plupart de ses journées, de ses soirées, s'écouleraient solitaires, inutiles, désespérées.

Elle se rappelait avec terreur l'isolement où jadis la laissait le cardinal de Richelieu, fatales et insupportables soirées, pendant lesquelles pourtant elle avait pour se consoler la jeunesse, la beauté, qui sont toujours accompagnées de l'espoir.

Alors elle forma le projet de transporter la Cour chez elle et d'attirer Madame, avec sa brillante escorte, dans la demeure sombre et déjà triste où la veuve d'un roi de France, la mère d'un roi de France, était réduite à consoler de son veuvage anticipé la femme toujours larmoyante d'un roi de France.

Anne réfléchit.

Elle avait beaucoup intrigué dans sa vie. Dans le beau temps, alors que sa jeune tête enfantait des projets toujours heureux, elle avait près d'elle, pour stimuler son ambition et son amour, une amie plus ardente, plus ambitieuse qu'elle-même, une amie qui l'avait aimée, chose rare à la Cour, et que de mesquines considérations avaient éloignée d'elle.

Mais depuis tant d'années, excepté Mme de Motteville, excepté la Molena, cette nourrice espagnole, confidente en sa qualité de compatriote et de femme, qui pouvait se flatter d'avoir donné un bon avis à la reine?

Qui donc aussi, parmi toutes ces jeunes têtes, pouvait lui rappeler le passé, par lequel seulement elle vivait?

Anne d'Autriche se souvint de Mme de Chevreuse, d'abord exilée plutôt de sa volonté à elle-même que de celle du roi, puis morte en exil femme d'un gentilhomme obscur.

Elle se demanda ce que Mme de Chevreuse lui eût conseillé autrefois en pareil cas dans leurs communs embarras d'intrigues, et, après une sérieuse méditation, il lui sembla que cette femme rusée, pleine d'expérience et de sagacité, lui répondait de sa voix ironique:

– Tous ces petits jeunes gens sont pauvres et avides. Ils ont besoin d'or et de rentes pour alimenter leurs plaisirs, prenez- les-moi par l'intérêt.

Anne d'Autriche adopta ce plan.

Sa bourse était bien garnie; elle disposait d'une somme considérable amassée par Mazarin pour elle et mise en lieu sûr.

Elle avait les plus belles pierreries de France, et surtout des perles d'une telle grosseur, qu'elles faisaient soupirer le roi chaque fois qu'il les voyait, parce que les perles de sa couronne n'étaient que grains de mil auprès de celles-là.

Anne d'Autriche n'avait plus de beauté ni de charmes à sa disposition. Elle se fit riche et proposa pour appât à ceux qui viendraient chez elle, soit de bons écus d'or à gagner au jeu, soit de bonnes dotations habilement faites les jours de bonne humeur, soit des aubaines de rentes qu'elle arrachait au roi en sollicitant, ce qu'elle s'était décidée à faire pour entretenir son crédit.

Et d'abord elle essaya de ce moyen sur Madame, dont la possession lui était la plus précieuse de toutes.

Madame, malgré l'intrépide confiance de son esprit et de sa jeunesse, donna tête baissée dans le panneau qui était ouvert devant elle. Enrichie peu à peu par des dons par des cessions, elle prit goût à ces héritages anticipés.

Anne d'Autriche usa du même moyen sur Monsieur et sur le roi lui- même.

Elle institua chez elle des loteries.

Le jour où nous sommes arrivés, il s'agissait d'un médianoche chez la reine mère, et cette princesse mettait en loterie deux bracelets fort beaux en brillants et d'un travail exquis.

Les médaillons étaient des camées antiques de la plus grande valeur; comme revenu, les diamants ne représentaient pas une somme bien considérable, mais l'originalité, la rareté de travail étaient telles, qu'on désirait à la Cour non seulement posséder, mais voir ces bracelets aux bras de la reine, et que, les jours où elles les portait, c'était une faveur que d'être admis à les admirer en lui baisant les mains.

Les courtisans avaient même à ce sujet adopté des variantes de galanterie pour établir cet aphorisme, que les bracelets eussent été sans prix s'ils n'avaient le malheur de se trouver en contact avec des bras pareils à ceux de la reine.

Ce compliment avait eu l'honneur d'être traduit dans toutes les langues de l'Europe, plus de mille distiques latins et français circulaient sur cette matière.

Le jour où Anne d'Autriche se décida pour la loterie, c'était un moment décisif: le roi n'était pas venu depuis deux jours chez sa mère. Madame boudait après la grande scène des dryades et des naïades.

 

Le roi ne boudait plus; mais une distraction toute-puissante l'enlevait au dessus des orages et des plaisirs de la Cour.

Anne d'Autriche opéra sa diversion en annonçant la fameuse loterie chez elle pour le soir suivant.

Elle vit, à cet effet, la jeune reine, à qui, comme nous l'avons dit, elle demanda une visite le matin.

– Ma fille, lui dit-elle, je vous annonce une bonne nouvelle. Le roi m'a dit de vous les choses les plus tendres. Le roi est jeune et facile à détourner; mais, tant que vous vous tiendrez près de moi, il n'osera s'écarter de vous, à qui, d'ailleurs, il est attaché par une très vive tendresse. Ce soir, il y a loterie chez moi: vous y viendrez?

– On m'a dit, fit la jeune reine avec une sorte de reproche timide, que Votre Majesté mettait en loterie ses beaux bracelets, qui sont d'une telle rareté, que nous n'eussions pas dû les faire sortir du garde-meuble de la couronne, ne fût-ce que parce qu'ils vous ont appartenu.

– Ma fille, dit alors Anne d'Autriche, qui entrevit toute la pensée de la jeune reine et voulut la consoler de n'avoir pas reçu ce présent, il fallait que j'attirasse chez moi à tout jamais Madame.

– Madame? fit en rougissant la jeune reine.

– Sans doute; n'aimez-vous pas mieux avoir chez vous une rivale pour la surveiller et la dominer, que de savoir le roi chez elle, toujours disposé à courtiser comme à l'être? Cette loterie est l'attrait dont je me sers pour cela: me blâmez-vous?

– Oh! non! fit Marie-Thérèse en frappant dans ses mains avec cet enfantillage de la joie espagnole.

– Et vous ne regrettez plus, ma chère, que je ne vous aie pas donné ces bracelets, comme c'était d'abord mon intention?

– Oh! non, oh! non, ma bonne mère!..

– Eh bien! ma chère fille, faites-vous bien belle, et que notre médianoche soit brillant: plus vous y serez gaie, plus vous y paraîtrez charmante, et vous éclipserez toutes les femmes par votre éclat comme par votre rang.

Marie-Thérèse partit enthousiasmée.

Une heure après, Anne d'Autriche recevait chez elle Madame, et, la couvrant de caresses:

– Bonnes nouvelles! disait-elle, le roi est charmé de ma loterie.

– Moi, dit Madame, je n'en suis pas aussi charmée; voir de beaux bracelets comme ceux-là aux bras d'une autre femme que vous, ma reine, ou moi, voilà ce à quoi je ne puis m'habituer.

– Là! là! dit Anne d'Autriche en cachant sous un sourire une violente douleur qu'elle venait de sentir, ne vous révoltez pas, jeune femme… et n'allez pas tout de suite prendre les choses au pis.

– Ah! madame, le sort est aveugle… et vous avez, m'a-t-on dit, deux cents billets?

– Tout autant. Mais vous n'ignorez pas qu'il y en aura qu'un gagnant?

– Sans doute. À qui tombera-t-il? Le pouvez-vous dire? fit Madame désespérée.

– Vous me rappelez que j'ai fait un rêve cette nuit… Ah! mes rêves sont bons… je dors si peu.

– Quel rêve?.. Vous souffrez?

– Non, dit la reine en étouffant, avec une constance admirable, la torture d'un nouvel élancement dans le sein. J'ai donc rêvé que le roi gagnait les bracelets.

– Le roi?

– Vous m'allez demander ce que le roi peut faire de bracelets, n'est-ce pas?

– C'est vrai.

– Et vous ajouterez cependant qu'il serait fort heureux que le roi gagnât, car, ayant ces bracelets, il serait forcé de les donner à quelqu'un.

– De vous les rendre, par exemple.

– Auquel cas, je les donnerais immédiatement; car vous ne pensez pas, dit la reine en riant, que je mette ces bracelets en loterie par gêne. C'est pour les donner sans faire de jalousie; mais, si le hasard ne voulais pas me tirer de peine, eh bien! je corrigerais le hasard… je sais bien à qui j'offrirais les bracelets.

Ces mots furent accompagnés d'un sourire si expressif, que Madame dut le payer par un baiser de remerciement.

– Mais, ajouta Anne d'Autriche, ne savez-vous pas aussi bien que moi que le roi ne me rendrait pas les bracelets s'il les gagnait?

– Il les donnerait à la reine, alors.

– Non; par la même raison qui fait qu'il ne me les rendrait pas; attendu que, si j'eusse voulu les donner à la reine, je n'avais pas besoin de lui pour cela.

Madame jeta un regard de côté sur les bracelets, qui, dans leur écrin, scintillaient sur une console voisine.

– Qu'ils sont beaux! dit-elle en soupirant. Eh! mais, dit Madame, voilà-t il pas que nous oublions que le rêve de Votre Majesté n'est qu'un rêve.

– Il m'étonnerait fort, repartit Anne d'Autriche, que mon rêve fût trompeur; cela m'est arrivé rarement.

– Alors vous pouvez être prophète.

– Je vous ai dit, ma fille, que je ne rêve presque jamais; mais c'est une coïncidence si étrange que celle de ce rêve avec mes idées! il entre si bien dans mes combinaisons!

– Quelles combinaisons?

– Celle-ci, par exemple, que vous gagnerez les bracelets.

– Alors ce ne sera pas le roi.

– Oh! dit Anne d'Autriche, il n'y a pas tellement loin du coeur de Sa Majesté à votre coeur… à vous qui êtes sa soeur chérie… Il n'y a pas, dis-je, tellement loin, qu'on puisse dire que le rêve est menteur. Voyez pour vous les belles chances; comptez-les bien.

– Je les compte.

– D'abord, celle du rêve. Si le roi gagne, il est certain qu'il vous donne les bracelets.

– J'admets cela pour une.

– Si vous les gagnez, vous les avez.

– Naturellement; c'est encore admissible.

– Enfin, si Monsieur les gagnait!

– Oh! dit Madame en riant aux éclats, il les donnerait au chevalier de Lorraine.

Anne d'Autriche se mit à rire comme sa bru, c'est-à-dire de si bon coeur, que sa douleur reparut et la fit blêmir au milieu de l'accès d'hilarité.

– Qu'avez-vous? dit Madame effrayée.

– Rien, rien, le point de côté… J'ai trop ri… Nous en étions à la quatrième chance.

– Oh! celle-là, je ne la vois pas.

– Pardonnez-moi, je ne me suis pas exclue des gagnants, et, si je gagne, vous êtes sûre de moi.

– Merci! Merci! s'écria Madame.

– J'espère que vous voilà favorisée, et qu'à présent le rêve commence à prendre les solides contours de la réalité.

– En vérité, vous me donnez espoir et confiance, dit Madame, et les bracelets ainsi gagnés me seront cent fois plus précieux.

– À ce soir donc!

– À ce soir!

Et les princesses se séparèrent.

Anne d'Autriche, après avoir quitté sa bru, se dit en examinant les bracelets:

«Ils sont bien précieux, en effet, puisque par eux, ce soir, je me serai concilié un coeur en même temps que j'aurai deviné un secret.»

Puis, se tournant vers son alcôve déserte:

– Est-ce ainsi que tu aurais joué, ma pauvre Chevreuse? dit-elle au vide… Oui, n'est-ce pas?

Et, comme un parfum d'autrefois, toute sa jeunesse toute sa folle imagination, tout le bonheur lui revinrent avec l'écho de cette invocation.

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